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Le discours d’E Macron à l’occasion du congrès du 50ème anniversaire de la CPU devenue France Universités sur l’ESR suscite déjà de nombreuses réactions. Il faut souligner que France Universités venait, par la voix de son président Manuel Tunon de Lara, de présenter ses propositions, qui elles aussi peuvent faire polémique ! Mais plutôt que de polémiquer, ne serait-il pas plus sage de débattre ? Car une brèche est ouverte pour les présidentielles, avec des propositions à débattre, et un tabou levé : oui c’est l’université qui est le centre du système. La porte entrebaillée sera-t-elle forcée ?

Pour débattre sereinement, il faut pour cela lire ou écouter jusqu’au bout les discours, afin de ne pas se cantonner aux ‘petites phrases’ ou aux ‘punch lines’ des réseaux sociaux qui servent d’alibi pour ne pas échanger rationnellement 1Lorsque je lis les déclarations de P. Hetzel pour LR ou de hiérarques du PS je me pince : P. Hetzel était Dgesip au moment du ‘décrochage’ de la dépense par étudiant en 2010, tandis que le quinquennat Hollande a entériné cette lente mais régulière chute. Et surtout des deux côtés, on n’a pas touché au déséquilibre entre les universités et les autres acteurs de l’ESR. Un peu d’humilité ne nuirait pas !. Que le discours du Président de la République soit un jalon de plus sur le chemin de sa candidature, qu’il coupe l’herbe sous le pied de V. Pécresse en s’emparant des thèmes qu’elle a cultivés, est secondaire.

Mais en lançant des propositions nouvelles et des ‘ballons sondes’ il ouvre une brèche et fait désormais de l’ESR, aussi, un enjeu et un débat. Lorsque E. Macron indique que “demain, ce sont nos universités qui doivent être les piliers de l’excellence, le centre de gravité pour la recherche comme pour la formation” et qu’il faut “lancer une nouvelle politique d’investissement dans l’ESR pour les dix ans qui viennent”, je remarque que, sauf erreur de ma part, il rejoint la seule personnalité à marteler avec constance (encore récemment sur France Inter face à D. Seux) qu’il faut investir d’abord dans les universités, Thomas Piketty. Visiblement, dans son propre camp, la gauche, on ne l’écoute pas, toujours en défense du modèle ancien, prépas-grandes écoles-organismes de recherche…

Des réactions à contretemps

On peut à cette occasion s’étonner du manque de sens politique de certains sur l’ESR, toujours à contretemps : une partie de la gauche hurlait au loup contre la sélection à l’université au moment où la droite abandonnait justement l’idée de la sélection à l’université. Ou encore entretenait ce fantasme de la privatisation de l’université, sans voir le développement du sup privé, ou dénonçait la “vente au patronat” alors que ce dernier s’intéressait surtout aux Grandes écoles !

Evidemment, lorsqu’E. Macron affirme “nous ne pourrons pas durablement rester dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants”, l’ambiguïté volontaire permet à tous les idiots utiles de se précipiter dans un débat binaire, dont pourtant chacun sait pourtant qu’il ne débouchera sur aucun alignement sur le modèle anglo-saxon.

De ce point de vue Libération se surpasse dans le genre en oubliant carrément, à propos des droits d’inscription, que le Conseil constitutionnel a jugé que “l’exigence constitutionnelle de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur public” et donc “ne fait pas obstacle, pour ce degré d’enseignement, à ce que des droits d’inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants”. Quant à LR, coincés, on se perd dans ses arguments, Patrick Hetzel réussissant le tour de force d’être (désormais) contre une hausse des droits d’inscription et pour la défense des grandes écoles et surtout des organismes de recherche. Or la loi LRU dite Pécresse visait à installer les universités au centre…

Pourtant, l’état de l’université mériterait une véritable union nationale, au moins des universitaires !

Le début d’une prise de conscience ?

N’est-ce pas l’occasion de prendre un peu de hauteur sur les politiques publiques de l’ESR depuis des décennies, gauche-droite-centre (imprévoyance, marginalisation et sous-investissement des universités réduites à la ‘massification’, bureaucratisation croissante etc.) ?

N’arrive-t-on pas à un tournant pour l’ESR français, à savoir la prise de conscience dans la technostructure, et en général chez une partie de plus en plus importante des élites non formées dans les universités et/ou à la recherche, que notre retard de financement et une organisation défaillante sont des handicaps majeurs pour notre pays aujourd’hui ?

La note de la Cour des comptes, le rapport du CAE, la ‘petite’ phrase d’E. Macron lors du lancement de France 2030 sont des jalons qui annoncent potentiellement un tournant. On peut imaginer que cette prise de conscience du gouvernement est aussi liée, à la fois à la pandémie (échec du vaccin français) et à la situation économique, avec des succès des “licornes” en trompe-l-œil, puisque qu’aucune ou quasiment n’est basée sur une innovation de rupture. Clairement la France décroche.

Mais il manque deux éléments pour que ce tournant se réalise : une volonté politique du côté de l’État, puisqu’il est capable de mettre des milliards dans les différents plans, une dynamique réellement offensive du côté des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, avec une stratégie d’influence à la hauteur de l’enjeu.

Le variant Macron

J’ai suffisamment critiqué l’action du gouvernement sur ce blog, et lors de mon bilan du quinquennat réalisé à la demande de l’Institut Montaigne, pour ne pas reconnaître que c’est le Président de la République qui semble d’accord pour la première fois avec ce que j’écris depuis 2018 😀 😃 !!!!! On peut cependant regretter une prise de conscience tardive, mais pourquoi s’en priver ? Une promesse sans lendemain ? Peut-être mais cela vaut sur tous les sujets.

Le discours d’E. Macron souffre évidemment d’approximations et d’inexactitudes concernant son bilan, par exemple lorsqu’il annonce des milliards mais oublie de pointer ce qui fait référence, la dépense par étudiant, ou encore cette vision datée de la professionnalisation et de l’insertion professionnelle, et surtout de ce qui favorise la réussite en licence. Le contraste était saisissant avec la présentation percutante devant le congrès de France Universités, 2 heures avant, d’Elise Huillery (Dauphine PSL) qui, sur la base de travaux de recherche pour le CAE, a brillamment et incontestablement montré la corrélation entre réussite étudiante et moyens, notamment d’encadrement pédagogique. Le différentiel Licence/CPGE donne le vertige : 1 à 4, corrigé de tous les facteurs qui fausseraient la comparaison 2Son raisonnement mésestime cependant l’échec dans les filières sélectives, tandis que l’on ne peut passer sous silence le pré-bac et les lacunes du système que Timms et Pisa révèlent. Et puis, IUT, STS, CPGE sont sélectifs, ce qui veut surtout dire, au-delà du niveau scolaire, présenter un dossier et réfléchir à ses motivations..

Si sur de nombreux points E. Macron contredit sa ministre de l’ESRI, notamment sur le pilotage de la vie étudiante ou les organismes de recherche, il fait aussi l’impasse sur ce qui mine la confiance, la bureaucratisation croissante, avec la multiplication totalement désordonnée des appels à projets, ou encore l’explosion du CIR et ses faibles résultats.

Une réorientation de la politique publique ESR

Pourtant, malgré tout, après ce classique plaidoyer pro domo, il esquisse une réorientation de la politique publique, dans son financement, dans son organisation. Du tout pour les prépas-grandes écoles-organismes de recherche, on passerait à une (c’est mon mot) une réhabilitation de l’Université, une première dans ce pays. Il ne s’agit pas évidemment de “détruire” ces structures mais de choisir un nouveau modèle, celui qui a fait ses preuves dans le monde entier. C’est un chantier immense évidemment, bien avancé par exemple sur le rapprochement Grandes écoles-Universités, excepté sur les niveaux de financement.

L’annonce, au-delà de l’absorption des missions des CROUS par les universités (comme partout dans le monde) d’une refonte des bourses suppose une stratégie d’aide sociale réellement redistributive. Enfin, la transformation évoquée des organismes de recherche (enfin surtout du CNRS 😀 ), en agence de moyens s’appuie sur une réalité qui a changé : ces derniers le sont de fait en partie. Mais certains auront un mal de crâne au moment de faire la lettre de mission du futur-actuel PDG du CNRS…

Reste le chantier de l’autonomie des université, la France étant le cancre de l’Europe, et celui de la gouvernance. L”autonomisation” et la “responsabilisation” des universités, passeraient par la mise en place de contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens : c’est le constat de l’échec du dialogue stratégique (famélique !) de gestion au passage.

Le sujet de la gouvernance est sans doute le plus complexe. Le constat que cela fonctionne mal est réel : le feuilleton lillois avec une personnalité “extérieure” récusée à la présidence du CA en est l’illustration. Mais il ne s’agit pas seulement de la proportion, dans un sens ou dans un autre, de réprésentants ‘extérieurs’ ou des personnels. Il s’agit du rôle et des missions du CA dans un contexte d’hypercentralisation avec de multiples acteurs qui limitent son autonomie de décision : Etat, organismes etc. Et on ne pourra pas éviter un débat : pour diriger ces énormes machines, même les « petites » universités, il faut un minimum de formation et des rémunérations à la hauteur.

Les universités françaises, et plus largement leurs communautés, sauront-elles s’engouffrer dans la brèche ouverte pour faire valoir leur vision et leurs arguments ? Et surtout, seront-elles prêtes à accepter de ne plus s’abriter derrière le parapluie parfois si confortable du MESRI ?

Alors que retenir de ce congrès du 50ème anniversaire de la CPU devenue France Universités 3Je précise que j’étais l’animateur de cette journée avec deux autres journalistes, Anaïs Gérard d’AEF et Fabrice Rousselot de The Conversation. ? Beaucoup de choses : un discours de la ministre en défense de son bilan, de bonne facture, mais crépusculaire, des débats avec notamment un appel du président de Dauphine-PSL à ses collègues mais plus généralement aux universitaires à être offensifs et à défendre le lien formation-recherche, et un échange de haute tenue sur la recherche, avec la présidente de l’ERC Maria Leptin. Et des conclusions partagées : sans étudiants bien formé, un pays régresse, sans recherche fondamentale, pas d’innovation de rupture. Puissent E. Macron et les autres candidats les entendre.

Références

Références
1 Lorsque je lis les déclarations de P. Hetzel pour LR ou de hiérarques du PS je me pince : P. Hetzel était Dgesip au moment du ‘décrochage’ de la dépense par étudiant en 2010, tandis que le quinquennat Hollande a entériné cette lente mais régulière chute. Et surtout des deux côtés, on n’a pas touché au déséquilibre entre les universités et les autres acteurs de l’ESR. Un peu d’humilité ne nuirait pas !
2 Son raisonnement mésestime cependant l’échec dans les filières sélectives, tandis que l’on ne peut passer sous silence le pré-bac et les lacunes du système que Timms et Pisa révèlent. Et puis, IUT, STS, CPGE sont sélectifs, ce qui veut surtout dire, au-delà du niveau scolaire, présenter un dossier et réfléchir à ses motivations.
3 Je précise que j’étais l’animateur de cette journée avec deux autres journalistes, Anaïs Gérard d’AEF et Fabrice Rousselot de The Conversation.

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