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Absent (évidemment) du « Grand débat national », l’ESR paie cash la méconnaissance récurrente de ses apports à la société en termes de prospérité. Il serait simpliste de le voir comme la réponse magique aux crises, tout autant réducteur d’en rester au mépris (réel) pour l’ESR d’élites formatées dans quelques grandes écoles, ou encore à l’indifférence (réelle) de la majorité de la population. Les acteurs de l’ESR paient aussi très cher leur morcellement en termes d’influence, personne ne jouant « collectif ». Pourtant, entre enseignement supérieur et R&D, ce secteur pèse directement plus de 80 milliard d’€, dont environ 50 milliards d’€ du secteur public. Secteur culturel, Armée etc. ramassent toujours la mise oubliée par l’ESR. Et je ne parle pas des chasseurs !

Depuis 1968, qu’a obtenu l’ESR ? Le détachement du ministère de l’éducation nationale avec les créations d’un secrétariat d’état aux universités et/ou d’un ministère des universités. Quelle réussite (et précaire en plus) ! Plus de 200 000 personnels, 2 500 000 étudiants, un poids économique largement supérieur à la plupart des secteurs ministériels (y compris la culture) : et pourtant…

Alors même que les collectivités locales et leurs élus ont une pleine conscience des atouts de l’ESR et de son poids, l’État et sa technostructure y voient un centre de coûts.

Ce n’est pas nouveau et pas lié à ce gouvernement. Il y a eu bien sûr depuis des décennies des priorités sectorielles (spatial, logement étudiant, immobilier etc.). Mais l’ESR n’a jamais été une priorité nationale, au sens global, à l’inverse de l’éducation nationale (ce n’est pas un jugement sur la qualité des politiques menées mais un constat !). Revenons quelques années en arrière.

Les miettes de L’ESR

Sous Giscard (1974), l’université est une grande inconnue (il n’y a jamais mis les pieds) et après l’intermède Jean-Pierre Soisson et la création d’un secrétariat d’État, une première, la mission de la secrétaire d’État puis ministre Alice Saunier-Seïté est de mettre un terme aux aux « utopies » de l’après-Mai 68 et de lutter contre la main-mise de la gauche sur les universités, avec les dernières scissions d’université, comme à Aix-Marseille avec Charles Debbasch.

Sous les présidences Mitterrand (1981, 1988), marquées par la cohabitation, la vision de l’ESR qui prévalait était largement influencée par l’Unef de l’époque, autour des questions de vie étudiante et du refus de toute sélection. C’est de cette présidence que date l’augmentation sensible du nombre de boursiers. Et sous l’impulsion du trio Rocard-Jospin-Allègre en 1991, c’est le plan université 2000 (largement financé aussi par les Régions) pour faire face à l’augmentation des effectifs, avec la création de nouvelles universités.

Sous celle de Jacques Chirac (1995-2002 avec sa parenthèse de 1986 comme premier ministre), si l’ESR était le cadet de ses soucis, ce n’était pas la cas de la « droite universitaire ». Mais le recul sur le projet Devaquet (et la mort de M. Oussekine) va sceller une volonté majeure : ne plus faire de vagues dans ce secteur, bien que la crise du CPE (qui, rappelons-le, ne concernait pas directement les étudiants) et le mouvement (imprévu) des directeurs de labos ont bousculé cet ordonnancement.

Sous Nicolas Sarkozy (2007), la LRU et le PIA ont marqué une priorité, y compris budgétaire, largement mise à mal dès 2008 en raison de la crise financière. Il reste que c’est le seul président, avec une ministre emblématique, Valérie Pécresse, à avoir mis au centre de ses préoccupations cette question, que l’on soit d’accord ou non. La systématisation des appels à projet visait à introduire de la compétition dans un système jugé endormi. C’est aussi un discours méprisant pour les chercheurs (au grand dam de V. Pécresse !) et la circulaire Guéant sur les étudiants étrangers.

Enfin, avec François Hollande (2012) on a abrogé cette dernière circulaire mais, pour ne pas abroger la LRU, on l’a complexifié (ah les Comue…), et on a changé le nom de l’Aeres afin de donner des gages à quelques collectifs. Et le PIA a été géré en slalomant entre les différents courants qui traversent la gauche au sujet de la notion d’excellence.

Des gouvernants frileux et gérant l’urgence

A chaque fois, la question qui a obsédé les gouvernants, toujours traumatisés par Mai 68, a été d’éviter des remous sociaux, avec des annonces récurrentes de « Plans étudiants ». Et chez tous, y compris lorsque des moyens nouveaux ont été alloués (Jospin-Allègre, Sarkozy-Pécresse), la prévision stratégique s’est effacée devant la gestion de l’urgence : effectifs, immobilier, annonces permanentes de plans recherche (détournés par une technocratie omniprésente).

Et sous Emmanuel Macron ? Le grand chantier a été Parcoursup (un changement majeur, que l’on soit pour ou contre). Mais Parcoursup révèle un déficit stratégique de réflexion sur la hausse des effectifs ou encore sur les filières courtes. Côté recherche, on assiste à la multiplication des annonces sur l’accueil de chercheurs étrangers (« make our planet great again »), l’intelligence artificielle etc. Ce sont les modes d’aujourd’hui pour la technocratie qui n’y comprend rien, pas plus qu’hier (voir mon article).

Mais quid d’une définition du système d’ESR des prochaines années, des prévisions d’effectifs ? Et quel effort financier ? Là encore, le sommet de l’État n’a aucune appétence réelle pour ce système, qu’il comprend mal, craint et pour certains ignorent ou méprisent…as usual.

Tous les acteurs de haut niveau de responsabilité que je rencontre en sont d’accord : ce n’est évidemment pas à la hauteur en termes de moyens, surtout comparé à l’Allemagne. Il faut dire que les universitaires mettent du leur à donner une mauvaise image de leur institution, à la rendre illisible. Autant dire que le mouvement des « Gilets jaunes » risque de plomber pour des années l’intérêt pour l’ESR. Il est passé à la caisse avant.

Le morcellement et les corporatismes de l’ESR

Le secteur de la culture a ainsi su défendre becs et ongles ses prérogatives depuis Jack Lang (mais au risque de rater le virage numérique…) : pourtant, son poids dans le budget de l’État est faible et ses apports indirects (+ de 100 milliards d’€) largement inférieurs à l’ESR. Mais sa visibilité médiatique est tout autre ! Enfin, l’armée avec son lobby de l’armement et ses avions, porte-avions, et petits matériels…se défend bien !

Pour résumer, la plupart des secteurs de l’État ont su organiser leur lobbying, y compris d’ailleurs le secteur de l’Éducation nationale avec son poids électoral (Cf le blog d’Eric Charbonnier et les chiffres de l’OCDE !). Celui de l’ESR a jusqu’à présent été un lobbying de préservation qui n’a jamais débouché sur une priorité nationale. Sa seule arme ? Les manifestations étudiantes, qui pourtant ne sont plus ce qu’elles étaient ?. Même à Rennes 2, les étudiants se prononcent massivement contre les blocages !

On le sait, le milieu de l’ESR est dévoré par ses chapelles et ses corporatismes : des postes supprimés au CNRS ? Orgie de tribunes dans lesquelles l’université n’existe quasiment pas, au détriment même de la réalité budgétaire objective. A l’Académie des sciences, la situation des universités intéresse peu de monde, tant le découplage formation-recherche est inscrit dans l’histoire. Idem pour les sociétés scientifiques.

Quant aux personnalités scientifiques « médiatiques », la plupart roulent…pour elles. A leur décharge, que pourraient-elles faire d’utile pour l’ESR puisque personne n’est d’accord… L’exemple de Strasbourg peut cependant rendre optimiste : les prix Nobel y jouent le jeu et défendent leur établissement.

Résultat ailleurs, tout le monde est perdant. A quand un ESR qui s’organise, au-delà de ses chapelles, pour faire prévaloir ses atouts, son poids économique et sociétal ? Bonne année 2019 !


Les 2 grands oubliés des politiques publiques

Des spécialistes me contrediront sans doute mais j’ai trouvé intéressant de faire un parallèle entre 2 secteurs des politiques publiques : d’abord la justice dans notre pays, sous-financée et dont l’organisation est archaïque (je précise : c’est un regard extérieur ?), de l’autre l’ESR, avec le même constat.

Il se base sur les comparaisons des niveaux de financements de la justice et l’ESR face aux autres autres pays européensSelon le Conseil de l’Europe, que cite Le Monde, la France consacre 65,90€ par an et par habitant à la justice, contre 122€, par exemple, en Allemagne. En France, si la dépense par étudiant est proche de la moyenne OCDE, dans les universités, elle baisse et est largement en-dessous.

Ce qui est frappant dans les politiques publiques de ces secteurs depuis des décennies, c’est l’incapacité chronique à prévoir et définir une stratégie. Ce qui ne l’est pas moins, c’est l’incapacité des communautés qui les composent à obtenir que leurs budgets et leurs missions deviennent des priorités.

Côté justice, les avocats défendent leur pré carré (plein de tribunaux partout), les magistrats sont divisés entre eux (ah les juges d’instruction !) alors que la modernisation du fonctionnement avec le numérique est une opportunité majeure. Les grands envolées sur les lois liberticides servent de cache-sexe à l’examen plus prosaïque du fonctionnement quotidien : or la hausse continue des délits et contentieux appelle une réflexion totalement nouvelle qui peine à émerger, hors la construction de nouvelles prisons. Pendant ce temps, les justiciables se plaignent de délais déshonorants pour une démocratie, et le suivi judiciaire est déplorable.

Côté ESR, on pétitionne, on signe des tribunes et de grands discours pour alerter des menaces pesant sur les libertés académiques (qui se souvient des accusations surréalistes contre le président de Strasbourg Michel Deneken de mise en danger de la recherche au prétexte qu’il était prêtre ?), sur la sélection ou encore les inégalités sociales en dehors de toute approche rationnelle. Pendant ce temps, les étudiants ne peuvent toujours pas évaluer systématiquement leurs enseignements, les salaires des enseignants-chercheurs sont une honte etc.

Résultat ? On court en permanence (entre autres) après la hausse des affaires à juger ou de celle des effectifs étudiants. Telle est la France où l’on préfère se gargariser de grands discours plutôt que de se concentrer sur des objectifs concrets.

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