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Pourquoi donc enjoint-on en permanence aux universités de se réformer mais jamais aux CPGE, aux STS et aux organismes de recherche ? Il faut attendre la Cour des comptes pour s’attaquer à cette question épineuse qui concentre à mon sens les maux du système français : elle propose ainsi de créer des collèges universitaires intégrant CPGE et STS, d’y affecter leurs enseignants, de confier la gestion des UMR aux universités et d’y fusionner les corps de chercheurs et enseignants-chercheurs, de transformer les organismes de recherche en agences de moyens, de confier les activités des CROUS aux universités etc. Et cerise sur le gâteau, de plafonner le CIR en refinançant l’ESR ! Ne serait-ce pas ce qui se passe partout dans le monde 😀?

Puisque personne ne s’intéresse réellement à l’avenir de l’université, ni les académiciens, ni les sociétés savantes, ni les « personnalités » scientifiques qui publient des tribunes 1Par exemple, 15 membres de l’Académie des sciences qui alertent : « Pour arrêter le déclin de la recherche française, il est urgent de réagir » ou encore Patrick Lemaire, à titre personnel « N’oublions pas que la recherche publique a pour mission de produire des connaissances pour le bien commun » c’est la Cour des comptes qui s’en charge avec une publication de nature prospective intitulée « Les universités à l’horizon 2030 : plus de libertés, plus de responsabilités » 2Cette publication pour « analyser les défis » s’inscrit dans la continuité des nombreux rapports de la Cour des comptes ainsi que, comme cela est précisé, d’analyses d’établissements..

J’entends déjà les cris d’orfraie sur ce sacrilège 😂 : comme ces gens qui ne comprendraient rien aux métiers de la recherche pourraient-ils avoir un avis ? Je remarque juste que, si on lit leurs rapports, les magistrats de la Cour des comptes connaissent mieux le fonctionnement du système que l’immense majorité des universitaires. C’est d’ailleurs pour cette raison, qu’à partir des chiffres, ils font le constat lucide de la combinaison d’un sous-financement chronique mais aussi d’une organisation inefficace, qu’ils détaillent. Les questions soulevées sont-elles pertinentes ? Sont-elles l’apanage des universitaires ou bien aussi celles de la société ? Voilà le plus important.

28 pages rafraîchissantes

Les formulations choisies restent d’ailleurs prudentes et ouvrent surtout des débats qui pourraient être fructueux. Dans un contexte où l’avenir de l’ESR n’est pas vraiment une préoccupation des candidats et candidates aux Présidentielles, quels qu’ils soient, le fait qu’une institution majeure de l’État (qui plus est gardienne de l’orthodoxie budgétaire) réclame la fin du sous-investissement dans l’ESR, tout ceci gagé sur des réformes d’ampleur, ne peut qu’être une bonne nouvelle.

D’autant que les pistes évoquées par la Cour des comptes font partie des tabous forts de notre système autour de la tripartition universités-grandes écoles-organismes. Et puis, un regard « extérieur » n’est-il pas rafraîchissant au moment où, comme l’ont montré récemment 2 sondages de la CPU, des attentes fortes existent tant dans l’opinion publique que chez les élus et chefs d’entreprises ?

Car il est bien beau de parler de science et de recherche : mais l’instrument pour l’instant le plus efficace dans le monde, et on n’en a pas trouvé d’autre, c’est l’Université, qui relie formation et recherche. Et au cas où on l’aurait oublié, les universités, c’est là où il y a les étudiants, cette piétaille qui n’intéresse pas beaucoup « les grands scientifiques » dont notre pays regorgerait : ils/elles pensent qu’il suffira de quelques milliards, si possibles dans leur discipline, pour stopper le décrochage du pays.

28 pages pour réfléchir

Les constats globaux de la Cour des comptes sont donc lucides : « la réforme de notre système universitaire est restée au milieu du gué » et « le modèle universitaire français, qui hésite encore entre centralisation et autonomie, est inabouti ». Je résume : elle constate qu’on ne réforme jamais CPGE, STS et organismes de recherche, mais qu’on le demande toujours aux universités. Elle entend déplacer le centre de gravité du système sur des universités plus autonomes et plus responsables.

Il ne s’agit pas d’un blanc-seing aux universités, qui devront corriger de nombreux dysfonctionnements et améliorer de nombreuses choses. Non, elle soulève surtout, même si c’est prudemment, des questions qu’aucun responsable n’a osé ou n’ose aborder publiquement, de peur de faire bouger un système à bout de souffle mais qui arrange beaucoup de monde.

Examinons donc quelques propositions de la Cour des comptes. Elles posent évidemment de nombreuses questions, susciteront  des polémiques, mais ont le mérite de ne pas contourner ce qui fâche.

Un collège universitaire « new look »

Les inégalités entre établissements s’accroissent-elles ? Oui répond la Cour des comptes qui dresse le constat d’une « discrimination » croissante entre établissements via les initiatives d’excellence et les outils du PIA. Selon elle « la captation des moyens nouveaux » a tendu à se faire « au bénéfice du haut du classement tandis que, de manière peut-être déjà irréversible, les universités les moins dotées en financements sélectifs sont destinées à le rester ». Sa vision n’est pas cependant binaire puisque, à propos de cette « démarcation aux contours indécis », une partie des universités n’a pu surmonter « les difficultés de la mise en concurrence des projets par manque d’agressivité ou de capacités initiales. »

Faut-il créer des collèges universitaires et y intégrer CPGE et STS ? C’est sans doute une des propositions les plus ‘poil à gratter’ de la Cour des comptes : créer dans chaque université un collège universitaire qui accueillerait « l’ensemble des formations de niveau bac+2 ou +3 (L générales et BUT), voire possiblement aussi les classes préparatoires aux grandes écoles et les sections de techniciens supérieurs », afin de rendre « le paysage plus lisible pour les lycéens ». « À terme, les universités qui le souhaitent pourraient décider de centrer principalement leur offre de formation sur le collège universitaire et être soutenues financièrement à cette fin », ajoute la Cour.

Et elle va plus loin en imaginant, sacrilège suprême, que les parcours au sein de ces collèges universitaires ne soient organisés par disciplines … correspondant aux sections du CNU ! On aurait une spécialisation progressive au sein de grands champs disciplinaires (humanités, sciences du vivant, etc.) qui donnerait à chacun « le temps de trouver sa voie ». Pire, crime de lèse-majesté, à ces parcours pourrait « s’ajouter l’enseignement plus spécialisé des classes préparatoires aux grandes écoles ». Ouf. J’attends les tribunes enflammées, les serments outragés ! Notamment de tous les universitaires qui incitent leurs propres enfants à aller en CPGE.

Car la Cour transgresse tout ! Elle émet l’hypothèse que l’on pourrait affecter certains enseignants du secondaire dans les universités. Non pas les actuels PRAG et PRCE mais ‘l’élite de l’élite’, celle qui est mieux payée que les universitaires : « tout ou partie des enseignants du secondaire intervenant en classes préparatoires et en sections de techniciens supérieurs », des emplois qui « s’ajouteraient à ceux d’enseignants-chercheurs ». Objectif :  « rehausser le taux d’encadrement des étudiants, afin d’arriver aux meilleurs standards des pays de l’OCDE ».

Avec cette vision du « collège universitaire », la Cour des comptes n’agite pas le chiffon rouge du « déclassement » des universités mais va au contraire vers un recentrage sur elles. Sans nier les différenciations importantes qui existent déjà entre universités, elle s’attaque aux ‘vaches sacrées’ françaises.

Des propositions qui méritent aussi débat

Les universités doivent-elles reprendre en main la gestion des aides sociales ? La Cour constate que la relation des étudiants à leur université est encore « purement utilitaire » et invite les universités à « se repenser comme un lieu de vie ». Elle suggère pour cela qu’elles reprennent « en gestion, en les filialisant, les compétences des CROUS » et intègrent « les personnels, les moyens et les compétences qui leur sont affectés ». « Une telle évolution ne pourrait que renforcer le lien d’appartenance et de reconnaissance entre l’étudiant et son université », alors que « l’organisation actuelle est complexe, multiplie les guichets et les acteurs auxquels les étudiants doivent s’adresser ». Cet alignement sur ce que font la plupart des pays comparables me permet, une fois de plus, d’en signaler la symbolique : nous vivons toujours en France avec les bonnes « œuvres » même si elles sont universitaires (CROUS), ce qui en dit long sur l’inertie et le conservatisme ambiant…

Faut-il augmenter les droits d’inscription ? Si la Cour des comptes a déjà produit des simulations, elle juge que toutes les façons, l’effet produit serait « significatif mais loin d’être à la hauteur des enjeux » et soulève « de nombreux problèmes d’ordre sociaux, de gestion du respect du principe constitutionnel de gratuité ». Cependant, « en appliquant un coefficient multiplicateur important, par exemple en les portant à 730 € en licence, 887 € en master et 1 380 € en doctorat, la recette globale obtenue serait de l’ordre de 1 Md€ ». Comment ne pas mettre ce débat sur la table, sachant que près de 40% des étudiants sont exonérés ? Pourquoi ne pas faire payer les ‘riches’ 😃?

La Cour des comptes revient sur la nécessaire rénovation d’un dispositif d’allocation des moyens (qui de fait n’existe plus). Mais elle y met plusieurs conditions :

  • un engagement à équilibrer les recettes et les dépenses.
  • un contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (CPOM) quinquennal dans lequel « l’État et l’université prendraient des engagements réciproques, durables et vérifiables ». « L’université y gagnerait dans le pilotage de ses objectifs pluriannuels », tandis que « l’État pourrait poser, dans le CPOM, les conditions de son financement ».
  • des évaluations du HCERES davantage orientées sur « le calcul des besoins et des possibilités d’économies et alimenter les indispensables bilans d’étape du CPOM ».
  • disposer d’« une comptabilité fiable des coûts et donc une substantielle amélioration des systèmes d’information ».

    Elle souligne ainsi, à propos des formations, « l’absence de connaissance exacte de leurs coûts, donc de leur maîtrise », qui conduit les universités « à vivre dans l’incertitude financière et dans un manque total de transparence vis-à-vis des pouvoirs publics, des contribuables, des gestionnaires de proximité comme des enseignants et des étudiants. »

    Enfin, elle aborde la gouvernance des universités en insistant sur 3 points. Et les 2 plus importants à ses yeux sont d’une part la formation des équipes de direction au sens large (présidents, vice-présidents, chargés de mission, directeur d’UFR ou de laboratoires), et la question de la relation à l’administration dont la fragile fonction de DGS est le symbole, ce que l’IGESR a elle aussi souligné. Curieusement, elle pointe de façon elliptique, et prudente, le fait qu’il serait « judicieux de diversifier la composition des conseils d’administration et les processus de recrutement » 😉.

    Le coup de pied dans la fourmilière recherche

    Pour conclure, la Cour des comptes met un grand coup de pied dans la fourmilière que les groupes de travail préparatoire à la LPR n’avaient pas osé aborder : la relation universités – organismes de recherche. Comment ? En proposant 4 évolutions radicales.

  • Confier la gestion pleine et entière des UMR aux universités, face à une « organisation illisible des UMR », qui est une « source de risques financiers, de désordres administratifs et parfois aussi de manque de transparence scientifique ».
  • intégrer les chercheurs des UMR dans le corps des enseignants-chercheurs afin que l’université en devienne l’unique employeur. « Ces agents se trouveraient ainsi dépositaires d’une mission d’enseignement, ce qui tendrait à renforcer l’encadrement des étudiants inscrits dans l’ensemble des filières universitaires et améliorerait encore le lien entre formation et recherche ».
  • Fusionner à terme des organismes avec l’ANR, les organismes devenant « des agences de moyens, spécialisées dans les domaines qui les concernent, et leurs implantations régionales disparaîtraient, amenant ainsi d’importantes économies d’échelle sur l’ensemble du territoire ». La Cour souligne que « la perspective d’une fusion de ces organismes avec l’ANR pourrait, à terme, être étudiée ».
  • Plafonner le CIR actuel pour dégager des moyens nouveaux. « La dépense fiscale ainsi économisée permettrait à l’État de redéployer des ressources budgétaires significatives en faveur des universités, dans l’enseignement comme dans la recherche ».

A toutes celles et tous ceux qui hurlent sur la dérive du CIR (j’en suis!), c’est la Cour des comptes qui en quelque sorte officialise le message : il faut d’abord investir dans le socle de l’ESR, à condition de clarifier le rôle des uns et des autres, ce qui n’a jamais été fait, en particulier pour le CNRS.

Là encore des vaches sacrées !

Références

Références
1 Par exemple, 15 membres de l’Académie des sciences qui alertent : « Pour arrêter le déclin de la recherche française, il est urgent de réagir » ou encore Patrick Lemaire, à titre personnel « N’oublions pas que la recherche publique a pour mission de produire des connaissances pour le bien commun »
2 Cette publication pour « analyser les défis » s’inscrit dans la continuité des nombreux rapports de la Cour des comptes ainsi que, comme cela est précisé, d’analyses d’établissements.

5 Responses to “Les ‘vaches sacrées’ de l’ESR et la Cour des comptes”

  1. Excellentes propositions que même les universitaires n’osent pas avancer, comme tu le soulignes cher Jean-Michel! Le véritable enseignement supérieur, nourri par la recherche, débute en réalité en Master dans la plupart des disciplines (en Droit en tout cas) et réunir sous le même toit tous ceux qui débutent en L, en CPGE, BTS et IUT vivifierait les universités, avec l’apport des enseignants du secondaire, et simplifierait les questions d’orientation des étudiants. En ce qui concerne les CROUS et oeuvres universitaires, on peut s’interroger: n’est-t-il pas plus opportun des les confier aux Régions? Quant aux organismes de recherche, tout le monde le sait, il convient en effet de les placer au sein des universités -il y a longtemps qu’on le dit (et il me smeble que Fillon l’avait envisagé lors de son passage à l’enseignement supérieur)…

  2. Mis à part les propositions de la Cour des comptes sur la création de collèges universitaires qui méritent d’être mieux étayées car cela ne doit pas conduire à augmenter à bas coût les taux d’encadrement des premiers cycles, j’avoue avoir été bluffé par le rapport de la Cour des comptes. Cela fait des années que nous sommes quelques-uns à défendre ces idées ; mais là, pour une fois, nous avons le point de vue extérieur d’une institution qui est garante de l’usage des deniers publics de la République. On ne peut pas dire qu’il s’agit d’élucubrations d’un think tank ultralibéral, qualificatif dont on affuble en général dans notre pays toute institution qui sort un tant soit peu de la pensée unique faiblarde syndicalo-de gauche. J’en sais quelque chose !
    Mais ce qui m’étonne le plus c’est la quasi absence de réaction du milieu à ce rapport, tout au moins pour ce que j’en ai observé. Mises à part des interventions simplistes et non argumentées de la ministre et de la directrice du CNOUS, rien. Qui ne dit mot consentirait-il ?
    Bernard Belloc

  3. Il faut du courage pour tenir le coup jusqu’à la deuxième partie tant la première est exaspérante!
    – « les Universités ne parviennent toujours pas à réguler leurs flux d’entrée » (p 13); et comment quand dans Parcoursup on peut répondre « oui » ou « oui et je me mets des bâtons dans les roues (oui si) – comment, à la Kalachnikov?
    – « le système universitaire est incapable de détailler ses coûts » (p 18) – est-ce que le ministère qui a la main sur l’immobilier, les organismes de recherche, etc fait mieux? et les CPGE, elles y arrivent?
    Lecteur, tient bon…

  4. Ce rapport a été remarqué, même si les réactions ont été faibles apparemment. Il a aussi que nous ne passons pas, nous n’avons pas, tous notre temps, comme je suis en train de le faire, à répondre sur les différents rapports qui tombent. Désolé, mais ceux de la cour des compte sont le plus souvent de beaux coups d’épée dans l’eau. Beaucoup de choses qui mériteraient un débat approfondi en effet car il faut les faire évoluer. Je relève juste un point que je sais faux, dans ma modeste université en tous cas, celui sur la connaissance et la maitrise des coûts de formation. Nous sommes en plein dedans en ce moment (et c’est moi qui dirige cette manœuvre). Je ne prétends pas que nous maitrisions tout, mais à chaque accréditation nous le calculons, puisque nous sommes « à moyens constants » depuis des décennies. Cela m’étonnerait fort que nous soyons isolés dans cette démarche…

  5. Bonsoir Jean-Michel,
    En effet « la Cour transgresse tout », mais tout de même surtout du point de vue des acteurs de l’ESR. Si le grand public avait un tant soit peu conscience de la gravité des maux dont souffre le système, il ne s’offusquerait sans doute pas de ces « transgressions », et peut-être même que l’ESR deviendrait enfin un enjeu politique dont le seul objectif ne serait plus de ne pas froisser les gardiens des vaches sacrées…
    Il me semble par contre inquiétant que ce rapport n’ait que très peu d’écho dans la presse généraliste. Il se pourrait qu’à force de réclamer plus de financements et plus d’autonomie (qui sont tous les deux nécessaires) et toujours moins de reddition de comptes, sans jamais prendre la peine d’expliquer comment devrait marcher un enseignement supérieur et une recherche performantes au bénéfice général, plus grand monde dans le pays n’en attende quoi que ce soit…

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