3 Comments

Pour la première fois, sauf erreur de ma part, le MESRI publie le nombre de docteurs employés dans la R&D des entreprises. Il est évidemment impossible de procéder à des comparaisons sur une longue série pour voir si cette proportion augmente, ou si ce que font les autres pays. Mais si on lit entre les lignes, les services du MESRI soulignent que dans le secteur de la R&D, c’est la culture ingénieur qui prédomine, pas la culture recherche. Est-ce cohérent avec le fait que la France est le pays qui subventionne le plus la R&D des entreprises (devant la Russie…) ? 

En 2015, selon l’état de l’enseignement supérieur et de la recherche (MESRI 2018), 226 000 chercheurs exerçaient en entreprise, dont 56 % issus d’une école d’ingénieurs. Le MESRI souligne qu’alors que les PhD sont « proportionnellement les plus nombreux en recherche dans les organismes publics de recherche, l’enseignement supérieur ou les institutions sans but lucratif »,  ils ne représentent plus que 12 % des chercheurs en entreprise, 20 % d’entre eux ayant obtenu un doctorat en Sciences médicales. Et d’ajouter : « En outre, parmi les docteurs hors Sciences médicales, qui effectuent de la recherche en entreprise, un tiers ont obtenu un doctorat après une première formation en école d’ingénieurs. »

Les activités de R&D menées en entreprise concernent principalement les « Sciences de l’ingénieur » et les « Mathématiques-Logiciels-Physique » et mobilisent plus de 3 chercheurs sur 4.

Certes, la R&D des entreprises ne peut être comparée à celle des opérateurs de recherche dans sa structure de personnels. Mais cette faible place des docteurs dans la R&D des entreprises, malgré les espoirs suscités par les incitations du Crédit Impôt Recherche, interpelle. Car la France est la championne du monde du soutien public à la R&D des entreprises (soit sous forme de subvention, soit sous forme d’incitations fiscales). Son concurrent est la Russie…(OCDE 2014).

L’Allemagne, la Chine, le Royaume-Uni, les USA, la Corée du sud sont largement derrière nous, alors même que leurs résultats sont meilleurs. Le rapport Lewiner and C° l’avait déjà souligné : « (…) en dépit des aides et dispositifs mis en place, les retombées économiques de l’innovation en France restent décevantes. »

Un problème « culturel » français

C’est sans doute là la raison majeure de la faible place du doctorat dans notre pays : la culture du doute, la culture du risque, les paris, ne font pas partie de la culture des grandes entreprises françaises, biberonnées aux subventions et aux logiques des Grands corps.

Ceci explique en partie leurs difficultés récurrentes dans la mondialisation, car l’ignorance de ce qu’est réellement la recherche bloque tout le système : le capital-risque ne va pas vers les deep tech (même si la BPI semble s’y mettre), et les grandes entreprises du CAC 40 (à quelques exceptions près heureusement) ont toujours autant de difficultés à évoluer dans un système ouvert, avec les start-up (les vraies). Elles ne jouent pas le rôle de locomotive qu’elles devraient jouer pour les PME-ETI et jouent en permanence sur des effets d’annonce.

Enfin, la France n’arrive toujours pas à faire émerger de nouveaux leaders mondiaux, à partir des frontières de la connaissance. De ce point de vue, le bilan du rapport Lewiner est accablant, non pour les chercheurs des écoles, organismes et universités, mais pour les entreprises et l’État. J’y reviendrai dans un prochain article.

Cette déconnexion avec la recherche produit des effets en cascade sur l’économie française. Plus que jamais, l’investissement dans l’ESR devrait être une priorité.

3 Responses to “12% de PhD dans la R&D : une erreur stratégique des entreprises françaises ?”

  1. Malheureusement, je crains que ce chiffre de 12% ne soit déjà présent dans l’état de l’emploi scientifique en France de 2016 (p. 139).

    Cette problématique est encore plus ancienne puisque voilà ce qui était écrit en 1980 dans un courrier signé du secrétariat d’état à la recherche et du ministère de l’industrie qui se passe de commentaires.

    « Pour faire face au défi technologique grandissant auquel notre pays est confronté, une de nos ressources principales est le potentiel de connaissance et de savoir-faire que représentent les ingénieurs de l’industrie.
    Pour utiliser avec efficacité ce potentiel, il apparaît indispensable de mieux prendre en compte dans la formation des ingénieurs, le caractère temporaire du savoir scientifique et technique, qui se traduit par l’apparition fréquente de technologies nouvelles dont l’incorporation rapide dans les produits industriels est essentielle pour l’amélioration de notre compétitivité.
    Il apparaît dans ce contexte, qu’une formation supplémentaire par la
    recherche pour les ingénieurs se destinant à l’industrie, présente de nombreux
    avantages pour […]
    – faire à terme, une place plus large, parmi les cadres dirigeants des entreprises françaises, à des personnes formées par la recherche dans le but de faire jouer à celle-ci le rôle qui lui revient dans les stratégies industrielles, compte tenu de sa part majeure dans le processus d’innovation au sein d’une société de haute technologie. »

    • Merci pour ces précisions intéressantes. En fait je n’ai pas dû assez bien chercher l’historique. Mais ceux qui ont la « mémoire » du secteur me confirment que cette proportion de PhD dans la R&D est stable. Or les subventions publiques ont explosé (et je ne parle pas seulement du CIR) : cela soulève une question sur l’efficacité des politiques publiques, pour le moins…

  2. Oui, le problème est effectivement ancien. En France on confond ingénieur et chercheur, alors qu’il s’agit de cultures et de compétences complètement différents. Pratiquement sans exception les innovations de rupture sont le fait de chercheurs, les ingénieurs étant souvent des développeurs hors pair indispensables par ailleurs, mais des développeurs.
    En France nous souffrons sur ce plan d’au moins deux blocages qui sont anciens et terriblement verrouillés:
    -faiblesse du dialogue entre le monde académique (celui des chercheurs) et le monde économique (celui des applicateurs de la recherche), ce qui entretient méfiance réciproque et malentendus;
    -faiblesse du dialogue entre le monde des grandes écoles, qui forment la majorité des ingénieurs, et celui des universités, qui forment la majorité des docteurs.
    Ce double verrouillage entretient les craintes et même le mépris réciproque. Le résultat est là: le doctorat n’est toujours pas reconnu par une grande partie du monde économique français comme LE diplôme pour être chercheur en entreprise. Et symétriquement le monde académique français n’a souvent que mépris pour les départements R&D des entreprises.
    Ajoutez à cela l’esprit de corps (sans mauvais jeu de mots) et l’influence des réseaux d’anciens, puissants pour les écoles d’ingénieurs, inexistants pour les diplômés d’universités y compris docteurs, et vous avez tous les ingrédients du désastre.
    Que faire?
    Je crains que les ordonnances en gestation ne suffisent pas à faire sauter ces verrous tant il est clair que pour beaucoup d’acteurs l’enjeu de ces ordonnances est celui du maintien de la personnalité morale des grandes écoles au sein des regroupements. On peut comprendre cela compte tenu de l’ambiance de guerre civile perpétuelle qui marque notre monde académique. Mais le maintien de cette personnalité morale risque d’être un verrou supplémentaire pour le nécessaire dialogue entre universités et écoles. Qui se soucie dans le monde de savoir quelles composantes du MIT, d’Harvard, de Caltech, de Cambridge, d’Oxford ou d’autres grandes universités mondiales ont ou n’ont pas la personnalité morale au sein de leurs universités?
    Il y a cependant en France des exemples très spectaculaires de collaborations réussies entre les deux mondes, académique et économique: l’ESPCI, TSE pour l’économie et certains secteurs du management, quelques départements scientifiques de quelques universités.
    Il y a aussi des dispositifs qui restent malheureusement confidentiels, comme les thèses CIFRE et les Carnot, que tout le monde encense rituellement, à juste titre, mais qui restent confidentiels. Pourquoi ne pas « mettre le paquet » sur ces success stories?

Laisser un commentaire