La CPU et le CNRS viennent de « lancer » la nouvelle édition du concours Ma Thèse en 180 secondes. Le succès de cette initiative est l’occasion d’évoquer un phénomène relativement récent mais qui prend de l’ampleur : la prolifération du nombre de concours (je ne parle pas des concours d’accès…), dans tous les secteurs de l’ESR. Avec une question à la clé : trop de concours tuent-t-il les concours ?
La multiplication des prix, concours et trophée divers n’est pas un phénomène propre à l’enseignement supérieur et à la recherche : pensons au vin, à la gastronomie, au cinéma avec ses festivals, et même au sport pourtant compétitif par nature. Et derrière le rideau, il y a évidemment les jurys et les évaluateurs, censés être les « sages » et/ou les « experts ».
Bref, toutes les activités humaines produisent de la récompense symbolique, pour l’individu, pour une communauté. Chacune des professions est impliquée dans ce processus qui développe sentiment d’appartenance, valeur d’exemplarité et permet des opérations de relations publiques. Même le journalisme ?.
Ma Thèse en 180s en est l’exemple-type. L’univers de la science n’a en effet pas été le dernier à y voir des avantages avec ces innombrables prix. Et notre célèbre « Concours général » date de 1744 !
Les nombreux sens (honneur, élégance, séparation) de cette notion de distinction, débouchent tous sur la différenciation : le hiérarchie des individus, et désormais des institutions, devient la norme. Anodin, banal ? Oui en général, mais pas dans l’ESR français, historiquement attaché à l’égalité.
Comment cela se manifeste-t-il donc pour l’enseignement supérieur et la recherche ? Pour y voir plus clair, il faut regarder 3 aspects : d’abord cerner leur catégorisation, ensuite essayer de comprendre les raisons de la prolifération des concours, et enfin regarder les effets positifs mais aussi négatifs.
Différents types de distinctions
N’étant pas un spécialiste, j’essaie de m’y retrouver dans le dédale des prix, appels à projet, concours etc.. Rien n’étant simple, on retrouve des appels à projet sous forme de concours, des prix qui sont des appels à projet, des concours qui sont des appels à projet etc. Vous suivez ?Pour résumer, c’est d’autant plus la jungle que la quantité semble augmenter chaque jour !
Les prix et distinctions (prix X ou Y, médailles etc.) font partie du patrimoine historique de la recherche scientifique, avec une dimension souvent honorifique. Encore que le Nobel (entre autres) donne droit à des espèces sonnantes et trébuchantes ! Ils récompensent en général un « passé » et scellent la reconnaissance d’un milieu.
Mais désormais, il y a les prix récompensant les espoirs. Et bonne nouvelle, ces prix s’ouvrent, avec les médailles des organismes de recherche, aux non-chercheurs, c’est à dire à celles et ceux qui permettent une bonne recherche.
Notons que si au cinéma un prix peut être un accélérateur d’entrées et donc de recettes, dans le domaine de l’ESR, il peut être aussi un accélérateur de carrière, au sens strict, mais également en donnant de plus grandes marges de manœuvre aux lauréats (choix des équipes, accès facilité aux décideurs etc.). Ce qui caractérise en général ces prix (il y a de rares exceptions), c’est que l’on n’est pas candidat.
Les appels à projet et concours sont devenus en France un passage de plus en plus obligé pour obtenir des fonds. S’ils n’ont rien à voir a priori avec les récompenses citées plus haut, ils ont aussi leurs lauréats et relèvent d’un mécanisme de sélection. Mais là, l’objectif ciblé et quantifié donne lieu (en théorie) à évaluation. On pense évidemment à ce que tout le monde appelle désormais « une ANR », mais il y a tous les autres, européens, régionaux et internes aux établissements. Et bien sûr, ceux du PIA avec la déclinaison plus récente sur les formations.
Les concours-prix sont une autre variante des appels à projet. Il y a d’abord les concours étudiants, le dernier en date « Génération ISS », lié aux missions spatiales habitées. C’est un des nombreux concours que l’on retrouve comme I Lab, celui de l’innovation, les prix Pepite pour l’entrepreneuriat étudiant, ou encore le prix du goût des sciences. Le prix PEPS cible « la qualité de l’enseignement ».
Il faut souligner qu’être lauréat de ces appels à projet peut avoir un fort impact financier (pas toujours) et promotionnel, mais aussi psychologique : obtenir une ERC dans un labo change beaucoup de choses dans les relations internes ! Et une équipe-projet lauréate, cela modifie les équilibres dans un laboratoire.
Les raisons de la prolifération
On a donc, à l’image du système ESR français, un foisonnement de prix/concours. Les chercheurs pourraient à juste titre rappeler que ces symboliques de la distinction, de la compétition ne sont pas des phénomènes nouveaux : je laisse aux psychologues, sociologues, anthropologues et historiens le soin d’analyser et de débattre de ce sujet tellement humain. Mais en 2019, outre que cette prolifération touche tous les secteurs de la société, elle renvoie sans doute à cette quête de la différenciation mais aussi cette obsession de l’évaluation.
Ce qui est à mon sens nouveau dans l’ESR, est que les individus sont désormais censés porter le drapeau de leur institution : il n’y a qu’à voir les guerres de communiqués sur l’appartenance de tel ou telle que se dispute le millefeuille français. Car cette prolifération est profondément liée à l’évolution de notre système : émergence de marques, introduction de logiques plus compétitives, hiérarchies, classements et comparaisons.
De ce point de vue, alors que le pouvoir central était auparavant, avec les organismes sous sa tutelle et quelques médias, le principal dispensateur des « récompenses », d’autres acteurs émergent : les collectivités territoriales, les entreprises parfois (L’Oréal le fait depuis longtemps), et les établissements autonomes.
En un mot, le monopole de la récompense a éclaté. Mais, plus essentiel, pour tous ces acteurs, cette logique de concours est un outil de management du système pour y instiller de la compétition.
Les effets positifs…mais parfois pervers
Ce foisonnement débouche sur des effets très positifs, permettant à des projets d’émerger : quel que soit le thème, on peut défendre son projet devant un jury, même dans un établissement petit et/ou à faible notoriété. Les incitations financières et/ou la promotion du projet sont indéniablement des plus.
Les effets positifs sont donc évidemment nombreux : l’exemple de MT180 secondes le montre. En touchant le grand public, cela fait bouger les lignes en interne, et met au cœur la nécessité de savoir interagir, communiquer. Cela montre aussi, outre la nécessaire revalorisation du doctorat, la place de ces jeunes pour secouer le cocotier des institutions.
Le défi de MT180s est simple désormais : éviter que la forme et le coaching prennent le dessus sur le fond, donnant ainsi une impression d’uniformité…et de conformisme.
Car c’est toute l’ambiguïté des concours, qui dépasse de loin le cas de MT 180s : se préparer par rapport à un cadre et en oublier le reste…
L’énergie dépensée (et il en faut !) l’est-elle à bon escient ? Je vais prendre l’exemple caricatural de ces start-up (je parle de celles qui ne sont pas issues de la recherche) pour lesquelles les prix/concours sont très souvent le prétexte non à un projet d’entreprise mais à un projet de levée de fonds, grâce à des retombées médiatiques. Le taux d’échec y est colossal.
Concernant les start-up « deep tech », l’objectif de lever des fonds à la hauteur est impérieux : mais la faible appétence au risque des investisseurs français se combine aussi avec la multiplication des concours. Cette pression permanente peut ignorer les temps longs nécessaires à la maturation de projets.
Enfin, le concept de prix et distinction n’a pas vraiment dépassé le monde la recherche, au niveau individuel en tout cas : on cherche en vain en France un prix du type de celui de Caltech : celui du meilleur enseignant…
Encore une fois la lisibilité
On est donc lauréat de choses très diverses, mais qui mises bout à bout, peuvent parfois donner le tournis. Bien sûr, les cérémonies des Médailles des organismes de recherche ont un retentissement.
Mais l’émiettement du système soulève une question : la multiplication des initiatives, louable en soi, ne risque-t-elle pas de les rendre à force inaudibles ? J’avoue que je m’y perds et que je ne dois pas être le seul.
Méditons l’exemple d’autres secteurs professionnels : le cinéma (Cannes, César), le sport (Ballon d’Or, Nuit du football, du rugby etc.) ou la gastronomie (Étoiles Michelin). Il y a au maximum quelques événements-phares qui donnent le ton… et permettent de peser dans les médias, chez les divers décideurs et dans l’opinion publique.
Mais là les principaux intéressés se sont mis d’accord ! Est-ce possible dans l’ESR ?
Tiens, du coup je sus allée voir sur la page du concours général…
Et dans le pavé historique, je lis :
« 1924 : ouverture aux élèves de province et aux filles »
Hum !
No comment comme on dit…