C’est en présence d’Emmanuel Macron que le CNRS vient de clôturer l’année de célébration de ses 80 ans. Gloire, prestige, congratulations, l’organisme de recherche n’a pas lésiné sur la valorisation de sa marque, en martelant qu’il incarnait en France l’excellence scientifique. Un peu comme la SNCF, il fait partie de ces institutions bien identifiées par les Français, ancrées dans le patrimoine du pays, et qui paraissent immuables, traversant les âges quels que soient les soubresauts. Pourtant, l' »humiliation » subie par le président de la CPU, relève plus d’une mentalité de forteresse assiégée que d’une stratégie offensive. Explications.
J’avais évoqué en novembre 2018 le côté inéluctable d’une nécessaire mise à plat du rôle du CNRS. Dans le plaidoyer pro domo d’Antoine Petit (normal dans un événement comme celui-ci), il n’y eut ce mardi 26 novembre aucune référence réelle au changement de paradigme pour le CNRS que constitue l’émergence des universités.
A la place, des vidéos d’hommages au CNRS par des dirigeants de la recherche du monde entier, dont la plupart pilotent…des universités. On a même trouvé un dirigeant des NIH, plus proches dans leurs missions de l’Inserm, pour cet hommage ! La stupeur générale témoigne en tout cas que la politique de valorisation de la recherche n’est pas partagée au CNRS ? !
Un énorme « couac »
Y a-t-il un pays au monde où le respect dû à ce que représentent les universités est quantité négligeable, comme en témoigne le traitement inélégant, pour ne pas dire humiliant, infligé, en présence du Président de la République, à Gilles Roussel, président de la CPU ? 1Oublié dans les présentations par l’animateur de la soirée, il a été le seul présent à la tribune à ne pas être invité à s’exprimer…. Peut-on imaginer les homologues britanniques (UUK) ou allemandes (HRK) de la CPU ignorés à la tribune lors d’un débat avec le Premier ministre ou de la Chancelière ? Évidemment, nulle part ailleurs les universités ne jouissent de cette faible considération publique, face à un CNRS qui se vit comme LA science.
Anecdotique ? Non car l’occasion d’un message politique, positif, convergent, de rassemblement autour de la recherche et de l’université (qui est quand même le standard mondial, mais sans doute les autres pays n’ont-ils pas compris le génie français !) a été malencontreusement oublié.
Jouer collectif ou défendre son territoire
Côté organisme, le CNRS n’est plus seul. La prétention (réaffirmée lors des 80 ans) à couvrir tous les champs scientifiques se heurte d’abord au mur des autres organismes de recherche, tout du moins les plus importants d’entre eux, CEA, Inra, Inserm et Inria. Cette vocation d' »opérateur universel », son organisation en instituts, butent aussi sur la tendance forte de la science aux interfaces. Et lorsque le PDG de l’Inria Bruno Sportisse affirme que les centres Inria sont les centres de recherche de l’université X ou Y, il mécontente en interne mais délivre, à l’inverse du CNRS, un message symbolique puissant.
Au-delà des seules Sorbonne Université, Paris Saclay ou PSL, c’est l’Université comme standard international qui peu à peu s’impose en France, ce que les classements confirment en ignorant désormais le CNRS (Cf. le classement des chercheurs les plus cités). Il s’agit d’une tendance lourde, portée d’abord par son poids démographique évident (nombre d’enseignants-chercheurs vs chercheurs), un maillage territorial correspondant aux besoins d’une société de l’innovation, les différents PIA et surtout le continuum qu’elle incarne avec ses étudiants, les talents de demain.
Enfin, l’idée du retour de la notation des labos, qui fut combattue ardemment au CNRS en 2012, fait peser la menace d’une redistribution, non seulement des crédits, mais des réputations scientifiques.
Or l’impression qui prédomine, y compris dans les autres organismes de recherche, est que la défense de la structure CNRS prend le pas sur le fond.
L’effritement de l’identité professionnelle « CNRS »
Les chercheurs et enseignants-chercheurs travaillent pourtant ensemble dans les UMR et sont confrontés aux problèmes « triviaux » de la dualité université-organisme (systèmes d’information, GRH ou encore montant différents des contrats doctoraux…) et bien sûr, de la même manière, aux taux de sélection décourageants de l’ANR ou aux crédits récurrents et postes insuffisants. Il manque pour toutes et tous 0,2 point de PIB.
Peut-on encore dans ce contexte confondre défense de la structure CNRS et défense de la science ? Imaginons un instant l’Inserm, l’Inra, l’Inria faire de même ! La réalité est plus prosaïque. Le document du Comité national du CNRS sur la LPPR pointe le problème de fond de l’organisme : les « collectifs s’étiolent en raison de la prédominance des financements bénéficiant à des individus (de type ERC ou ANR JCJC) ou à des réseaux d’individus appartenant à des unités différentes (format standard des projets ANR) ». Surtout, « la dimension collective de l’activité scientifique, meilleure garantie des bonnes pratiques de recherche, est ainsi considérablement fragilisée. »
Le ciment du CNRS, c’est cette « identité professionnelle » de véritable Ministère de la recherche, à la fois programmateur, opérateur et financeur. Or, ce ciment s’effrite. 80 ans après sa création, il reste donc une force, mais en réalité une force déclinante, face à la nouvelle réalité scientifique.
Désormais, l’identité professionnelle de structure est supplantée par une nouvelle identité professionnelle de projet, souvent interdisciplinaire, et de site. Et les universités, jusqu’à présent en mal d’identité, de sentiment d’appartenance, sont les opérateurs de recherche présents sur le terrain, qui sont en situation d’orchestrer ce nouvel âge de la recherche. Pas seules évidemment, avec le CNRS et les autres organismes.
C’est ce qu’avait pressenti en 2004, Bernard Larrouturou, l’actuel DGRI et qui lui avait coûté son poste de DG du CNRS. Avec Gérard Mégie, il soulevait la question de l’évolution du CNRS vers une agence de label, vers une agence de moyens.
Le message brouillé des pouvoirs publics
Certes, on peut aussi analyser cette déferlante autour de la marque CNRS en 2019 à l’aune d’un objectif subliminal qui se veut habile : celui de focaliser sur la défense et illustration de l’organisme, en espèrant désarmorcer les tensions ouvertes à propos du discours « disruptif » ou « provocateur » pour certains, d’Antoine Petit (Cf. le journal Les Echos) prônant un modèle « inégalitaire », « darwinien ». Un grand classique, mais pas sûr que cette stratégie convainque le CNRS canal historique ? !
Mais le plus navrant est la politique des pouvoirs publics. Au fond d’eux-mêmes, ils n’ont pas confiance dans les universités (mon billet sur la LPPR et le syndrome Jospin). F. Vidal a tenté d’atténuer le malaise palpable de ses ex collègues présidents d’universités en précisant que « ce n’est pas le seul CNRS qui est à l’honneur, mais les universités, les écoles et les organismes qui, avec lui, au sein des unités mixtes et au-delà de ces unités, font vivre la recherche française. »
On ne peut cependant qu’être interpellé par le discours du MESRI depuis des mois. A tel point que même les opposants à V. Pécresse, se disent que cette dernière mettait au moins les universités au centre du système, contres vents et marées… Peut-on résumer le message gouvernemental actuel ? C’est simple
– l’élite, ce sont les Grandes écoles (mon article) ;
– la recherche ce sont les organismes ;
– la précarité étudiante (et l’agitation) ce sont les universités 2Constatons à ce propos l’étrange convergence de celles et ceux qui voient de la précarité partout à l’université et les élites françaises bien contentes que cette image soient véhiculée…!
Références
↑1 | Oublié dans les présentations par l’animateur de la soirée, il a été le seul présent à la tribune à ne pas être invité à s’exprimer… |
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↑2 | Constatons à ce propos l’étrange convergence de celles et ceux qui voient de la précarité partout à l’université et les élites françaises bien contentes que cette image soient véhiculée… |
Je ne suis pas du tout étonné que les 80 ans du CNRS aient été l’occasion d’entendre a capella un hymne à la gloire du CNRS. C’est dans la nature des choses, et c’est comme cela lors de tous les anniversaires. Et il faut bien dire que, même si c’est regrettable, l’image des universités n’a dans l’ensemble finalement pas tellement changé ni auprès de l’opinion publique ni auprès des responsables politiques. Elles n’en sont pas entièrement fautives bien sûr, mais Jean Michel Catin a hélas raison de rappeler que pour beaucoup de décideurs et dans l’opinion publique, élite = grandes écoles, recherche = organismes de recherche, pagaille = universités.
De toute façon les seuls changements structurels en cours actuellement dans l’ESRI français viennent de la mise en œuvre de l’ordonnance sur l’expérimentation, qui ne concerne que les universités, un peu les grandes écoles et pas du tout les organismes de recherche.
Et la loi de programmation pluriannuelle de la recherche ne concernera pas du tout les structures du secteur de la recherche elles-mêmes, mais seulement des questions d’administration de la recherche et peut-être, on peut l’espérer, des questions de moyens.
Cette vision très française de l’organisation de l’ESRI continuera à avoir pour conséquence la continuation de la lente dégradation de la place de la France sur la scène scientifique internationale. Il y a douze ans je publiais un article dans Les Echos « La recherche n’est pas qu’une question de moyens financiers ». Toujours d’actualité !
Tout ceci étant dit, si le président de la CPU a été traité comme le décrit Jean Michel, je suis abasourdi de ne voir aucune réaction de la CPU ni d’aucun président d’université. J’avoue que j’en suis très étonné. Pour moi cela fait aussi partie du problème.