Il s’agit d’un des grands classiques des polémiques franco-françaises. La lecture du ‘Dictionnaire inattendu des Grandes Écoles’ de Bernard Belletante et Philippe Jamet me donne l’occasion d’aborder cette question puisque son sous-titre s’intitule ‘A lire avant de supprimer les grandes écoles’. Essayons de remettre en perspective les termes du débat en 2022, après les propos d’E. Macron sur la nécessité de faire des universités le centre de gravité du système. Et examinons les « victoires culturelles » respectives des écoles et des universités qui ouvrent le champ des possibles convergences.
C’est donc un vieux débat : la fin des grandes écoles est-elle donc (une fois de plus) pour demain ? Le discours d’E. Macron devant France Universités l’a donc (un peu) rouvert. Le livre des anciens directeurs de l’EM Lyon et de l’IMT 1Aux éditions EMS. en témoigne comme la tribune dans les Echos du président de la CGE Laurent Champaney et les polémiques autour de la suppression de l’ENA, de la diversité des élites en général. En réalité, comme je l’ai déjà souligné avec la polémique Pierre Lafitte-André Lichnerowicz de 1957 c’est une constante. S’agit-il de l’ogre universitaire avalant les pauvres petites grandes écoles ? Ou de la chenille grande école qui deviendrait un papillon universitaire ? Voire de l’espèce endémique que l’on ne retrouve que sur une île et qu’il faut préserver ?
Le dictionnaire de B. Belletante et Ph. Jamet est érudit et parfois très drôle mais diffuse une image ‘rétro’ des ‘Grandes Écoles », en cultivant nostalgie des neiges d’antan … et biais de confirmation. Dans ce monde merveilleux, son grand défaut (surtout par les temps qui courent 😞), est « d’annexer » aux grandes écoles, de façon un peu ridicule, des établissements aussi semblables que l’institut Paul Bocuse et Normale Sup ou des personnalités qui n’en demandent pas tant… On s’attend presque à ce que Platon et J.S Bach en soient issus tellement la démonstration est lourde 🤣 !
J’ai pourtant toujours lu avec intérêt les analyses (et avertissements) de Ph. Jamet sur les Comue ou le Big is beautiful et il faut reconnaître qu’il a eu raison avant beaucoup de monde sur certains sujets. Mais ce « tout sauf l’université » n’est-il pas un peu décalé avec la réalité, pour des auteurs qui ont été confrontés justement au monde pas du tout rose des écoles, à Lyon et à l’IMT ? Le repli sur soi n’est jamais bon, les universités ont payé pour le savoir. Erreur étonnante d’analyse, car c’est en réalité une partie du modèle ‘grande école’, ses meilleurs côtés, (qui n’est rien d’autre que ce que font les universités britanniques, allemandes etc.), qui se généralise.
Grandes écoles : de quoi parle-t-on ?
Faut-il donc mettre, comme les auteurs, une majuscule à grandes et écoles ? Cette question sémiologique nous parle en fait de ce qu’elles sont en réalité : petites par la taille, dans une continuité scolaire étant donné leur filiation avec les prépas, mais aussi grandes par leurs réseaux, leur réputation et leur influence. Les ‘Grandes Écoles’, avec une majuscule, sont en très petit nombre pour un très petit nombre d’étudiants et de chercheurs. Ce qui caractérise ce terme abusif de ‘grandes écoles’, c’est donc son extrême hétérogénéité, beaucoup plus forte qu’entre universités.
Les différences de taille, de statut (public-privé), de tutelles, d’objectifs (EESPIG ou groupes privés), de nature (ingénieurs vs business schools) limitent sur le fond de réelles convergences. La création récente de la Conférence des Directeurs des Écoles Françaises de Management (CDEFM) en est l’exemple le plus net : chacun a ses intérêts propres. Le dénominateur commun reste uniquement de se démarquer de l’université avec le label CGE, jugé garant de qualité (d’ailleurs courtisé par des institutions universitaires…) et avec des moyens par étudiants sans commune mesure avec ceux des universités, comme l’a bien montré le CAE.
Cependant, si ces grandes écoles « historiques », du fait de leur philosophie malthusienne, n’ont pas connu un développement quantitatif proportionnel à la hausse du nombre d’étudiants, le secteur privé s’est lui considérablement développé : il poursuit inexorablement sa croissance, beaucoup plus forte que celle des universités, ce qui doit interroger ces dernières.
Si le privé était de qualité homogène, il n’y aurait pas lieu de s’alarmer mais le fait est (la CDEFM s’en est à juste titre inquiétée) qu’il est très peu régulé au sens de la répression des fraudes… Mettons donc de côté ce secteur privé lucratif, qui pourrait d’ailleurs faire l’objet d’enquêtes journalistiques intéressantes, voire de travaux de recherche (mais là, je crois que beaucoup d’enseignants-chercheurs, véritables idiots utiles, préfèrent s’en prendre aux universités et à Parcoursup…)
Un peu de modestie ne nuit jamais
Leurs évolutions les plus notables de ces dernières années sont apparemment paradoxales : d’un côté une explosion des coûts d’inscription, sauf pour la plus grande partie des écoles publiques, et l’investissement dans la recherche comme le souligne un rapport de l’IGÉSR sur ‘La place de la recherche dans les grandes écoles et les écoles d’ingénieurs‘ (vous aurez noté la distinction 😉…) Les contextes financiers et les problématiques des écoles d’ingénieurs et des écoles de management sont aujourd’hui très différentes. Mais la recherche, au regard des standards internationaux, c’est la clé d’entrée dans les classements, et en France, pour les accréditations. Et donc de l’attractivité.
A propos de la sélectivité, on se permettra de souligner que si elle est très forte à l’entrée dans quelques établissements, une partie des écoles chassent le client universitaire, notamment en admission parallèle (Ah l’EM Lyon…) et développent le bachelor comme outil de survie économique. En comparaison, les taux de sélection des universités, et leurs exigences, ne sont-ils pas souvent plus élevés ?
Quant aux écoles d’ingénieurs, fortes dans l’imaginaire français, quelles que soient les critiques sur les « élites », elles peinent à exister seules à l’international, d’autant que leurs forces sont largement dépendantes des universités et organismes de recherche. D’ailleurs, on ne peut pas vraiment dire que le vaisseau amiral constitué seulement de ‘Grandes Écoles’ (l’IPP avec l’X) ne rame pas 😆. En tout cas, pas moins que l’université Paris-Saclay ou PSL et leurs projets audacieux et ambitieux avec leurs écoles.
Si la réputation des Business schools a été un peu entachée par quelques scandales (sexisme, bizutage) ou par des livres dénonçant leur faible niveau académique, leurs dépenses de marketing et de communication très élevées semblent efficaces ! Elles laissent accroire l’idée d’un niveau supérieur de leurs étudiants à celui de leurs homologues universitaires. On peut souligner l’impact de ces suppléments à la gloire des écoles dont chacun sait qu’ils n’existent que grâce aux encarts publicitaires 2On lira avec intérêt le « Classement des classements » des écoles de commerce 2021-2022 réalisé par mon confrère Olivier Rollot.. L’incapacité, pas seulement financière, des universités à rivaliser sur ce terrain est un handicap important, quoiqu’on en pense.
Et puis méditons le rapport du Sénat sur les cabinets de consultants : ne nous montre-t-il pas des armées de jeunes diplômés d’écoles, le lait du biberon coulant encore sur leurs lèvres, incapables de produire des analyses pertinentes ? Un signal à méditer. En réalité, la grande force des écoles, c’est le réseau des anciens, couplé à des moyens hors normes pour l’insertion professionnelle comme le montre la lecture du rapport HCERES sur l’ESCP Europe. Le service carrières dispose de 17 conseillers carrières certifiés pour 6 322 étudiants en formation initiale, soit 1 pour 371. Ce qui pour une université de 30 000 étudiants signifierait donc… 80 conseillers !
Une hybridation en cours
Après cette petite remise en perpective, ne sombrons pas dans le ‘bashing’ 😄! De même que les universités ne sont pas le repère d’étudiants nuls et sans ambition, et d’enseignants-chercheurs ‘perchés’ et ‘woke’, de même les écoles ne se résument pas à des vacataires aux compétences académiques limitées et à des étudiants arrogants et alcoolisés. Qu’en est-il des convergences entres écoles et universités aujourd’hui ? Peut-on dire que l’on va vers une hybridation ?
D’un côté, le modèle des écoles est désormais la norme de plus en plus consensuelle autour de l’étudiant : pédagogies novatrices et individualisées, relations suivies avec les entreprises, stages, prise en compte de l’insertion professionnelle etc. Les universités ont adopté, partiellement ou totalement, voire mis en œuvre, ces codes ressortant de l’univers traditionnel des grandes écoles : sélection, relations avec le monde économique, y compris le terme prépa désormais couramment utilisé. Avantage indéniable, vu comme une distorsion de concurrence, les écoles ont (sous certaines conditions) fait en réalité une OPA sur les grades de master et de licence/bachelor. Une réplique du séisme LMD qui crispe les syndicats dans les universités. Pourtant, il est indéniable que des écoles ont développé des savoir-faire remarquables, à l’exemple du numérique.
De l’autre, et en symétrie, les Business schools se sont mises à la recherche 3Soulignons que les ENS, les INP et d’autres annexés par B. Belletante et Ph. Jamet sont d’abord des institutions universitaires par leur investissement dans la recherche. et ont formellement, pour certaines, résolument pour d’autres, entamé des actions sur la démocratisation et la diversité.
Mais l’université reste, et de loin, le lieu majeur de la diversité : sociale, genrée, ethnique, disciplinaire, territoriale. J’ajouterai que ce qui y est vu parfois/souvent comme un handicap, à savoir une grande liberté, la remise en cause permanente, les débats incessants, c’est un côté imprévisible qui colle au monde actuel 😃.
Le cas spécifique des Business schools
Je rassure Ph Jamet et B. Belletante : l’enjeu n’est évidemment pas de fusionner universités et Business schools. Il y a bien sûr la question des moyens mais qui ne se joue pas que sur le montant des droits d’inscription. Y compris au sein des universités, comme le CAE l‘a bien montré, des différences importantes existent selon le type de filières. La lourdeur de la gestion publique ? Le statut des enseignants-chercheurs ? La plupart des écoles d’ingénieurs y sont confrontées. Et les Business schools qui rémunèrent à prix d’or des chercheurs pour qu’ils/elles publient, doivent aussi faire face à ce que le monde académique international connaît : la tension entre recherche et enseignement.
Si les modèles ne sont pas les mêmes (mais entre un IUT et une faculté des Lettres de quoi parle-t-on ?), il est plus intéressant de regarder les bénéfices réciproques possibles. Inéluctablement, en raison de l’imbrication dans les laboratoires, écoles d’ingénieurs et universités vont converger, comme à l’université de Lorraine, à Grenoble, à PSL ou Saclay.
La France des business schools brille elle dans les classements internationaux, c’est un fait. Les universités les ignorent globalement, soit parce qu’elles ont un IAE, soit tout simplement par manque d’intérêt. Les universités de recherche, pour tenir leur rang, ne pourront pas faire longtemps faire l’impasse sur la nécessité d’avoir une puissante Business school. Mais ces dernières devraient méditer la décision de la Bocconi de monter un département d’IA avec Marc Mézard, l’ancien directeur de l’ENS Ulm. IA, biotechnologies, quantique mais aussi histoire (ah les impasses géostratégiques des entreprises françaises) etc., que l’on veuille ou non, c’est dans les universités que cela se joue.
La question à se poser est simple : quel bénéfice pour un pays qui n’arrive pas à faire émerger de véritables ‘licornes’ appuyées sur la deep tech ? On écoutera avec intérêt ce podcast de l’Express sur le sujet ou le bilan au vitriol de la Cour des comptes sur la French tech. Notre pays forme en effet des managers formés dans les mêmes moules (il faut lire les pages dédiées dans les Echos ou Challenges : l’uniformité est la règle 🤔) L’entre-soi, l’uniformité ethnique et genrée, l’aversion au risque et les certitudes combinée à une tradition française d’un management très hiérarchique caractérisent la plupart des grandes entreprises françaises. Qui, et ce n’est pas un hasard, investissent trop peu dans dans la R&D.
Pour réindustrialiser la France, il faut bien sûr plus d’ingénieurs, mais surtout la mixité des profils, pas seulement des comptables, des auditeurs, RH et j’en passe. Il faut des profils qui sachent non pas prévoir mais penser le monde de demain. Un rapport sur l’élite de l’élite, les grands corps techniques de l’État 4Réforme de la haute fonction publique : pour une gestion des ingénieurs par domaines de compétences, Rapport au Premier ministre sur les grands corps techniques de l’État, est relativement passé inaperçu, surtout sur un aspect qui ne relève pas de la GRH. Il souligne en gros que leurs écoles et la gestion des grands corps sont passés à côté d’évolutions majeures autour des thèmes de la « Santé », des « Technologies de l’information et du numérique », ou encore « Environnement, climat, alimentation ». Excusez du peu !
Certes, les universités ont longtemps concentré la traditionnelle méfiance française vis-à-vis de l’argent et du business. Mais le dernier rapport du réseau national des collèges doctoraux (RNCD) montre que les doctorants dans les universités ont de plus en plus une appétence pour travailler dans les secteurs économiques, voire créer des entreprises.
Et l’on peut désormais citer des exemples de convergence qui marchent : le plus symptomatique est celui de CY, avec changement de nom (université de Cergy-Pontoise), intégration d’une école privée, création d’une école (design), partenariat poussé sur le site avec l’ESSEC et, cerise sur le gâteau, réélection confortable du président (F. Germinet) avec un projet disruptif !
Références
↑1 | Aux éditions EMS. |
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↑2 | On lira avec intérêt le « Classement des classements » des écoles de commerce 2021-2022 réalisé par mon confrère Olivier Rollot. |
↑3 | Soulignons que les ENS, les INP et d’autres annexés par B. Belletante et Ph. Jamet sont d’abord des institutions universitaires par leur investissement dans la recherche. |
↑4 | Réforme de la haute fonction publique : pour une gestion des ingénieurs par domaines de compétences, Rapport au Premier ministre sur les grands corps techniques de l’État |
Jean Michel qd tu écris: « Pour réindustrialiser la France, il faut bien sûr plus d’ingénieurs, mais surtout la mixité des profils, pas seulement des comptables, des auditeurs, RH et j’en passe. Il faut des profils qui sachent non pas prévoir mais penser le monde de demain » ne faudrait-il pas surtout écrire « il faut bien sûr plus de docteurs »? Les innovations de rupture, une des sources de la réindustrialisation, viendront du monde de la recherche.
Les GE ne devraient-elles pas comme composantes GS (graduate school) d’universités évoluées pour former plus de docteurs (l’objectif des EUR, école universitaire de recherche)? A l’international nos ingénieurs sont un type de masters. Les dirigeants de toutes sortes sont très souvent des gens formés par la recherche via un PhD.
Mais comme tu le soulignes un sujet de base c’est la différence de moyens entre GE et universités: on comprend pourquoi certains ne veulent pas lâcher leur PMJ (personnalité morale et juridique)!!!
Bonjour Michel,
Faut-il bien sûr plus de docteurs ? Belle question et je partage votre avis: « les innovations de rupture, une des sources de la réindustrialsation, viendront du monde de la recherche ».
Ok, mais quelle recherche et quels doctorats ? J’ai eu l’occasion de comparer des doctorats nord-américains et français. Les premiers sont beaucoup moins rigides dans leurs normes, leur temporalité et très souvent sont supportés par des financements d’entreprise, ce qui se traduit par des moyens et des sujets plus concurrentiels pour les firmes.
Quant aux moyens, j’attends une comparaison des resources par rapport au nombre d’étudiants en additionnant ressources d’exploitation et ressources d’investissement. En sciences de gestion, il n’y a pas d’écart. Voir ma réponse ci-dessous à La Tribune de Jean-Michel Catin.
Bien cordialement
Débat riche (et positif), j’y reviens globalement la semaine prochaine ! JMC
Cette tribune est d’un très grand intérêt. Je vous remercie, Jean-Michel Catin, pour votre analyse. J’ai apprécié la reconnaissance du travail accompli et le côté ironique, nous n’avons pas voulu nous prendre trop au sérieux.
Est-ce que trop d’histoire fait rétro et nostalgie des neiges d’antan. L’histoire ne se répète jamais, mais elle permet de prendre conscience que des idées, des réalisations ont été testées. Ainsi, l’École Centrale de Marseille est le résultat de la fusion de 12 écoles. Centrale Lille fut à une époque l’Institut Industriel Agronomique et Commercial du Nord (1872-75). Or, aujourd’hui ils sont nombreux à tordre le nez sur des rapprochements favorisant l’hybridation. J’ai même connu un échec cuisant entre emlyon et Centrale Lyon, aucune des deux écoles n’a su oser la souplesse nécessaire pour travailler ensemble.
Oui, si Platon et JS Bach avaient fait une Grande École, nous les aurions cités. Si l’inventaire est lourd, c’est qu’il est peut-être riche. J’invite toutes les universités à faire de même; les universités chinoises et nord-américaines le font très bien. La mise en valeur des « anciens » est nécessaire: il y a une famille et les établissements ont su évoluer au fil du temps en continuant à accompagner et former des personnes talentueuses.
Je partage votre point de vue sur l’hétérogénéité du concept de Grande École, nous le signalons à plusieurs reprises. Mais cette diversité devrait être une très grande richesse si elles travaillaient plus ensemble.
Deux points de différences d’analyse. Le premier porte sur les ressources. Les Grandes Écoles en ont-elles plus que les universités ? Je ne me prononce pas sur les Grandes Écoles publiques versus les universités, en particulier en ingénierie. En ce qui concerne les sciences de gestion, ce n’est pas le cas. Il faut en effet comparer l’ensemble des ressources et additionner les revenus d’exploitation et les investissements et rapporter cela au nombre d’étudiants. Ce calcul devrait être disponible pour tous les établissements. La grande différence vient aussi dans l’utilisation des ressources. Je pense que les Écoles (notamment consulaires et privées) ont moins de charges d’exploitation sur le back office (pléthorique dans certaines universités), et ont décidé de financer les services périphériques à l’enseignement. Vous le signalez en montrant l’effort fait sur l’accompagnement à l’emploi. Cela me paraît très justifié pour des écoles qui sont des écoles techniques, très professionnalisantes. Dans leur très grande majorité, les Grandes Écoles font partie de l’Enseignement Supérieur Technique. Cela n’est pas suffisamment dit.
Ma seconde divergence est sur la sélection. Une partie de l’université est vent debout contre la sélection, et quand les écoles décident de sélectionner différemment (avec des taux plus faibles qu’en prépa) pour diversifier leur corps étudiant, on le leur reproche. Manque de cohérence. Je pense aussi que ce débat va prendre un coup de vieux. Il ne peut pas y avoir de modèle unique de sélection. Le numérique et la très forte personnalisation des parcours qu’il autorise permettra des modes de sélection différents, et surtout il faut redonner au parcours d’apprentissage toute sa valeur et oser dire, notamment dans certaines Grandes Écoles, qu’il ne suffit pas de rentrer pour être diplômé.
Je partage totalement sur la nécessité d’arrêter tout « bashing » anti université et anti Grandes Écoles. C’est stupide et médiocre. Vous mettez le doigt sur l’évolution en cours: « le modèle des écoles est désormais la norme de plus en plus consensuelle autour de l’étudiant » et dans ce que vous citez le mot-clé est « agilité ». Cette agilité des écoles doit être sauvegardée et ayant eu l’expérience de Comue, ce n’est pas gagné d’avance. Cette agilité sera un atout considérable pour les universités, mais elle se confrontera aux statuts divers et variés. Un exemple: quand la CEFDG demande aux écoles des enseignants permanents définis comme CDI à 4 jours minimum et mono-employeur, l’AACSB identifie une core faculty non définie par la relation de subordination mais par la nature de la contribution. L’enseignement supérieur français doit engager une réflexion et une action lui permettant de devenir agile.
Et derrière les statuts, la nomenklatura point son nez avec les corps, les grands corps. Avec Philippe, nous nous élevons contre cette arrogance de caste détruisant toute agilité et s’opposant aux fondamentaux historiques des Grandes Écoles. Vous relevez justement que les grands corps sont passés à côté de nombreux grands enjeux. Cela est aussi dangereux que ces candidats à la magistrature suprême passant leur temps sur des mesurettes de comptable. Université et Grandes Écoles doivent retrouver leur ambition initiale; ce n’est pas de la nostalgie, c’est une nécessité. Espérons que notre Dictionnaire puisse y contribuer.
Grand merci pour votre lecteur et votre analyse. Le débat n’est pas terminé.
Pour avoir actuellement un pied dans le monde universitaire classique et un autre dans celui d’une grande Business school privée désormais régulièrement classée dans le top 5-6, je ne peux que me réjouir de cette tribune et des commentaires qu’elle suscite. L’ existence de grandes écoles et d’universités ne doit plus être vue à travers le prisme obsolète habituel de grandes écoles qui seraient avantagées parce que dispensées des charges du service public face à des universités entravées par ces mêmes obligations. Non , les grandes écoles et les universités sont parfaitement complémentaires et participent à cette diversification si nécessaire de notre ESR. J’irai même plus loin en écrivant que nous devrions réfléchir à des grandes écoles gardant leur pleine autonomie au sein d’universités à la gouvernance et au management rénovés . Certains EPE ont assez bien réussi cela. D’autres vont suivre j’espère. Je pense à TSE naturellement, mais pas que!
Trois derniers commentaires pour un débat qui, je l’espère, va s’amplifier. D’abord, s’il est vrai que la dépense par étudiant est bien plus élevée dans les grandes écoles publiques que dans les universités, il faut vraiment nuancer cela pour les Business schools privées y compris du top 15. Ensuite, la diversité sociale: il ne tient qu’à l’Etat de laisser au moins certaines grandes écoles, par exemple celles labellisées EESPIG, accueillir davantage de boursiers. En tout cas il n’y a aucun à priori de la part de ces grandes écoles à se diversifier socialement. C’est même leur propre intérêt et elles le savent. Enfin les grandes écoles sont une source d’émulation pour les universités, de la même façon que de nombreuses universités le sont pour des grandes écoles, sans même qu’on s’en doute!
Il n’y a pas d’un côté des grandes écoles qui seraient dynamiques, modernes, ouvertes, et de l’autre des universités sclérosées. Non, nous avons de la dynamique et des initiatives partout.Et c’est très heureux! Maintenir et développer cette diversité permettra justement de faire bénéficier tous les pans de notre système du meilleur de chacune de ses parties.
Lorsque j’enseignais, j’expliquais à mes étudiants que la nature nous montrait comment la diversification était l’organisation collective la plus solide, celle qui produit le plus d’efficacité, de résilience dirions-nous aujourd’hui, au moindre risque ( c’est même un principe de gestion d’actifs si ma mémoire est bonne…). C’est le même principe que nous devons appliquer à notre système d’ESR.
Merci Jean-Michel pour ta volonté d’attaquer l’Everest !
Quelques réactions ponctuelles, par rapport à un texte dans lequel je me retrouve.
1 – « la grande force des écoles est le réseau des anciens ». Je crois que cette affirmation est quelque peu décalée par rapport à la réalité. En tout cas elle véhicule une image fort déformée. Car, hormis quelques cas biens connus, les réseaux d’anciens ont beaucoup de mal à vivre, et encore davantage à prospérer. Quels services offrent-ils à l’heure ou LinkedIn est un outil quotidien ? Je crois que la force est à trouver davantage autour du fait qu’un diplômé d’école se considère comme un alumni, et peut en conséquence être mobilisé par son école. Ce qui n’est pas la même chose par exemple que d’adhérer à une association d’alumni souvent considérée comme ringarde. Je répète souvent que je suis diplômé de Lyon1 mais ne me suis effectivement jamais considéré comme un alumni, à tort sans doute.
2 – Je ne crois pas que le fait que le terme de prépa soit utilisé dans les universités soit un progrès. En disant cela je ne jette pas la pierre sur les prépas, qui font un travail de grande qualité. Je dis seulement qu’elles correspondent à un certain public et que l’université à bien d’autres choses à proposer à un public différent.
3 – Le facteur clé de succès, et de frilosité des écoles, pour mieux faire collaborer ces systèmes est celui de l’agilité, du binôme autonomie/responsabilité des acteurs à tous les étages. Or on observe souvent que le lien MESRI/établissements, où la stratégie laisse souvent place à la gestion (ah, le DSG !!!), est reproduit à l’intérieur des universités vis-à-vis des composantes. Si CYU a réussi par exemple à intégrer une école privée, c’est parce qu’elle a su traiter cette question. Ayant observé la chose de près, ladite école privée s’est intégrée à l’université de son plein gré sans pression d’aucune sorte. Mon point de vue là-dessus n’est pas que les écoles veulent préserver leur trésor, largement fantasmé, mais qu’elles ne veulent pas perdre leurs marges de manœuvre. A elles également de sortir de leur position établie pour aller plus loin en explicitant les conditions nécessaires à un rapprochement fructueux.
4 – Car justement quel peut-être leur intérêt à se rapprocher des ensembles universitaires ? Il me semble assez évident mais bien peu évoqué. Ce n’est pas du tout de mon point de vue pour peser dans ARWU, mais plutôt d’être en ordre de marche pour préparer la jeunesse à affronter les défis de notre planète et de notre société. Pour cela il y a un besoin énorme de mélange de disciplines, de cultures, d’approches. Là est l’enjeu. Et cela doit questionner tous les opérateurs sur leurs modes de fonctionnement, leur capacité à faire confiance et à favoriser les croisements et les approches transversales. Sur ce point il reste beaucoup de grain à moudre.
5 – Dernier point pour dire mon accord sur la dernière remarque de Belloc. Ne visons surtout pas l’uniformité. Les ordonnances ont permis de sortir de l’ornière des Comues, ne retombons pas dans une autre et soyons pragmatiques.