A peine la crise du COVID-19 (presque) refermée, après les grandes déclarations sur l’importance de la recherche, le Premier ministre a fixé ses priorités : ni la recherche, ni l’enseignement supérieur n’y figurent. Le 3ème budget de l’Etat, l’ESRI a disparu des écrans radar. Mais les universitaires pourront-ils continuer à jouer les Calimero alors même que, comme dans un célèbre village gaulois, ils passent leur temps en polémiques internes ? F. Vidal va-t-elle ‘fendre l’armure’ ?
Commençons par des données objectives et une devinette. Quels sont les 5 premiers budgets de l’Etat ? Surprise, l’ESR est le…3ème ! Donc logiquement, il devrait figurer, peut-être pas en 3ème position, mais haut placé dans les préoccupations des politiques, des médias, des décideurs économiques et bien sûr des Français. Or, le spectacle du remaniement et son traitement ont quasiment fait disparaître ce ministère (et sa ministre) : relégué en dernier, quand il n’était carrément pas oublié dans l’énoncé des chaînes de télévision, alors même que le gouvernement venait d’annoncer un réinvestissement de 25Md€ sur 10 ans ?.
Est-ce la faute de Frédérique Vidal ? J’y reviens plus bas. Mais à ce degré d’invisibilité, il serait trop facile d’en faire le bouc-émissaire. Les Français en général ne s’intéressent guère à l’enseignement supérieur, sauf au moment de Parcoursup. Plusieurs facteurs, externes et internes, sont en jeu.
Le rôle des médias et des décideurs
Il y a, sujet rebattu, la composition et l’origine des élites. Les décideurs politiques (il y a eu quelques exceptions, Jospin-Allègre et Pécresse-Sarkozy) ne s’intéressent pas à ces questions d’ESR, sauf en cas de risque social.
Or, la capillarité, voire les relations incestueuses entre les directions des rédactions (sans parler des chaines d’info en continu) et les différents pouvoirs montre des choix convergents. Ajoutons que le parisiannisme atteint des sommets 1Le traitement médiatique de ce qu’il se passe au centre du monde ou dans les métropoles a atteint des sommets, sans parler des remarques désobligeantes sur l’accent gersois de Jean Castex. alors que la complexité du paysage universitaire y reste encore dissuasive.
Le 33e Baromètre de confiance dans les médias réalisé par Kantar pour « La Croix », indique ainsi que 71 % des Français n’ont pas le sentiment que les médias rendent “mieux et davantage compte” de leurs préoccupations. Le spectacle désolant d’articles ou reportages approximatifs 2Sur une chaine d’info en continu, un journaliste a cru pouvoir affirmer que le nouveau Garde des sceaux était le premier avocat dans cette fonction… est leur lot quotidien, et nous sommes d’ailleurs parmi les derniers en Europe dans le degré de confiance.
Pourtant, la profession continue comme si de rien n’était, toujours aussi peu diverse et il faut bien le dire, globalement militante de soi-même : les questions servent à mettre en scène les opinions personnelles des journalistes. Dans ce marécage, des journalistes spécialisés essaient tant bien que mal de survivre, avec l’espoir, parfois, de faire une Une…en dehors d’un mouvement de grève ou de protestation.
Concluons sur ce cocktail pas rassurant : l’inculture scientifique se conjugue avec une inculture globale sur l’économie et l’innovation. Un porte-avion frappera beaucoup plus les esprits qu’un campus tout neuf ou qu’un prix Nobel.
Le sport préféré des universitaires
Mais… Tout ceci ne peut s’expliquer simplement par des facteurs exogènes. La clé est à chercher au sein des communautés académiques françaises. Omniprésents dans les médias et sur les plateaux TV, et pas qu’à propos du COVID-19 3L’image qu’ils ou elles laissent a été souvent remarquable mais aussi, autour des polémiques sur l’hydroxychloroquine, brouillée, voire détestable., les académiques jouent d’abord “perso”.
Jamais leur établissement n’en profite réellement et le sujet du sous-investissement dans l’ESR n’est pas leur réelle préoccupation, quels que soient les affichages. D’autres ayant souvent des engagements militants, font prospérer leur petite entreprise idéologique, voire familiale et lucrative comme l’inénarrable couple Pinçon-Charlot.
Car le pire est je crois cette sorte de névrose universitaire de l’échec que symbolisent 3 catégories :
- La première, la plus nombreuse, celle des universitaires un peu retirés du monde, dépités par le peu d’intérêt que leurs concitoyens portent à leurs travaux (qu’ils ont cependant du mal à vulgariser). Ce qui continue de les motiver, c’est eux, leur équipe, parfois leur labo, rarement leur établissement. Les plus cyniques ne misent même plus sur leur équipe, mais sur eux-mêmes.
- La seconde, pas si marginale, dont le sentiment de déclassement sert de moteur à un ressentiment permanent que ce soit sur les réseaux sociaux ou par la multiplication de tribunes indignées. Mais leurs causes apparaissent de plus en plus souvent comme des combats de coqs ou de cours de récré, inaudibles hors de l’ESR.
- La troisième, restreinte, des leaders scientifiques français, rarement écoutés il faut le reconnaître. Mais aucun n’a le sens politique et le souci de l’intérêt du pays d’un Jean Perrin, l’un des fondateurs du CNRS. Je me risque même à penser que la médiocrité, ou tout du moins le manque de courage, y est statistiquement bien répartie.
Dans tous les cas, quand vous les écoutez, ils ou elles ne se rendent même plus compte de la bulle dans laquelle ils vivent : ils sont définitivement tournés vers la survie du système avec ses règlements de comptes. Pas vers la conquête de l’opinion ?!
Pendant que les sportifs, les artistes, les militaires, les chasseurs etc. font bloc sur le budget de leur ministère, quel est le sport préféré des universitaires ? Taper sur leur ministre quel(el) qu’il/elle soit, se chercher querelle entre eux, dénoncer les présidents d’université etc. C’est ainsi que ne cherchant pas à aller vers la société, la société ne vient pas à eux…
Un défi pour F. Vidal : devenir visible
Naturellement, la fonction de ministre implique autre chose qu’une connaissance des dossiers : il faut les porter, convaincre Bercy etc. De ce point de vue, quoique l’on en pense, F. Vidal a porté Parcoursup et obtenu une loi de programmation. Pourtant, dans toutes les enquêtes d’opinion, elle est quasi invisible. Sa notoriété est très faible, ce qui pèse sur l’impact de son ministère.
Elle n’est pas la première et tout le monde n’a pas l’entregent d’un Allègre ou d’une V. Pécresse, G. Fioraso peut en témoigner. Mais ses traits d’image au sein du monde universitaire, ceux qui s’enracinent dans les esprits, sont défavorables et seront très compliqués à modifier ou à reconstruire. Imagine-t-on une ministre de l’Agriculture obtenir une loi de programmation et un engagement (certes à tenir) de 25 Md€ et qui demeure inconnue à l’extérieur et contestée au sein du monde agricole ? C’est tout le défi de cette fin de quinquennat pour F. Vidal.
Valérie Pécresse avait évidemment des opposants mais aussi de forts soutiens. Reconduite, F. Vidal va devoir faire face à un triple défi :
- se réconcilier, ou tout du moins “pactiser” avec des communautés académiques méfiantes toujours, défiantes souvent, et parfois très hostiles.
- retisser des liens avec les chefs d’établissements, elle qui s’est mis à dos une partie des petites universités mais aussi tout récemment les grandes universités de recherche. Cela commence à faire beaucoup : je lui conseille de lire le livre de Charles Mercier “Autonomie, Autonomies” qui retrace avec talent, à l’époque de René Rémond les relations houleuses avec Alice Saunier-Seïté.
- trouver le chemin de l’opinion publique, et fendre l’armure qui la corsète, tant elle peut être pédagogue en petit comité et éteinte en public.
Une dernière remarque : l’ESR en France n’intéresse que par les étudiants. Ils sont particulièrement calmes depuis des années, de plus en plus insensibles aux sirènes de la radicalité. La crise économique et ses effets commencent : je serais ministre je me méfierai d’universités en tensions permanentes…
Références
↑1 | Le traitement médiatique de ce qu’il se passe au centre du monde ou dans les métropoles a atteint des sommets, sans parler des remarques désobligeantes sur l’accent gersois de Jean Castex. |
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↑2 | Sur une chaine d’info en continu, un journaliste a cru pouvoir affirmer que le nouveau Garde des sceaux était le premier avocat dans cette fonction… |
↑3 | L’image qu’ils ou elles laissent a été souvent remarquable mais aussi, autour des polémiques sur l’hydroxychloroquine, brouillée, voire détestable. |
S’agissant des universitaires, chercheurs statutaires compris, “Ne cherchant pas à aller vers la société, la société ne vient pas à eux”, voilà qui est excellemment écrit, cher Jean Michel.
Les débats entre académiques sont inaudibles, car incompréhensibles et terriblement corpos, alors même que des millions de familles sont concernées car leur progéniture fait des études à l’université, et que des milliers et des milliers d’entreprises savent bien que l’innovation , et donc la recherche, sont vitales pour leur compétitivité. La coupure grandes écoles-universités y est pour beaucoup bien sûr et aussi le fait qu’une proportion infinitésimale des leaders politiques et économiques vient du monde des universités et de la recherche. J’ajoute que si les débats entre académiques sont difficiles à décrypter à l’extérieur du microcosme, la stratégie de l’État dans le domaine de l’ESRI est tout aussi difficile à déchiffrer.
Le mal est très profond et les moyens supplémentaires n’y changeront rien. Le miracle c’est qu’il y en ait ! C’est l’achat a minima d’une certaine paix sociale dans le secteur, toujours explosif à cause des étudiants, et l’entretien d’un minimum de dignité scientifique pour la France et ses élites scientifiques, souvent mieux reconnues à l’étranger que dans leur propre pays.
La solution on la connait: un système universitaire simplifié mais diversifié, composé d’établissements remplissant les uns et les autres des missions différentes, très largement autonomes et libres de s’organiser comme ils l’entendent pour pouvoir mettre en valeur du mieux possible leurs atouts, ouverts sur la société pour réagir aux besoins des environnements locaux. Et un Etat véritablement stratège, pas un Etat pseudo pilote et pseudo coordonnateur!
Je suis entièrement d’accord avec ces observations et le commentaire de Bernard Belloc. Je crains qu’il soit bien tard pour une réforme correspondant à ce modèle diversifié qui se substituerait au partage actuel entre universités et grandes écoles devenu un véritable clivage social dont le sentiment de déclassement est l’un des symptômes.