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La NSF américaine est pour beaucoup de scientifiques dans le monde une référence. Sa genèse mérite cependant d’être rappelée au moment où, autour de la LPPR, il y a débats sur le financement de la recherche. Créée par le National Science Foundation Act de 1950, elle fit l’objet de nombreuses et longues discussions (des années !) notamment autour d’une question (qui exercerait le contrôle entre les scientifiques ou des fonctionnaires). Mais c’est surtout la “philosophie” de la relation entre enseignement supérieur et recherche, et entre développement scientifique et développement économique qui peut nous parler.

Le rapport préfigurateur est celui de Vannevar Bush, chef de l’OSRD (Office of Scientific Research and Development) et qui dirigeait le Projet Manhattan, auteur en 1945 d’une publication qui fera date, Science – The Endless Frontier” 1 Je remercie vivement Jean-Marc Schlenker, Doyen de la Faculté des Sciences, de la Technologie et de la Communication de l’université du Luxembourg, de m’avoir signalé ce texte fondateur.

Soulignons d’abord, grande différence avec la France, le rôle et l’implication du Congrès tout au long du processus de création de la NSF. Le contexte est particulier (fin de la 2ème guerre mondiale, début de la guerre froide), mais au-delà des polémiques de l’époque et des aspects opérationnels qui ont considérablement évolué, il est intéressant de s’arrêter sur une “philosophie” de la recherche qui a donné les résultats que l’on connaît aujourd’hui.

La conclusion de V. Bush est simple : “Je suis d’avis que la meilleure façon de promouvoir l’intérêt national pour la recherche scientifique et l’enseignement scientifique est de créer une Fondation nationale de la recherche.” Il part d’une démonstration dont les pouvoirs publics de notre pays pourraient bien s’inspirer. Le président de l’ERC Jean-Pierre Bourguignon l’avait rappelé : la supériorité américaine ne s’est pas bâtie sur l’innovation mais sur la qualité de la recherche fondamentale américaine : j’ajouterai et de ses universités… Ce rapport au président Truman nous permet de mieux le comprendre.

L’enseignement supérieur et les talents d’abord

Il développe dès le début de son rapport une approche incompréhensible en France (Cf. la LPPR) dans laquelle l‘enseignement supérieur est le point de départ de la recherche. Pointant le déficit de docteurs comparés aux entrants dans l’enseignement supérieur, il lance un cri du cœur Nous devons renouveler notre talent scientifique”.

Parce “qu’il y a des individus talentueux dans toutes les couches de la population”, mais que le coût des études est dissuasif (déjà !), il propose que le gouvernement fournisse “un nombre raisonnable de bourses d’études de premier cycle et de bourses d’études supérieures afin de développer le talent scientifique chez les jeunes Américains. Les plans devraient être conçus de manière à n’attirer dans la science que la proportion de jeunes talents qui correspond aux besoins de la science par rapport aux autres besoins de la nation en matière de hautes capacités.”

Tout son discours est ainsi axé sur la nécessité de développer l’enseignement supérieur, condition d’une recherche d’excellence : et il cite comme exemple l’appui du gouvernement à la recherche dans les ‘colleges’ d’agronomie dont les avantages ont été “considérables” (Cf. le boom de l’agriculture américaine). Cela tranche avec les débats franco-français sur la recherche  qui bannissent par principe le mot étudiant…

Un plaidoyer pour la liberté de la recherche

S’il estime que “le Gouvernement est particulièrement bien placé pour s’acquitter de certaines fonctions, telles que la coordination et le soutien de vastes programmes sur des problèmes de grande importance nationale” (les USA sortent de la guerre), il préconise de “supprimer les contrôles rigides que nous avons dû imposer et retrouver la liberté d’investigation et l’esprit de compétition scientifique sain si nécessaire à l’expansion des frontières de la connaissance scientifique.”

Pourquoi ? Parce que cette dernière “résulte du libre jeu des intellects libres, travaillant sur des sujets de leur choix, de la manière dictée par leur curiosité pour l’exploration de l’inconnu.” Si la recherche fondamentale permet “de répondre à un grand nombre de problèmes pratiques importants”, elle ne donne pas nécessairement “une réponse complète et spécifique à l’un d’entre eux.”

“Bon nombre des découvertes les plus importantes sont le fruit d’expériences menées dans des buts très différents” rappelle-t-il car la recherche fondamentale “mène à de nouvelles connaissances. Elle fournit un capital scientifique. Elle crée le fonds d’où doivent provenir les applications pratiques des connaissances.”

Science et emploi

Et il tient en 1945 des propos qui peuvent faire réfléchir en 2019 ! Une nation qui dépend des autres pour ses nouvelles connaissances scientifiques de base sera lente dans son progrès industriel et faible dans sa position concurrentielle dans le commerce mondial (…).”

Rappelant l’espoir américain de l’après-guerre (plein emploi et une production de biens et de services qui “servira à élever notre niveau de vie”), il note que “nous n’y parviendrons certainement pas en restant immobiles, simplement en fabriquant les mêmes choses que nous fabriquions auparavant et en les vendant au même prix ou à un prix plus élevé. Nous n’avancerons pas dans le commerce international si nous n’offrons pas de nouveaux produits plus attrayants et moins chers.”

Et selon lui, la réponse est claire. Il doit y avoir un flot de nouvelles connaissances scientifiques pour faire tourner les roues de l’entreprise privée et de l’entreprise publique. Il doit y avoir beaucoup d’hommes et de femmes formés à la science et à la technologie, car c’est d’eux que dépendent à la fois la création de nouvelles connaissances et leur application à des fins pratiques. Des recherches scientifiques plus nombreuses et de meilleure qualité sont essentielles à la réalisation de notre objectif de plein emploi.”

Recherche et innovation

A propos de l’innovation, il estime que “l’industrie est généralement inhibée par des objectifs préconçus, par ses propres normes clairement définies et par la pression constante de la nécessité commerciale.” Or, “les progrès satisfaisants en sciences fondamentales se produisent rarement dans les conditions qui prévalent dans un laboratoire industriel normal. Il y a quelques exceptions notables, c’est vrai, mais même dans de tels cas, il est rarement possible d’égaler les universités en ce qui concerne la liberté qui est si importante pour la découverte scientifique.”

Pour cela, elles doivent “être fortes et saines”, et attirer nos meilleurs scientifiques en tant qu’enseignants et chercheurs” avec “des possibilités de recherche et une rémunération suffisante pour leur permettre de rivaliser avec l’industrie et le gouvernement pour la crème des talents scientifiques.”

Les contours d’une nouvelle agence

Constatant qu’il existe au sein des ministères “de nombreux groupes dont les intérêts sont principalement ceux de la recherche scientifique”, il note qu’il s’y s’intéressent “en tant que domaine connexe et périphérique”. Nulle part dans la structure gouvernementale “il n’existe un organisme adapté pour compléter le soutien à la recherche fondamentale dans les universités, tant en médecine qu’en sciences naturelles ; adapté pour soutenir la recherche sur de nouvelles armes pour les deux services ; ou adapté pour administrer un programme de bourses scientifiques et de bourses de recherche.”

C’est pourquoi il préconise la création d’une seule agence qui devrait “être une agence indépendante qui se consacrerait uniquement au soutien de la recherche scientifique et de l’enseignement scientifique supérieur.” La recherche étant “l’exploration de l’inconnu” et donc, “nécessairement spéculative”, elle “ne devrait donc pas être confiée à un organisme d’exploitation dont la principale préoccupation est autre chose que la recherche.”

Parce que“la science est fondamentalement une chose unitaire”, le nombre d’agences indépendantes “devrait être réduit au minimum. Une grande partie des progrès médicaux, par exemple, proviendra des progrès fondamentaux de la chimie. La séparation des sciences dans des compartiments étroits, comme cela se produirait si plus d’un organisme était impliqué, retarderait et ne ferait pas progresser les connaissances scientifiques dans leur ensemble.” Il n’a pas été complètement entendu avec les NIH !

Cette Fondation nationale de la recherche qu’il appelle de ses vœux, doit être composé de personnes “ayant une compréhension des particularités de la recherche scientifique et de l’enseignement scientifique”, avoir des “fonds stables pour que des programmes à long terme puissent être entrepris” 2“La recherche fondamentale cesse d’être fondamentale si l’on s’attend à des résultats immédiats à court terme. Il faut donc trouver des méthodes qui permettront à l’agence de prendre des engagements de fonds à partir des crédits actuels pour des programmes d’une durée de cinq ans ou plus.”, reconnaître que “la liberté d’enquête doit être préservée et laisser le contrôle interne des politiques, du personnel, de la méthode et de la portée de la recherche aux établissements dans lesquels elle est effectuée. Il devrait être pleinement responsable de son programme devant le Président et, par son intermédiaire, devant le Congrès.”

Et il ajoute :nous entrons dans une période où la science a besoin et mérite un soutien accru des fonds publics”.


5 principes fondamentaux

  1. Quelle que soit l’ampleur du soutien, les fonds doivent être stables sur une période de plusieurs années afin que des programmes à long terme puissent être entrepris.
  2. L’agence chargée d’administrer ces fonds devrait être composée de citoyens sélectionnés uniquement sur la base de leur intérêt et de leur capacité à promouvoir le travail de l’agence. Ils devraient être des personnes ayant un large intérêt et une compréhension des particularités de la recherche scientifique et de l’éducation.
  3. L’organisme devrait promouvoir la recherche au moyen de contrats ou de subventions à des organismes à l’extérieur du gouvernement fédéral. Elle ne devrait pas exploiter ses propres laboratoires.
  4. Le soutien à la recherche fondamentale dans les collèges publics et privés, les universités et les instituts de recherche doit laisser le contrôle interne des politiques, du personnel, de la méthode et de la portée de la recherche aux établissements eux-mêmes. C’est de la plus haute importance.
  5. Tout en assurant l’indépendance et la liberté totales quant à la nature, la portée et la méthodologie de la recherche menée dans les établissements recevant des fonds publics, et tout en conservant un pouvoir discrétionnaire dans la répartition des fonds entre ces établissements, la Fondation proposée ici doit être responsable devant le Président et le Congrès. Ce n’est qu’en assumant cette responsabilité que nous pourrons maintenir une relation adéquate entre la science et les autres aspects d’un système démocratique. Les contrôles habituels des audits, des rapports, de la budgétisation, etc., devraient, bien entendu, s’appliquer aux opérations administratives et fiscales de la Fondation, sous réserve, toutefois, des ajustements de procédure nécessaires pour répondre aux exigences particulières de la recherche.

Références

Références
1 Je remercie vivement Jean-Marc Schlenker, Doyen de la Faculté des Sciences, de la Technologie et de la Communication de l’université du Luxembourg, de m’avoir signalé ce texte fondateur
2 “La recherche fondamentale cesse d’être fondamentale si l’on s’attend à des résultats immédiats à court terme. Il faut donc trouver des méthodes qui permettront à l’agence de prendre des engagements de fonds à partir des crédits actuels pour des programmes d’une durée de cinq ans ou plus.”

One Response to “Ce que la création de la NSF américaine nous apprend”

  1. Oui sur la leçon à tirer atour de la relation formation/recherche (voir la LPPR qui s’en affranchit!), sur la valorisation de la recherche qui ne doit pas devenir le moteur exclusif (oui au plaidoyer pour la recherche fondamentale) mais n’y a-t-il que le modèle américain pour optimiser tout cela? Nos organismes sont souvent dirigés par des professeurs de l’université, donc le lien formation/recherche n’est pas si distendu que cela mais comme tu l’as souvent fait remarquer avec d’autres il faut simplifier le paysage de cette foultitude d’organismes (certains de mes ex-collègues trouvent d’ailleurs cela bien car permet de se présenter à plusieurs guichets!!), arrêter peut-être la surenchère d’appels à projets (niveau régional, national, européen et quand un établissement obtient un AAP souvent de suite il recrée des AAP à son niveau!) donc oui pour une seule agence. Comme le disait JY Le Déaut combien de ministres de l’ESR en France? En conclusion si après avoir bien défini la vision et les objectifs, ne pourrait-on pas relancer la simplification restée au milieu du gué après les efforts de T Mandon avant de penser à tout baser sur les universités

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