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Les tribunes fleurissent ces temps-ci sur la problématique des droits d’inscription : elles dépassent la seule question des étudiants étrangers pour aborder celle d’une hausse éventuelle de ces droits pour tous les étudiants. 2 chercheurs, David Flacher et Hugo Harari-Kermadec  interpellent dans Le Monde F. Vidal sur le thème « Démontrez-nous, Frédérique Vidal, que vous ne généraliserez pas les frais d’inscription à l’université ! ». Avec des impasses majeures dans leur argumentation sur les étudiants français. Et un oubli choquant.

Passons sur les formules grandiloquentes et prétentieuses dont les auteurs ne pourront empêcher qu’on les relie à une forme de suffisance, loin du doute scientifique. C’est avant tout une tribune militante qui débouche sur un appel à manifester.
Acceptons-le et revenons à une argumentation plus rigoureuse. Je partage certains de leurs constats, notamment sur la Grande-Bretagne : « souvenons-nous qu’en Angleterre, c’est sous Tony Blair que les frais d’inscription sont passés de 0 à 1000 livres sterling en 1998. Ils passeront ensuite de 1 000 à 3 000 livres en 2004, puis les montants autorisés pourront atteindre 9 000 livres en 2010. » 
Ce constat mérite d’être nuancé, mais il est un fait que quand vous ouvrez la porte, il est difficile de la refermer.
Sommes-nous en France dans la même situation ? Si l’on analyse les montants des droits en L, on remarque que pour l’instant, en euros constants, ils baissent depuis 2013… Cela n’atteste pas vraiment d’une volonté de les augmenter, même si évidemment cela peut changer.

La tarte à la crème du modèle social

David Flacher, professeur d’économie à l’université de technologie de Compiègne et Hugo Harari- Kermadec, maître de conférences en économie à l’École normale supérieure de Paris Saclay, sont spécialisés en économie de l’éducation et sont membres du collectif de recherche militant (est-ce compatible ??) « Approches critiques et interdisciplinaires des dynamiques de l’enseignement supérieur (Acides) ».
Ils avancent dans leur tribune cet argument que « notre modèle social est en jeu et, avec lui, les perspectives d’accès aux études des généra­tions qui entreront dans les toutes prochai­nes années dans l’enseignement supérieur. » 
On ne peut être que soucieux effectivement du modèle social que révèle l’organisation de l’enseignement supérieur. Mais faute de rigueur, leurs arguments dans cette tribune ressemblent plutôt à une tarte la crème.
N’étant pas universitaire mais un observateur extérieur un peu averti, je dois dire que je suis étonné de voir la légèreté avec lesquels ils traitent les chiffres. Pire, se réclamant de la gauche, pas un mot sur les boursiers… Spécialistes, ils parlent non pas de l’ESR mais d’une partie de l’université, peut-être celle qui leur ressemble ou tout du moins dans laquelle ils se reconnaissent.

Des impasses significatives

Car, malgré leur noble but, les auteurs ne s’intéressent qu’à 900 000 étudiants sur 2 600 000, soit 39% de la population concernée… Leur modèle social est donc dès le départ bien restrictif et ne rend en aucun cas compte de la réalité. Le peuple ne leur convenait pas, ils l’ont changé… Bourdieu au secours !
Ils font l’impasse (excusez du peu) sur :
  • 600 000 boursiers d’universités
  • ne s’intéressent absolument pas aux 250 000 élèves de BTS, dont 54% de boursiers (voir mon billet sur leurs difficultés financières).
  • encore moins aux près de 850 000 restants qui ont fait le choix (certains contraints, d’autres non, mais c’est un autre débat) de payer des droits élevés dans le privé, ou qui sont dans d’autres filières publiques (privé, écoles d’art, d’archi etc.).

C’est ce qui s’appelle un grand chelem ?!

Un oubli gênant…

Ainsi, alors qu’ils affichent un discours sur la démocratisation, pas un mot dans leur tribune sur les plus défavorisés ! Que l’on doive avoir un débat sur la hausse des droits, pour ou contre, c’est légitime.
Mais une approche rigoureuse implique de dépasser les formules incantatoires. Et on peut s’interroger sur cette tendance que je relève maintenant depuis des mois chez ces universitaires qui se transforment en nouvelles dames patronnesses.
Pourquoi les boursiers passent-ils toujours après les 60% d’étudiants de la classe moyenne, dont une partie dispose de revenus confortables pour suivre ses études ?
Pourquoi oublient-ils ces 40% d’étudiants boursiers, exonérés de droits parce que considérés comme ayant le plus besoin d’aides ? Et ces dizaines de milliers de boursiers en BTS intéressent-ils quelqu’un chez les universitaires ?
Pourquoi ne proposent-t-ils rien pour ces boursiers des échelons 5,6 et 7, par exemple une augmentation radicale du montant afin qu’ils puissent se consacrer à leurs études ? Connaissent-ils d’ailleurs le montant des bourses ?
Réclament-ils la fin de la rémunération des élèves de l’X et des ENS qui, marginale économiquement, incarne symboliquement la reproduction sociale de l’élite française ?
Pas un mot…Nulle part, ni dans cette tribune, ni dans d’autres.
N’est-on pas au cœur de ce mécanisme de l’entre-soi qui joue à plein : les enfants d’universitaires ne sont en général pas boursiers… Ils réussissent mieux aux concours etc.

« Faire payer les riches ? » Chiche !

A lire les textes du collectif des 2 chercheurs, ils me semblent très disponibles pour faire payer les riches : pourquoi ne demandent-ils pas une contribution supplémentaire aux familles et étudiants en ayant les moyens, afin de financer des bourses généreuses ? Avec inscription dans la constitution au nom de la solidarité. Çà aurait de la gueule comme on dit.

Bref, cette tribune, après tant d’autres, avec ses impasses et ses oublis choquants, ne fait que reproduire sans s’en apercevoir le modèle dominant… ce qu’un célèbre sociologue avait pointé !

2 Responses to “Droits d’inscription : quand des chercheurs se trompent de cible et de chiffres”

  1. Le modèle de société de notre pays est de faire payer des impôts extrêmement élevés pour offrir à tous des services publics de qualité. Sans parler de la qualité variable de notre enseignement supérieur, si on couple de forts prélèvements obligatoires en amont et des frais d’inscriptions élevés, on n’améliore pas l’attractivité de notre pays. Par ailleurs, si on peut faire passer des dispenses de frais d’inscriptions de quelques centaines d’euros pour les boursiers, si on passe à la dizaine de milliers d’euros, les effets de seuils seront catastrophiques.

    • Bonjour, l’objet de mon billet était de souligner l’impasse que font tous les analystes, commentateurs,chercheurs,sur les publics les plus défavorisés : ils ne voient les étudiants qu’à leur image de leur milieu d’origine (réussite scolaire, non boursiers en général). Qui s’est, par exemple, interrogé sur le montant des bourses, y compris pour les étudiants extra-communautaires ? Et peut-on traiter la question des droits en ciblant seulement la classe moyenne, voire supérieure ? Le fait d’ignorer les boursiers, les BTS, ce que je dénonce, n’est pas un hasard chez les guérilleros du Quartier Latin.

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