Alors qu’un « refinancement » des universités et un alignement de leur dépense par étudiant sur les CPGE est un enjeu majeur, les universités vont devoir convaincre. Et pour cela la transparence est un outil incontournable pour casser la spirale d’une image dégradée et combattre la défiance. Montrer et valoriser ses forces, ne pas cacher ses défauts, c’est le commencement de la confiance !
J’ai suffisamment pointé sur ce blog les insuffisances et errements du MESRI pour aborder sans filtre l’enjeu essentiel du rétablissement de la confiance dans les universités par les universités elles-mêmes. Pourquoi ? Leur image dégradée se combine à leur difficulté à faire valoir (et percevoir) leurs réussites, mais aussi à trancher dans le vif à propos des choses inacceptables pour l’opinion publique : l’œuf et la poule en quelque sorte 😊 !
Il y a peu je voyais passer un tweet d’un spécialiste canadien de l’ESR qui ironisait sur le fait qu’il était plus facile de trouver des données financières sur les universités chinoises que les françaises 🤭… J’ajouterai : des données tout court ! La transparence de l’information est effectivement un domaine dans lequel les établissements français ont pris un retard colossal. Pas seulement sur les aspects financiers.
Un manque de transparence
On le sait comme citoyens : les communes 1On consultera avec intérêt le site dédié du ministère de l’intérieur. sont légalement obligées de publier leurs ratios dans le journal municipal afin d’éclairer le citoyen.enne sur leur situation financière, comparée à des catégories de communes. Si la population n’y prête pas forcément attention, les médias, les pouvoirs publics en général et bien sûr les opposants s’en servent, voire s’en délectent.
Or, au moment où la pression s’accentue pour refinancer correctement les universités, où se profile l’exercice périlleux et difficile d’un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens, voire de performance, ces dernières devront étayer leurs demandes de façon précise … dans un contexte comparatif ! Les universités pourraient ainsi perdre gros en n’opérant pas sur ce sujet une révolution copernicienne, alors que dans ce pays tout est prioritaire. Car il ne s’agira pas de dire « nous avons besoin de moyens » mais de le justifier et de préciser où…😉
Or, le chantier des indicateurs (quel coût de telle ou telle formation, combien d’inscrits dans tel ou tel cursus, quel taux d’encadrement etc.) reste justement un chantier ! Ainsi, alors même que le MESRI a fait des progrès énormes avec dataESR (mais avec des impasses significatives), les universités et écoles françaises demeurent dans un schéma du siècle dernier. C’est ce que disent (et prouvent) les nombreux rapports de la Cour des comptes et aussi la lecture (trop souvent entre les lignes) des rapports HCERES.
C’est encore plus vrai pour l’opinion publique, qu’elle soit « éclairée » ou non. Il suffit (je l’épargnerai à mes lectrices/eurs) de jeter un œil sur les sites web des universités : quasiment jamais de PV des instances, aucune publicité des rapports (HCERES, Cour des comptes, éventuellement IGESR etc.) des données chiffrées digne d’un catalogue de supermarché etc. : en résumé rien qui évoque la situation de l’établissement d’une façon immédiatement perceptible. Il y a bien sûr des exceptions, comme ce rapport d’activité de l’Université de Lorraine exceptionnellement lisible et accessible et qu’il faut saluer 2 Cependant, même celui-ci souffre de l’absence de données comparatives sur les trajectoires de l’établissement, en résumé plus une photographie qu’un film..
Les raisons de l’opacité
Alors, en réalité, pourquoi cette opacité ? Il existe, comme toujours plusieurs raisons. La première, préalable et non négligeable, c’est le déficit d’équipes professionnelles pour recueillir, traiter et rendre accessibles (dans tous les sens du terme) les données. Si l’on ajoute la complexité du système (par exemple sur la traçabilité en raison de la multiplicité des intervenants et de systèmes d’information parfois défaillants), la boucle est bouclée. Cependant, la volonté politique d’ouverture des données et de transparence permettrait de remédier au moins partiellement à cette faiblesse. La seconde est une vision du management (ah le mot horrible 😉!) dans laquelle le pouvoir c’est la rétention de l’information. C’est ce qui aboutit très souvent à une information des personnels d’abord … par les syndicats et une information de l’opinion publique avec un langage abscons.
Mais la raison essentielle et profonde est : à quoi servirait la transparence dans le système français ? A se comparer et à offrir à l’opinion publique, aux pouvoirs publics et aux médias des clés de compréhension. A faire en interne des choix assumés, voire difficiles en bousculant des rentes de situation. En un mot, à prendre des décisions difficiles au bénéfice des étudiants. Or, des années de diète ont aggravé les querelles de clocher autour des moyens et contribué à une « glaciation » autour d’un Yalta de l’opacité.
Car le système universitaire français est fait d’un équilibre très fragile entre ses composantes (UFR, labos et structures diverse) et la direction, elle-même élue au bout d’un processus qui doit ménager des équilibres (entre composantes, MdC, PU et Biatss, syndicats etc.). Toute donnée comparative est surveillée comme le lait sur le feu par le MESRI, de peur d’un débordement, et bien sûr par les établissements, pas d’accord entre eux sur les critères et les interprétations.
Il y a certes, par exemple, les taux de réussite en 1er cycle, un progrès indéniable. Mais avec un sérieux bémol ! La valeur ajoutée liée aux origines des étudiants n’est pas reliée aux moyens disponibles… Ajoutons que la transparence assumée par un établissement alors que les autres ne le font pas demeure dissuasive. D’autant qu’elle peut également avoir un effet « boomerang » à gérer. Prenons un exemple, les heures complémentaires. La publication (et la publicité) détaillée des services mettrait en évidence ce qui fait la contradiction majeure du système : un financement insuffisant combiné à des choix des communautés académiques, avec des dérives inacceptables pour l’opinion publique et Bercy.
Malgré tout, soyons positif et examinons quelques-uns des défis, et des bénéfices, d’une véritable transparence. Évacuons d’abord le faux argument des données difficiles à traiter : certes mais le stock de données, en y incluant rapports externes, audits internes etc., est largement suffisant pour l’amorcer ! Mais qu’est-ce qui peut justifier qu’un rapport de la Cour des comptes ou de l’Igesr ne soit pas présenté en CA ?
Quels défis ?
Au niveau des établissements. Imaginons une université qui publie ses évolutions, ses résultats dans tous les domaines : ses effectifs bien sûr mais aussi ses taux de réussite et ses taux d’insertion professionnelle, le résultat global de l’évaluation des enseignements 3Dont on s’apercevrait malheureusement vite qu’elle n’est absolument pas systématique. … Quel choc cela serait pour l’opinion publique … mais surtout en interne !
Cette transparence créérait sur le long terme de la confiance. Genre, taux de boursiers, sport, handicap, réussite bien sûr, etc., les données exploitables sont considérables. Les universités ne peuvent pas se plaindre en permanence que l’on sous-estime leurs réussites (l’insertion professionnelle excellente des licences professionnelles et des masters par exemple) et ne rien publier sur ce sujet 4Faites l’expérience : cherchez sur un site web d’université les statistiques détaillées, présentées de façon offensive. Bon courage… !
Quiconque connaît le fonctionnement d’un établissement sait que l’on mesurerait ainsi des différences internes énormes. Cette transparence de l’information aurait des inconvénients pour une équipe en place, mais pourrait surtout être un formidable levier d’adhésion à une stratégie d’établissement. Comment ? En court-circuitant les « fake news », en assumant les points difficiles, et en mettant chacun devant ses responsabilités.
Alors quels défis pour les universités ? Il y a d’abord un défi d’adhésion interne qui est indispensable pour relever celui de la transformation. C’est aussi un défi éthique face aux exigences d’une société de plus en plus demandeuse de comptes, à tous les sens du terme. On le voit sur Parcoursup et les critères d’admission. Et enfin c’est un défi d’attractivité : la comparaison avec ce que publient leurs homologues étrangères parle d’elle-même (voir infra.).
L’AUREF vient d’interpeller S. Retailleau dans une lettre ouverte en pointant les « écarts de dotation qui varient du simple au double et des écarts de taux d’encadrement qui varient du simple au triple entre nos universités. Elle doit se traduire par une meilleure allocation des moyens, une politique de recrutement d’ampleur. » Mais être une « petite » université n’exonère pas de bien gérer l’allocation des moyens, à l’exemple du rapport très sévère du HCERES sur l’université du Mans. Cela vaut pour tous les établissements, petits, moyens ou grands. Derrière ces données, ces rapports, il y a, faut-il le rappeler, les conditions d’études des étudiants et de travail des personnels ! Et ceci n’exonère pas non plus le MESR de publier les données, toutes les données comparatives, ce qui, sauf erreur de ma part, il ne fait pas. Car si l’outil dataESR s’améliore, il reste affaire de spécialistes.
5 exemples internationaux
Pour conclure, je livre à la réflexion ma sélection de quelques exemples internationaux de présentation des données, accessibles facilement :
2 universités américaines, l’une publique, l’autre privée.
UW Madison : ses données et Stanford : ses données.
Une université irlandaise, le Trinity college : ses données.
Une université suisse, l’Université de Genève : ses données.
Références
↑1 | On consultera avec intérêt le site dédié du ministère de l’intérieur. |
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↑2 | Cependant, même celui-ci souffre de l’absence de données comparatives sur les trajectoires de l’établissement, en résumé plus une photographie qu’un film. |
↑3 | Dont on s’apercevrait malheureusement vite qu’elle n’est absolument pas systématique. |
↑4 | Faites l’expérience : cherchez sur un site web d’université les statistiques détaillées, présentées de façon offensive. Bon courage… |
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