Alors que côté E. Macron, le programme ESR public de LREM et ses alliés s’est réduit à son intervention devant France Universités, il faut reconnaître au programme de la NUPES un travail assez complet sur le secteur de l’ESR, à vrai dire largement inspiré de celui de la France Insoumise : là aussi, LFI a eu un temps d’avance sur le PS et EELV ! Mais au-delà des bons et des mauvais points possibles sur telle ou telle proposition, il est utile de se pencher sur un aspect de leurs conséquences : l’acceptabilité. Et c’est paradoxalement son gros point faible avec son double langage sur la sélection.
Qui serait contre une augmentation des financements dans tous les secteurs de l’ESR ? Personne évidemment et c’est pourquoi le programme de la Nupes doit plutôt être analysé à la lumière des changements systémiques qu’il préconise.
Sa colonne vertébrale, ce n’est pas une surprise, reste la séparation enseignement supérieur-recherche, cette dernière étant garantie par des programmes nationaux incarnés et pilotés par les grands organismes de recherche tandis que les universités sont quant à elles essentiellement chargées de l’accueil des étudiants, tous les étudiants. Il s’agit là d’une vision ancienne chez une grande partie de la gauche, de la loi Chevènement de 1982 sur la recherche à celle de Savary sur l’enseignement supérieur en 1984, ou encore les débats agités des assises de la recherche de 2004. Ironiquement, c’est une philosophie quasi macronienne 😄 😉 si l’on observe le premier quinquennat, avec une loi dédiée uniquement à la recherche.
Cependant, la question politique essentielle posée par le programme de la NUPES est la mise en œuvre de ses promesses (Mon propos n’est pas de faire des prévisions sur les législatives et la situation politique future). Non pas pour les financements supposés, mais surtout parce que, dans le secteur de l’ESR, la NUPES se trouve face à une contradiction majeure. Son programme s’est en effet nourri du désenchantement, voire du rejet, nés de la multiplication permanente et incohérente des réformes et mesures. Et il est vrai, je m’en suis fait souvent l’écho ici, que le milieu est épuisé par les réformes, contre-réformes avec la bureaucratisation croissante d’un système géré de Paris. Le monde académique réclame certes, et à juste titre, des moyens, mais il veut plus que tout de la stabilité et de la réactivité.
La couleuvre de la suppression de tout l’édifice institutionnel
Or, parmi les mesures radicales de la NUPES consacrées à l’organisation du système, figure la suppression de tout l’édifice institutionnel : « remplacer les lois relatives aux libertés et responsabilités des universités (LRU) et Fioraso pour en finir avec la mise en concurrence des universités, rétablir le cadre national des diplômes, des recrutements et une véritable démocratie universitaire » et aussi « remplacer le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur par une évaluation des formations et unités de recherche faite en concertation entre les différents acteurs de la recherche dans le cadre du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER) et du Conseil national des universités (CNU) ».
Et bien sûr, parce qu’il faut « renforcer les grands instituts publics de recherche (CNRS, Inserm, Inra, etc.), garants des recherches d’intérêt général », il faut « supprimer l’Agence nationale de la recherche. » A noter d’ailleurs, qu’Europe Écologie-Les Verts, sans doute sous la houlette de C. Villani, « défend une réforme de l’Agence nationale de la recherche fondée sur une logique de coopération plutôt que de compétition entre instituts de recherches, universités incluses, et renforçant la part des crédits récurrents délaissée au profit des appels à projets. »
Ajoutons la suppression de Parcoursup, et le big bang institutionnel est presque complet (voir infra pour un léger oubli 😀). Ce grand chelem supposerait donc un nouveau bouleversement, et colossal, du système. J’imagine l’ambiance au fin fond des UFR et labos, les personnels devant tout remettre à plat et digérer un nouveau changement ! Et je salue par avance le ou la ministre obligé de déployer des trésors d’imagination, de diplomatie et même de management (ah le terme honni !) pour gérer cette « révolution ». Et je l’imagine au 20h de TF1 annonçant la suppression de Parcoursup et son remplacement par ? Bonne question !
Dans ces conditions, même avec des promesses de financements (qu’il faudrait tenir par ailleurs), il est plus que probable que les soutiens de la NUPES seraient les premiers…à dénoncer ce nouveau meccano dont ils ont inlassablement dénoncé les effets délétères. La couleuvre serait dure à avaler.
Et les autres propositions de la NUPES dans tout ça ?
Mais revenons au programme. J’y ai déniché des choix forts mais aussi des consensus étonnants, des désaccords entre partenaires, des curiosités, des incohérences aussi et des oublis.
Des choix forts. J’en retiens deux, qui font depuis quelques mois, l’objet d’un consensus nouveau. Il est illustré, c’est horrible 😉, par les rapports de l’Institut Montaigne et de Terra Nova, ou encore de la Cour des comptes et du CAE. C’est le cas de la proposition d’ « assurer l’autonomie de la recherche fondamentale et la pérennité du financement de la recherche en mettant fin aux pratiques systématiques d’appel à projet » ou encore d’ « aligner par le haut les moyens octroyés entre filières (classes préparatoires, écoles post-bac liées aux formations sanitaires et sociales, grandes écoles publiques…) ». On me rétorquera qu’il ne suffit pas d’avoir les mêmes propositions, c’est leur application qui serait différente. Certes. Mais quand même : la convergence est réelle !
Des consensus étonnants. C’est celui de « porter le financement de la recherche publique à 1,5 % du PIB d’ici 2027 » (la LPR mais en plus rapide, ce que préconisait France Universités) ou encore de « financer des plans généraux de thèmes de recherche sur des secteurs d’avenir » (tiens les PEPR ?) ou encore d’ « interdire le caractère lucratif des écoles privées de l’enseignement supérieur » (tiens les EESPIG ou les sociétés à mission !). De même, dans les plans France 2030 ou encore dans les propositions du CAE on retrouve la préoccupation de « structurer les filières professionnelles qui répondent aux besoins en main-d’œuvre de la bifurcation écologique et sociale. » Il y a également le serpent de mer pour « réinstaurer un service public national de l’orientation en y associant les régions », ce que, de V. Pécresse à F. Vidal, en passant par N. Vallaud-Belkacem, toutes les ministres ont affirmé vouloir mettre en œuvre, sans succès.
Des bizarreries. On retrouve aussi des curiosités comme visiblement cette information qui n’est pas arrivée aux rédacteurs/rices sur le passage du DUT au BUT 😉. Quant à « réserver la taxe d’apprentissage aux établissements publics », je demande à voir comment, avec 400 000 étudiants dans le privé… D’autant que le véritable problème est l’inflation des formations en alternance à la qualité plus que douteuse. Dans le même genre, vouloir « instaurer la gratuité de l’enseignement supérieur, de la licence au doctorat » sonne plus que bizarrement : et le contrat doctoral dans tout ça ?
Des oublis. Enfin il y a 2 oublis étonnants. Le premier est sans doute volontaire (enfin j’imagine) : pas un mot sur les bourses ! Sans doute pour promouvoir la mesure phare de « créer une allocation d’autonomie pour les jeunes fixée au-dessus du seuil de pauvreté (1063 euros pour une personne seule) ». Mais quand même… Le second, c’est l’absence, dans le grand soir institutionnel, des ordonnances de 2018 sur les EPE. Etonnant !
La grande hypocrisie sur la sélection
Au fond, et c’est mon opinion, s’il y a dans ce programme plein de propositions qui méritent d’être débattues, demeure une incohérence de fond sur la sélection. Il est affirmé qu’il faut « supprimer la sélection à l’université aggravée par Parcoursup ». On assiste là à un condensé de la mauvaise conscience de la gauche française sur la sélection et l’excellence 1C’est valable aussi pour l’éducation nationale et la sectorisation des collèges et des lycées : on est pour tant que sa progéniture n’est pas concernée, cf. le SNES et le lycée Henri-IV. .
D’abord, cette formule brille par son imprécision : s’agit-il de l’accès en L1 seulement ? S’agit-il de l’accès en master, voire en doctorat ? Ensuite elle ignore volontairement les filières sélectives à l’université, que j’avais estimées à plus de 50% des effectifs. Est-il proposé de supprimé la sélection en IUT, en école d’ingénieurs ou en médecine par exemple ? Et enfin, quelle est la position de la Nupes sur les STS et bien sûr les CPGE ou les Grandes écoles en général ? Veut-elle, par exemple, supprimer la sélection à l’entrée de l’X ou de Normale Sup ?
Si la réponse est non, faut-il assumer que l’université, et ses « pauvres au capital culturel insuffisant » (ce n’est pas dit comme cela mais largement pensé !) soit un système dérogatoire : pas d’exigence mais une forme de charité… Mais alors comment justifier qu’en STS, où la proportion de jeunes issus de milieux défavorisés est la plus forte, on maintienne une sélection sur dossier ?
On connaît l’aphorisme de Talleyrand : « on ne sort de l’ambiguïté qu’à son détriment ». Dans le cas de la gauche, elle traîne depuis des années ce double discours sur la démocratisation : tout le monde à l’université mais nos propres enfants ailleurs. Une forme aboutie de « l’ultra-libéralisme » qu’elle dénonce ! Et qu’elle partage malheureusement avec les « élites » qu’elle passe son temps à critiquer. Les jeunes méritent mieux : l’exigence n’est pas réservée qu’aux « bien nés ».
Références
↑1 | C’est valable aussi pour l’éducation nationale et la sectorisation des collèges et des lycées : on est pour tant que sa progéniture n’est pas concernée, cf. le SNES et le lycée Henri-IV. |
---|
Merci pour cette analyse.
En marge du sujet : les effectifs dans le privé étaient bien de 400 000 en 2010, ils sont de 592 000 en 2020 (source : DEPP)