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Depuis longtemps je m’interroge sur le décalage entre la réalité des transformations des universités et l’incapacité des universitaires eux-mêmes à en percevoir les aspects positifs pour les étudiants. Pourtant, les indicateurs sont incontestables : le ‘drame’ 🤔 c’est qu’ils concernent les étudiants et leurs familles … ce qui n’intéresse pas forcément une partie de la communauté académique, concentrée exclusivement sur ses querelles internes. Ceci explique sans doute cette défiance de l’opinion publique : la haine de soi des universitaires est visible ! L’université a-t-elle besoin qu’on la défende ? Ou a-t-elle besoin pour la défendre que l’on mette en avant ses succès ?

Les universitaires, et plus largement le monde académique, sont incroyables : une partie d’entre elles/eux semble vivre dans un monde parallèle. Dans un pays où universités et recherche sont ignorées, voire méprisées, où la technostructure politique et économique ne jure que par les profils X, Sc Po Ena, HEC etc., ils et elles se déchirent en permanence, incapables de promouvoir une vision positive…de leur travail, avec l’aide parfois de syndicats étudiants comme à l’IEP de Grenoble 1Mais là, un cap potentiellement mortel est franchi, incomparable avec les années agitées de 1968 à 1981 : S. Paty est dans toutes les mémoires….

A les entendre, à les lire au travers des appels et tribunes permanentes, rien ne va. Toute nouvelle positive est balayée d’un revers de main, la ministre incarnant paradoxalement comme eux et jusqu’à la caricature ce manque d’enthousiasme. Car oui, il y a une forme d’alliance objective entre tous les détracteurs de l’université. Bonnet blanc et blanc bonnet aurait dit Jacques Duclos 😃! Bien sûr, les signataires de pétitions et appels, même quand ils se divisent autour de l’islamo-gauchisme, défendent officiellement l’université. Mais en réalité, avec leurs discours ils nourrissent la conviction dominante que l’université est le problème, pas la solution.

Loin de moi l’idée (et ce blog en est le témoin) que tout va bien. Mais je l’ai signalé à propos de l’enquête de l’Observatoire de la vie étudiante : on parle beaucoup à la place des étudiants surtout quand on veut les instrumentaliser. Il y a beaucoup moins de monde au balcon et dans les tribunes enflammées pour faire respecter un droit reconnu, celui de l’évaluation des enseignements, ou simplement valoriser les réussites des formations universitaires. Ces pétitionnaires permanents, de quelque ‘camp’ qu’ils soient, représentent-ils la communauté académique ? Certes non mais leurs discours créent une forme d’intériorisation collective de « tout va mal ».

Les ingrédients d’une vision noire

Mais pourquoi cette vision noire 2Je lisais une motion d’une section du CNU dont la redondance outrée des mots utilisés (« mise à sac », « destruction » etc.) témoigne d’un pessimisme quasi dépressif et même pas d’une posture politique combative… ? Sans aller jusqu’à conseiller aux universitaires de regarder Thérapie sur Arte 😂, 5 explications qui se mélangent émergent :

  • Objective. Le manque de reconnaissance, le sentiment de déclassement, dont le salaire est l’expression, pèsent sur la vision du monde. Il y a évidemment tous les maux de l’ESR français, son centralisme, sa lourdeur et le manque de personnels de soutien. Et puis, il y a le ressenti permanent sur l’enseignement vécu comme une « charge », au détriment de la recherche, qui n’incite pas les enseignants-chercheurs à voir le côté positif de leur travail.
  • Sociologique. Originaires de milieux favorisés, en général en réussite scolaire, ils ont du mal avec les nouvelles générations qu’ils voient au travers des défauts qu’eux n’ont pas. Mais plus rarement au travers des qualités que leurs étudiants possèdent. Face à des communautés académiques fragmentées,  archipellisées, le distanciel a ainsi été un révélateur du manque de travail en équipe.
  • Psychologique. Le déni du réel conjugue de nombreux biais cognitifs (bien documentés par la science justement !). Ce sont les biais classiques de confirmation et de croyance, mais aussi ce biais d’autocomplaisance (les réussites sont à moi, les échecs la faute à F. Vidal) ou encore ce biais de représentativité (on forge son opinion à partir de quelques éléments, pas nécessairement représentatifs, le célèbre « moi dans ma fac » !). Tous ces biais, on les retrouve dans un biais de conformisme terrible, celui qui consiste à penser et agir comme les autres le font.
  • Politique et militante. C’est un aspect qu’il ne faut pas négliger tant la polarisation politique actuelle (et pas que sur l’islamo-gauchisme !), la faiblesse des syndicats et partis, rend difficile une approche dépassionnée, voir tout simplement honnête. Et l’on sait bien que des militants organisés, ultra minoritaires, sont capables d’entretenir « l’hégémonie culturelle », chère à Gramsci.
  • Médiatique enfin. Justement, les universitaires sont plus prompts à promouvoir leurs livres, à régler leurs comptes et polémiquer dans les médias qu’à valoriser les réussites collectives. A lire les tribunes en « défense » de l’université, on est frappé par ce mélange de galimatias, de langue de bois et de discours auto-centrés incompréhensibles pour le vulgum pecus. Faut-il mentionner l’hypocrisie qui consiste pour certains à instrumentaliser des étudiants … qu’ils font tout pour éviter de fréquenter, notamment en 1ère année ? Cela entretient l’idée d’une déconnexion de l’université du réel.

Défendre ou promouvoir l’université ?

La question posée est simple : l’université a-t-elle besoin qu’on la défende ? Ou a-t-elle besoin pour la défendre que l’on mette en avant ses succès ? Faut-il dénoncer uniquement ses insuffisances (bien réelles) ou valoriser aussi et avant tout ses réussites ? Car « l’hégémonie culturelle » du « tout va mal »  trouve dans l’université un terrain de jeu privilégié avec des universitaires ayant table ouverte dans les médias. Pourtant, tant sur les blocages d’établissements que sur l’opposition systématique à la LPR, ils/elles ne passent pas la rampe des élections au CA des universités, mais aussi du CNU ou du CoNRS, comme je l’ai montré à partir des résultats électoraux  3La récente réélection de Michel Deneken à Strasbourg le confirme..

Or, cette atmosphère quasi dépressive 4La crise sanitaire révèle de véritables « poches » de détresse sociale, mais l’enquête de l’OVE fait litière d’un phénomène uniforme. Et il est plus facile pour certains de pointer la détresse sociale que la détresse pédagogique liée à leurs pratiques… tranche avec toute une série d’indicateurs positifs concernant les étudiants. On peut d’ailleurs s’interroger sur cette vision totalement négative portée par des enseignants-chercheurs et leur rapport pédagogique aux étudiants ! Ces derniers l’ont fait aussi savoir : le confinement ce sont aussi des professeurs dépassés, pas seulement F. Vidal et son manque d’empathie.

Parlons des réussites « invisibles »

J’en ai souligné quelques-unes dans mon dernier billet (Parcoursup, le master et les docteurs). Je le fais au nom de celles et ceux qui méritent qu’on les écoute : derrière les polémiques stériles il y a des familles et des jeunes qui bénéficient de ces résultats positifs 5Ou alors on m’aurait menti et un complot international ourdi par F. Vidal conduirait à des chiffres truqués 😃.. La diversité sociale des universités est une réalité, la diversité de genre aussi : faut-il s’en plaindre ou au contraire en faire un atout ?  Faut-il se féliciter que 58% des inscrits à l’université sont des femmes  soit + 0,6 % d’une année sur l’autre ou ne retenir que le fait qu’elles sont minoritaires dans certaines disciplines scientifiques ? Faut-il se féliciter que l’université ait 40% de boursiers ou déplorer qu’elle en ait moins en master (mais plus que dans toutes les écoles) ? Etc.

Et les difficultés structurelles des universités ne se réduisent pas, loin de là, au sous-financement. Des générations de chefs d’établissement ont dû se battre pour des transformations radicales, en bousculant aussi parfois le conservatisme de leurs communautés. Les résultats peuvent toujours être jugé insuffisants : vu les contraintes, on peut au contraire les juger exceptionnels. Prenons quelques exemples.

Les stages ? Ils ont trouvé leur place à l’université comme le soulignent ces chiffres, rejoignant presque écoles de commerce et d’ingénieur, dont les stages sont pleinement intégrés à la scolarité. Les reprises d’études ? Elles ont le vent en poupe comme le montrent les chiffres de Parcoursup et de l’étude du Cereq sur « nouveaux parcours, nouveaux publics », même si persistent évidemment des inégalités. Mais qui peut croire qu’un miracle va les supprimer ? Les licences ? La réussite, même si cela reste fragile, progresse, sous l’effet conjugué de Parcoursup et des dispositifs mis en place par les établissements. Les licences pro ? Leur insertion professionnelle est remarquable. Le DUT ? Avec des hauts et des bas, une très bonne insertion avec une « qualité moyenne des emplois s’améliore ».

Et je ne reviens pas sur les chiffres de l’insertion professionnelle des masters, ou encore l’analyse intéressante et encourageante du devenir professionnel des doctorants dans le secteur privé (page 84 de l’Etat de l’emploi scientifique 2020.) Bref, bien sûr, il y a matière à critiquer : mais faut-il masquer des réussites qui impactent la vie de centaines de milliers de familles ? Faut-il, de façon indigne comme certains, cracher sur le repas à 1 euro ? Et on pourrait multiplier les exemples.

Ne pas se tromper de concurrence

De la même manière, on peut pleurer sur le développement du secteur privé de l’enseignement supérieur, encore que de nombreux universitaires sont tellement dans leur bulle qu’ils n’ont rien vu venir…tandis que d’autres y envoient leurs enfants ! Il capte désormais 21% des effectifs : ce n’est pas le produit d’un complot, mais bien celui du désir des élèves et de leurs familles qui acceptent de payer cher des formations pas toujours de bonne qualité. Un « tout sauf l’université » qui devrait aussi interpeller la responsabilité des universitaires eux-mêmes !

Pourtant, le travail de fond opéré par les universités, la diversification de leurs formations produisent d’ores et déjà des résultats étonnants. C’est ce que soulignent à la fois un dossier de l’Obs sur Parcoursup ou encore une enquête de Cadre Emploi qui estime que les salaires d’embauche des diplômés d’université, avec des différences selon les disciplines, rattrapent ceux des Grandes écoles.

Les opportunités sont là pour poursuivre les évolutions engagées. Ainsi, la baisse des effectifs de CPGE, alors que l’enseignement supérieur est en croissance, peut être l’occasion, non de rouvrir une guerre, mais d’inventer de nouveaux modèles entre universités et prépas, à l’image des initiatives de prépas au sein des universités, pas qu’à PSL.

Les récents palmarès des « bachelors », du Parisien-Aujourd »hui en France et de l’Etudiant montrent que les écoles privées y voient un nouvel Eldorado, payant, dans une concurrence directe avec les licences universitaires, gratuites. Car en réalité, le défi de la concurrence n’est pas la concurrence entre l’université Paris Saclay et l’université de Nîmes mais bien la concurrence en matière de formation entre les universités et le secteur privé, ou à l’international. Les IAE sont en première ligne mais aussi les IUT avec le nouveau BUT. La défense de l’université ne se jouera pas dans des pétitions mais par la conquête de l’opinion publique. Certainement pas par l’auto-dénigrement !

Références

Références
1 Mais là, un cap potentiellement mortel est franchi, incomparable avec les années agitées de 1968 à 1981 : S. Paty est dans toutes les mémoires…
2 Je lisais une motion d’une section du CNU dont la redondance outrée des mots utilisés (« mise à sac », « destruction » etc.) témoigne d’un pessimisme quasi dépressif et même pas d’une posture politique combative…
3 La récente réélection de Michel Deneken à Strasbourg le confirme.
4 La crise sanitaire révèle de véritables « poches » de détresse sociale, mais l’enquête de l’OVE fait litière d’un phénomène uniforme. Et il est plus facile pour certains de pointer la détresse sociale que la détresse pédagogique liée à leurs pratiques…
5 Ou alors on m’aurait menti et un complot international ourdi par F. Vidal conduirait à des chiffres truqués 😃.

One Response to “Universitaires : l’art inimitable de l’auto-dénigrement”

  1. Au titre des réussites, tu peux ajouter les formations en apprentissage (très développées dans certains secteurs universitaires), les investissements d’avenir (qui produisent des évolutions considérables dans certaines universités),…En réalité, le malaise est assez circonscrit: pas dans les facs de médecine, ni dans celles de droit (les profs y sont bien rémunérés par l’Etat et/ou par les cumuls), ni en sciences dures (centrées sur la recherche), mais dans le secteur des sciences sociales – ce qui n ‘est pas nouveau mais s’accentue (débouchés des étudiants, déclassement des enseignants par rapport aux autres…) et leurs plaintes les enfoncent un peu plus…

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