La future loi recherche provoque de multiples débats. Et en réalité de quoi parle-t-on le plus en dehors des financements sur projet ? D’enseignement ! Or, la seule option qui n’a jamais été examinée, y compris et surtout dans les groupes de travail préparatoires, a été un statut unique, mettant fin à cette dichotomie, ou plutôt cette inégalité entre enseignant-chercheur et chercheur. Je ne vais donc pas me faire des amis mais ce Yalta qui satisfait semble-t-il tous les acteurs, pas seulement syndicaux, pourra-t-il durer ?
Le MESRI a cru, pour cette loi, sous l’influence d’une pensée formatée dans et par les organismes de recherche, que l’on pouvait faire sans l’enseignement supérieur. Avec un non-dit : la (bonne) recherche serait l’apanage des chercheurs… Mais la réalité lui rappelle chaque jour que le centre du système (pas besoin du classement de Shanghai pour le savoir), ce sont les universités, leur 1 600 000 étudiants et leurs dizaines de milliers d’enseignants-chercheurs, ATER, doctorants, Prag et certifiés. Parce qu’il a voulu traiter le cœur sans se préoccuper des poumons, il passe désormais son temps à écoper les vagues venant des universités. Comme au Mikado ©, bouger une pièce peut déstabiliser tout l’édifice.
S’ajoute à cette cécité le roman à l’eau de rose porté par de nombreux acteurs, pas seulement syndicalistes ou dirigeants d’organismes de recherche, que“les collègues, quel que soit leur statut, travaillent très bien ensemble dans les laboratoires”. Or, à l’inverse, le confinement et la rentrée universitaire compliquée qui se profile, ont accentué les différences entre celles et ceux supposés se consacrer à 100% à la recherche 🙂 et les enseignants-chercheurs à 50% 🤔, qui subissent une pression énorme.
Plus que jamais, cette inégalité de statut (que personne ne dénonce ce qui est quand même incroyable) est une source de tensions. Ces dernières sont d’ailleurs promues en creux par le CNRS, qui insiste par exemple sur la place prépondérante de ses chercheurs lauréats des ERC. Pourtant, chacun sait que le choix organismes/universités est avant tout largement dépendant des postes ouverts et des établissements concernés.
Mais les détracteurs des universités démontrent au fond, au-delà d’un discours misérabiliste (aidons les pauvres), que la question centrale de la LPPR 1qui à la demande du Conseil d’Etat devient “projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur”, un chapeau de plus à avaler pour le MESRI qui avait choisi, rappelons-le, d’ignorer l’enseignement supérieur… est bien l’articulation entre enseignement et recherche, l’aspect budgétaire en étant le baromètre. Car si les chercheurs étaient 2 fois plus performants en recherche que les enseignants-chercheurs, cela se saurait 😀.
Rafraîchir les mémoires
Rappelons d’abord que c’est en 1984 (et donc avec un gouvernement socialiste), que le passage de 128 h à 192 h a été décidé. 20 ans plus tard, les États généraux de la recherche recommandaient déjà de faciliter les mobilités entre universités et organismes et de dégager du temps pour la recherche des enseignants-chercheurs. S’en sont suivies de nombreuses réflexions dont les plus connues sont les rapports d’Eric Espéret en 2001 puis de Bernard Belloc en 2003 qui, je fais court, proposaient de moduler les services. Valérie Pécresse s’y est cassée les dents en construisant, avec l’aide des syndicats, une usine à gaz.
Il est clair que si ce dossier n’a jamais abouti, ce n’est pas pour des raisons conjoncturelles, mais structurelles : rien ne pourra évoluer tant qu’il s’agira de faire bouger le statut des enseignants-chercheurs sans faire de même pour les chercheurs. Car la crainte des enseignants-chercheurs, c’est de voir leur temps de service augmenté ! Et celle des chercheurs d’être contraint d’enseigner…
La relecture des rapports Espéret et Belloc illustre, outre des constats de bon sens repris largement aujourd’hui (nombre de postes, rémunérations), l’impossibilité à ‘normer’ un service (ou la charge selon…) d’enseignement. Bernard Belloc soulignait (en 2003) que les comparaisons internationales “montrent que notre pays est pratiquement le seul à définir une norme nationale en ce qui concerne le service statutaire des enseignants-chercheurs.” Il ajoutait que ceci “ne correspond plus ni à la très grande diversité des tâches que l’on attend des enseignants-chercheurs, ni à la différenciation des services qui s’instaure de facto pratiquement sans aucune régulation entre les enseignants-chercheurs, au gré des opportunités et des besoins locaux, des aspirations et des compétences des personnels.”
Une réalité niée mais incontournable
Laissons de côté le rêve d’une université sans étudiants qui marque tant notre système ! Dans tous les pays du monde, il y a des ‘teaching professors’. Et même en France avec les Prag, les certifiés, et bien sûr les professionnels. Mais chut, on n’a pas le droit de le dire ! Il y a pourtant environ 8 000 Prag et 6 000 certifiés avec un service d’enseignement de 384 h “face” à 55 500 enseignants-chercheurs au service de 192 h. Si le cycle L n’est pas investi par les EC de façon homogène, c’est en Lettres et en IUT qu’on en trouve le plus. Et rappelons le déficit de Biatss (avant tout de catégorie A) dans les universités que j’ai souvent évoqué et qui “plombe” le travail des uns et des autres, tant en enseignement qu’en recherche.
On peut au passage oser une comparaison avec les chercheurs des organismes, qui investissent rarement le L, et le M de façon modérée. En septembre 2018, le DRH du CNRS indiquait à AEF que plus de la moitié des chercheurs du CNRS “ajoutaient” une activité d’enseignement à leur activité de recherche, pour “200 000 heures sur une année, équivalent à l’activité d’un millier d’enseignants-chercheurs effectuant un service complet de 192 heures”. Des cours, précisons-le, qu’ils choisissent, et qui d’ailleurs accentuent l’écart avec les universités n’ayant pas ou peu de chercheurs des organismes.
De fausses querelles
Quelles sont les craintes autour des statuts ? C’est d’un côté (universités) l’inquiétude autour de la transformation des universités en “collèges universitaires”, de leur “secondarisation”, de l’autre (organismes) une vision négative de l’enseignement et de la qualité des étudiants. Là encore, vision typiquement française, les réflexes pavloviens ont la vie dure alors que la réalité est différente parce que beaucoup plus nuancée.
Notons au passage, à propos des crispations syndicales sur les statuts, que celui des chercheurs des EPIC traduit une inégalité criante, en ‘positif’ (conditions de travail et salaires) et en ‘négatif’ (droit privé et contrats résiliables, etc.) que personne ne songe à changer. Et rappelons que sont déjà autorisés à recourir au contrat de chantier 16 organismes publics et fondations de recherche dont la liste est parue au Journal officiel daté du 6 octobre 2019 !
Certes, un statut unique ne résoudrait pas tous les problèmes : mais il obligerait tous les acteurs du système à élaborer au niveau de chaque site une véritable stratégie, permettant (enfin !) d’être connectée aux réalités du terrain. Oui il y a des disciplines “sous l’eau”, oui il y en a d’autres où l’on cherche l’étudiant, oui il y a des jeunes chercheurs minés par ce qui devient réellement une “charge” d’enseignement, oui il y a des chercheurs qui pourraient s’impliquer en L1 etc.
En conclusion de ce billet, on ne peut qu’être frappé par la dénonciation à géométrie variable des inégalités dans l’ESRI : il est politiquement correct de pointer la “précarisation” mais incorrect de faire de même sur les statuts comparés EC/C (et il ne s’agit pas de primes). La régulation nécessaire entre temps d’enseignement et temps de recherche peut-elle supporter longtemps des postures à la place des nécessaires dialogues ? Et ça, ce n’est pas qu’une question de moyens.
Les vieilles recettes marcheront-elles ?
Le rapport annexe de l’ex LPPR préconise (comme c’est nouveau 😀 !), de “donner du temps aux enseignants-chercheurs pour leurs travaux de recherche” et note que “les charges pédagogiques et administratives sont souvent très lourdes dans les universités” et qu’elles “peuvent accaparer le temps des enseignants-chercheurs, en particulier dans les sciences humaines et sociales. Il est donc essentiel que ces derniers puissent bénéficier plus régulièrement de temps réservés pour se consacrer pleinement à leurs recherches.”
Et revient ce “marronnier” des possibilités d’accueil en délégation au CNRS des enseignants-chercheurs, notamment du domaine des SHS ainsi que les congés pour recherche ou conversion thématique (CRCT). “Ces mesures permettront concrètement d’accroître la disponibilité des enseignants-chercheurs pour réaliser leurs recherches ; elles viendront compléter l’ensemble des démarches engagées depuis deux ans pour reconnaître l’engagement pédagogique des enseignants-chercheurs.”
Bien sûr, tout ceci n’a jamais réellement marché (relire les chiffres du rapport annexe ou l’analyse faite par Christine Musselin dans son dernier livre) mais on utilise les mêmes recettes !
Références
↑1 | qui à la demande du Conseil d’Etat devient “projet de loi de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 et portant diverses dispositions relatives à la recherche et à l’enseignement supérieur”, un chapeau de plus à avaler pour le MESRI qui avait choisi, rappelons-le, d’ignorer l’enseignement supérieur… |
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Pour les professeurs en 1984 le service est passé de 75 heures à 128 heures de cours ou 198 h de TD. Celui des maîtres assistants devenus maîtres de conférences est passé de 120 à 128h sauf erreur de ma part.
Je suis entièrement d’accord avec la proposition de statut commun entre enseignants chercheurs et chercheurs mais aussi sur des modulations de service au sein de ce groupe unique suivant les établissements et suivant les moments de la carrière entre enseignement et recherche. Je pense enfin que les meilleurs chercheurs doivent enseigner y compris en licence au lieu de privilégier leur position dans les classements
Oui à un statut commun avec des rémunérations alignées chercheurs/ingénieur de recherches (yc le CEA où rémunérations 10 à 20% supérieures) et enseignants-chercheurs avec des missions différenciées.
Non aux tenure tracks à la française mais embauchons après la thèse (ou alors expliquez-moi pourquoi les énarques sont payés pdt les études et embauchés de suite) avec l’environnement ad hoc. Par contre entre 40 et 50 ans on fait le point avec de vraies RH : certains sont faits pr continuer d’autres pr évoluer vers d’autres tâches (ce pratique ds l’industrie?).
Non aux CDI de missions: vrais postes d’ingénieurs projets mais ds un corps où on demande de la mobilité (comme ds les sociétés de prestataires). Le CEA, il me semble, pratique cette politique de mobilité.
Oui soulevons le sujet du 1er cycle et sa secondarisation à travers les collèges et campus connectés: place des PRAG ds une équipe d’enseignement.
Osons un monde d’après plus cohérent.
Je n’étonnerai personne en disant que je suis entièrement d’accord avec les points de vue exprimés par JMCatin et JLGaffard. La LPPR n’est pas une loi de réforme, mais une loi de programmation budgétaire . Exit donc toute réforme structurelle. Tout va sans doute très bien de ce côté-là apparemment. Pourquoi réformer ?
De plus la LPPR remet au centre du jeu une négociation salariale ultra classique qui fait le bonheur des permanents syndicaux et évite de s’interroger sur les faiblesses de notre organisation. Bref je crois sincèrement que cette loi sonne le glas, et pour longtemps, de toute évolution structurelle générale. Que les choses soient absolument différentes de chez nous dans tous les pays scientifiquement plus performants quels que soient les indicateurs utilisés est de peu de poids face aux conservatismes qui s’épaulent pour maintenir un statu quo absolu sur les statuts et les structures. Certes des opérations comme l’Université de Paris Saclay ou l’Université PSL sont de vrais changements, mais qui restent très marginaux par rapport à l’ensemble. Un seul espoir peut-être, accorder aux IDEX et aux ISITES des dérogations au fonctionnement général du système, avec un rapprochement encore plus étroit des universités et des organismes au sein de ces IDEX et ISITES. Pour le reste du système , y compris les grandes écoles restées à l’extérieur de ces regroupements, l’avenir n’est pas très clair.
Bonjour et merci pour cet article. Si j’ai choisi d’être chercheur, c’est pour ne pas être submergé de charges administratives et d’enseignement. Pour devenir CR dans un EPST, j’ai du faire 7 ans de post doc dans des centres réputés, publier une quarantaine de papiers dans de belles revues, tisser un réseau scientifique large et international, apprendre à lever des fonds pour financer mes projets, et passer un des concours les plus difficiles du pays. J’ai aussi refusé 3 postes de maître de conférence qu’on m’a « proposé » en France ou à l’étranger, ainsi qu’une chaire d’excellence.
En parallèle, j’ai vu mes collègues de master ou de doctorat devenir maître.sse de conférence après leur thèse, en milieu de postdoc ou après un contrat postdoctoral, et suite à quelques papiers souvent mineurs – en terme d’impact, de classement des revues, et d’originalité. Bien sûr, certain.e.s galèrent encore, et pas les moins méritant.e.s, à avoir un poste et dans notre domaine RIEN n’est facile.
Mais bien sûr que, de mon point de vue, les deux statut ne sont pas équivalents ! Je trouve les MC plus que résilient.e.s et méritant.e.s, sachant leur condition de travail. Mais il me semble qu’il est infiniment plus difficile de devenir CR que MC. Je me sentirais floué par un statut unique. Je serais aussi bien embêté d’enseigner davantage alors que mes qualités sont ailleurs.
Par ailleurs,
Vous dites “Car si les chercheurs étaient 2 fois plus performants en recherche que les enseignants-chercheurs, cela se saurait”.
A ce sujet, auriez vous des sources ou des données? Vous n’en montrez aucune.