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A l’occasion de la publication de l’édition 2021 des données de l’ESR, il est utile de se pencher sur l’usage des chiffres, tant du point de vue des gouvernants que de leurs opposants. Depuis la création de ce blog, je me suis fixé une règle : essayer de séparer faits et commentaires (les miens !). On le sait, ce n’est ni la tradition et/ou la culture dominantes en ce moment… L’analyse des chiffres de l’ESR est de ce point de vue un parcours du combattant, entre ignorance, aveuglement et instrumentalisation.

Je reprends régulièrement des chiffres connus mais ignorés (quand j’alertais dès 2018 sur les chiffres inquiétants du doctorat), je compile des données, comme les taux de participation à des élections (CNU,  CoNRS ou CA des universités), ou je restitute des archives (sur la baisse supposée du niveau) qui vont souvent à l’encontre des idées reçues. Pourquoi ?

Parce que nous vivons dans une obésité informationnelle permanente qui renforce les biais cognitifs, naturels, de confirmation : on ne retient que l’information qui va dans notre sens et conforte nos préjugés. La conséquence, c’est que l’on ne change pas d’avis facilement et que les a priori idéologiques dominent. D’autant que même la Cour des comptes peine à retracer les crédits ou les effectifs réels de personnels en raison de la balkanisation croissante du système 🤨.

Un exemple de biais de confirmation à méditer

J’ai vécu comme journaliste suivant à la fois l’éducation et l’ESR, l’hystérisation complète du débat autour de Nicolas Sarkozy. Il faut dire qu’il y mettait du sien ! Mais du coup, quelle que soit la mesure annoncée, elle était frappée d’indignité, simplement parce qu’elle venait de lui ou de son gouvernement.

Toute personne honnête intellectuellement, ou tout simplement attentive aux chiffres, savait que sa priorité affichée à l’ESR, outre la LRU, s’était traduite dans un premier temps, par des moyens nouveaux, budgétaires et extra-budgétaires (PIA). Plus de 14 ans après, il faut attendre cette confirmation par Thomas Piketty et Lucas Chancel, sarkozystes notoires 😀, reprise dans Alternatives économiques de ce secret de polichinelle : la dépense par étudiant a augmenté au début de son quinquennat, puis décru ensuite avec les effets de la crise financière, et accentué son inexorable baisse … sous F. Hollande et E. Macron.

Notons que l’on observe le même ‘bashing’ aujourd’hui à propos des moyens de la LPR : tout ce qui vient d’E. Macron et de F. Vidal est par définition mauvais, sans même vérifier les moyens réels, tant sur les carrières que sur les financements ! Concernant le financement de la recherche, on peut évoquer d’ailleurs plusieurs questions « taboues » à partir des chiffres 1On trouve des réponses à tout ceci dans les données publiques… :

  • le financement de la recherche publique n’est-il pas suffisant au regard des pays comparables ?
  • Ne s’agit-il pas plutôt dans notre système si différent du problème de financement des universités qui accueillent presque toute la recherche ?
  • Et enfin, pourquoi la recherche privée ne décolle-t-elle pas malgré le crédit impôt recherche le plus généreux au monde ?

Qui a un plan pour l’enseignement supérieur ?

La donnée incontestable, c’est bien sûr le sous financement global de l’enseignement supérieur (y compris sous N. Sarkozy). Sans entrer dans une polémique politicienne, examinons à l’occasion de la sortie du RERS 2021 (Repères et références statistiques) les ressorts d’une gestion, il faut le dire, peu efficiente, des politiques publiques dans ce secteur qui implique tous les gouvernements.

Pourquoi donc cette incapacité à faire un véritable plan stratégique sur l’enseignement supérieur ? Je ne parle pas de tous ces plans annoncés en permanence sur tout et son contraire. Non, j’évoque une réelle vision

– anticipant les évolutions de la démographie étudiante,

– définissant de véritables priorités, autour des filières courtes et des filières longues,

– et enfin refondant la politique d’aides sociales.

Je suis donc toujours étonné (enfin pas vraiment) de la mémoire sélective des uns et des autres selon leurs agendas du moment. Après mon bilan du quinquennat Macron, je reviendrais sur les programmes des candidats divers : l’éducation a l’air d’exciter les appétits présidentiels tandis que l’enseignement supérieur n’intéresse visiblement pas grand monde. Malgré les chiffres 😒 (voir infra).

Colmater ou anticiper ?

Car si le chiffre de la dépense par étudiant est largement dépendant du budget de l’enseignement supérieur, il l’est surtout de l’évolution des effectifs. A la décharge des pouvoirs publics, les projections du MESRI se sont révélées fausses, ou tout du moins plus qu’imprécises année après année comme je l’avais déjà souligné en juin 2020 2Et la crise sanitaire n’a rien à voir là-dedans !. J’invite à ce propos mes lecteurs à comparer les nouvelles projections d’effectifs parues en avril 2021 à celles d’avril 2020.

Je sais bien que l’on peut faire dire beaucoup de choses aux chiffres. Cependant, le mérite du RERS est qu’il expose des séries longues qui contribuent à la compréhension. Sa lecture recèle beaucoup de confirmations que j’ai d’ailleurs chroniquées régulièrement (étude PISA et TIMMS sur le niveau des élèves qui vont arriver dans le supérieur par exemple).

Mais cette publication (qui est une compilation) est en réalité l’occasion de se remettre en mémoire quelques grandes données de l’ESR, dont il n’est pas sûr qu’elles soient vraiment bien maîtrisées. Prenons un exemple : si la (faible) dépense par étudiant à l’université est connue (10 110 € contre 15 710 € en CPGE), on oublie souvent qu’elle est inférieure à celle du lycéen (11 300 € en lycée général et technologique)…

En réalité, aucun gouvernement et aucune politique publique n’en a fait une priorité, autre que des rustines dans la panique d’un conflit social. Et ce qui est symptomatique à propos de l’enseignement supérieur, c’est le développement d’une vision que je qualifierai de « caritative », les étudiants étant vus, gouvernants comme leurs détracteurs, comme des jeunes en difficulté qu’il faut « aider » (logement, restauration, bourses), seuls les montants à y consacrer les séparant. Mais qui a pensé que la véritable démocratisation de l’enseignement supérieur passait par miser sur des universités disposant de moyens dignes de leurs ambitions ?

Passons en revue quelques chiffres !

Je livre à mes lecteurs une sélection totalement subjective de chapitres du RERS 2021. Elle ne modifiera certes pas l’intérêt limité pour l’ESR des politiques quels qu’ils ou elles soient. Mais elle aidera peut-être à partager quelques sujets d’intérêt 😀.

Quel budget pour l’ESR ? (pages 336 et 337) La MIRES (Mission interministérielle Recherche et enseignement supérieur) baisse de 0,4 point de 2020 à 2021… tandis que la MIES (Mission interministérielle Enseignement scolaire) augmente elle de 2,6 % (pages 336 et 337). Pourquoi ? Parce que le programme 231 « Vie étudiante », diminue de 3,4 %, « après une forte hausse en 2020 (+ 12,7 %) portée par les aides aux étudiants face à la crise. » Mais les autres programmes (principalement la recherche non universitaire) diminuent eux aussi de 3,2% …

Quelle répartition ? (page 339). Le programme 150 ‘formations supérieures et recherche universitaire’ : 14,0 milliards d’€ pour 2021 ; le programme 231 ‘Vie étudiante’ : 2,9 milliards d’€ en 2021 ; les ‘autres programmes’ : 11,3 milliards d’€. Un symptôme d’un système qui reste englué dans la séparation universités-organismes.

Quels financements ? Le supérieur est proportionnellement plus financé par l’Etat que le premier degré et le second degré… Et il l’est peu par les collectivités contrairement à une légende tenace (7,7%) et très peu par les familles et les entreprises (15,7%). A noter au passage que le coût de l’administration générale du système y est moins élevé que pour le premier et le second degré (2,2%).

Les boursiers sur critères sociaux. Confirmation pour les écoles de commerce : la proportion de boursiers ne cesse de baisser à 12%…  de même que, mais à un étiage supérieur, dans les écoles d’ingénieurs (page 345). Et confirmation d’une politique de saupoudrage avec une très forte croissance du nombre de boursiers … portée par l’explosion du nombre de boursiers à échelon zéro (1020 €). Ce terme ‘zéro’ en dit long d’ailleurs sur la créativité de la technostructure ! (page 345).

La réussite en licence et l’insertion professionnelle à l’université. Lentement mais sûrement, cette réussite progresse, de façon incontestable (page 249). Idem pour l’insertion et le niveau des salaires d’embauche.

Le suivi d’un panel de bacheliers. Je termine sur cette enquête qui me semble à la fois la plus intéressante sans doute dans les chiffres du MESRI, et la moins connue ! Ce suivi de cohorte, celle d’un panel de bacheliers 2014 (page 196), apporte de nombreux éléments quantitatifs et qualitatifs, notamment sur les degrés de satisfactions des étudiant(e)s.

Références

Références
1 On trouve des réponses à tout ceci dans les données publiques…
2 Et la crise sanitaire n’a rien à voir là-dedans !

2 Responses to “Les élections présidentielles arrivent : parlons chiffres !”

  1. Bonjour Jean-Michel, qu’est-ce que tu envisages en matière de réforme des aides sociales (cf. la « réelle vision ») et es-tu sûr que ce soit un levier décisif (tu écris plus loin qu’il s’agit surtout que les universités disposent des moyens de la démocratisation, ce qui n’est pas vraiment la même chose).

    • Bonjour Guillaume, le ciblage plutôt que le saupoudrage, et pour cela confier aux université une partie de la gestion des aides directes. J’y reviendrai dans la campagne !

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