En cette chaude fin de printemps, balayons sans complexe quelques sujets polémiques : le silence assourdissant des acteurs de l’ESR sur les effets pervers du CAS Pensions, un rapport de l’IGESR qui se « paie » les ‘fake news’ sur les vacataires, l’échec annoncé des COMP, des pistes intéressantes pour une réforme des bourses, financée en partie par une refonte de l’APL et des suppressions de réductions fiscales, la lente descente aux enfers internationale de l’ESR français, qui a désormais son plombier américain.
Un silence assourdissant autour du CAS Pensions !
Comme je l’avais souligné dans un billet, la dépense intérieure d’éducation (DIE) comparée est faussé par la fameuse « subvention d’équilibre » du CAS Pensions qui conduit à porter le taux de contribution pour la retraite à 78% ! L’économiste S. Catherine a relevé, pour confirmer ce qui désormais ne fait aucun doute, hormis pour la Cour des comptes, que l’État de l’ESR de 2013 montre en 2006 une rupture de série lors de « l’invention du CAS Pension. » Pour celles et ceux qui douteraient, la notice explicative enquête annuelle sur les moyens consacrés en 2024 à la recherche et au développement dans les établissements d’enseignement supérieur et de recherche précise bien que « les dépenses de personnel de R&D correspondent à la masse salariale des personnels de R&D (titulaires (ou CDI) et non titulaire (ou CDD)) rémunérés par l’établissement, quel que soit le type de ressources mobilisées (…) y compris charges sociales et fiscales et patronales qui leur sont liées. » Et c’est évidemment la même chose pour la partie enseignement…
Mais ni France Universités, ni la CGE, ni la Cdefi, ni les syndicats, unis dans un consensus pour le moins curieux, ne pipent mot sur le fait que la fameuse subvention d’équilibre du régime des retraites pénalise le système français en faisant croire à un financement équivalent à ses homologues étrangers… La raison ? Manque de compétences peut-être à France Universités (encore qu’au vu de ses effectifs on peut s’étonner 😊…), à la CGE ou à la Cdefi, mais pas chez les syndicalistes. Plus sérieusement, c’est en réalité la peur de toucher un point sensible d’une réforme potentielle du système de retraite. Dommage que France Universités préfère négocier chaque année le bout de gras sur le CAS Pensions avec le MESR et Bercy, au lieu de mettre sur la place publique ce handicap majeur dans la compétition internationale, que Bercy ne peut contester 😒.
Quand l’IGESR démonte les ‘fake news’ sur les vacataires
C’est comme les étudiants qui meurent de faim : l’outrance des polémiques, l’instrumentalisation du sujet, masquent les véritables problèmes. Les rapports de l’OVE sont, par paresse, ignorance ou volonté politique, ignorés. Il en sera de même pour ce rapport de l’IGESR sur les vacataires dans l’ESR. Non qu’il n’existe pas de problème, mais là encore les outrances interdisent de s’y attaquer sérieusement (mais est-ce leur but ?). L’émotion plutôt que la raison, le micro-trottoir plutôt que les chiffres. Pour être complet, rappelons que dès juin 2024 une note sur ce sujet d’un syndicat, l’Unsa éducation 1au travers de son centre de recherche H. Aigueperse, avait courageusement apporté de la nuance (et des chiffres). Alors lisez le rapport de l’IGESR parce qu’il souligne l’inverse de ce que la doxa actuelle nous propose :
- Une relative stabilité, sur 7 ans, du nombre et de la part de la charge d’enseignement des vacataires, mais une augmentation des heures des contractuels et des heures complémentaires assurées par les titulaires ;
- Des profils très variés, avec une part importante d’intervenants du secteur privé ;
- Un recours aux vacataires très variable selon les composantes et les types d’enseignement, avec des SHS en première ligne ;
- Que les vacataires dits « précaires » sont très minoritaires, mais qu’ils sont néanmoins une réalité qui concerne certains jeunes chercheurs étudiants.
- Les comparaisons internationales montrent que le recours à des enseignants temporaires apparaît généralisé dans l’ensemble des grands pays dont le système universitaire est comparable à celui de la France (« ils y représentent entre 30 % et 80 % des enseignements à l’université. »)
En effet, les CEV (Chargé d’enseignement vacataire), « qui ont une activité principale leur assurant des revenus réguliers, représentent entre 93,6 et 94,1 % des vacataires », tandis que les ATV (agent temporaire vacataire) étudiants sont identifiés comme le groupe le plus exposé à un risque de précarité. Mais leur part s’établit à 3,9 %, soit 6 322 personnes, pour la totalité des 146 établissements relevant du MESR qui ont répondu à l’enquête de la DGRH. Et l’IGESR note avec tact que « sans doute faudrait-il que les étudiants soient mieux informés des risques auxquels ils s’exposent en s’inscrivant en thèse sans financement. » CQFD.
Car il y a quand même une bonne nouvelle pour l’emploi scientifique. Selon le SIES-MESR dans l’état de l’emploi scientifique en France, le vivier des doctorants en 1ère année à la rentrée 2023 « est en forte augmentation de 4,6 % par rapport à la rentrée 2022 ». Surtout « la part des doctorants ayant un financement dédié pour leur thèse a nettement augmenté entre 2013 et 2023, passant de 69 % à 79 % ».
Enfin, les rapporteurs se font un malin plaisir 🤭 de lister les articles de presse 2C. Bauer, 2024, « A l’université, la précarité explose parmi les enseignants », L’Humanité, Actu, 11 avril 2024 ; M. Butzbach , « Avec l’explosion du recours aux vacataires l’université s’ubérise », Alternatives économiques, Education, 9 septembre 2024 ; L. de Comarmond, « L’envolée du nombre de vacataires dans les universités dénoncée », Les Échos, 10 avril 2024 ; C. Laires Tavares, Le collectif « Nos services publics » dénonce un « usage généralisé de la vacation » conduisant à une « désorganisation de l’ESR », AEF info, Enseignement supérieur, dépêche n° 710605, 11 avril 2024 ; O. Monod, « Précarité : des enseignants vacataires d’université appellent à une rétention des notes du deuxième semestre », Libération, Éducation, 6 avril 2023 ; A. Motta, « La mobilisation des vacataires à l’université : comment faire entendre la voix des invisibles », The Conversation, 18 avril 2023 ; A. Raybaud, « Recours massif aux enseignants précaires : la réalité, c’est que l’université n’a plus les moyens de fonctionner », Le Monde Campus, Universités, 22 octobre 2024. dans lesquels des universitaires, avec parfois la complicité de certains journalistes 😒, ont consciencieusement porté, à la manière d’un vulgaire Trump, des fake news sur ce sujet…
Des « nouveaux COMP » mal partis : business as usual
Après l’audit flash de la Cour des comptes qui passe au lance-flamme les COMP, c’est au tour d’une sénatrice de critiquer le processus actuel. Lancés à travers trois vagues depuis 2023, les COMP ont certes permis de « réintroduire une gestion à la performance dans l’enseignement supérieur » mais leur mise en œuvre constitue « une expérience insatisfaisante », selon Vanina Paoli-Gagin (LIRT, Aube), dans un contrôle budgétaire portant sur ce dispositif et intitulé « Améliorer la performance de l’enseignement supérieur : un contrat qui reste à honorer », publié le 11 juin 2025.
Elle note que si l’exercice autour des COMP s’est révélé « utile », les résultats demeurent « modestes ». Dans la perspective des nouveaux COMP, qui engloberont l’intégralité de la SCSP, elle préconise de renforcer leur articulation avec les évaluations du HCERES et de « développer un outil informatique spécifique à la négociation et au suivi » des contrats. Elle plaide pour une refonte du modèle d’allocation des moyens, jugeant que « la contractualisation ne peut faire l’économie d’une clarification des moyens alloués ».
Alors que Ph. Baptiste a annoncé la mise en place de ces nouveaux COMP portant sur « 100 % de la SCSP », d’ici la fin 2025 pour les dix universités des régions Nouvelle-Aquitaine et Paca, avant une généralisation à l’ensemble du territoire à partir de l’année 2026, le Snesup-FSU s’inquiète d’un financement « à la performance » sans moyens supplémentaires et juge la « méthode autoritaire, précipitée ». Sup’Recherche-Unsa considère que cette généralisation « ajoute de la confusion au brouillard ». Et pour la CGT-Ferc-Sup, il s’agit d’une « perte d’autonomie encore plus avancée et d’une mise sous tutelle complète des universités ». Le comble : la CGT a-t-elle complètement tort ?
Mais en réalité, une nouvelle fois on s’agite pour pas grand chose ! Car le MESR sera incapable de mettre en place ces nouveaux COMP pour 2 raisons : l’une tient à son organisation, tant à la Dgesip qu’aux rectorats absolument pas outillés pour cela 3Il suffit d’ailleurs de discuter en ‘off’ avec des opérateurs qui sont en première ligne, et l’autre, outre les incertitudes sur l’avenir du HCERES 4Les députés ont adopté le projet de loi ‘simplification de la vie économique’ par 275 voix pour et 252 contre, lors du vote solennel le 17 juin 2025, confirmant ainsi la suppression du HCERES qui avait été votée lors de l’examen du texte, article par article en avril dernier. Il reviendra à une commission mixte paritaire, qui pourrait se réunir en septembre prochain, de trouver un accord sur le texte avec le Sénat qui n’avait pas voté la suppression du Haut conseil., plus essentielle : le débat non tranché sur une nouvelle étape de l’autonomie, liée justement à des évolutions significatives du HCERES, percutées par ces « nouveaux COMP ».
Mais que diable Ph. Baptiste allait-il donc faire dans cette galère des COMP ? Toutefois, le vote négatif à l’Assemblée a au moins un mérite : d’ici 2027, « nous avons tous les arguments pour rapprocher davantage certains acteurs de la filière évaluation, la CEFDG et le HCERES par exemple », a indiqué Olivier Ginez, Dgesip, lors du colloque annuel de la CEFDG, le 18 juin 2025. Et pourquoi pas la CTI et pourquoi pas etc.
Réforme des bourses, réductions fiscales et APL : 3 pistes pour mieux cibler
Pour engager la réforme structurelle des bourses étudiantes sur critères sociaux, décalée à la rentrée 2026, les députés Ensemble pour la République Charles Sitzenstuhl (Bas-Rhin) et Thomas Cazenave (Gironde) proposent d’assurer son financement par « la suppression de la réduction d’impôt sur le revenu au titre des frais de scolarité dans l’enseignement supérieur ou par un recentrage des APL étudiants sur ceux issus des foyers modestes et de la classe moyenne ». En résumé, mieux cibler autour de 3 axes.
Intéressantes, leurs pistes de réforme incluent une suppression des échelons au profit d’un système de montant socle de bourse, auquel s’ajouteraient des modulations en fonction de certaines situations personnelles (décohabitation forcée, distance entre le domicile familial et le lieu d’études, situation de handicap, étudiant aidant, étudiant en outre-mer, etc).
Plus intéressante, la réduction d’impôt sur le revenu au titre des frais de scolarité dans l’enseignement supérieur, dont le coût est estimé par la Cour des comptes à 218 millions d’euros en 2024, « pourrait être supprimée afin de financer la réforme. Cette dépense fiscale, qui s’élève à 183 euros en garde commune ou principale et à 91,50 euros en garde alternée, bénéficie à 1,48 million de ménages. »
Mais encore plus intéressante selon moi (je vais être taxé d’extrême-droite !), la remise en cause de l’APL pour tous : « une piste plus ambitieuse consisterait à modifier le mode de calcul de l’allocation personnalisée au logement (APL) pour les étudiants en prenant en compte les ressources parentales, afin de concentrer ces aides sur les étudiants issus de foyer modestes. La prise en compte du foyer fiscal conduirait ainsi à une éviction des dixièmes supérieurs de niveau de vie parental. Selon la DREES (2025), les effectifs sont croissants en fonction du niveau de vie parental : 45 % des bénéficiaires d’APL étudiant sont dans les dixièmes de niveau de vie parental 8, 9 et 10, ce qui représente un coût budgétaire de l’ordre de 400 à 500 millions d’euros. »
J’ai toujours été, contrairement à tous les syndicats du supérieur, pour faire payer les riches : curieux non 🤭 ?
La lente descente aux enfers internationale
Pour les ERC advanced grants 2024, la France est désormais 5ème, et recule de deux places avec 23 lauréats sélectionnés sur 281, derrière le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et surtout les Pays-Bas : comme quoi le budget n’explique pas tout ! Et ça continue à propos de la mobilité internationale : la France recule de la 6ème à la 7ème place selon l’édition 2025 des « Chiffres clés de la mobilité étudiante dans le monde » de Campus France. Comme quoi, ne pas appliquer les « frais différenciés » ne change rien…
En revanche, pour les aides accordées à la R&D en 2023, la France est dans le trio de tête derrière l’Islande et le Portugal selon un rapport de l’OCDE. Pour les résultats que l’on connaît : en 2023, les dépenses intérieures de R&D des entreprises « diminuent de 0,9 % en volume en 2023 » à 40,7 Md€, après +3,5 % en 2022 et +3,8 % en 2021, selon une note flash du SIES-MESR. Rappelons que les chercheurs employés en entreprises détiennent majoritairement un diplôme d’ingénieur à 57% et seulement 12 % un doctorat (mais avec une forte proportion d’ingénieurs-docteurs) , selon le MESR.
Leur ‘plombier américain’
D. Trump explique à propos des étudiants étrangers qu’ils volaient la place des étudiants américains à Harvard… Je préfère ne pas citer tous ces universitaires de gauche qui ont repris ce thème nauséabond à propos du dispositif ‘Choose France for science’. Certains singent sans complexe la campagne anti-Europe autour du plombier polonais qui allait voler le travail des français. Tout ceci bien sûr en dénonçant le RN et en poussant des cris d’orfraie à propos des frais différenciés ou de toute mesure visant à restreindre l’immigration ! Toujours cette duplicité, que Samuel Fitoussi décrit si bien dans son essai « Pourquoi les intellectuels se trompent ».
Ils/elles auraient pu, à juste titre, faire une campagne, publier des tribunes pour l’accueil de doctorants américains (ou non) prometteurs. Mais non. Ils/elles auraient pu se féliciter que la France ait sonné l’alarme, à l’initiative d’AMU au passage, et plaider pour que l’Europe y consacre un budget pas ridicule… Ils/elles auraient pu prendre appui sur ce qu’il se passe aux Etats-Unis pour mener une campagne pour convaincre l’opinion publique. Mais ce bouc-émissaire qu’est le plombier américain qui vient voler les budgets français, c’est plus simple non ? Décidément les idées nauséabondes de l’extrême droite font leur chemin. L’alliance rouge-brun.
Références
↑1 | au travers de son centre de recherche H. Aigueperse, |
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↑2 | C. Bauer, 2024, « A l’université, la précarité explose parmi les enseignants », L’Humanité, Actu, 11 avril 2024 ; M. Butzbach , « Avec l’explosion du recours aux vacataires l’université s’ubérise », Alternatives économiques, Education, 9 septembre 2024 ; L. de Comarmond, « L’envolée du nombre de vacataires dans les universités dénoncée », Les Échos, 10 avril 2024 ; C. Laires Tavares, Le collectif « Nos services publics » dénonce un « usage généralisé de la vacation » conduisant à une « désorganisation de l’ESR », AEF info, Enseignement supérieur, dépêche n° 710605, 11 avril 2024 ; O. Monod, « Précarité : des enseignants vacataires d’université appellent à une rétention des notes du deuxième semestre », Libération, Éducation, 6 avril 2023 ; A. Motta, « La mobilisation des vacataires à l’université : comment faire entendre la voix des invisibles », The Conversation, 18 avril 2023 ; A. Raybaud, « Recours massif aux enseignants précaires : la réalité, c’est que l’université n’a plus les moyens de fonctionner », Le Monde Campus, Universités, 22 octobre 2024. |
↑3 | Il suffit d’ailleurs de discuter en ‘off’ avec des opérateurs qui sont en première ligne |
↑4 | Les députés ont adopté le projet de loi ‘simplification de la vie économique’ par 275 voix pour et 252 contre, lors du vote solennel le 17 juin 2025, confirmant ainsi la suppression du HCERES qui avait été votée lors de l’examen du texte, article par article en avril dernier. Il reviendra à une commission mixte paritaire, qui pourrait se réunir en septembre prochain, de trouver un accord sur le texte avec le Sénat qui n’avait pas voté la suppression du Haut conseil. |
Sur la réforme des aides sociales : Les deux députés (qui m’ont auditionné avec un vrai échange très constructif) ont largement puisé dans le rapport que j’ai rendu à la Ministre (dont la réforme de l’APL et la refonte du système des points de charge pour mieux prendre en compte la diversité des situations) et c’est une très bonne nouvelle 😉