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J’avais écrit en mars 2023 qu’il existait une hypothèse de plus en plus plausible, celle de l’arrivée du RN au pouvoir : on en est donc presque là… Après la sidération, non pas du vote RN, mais de la dissolution, il faut donc se préparer et se poser quelques questions pour l’ESR. Dans ce billet j’analyse donc le programme (!) du RN et interroge surtout les conséquences possibles autour de 4 questions : l’impact en termes d’attractivité, les femmes et les hommes qui porteraient le projet du RN, le comportement des cadres et élus de l’ESR face à un gouvernement RN et enfin le climat social dans les universités, en particulier chez les étudiants. Je reviendrai prochainement sur le programme du NFP.

Je ne ferai pas de pronostics même si mon sentiment est qu’une gauche plafonnant à 30% aura du mal à s’imposer et encore plus à gouverner, surtout avec un J-L Mélenchon dont la stratégie, celle de l’avant-garde guidant les “masses” ignorantes, est de les confronter au chaos pour les radicaliser et donc faire gagner le RN. Ajoutons à tout ceci les déchirements de LR et la dérive égotiste d’un président de plus en plus déconnecté du réel, qui affaiblit méthodiquement ses partisans.

Même avec un RN majoritaire, ce qui n’est pas certain vu le système à 2 tours, l’hypothèse d’une majorité introuvable reste également pertinente. Cependant, il est vain de chercher à ignorer ou casser le thermomètre. Rappelons B. Brecht : “Puisque le peuple vote contre le Gouvernement, il faut dissoudre le peuple”.

Examinons quelques unes des conséquences de ce séisme, pour la France et en l’occurrence pour l’ESR.

Le programme famélique du RN pour l’ESR

Le RN dans cette campagne reste le plus flou possible. Sur l’ESR c’est carrément l’impasse. Rappelons qu’en 2022 Marine Le Pen prônait, comme le NFP aujourd’hui, de réformer voire de remplacer Parcoursup. Il est évident que si le RN gouverne, non seulement l’Université ne sera pas une priorité mais elle sera stigmatisée. On les voit mal s’intéresser aux EPE, COMP etc… mais surtout à un investissement dans ce secteur, qui plus est marqué à gauche. Quant à Parcoursup, comme pour le NFP d’ailleurs, trouver une solution alternative viable, quelle qu’elle soit, paraît techniquement impossible pour cette rentrée qui prépare 2025.

Le sujets qui vont mobiliser un gouvernement RN seront évidemment les étudiants étrangers assimilés à des immigrés illégaux, le ‘wokisme’, le port du voile, la préférence nationale et la “loyauté” des responsables de l’administration et des opérateurs. Certains verront peut-être la différence entre S. Retailleau et la réalité de l’illibéralisme 😒. Celles et ceux, nombreux, opposés à l’autonomie des universités devront aussi s’interroger pour ne pas converger avec le RN !

Sans doute, le secteur de la recherche incarné par les ONR souffrira le moins, le RN se situant, surtout avec de nouveaux alliés LR, dans les pas de la culture centralisatrice française : les ONR sont plus contrôlables que les universités rebelles !

Il existe aussi une autre hypothèse qui n’exclut pas la première : face à un ESR paralysé par ses luttes intestines (disciplines, statuts etc.) ce gouvernement RN élargi laissera surtout le fruit tomber … et pourrir. Au profit par exemple de l’enseignement supérieur privé, et pas le meilleur. C’est une hypothèse plausible pour une raison simple : le programme du RN sur l’ESR est famélique.

4 questions posées par une majorité RN

Il est inutile de prévoir, surtout dans une situation aussi instable. Il est bien plus préférable de se poser des questions, en espérant que ce sont les bonnes. Si elles ne sont pas exhaustives, elles me semblent résumer les enjeux.

Quel sera l’impact sur l’attractivité internationale en formation et en recherche, alors qu’elle est déjà en perte de vitesse dans les universités ? C’est évidemment ce qui est plus important. Avant même que des mesures restrictives soient prises, l’effet psychologique et symbolique sera terrible. Et si des mesures plus ou moins annoncées sont effectives, on imagine facilement qu’être étudiant ou chercheur étranger deviendra un parcours du combattant. Et puis, la LPR si critiquée par certains deviendra peut-être une ligne de défense des acquis. Dans le programme du NFP, on parle d’une LPR “plus ambitieuse”, sans plus de détails.

Qui seront celles et ceux qui formeront les équipes d’un MESR RN, quand seront-ils nommés ? Et d’ailleurs y aura-t-il un ministère ESR ? Politiquement, on les imagine plutôt noyer l’ESR dans un grand ministère de l’éducation nationale. Il est inutile de croire que personne ne voudra travailler avec le RN : d’abord pour des raisons pratiques, l’État étant l’État. Mais aussi parce qu’il y aura des vocations nouvelles … Il lui faudra surtout les personnes ad hoc, en choisissant dans un vivier LR et Ena. Et le RN dispose déjà de personnalités comme G. Bigot, ancien directeur d’école de commerce ou Roger Chudeau, ancien Igen pour l’éducation.

Il reste que 2 nominations très sensibles sont à court terme au programme : la Dgesip après le départ d’A-S Barthez et le HCERES, en suspens depuis des mois. Et là, les candidats dont les noms ont été murmurés doivent y réfléchir.

Mais le plus important selon moi, c’est que le RN sera confronté à ce que tous les gouvernements expérimentent : même lorsque l’on veut changer des choses, ce n’est pas si simple. Alors que leur ‘indépendance’ (actée par le Conseil constitutionnel) est une véritable protection, la capacité de résistance des universitaires à tout ce qui dérange leur quotidien ne sera-t-elle pas, pour une fois, un atout ?

Quel sera le comportement des élus et cadres supérieurs de l’ESR, et particulièrement de France Universités et des président(e)s ? Financé essentiellement par l’État, certains dirigeants d’opérateurs sont nommés (les ONR), d’autres sont élus, les présidents d’universités. Ces derniers ont évidemment des marges de manœuvre plus grandes, en tout cas dans l’expression publique. Remarquons que le dernier communiqué de France Universités (prévoyant ?) n’appelle pas explicitement à voter contre le RN, contrairement à 2022.

Il est vrai que leurs budgets viennent essentiellement du MESR. On va d’ailleurs découvrir que le gel budgétaire de 900M€ (en réalité beaucoup moins) et la mise en œuvre trop lente de la LPR sont peu de choses face à ce qui arrivera. Car la situation des finances publiques étant ce qu’elle est, dans le programme toutes vannes ouvertes du RN, l’université ‘woke’ ne sera pas dans les premiers servis ☺️.

Des rectrices et recteurs démissionneront-ils ? Fonctionnaires d’autorité, qui peuvent être démis chaque mercredi, porteront-ils/elles une politique qu’ils désapprouvent ? Remarquons que sur les sujets éducatifs, leur échine doit être souple avec les changements permanents de politiques, quel que soit le gouvernement…

Les universités vont-elles redevenir le champ clos d’affrontements et un enjeu politique ? Depuis des années, les étudiants  ne se sont mobilisés ni sur le climat ni sur la loi retraites et n’ont pas convergé avec des mouvements sociaux, à l’exception d’une minorité politisée. Les universités à quelques exceptions près sont devenues des ‘havres’ de calme, passant la main aux IEP…

Mais rappelons ce que les études d’opinion le montrent : les étudiants et la jeunesse en général, ne sont pas imperméables aux idées du RN. Ce qui montre au passage l’incroyable déconnexion d’une grande partie des médias et des journalistes qui voient le monde à leur image !

L’arrivée du RN au pouvoir pourrait donc changer la donne en ouvrant un nouvel espace aux mouvements militants pour élargir une audience en berne. Avec non plus des étudiants silencieux ou indifférents mais des risques d’affrontements entre étudiants. Une mauvaise nouvelle aussi.

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