Lire les lettres de mission sur les 3 groupes de travail sur la loi de programmation recherche, c’est chercher désespérément la place accordée aux universités dans la recherche. Ou bien alors, il faut une grosse loupe ! En tout cas, les critiques des présidents d’universités commencent à fuser contre Frédérique Vidal et son tropisme supposé pour les organismes de recherche. Un paradoxe au moment où elle impose à ces derniers et particulièrement au CNRS, la signature universitaire en première affiliation !
J’avais évoqué il y a quelques semaines le côté bizarre d’une loi de programmation recherche sans l’enseignement supérieur. L’histoire semble se répéter éternellement…
Relisant les actes des États généraux de la Recherche de 2004 (Éditions Tallandier) on ne peut être que frappés (une fois de plus ?) par la persistance des mêmes débats : statut, précarité, place des dotations récurrentes et modes de financement, évaluation. Et à l’époque, si on parlait de « réformer les universités », concernant les organismes de recherche il s’agissait juste qu’ils soient mieux organisés…
Ce qui reste des débats autour de la dernière loi de programmation de la recherche (et qui recoupe mes souvenirs personnels, par nature subjectifs et friables), c’est la grande absence dans les réflexions de l’époque de cet illustre inconnu : l’étudiant. Et donc de l’université.
En 2004, ce rapport des États généraux de la recherche (comme bien d’autres après) parle des universités comme les gens riches parlent des pauvres : parfois avec bienveillance, souvent avec condescendance, toujours avec ignorance. Le porte-parole emblématique de l’époque Alain Trautmann ne cachait d’ailleurs pas son peu d’attrait pour l’enseignement, voire la peur que cela générait chez lui.
Quel rapport me diront certains puisque l’on parle de la science et de la recherche de haut niveau ? Euh, justement ! Comment développer une élite scientifique sans se préoccuper du vivier, sauf à considérer que la diversité des talents se trouve exclusivement en CPGE ?
Nous sommes bien le seul pays développé à couper en tranches supérieur et recherche. Comme si dans le sport de haut niveau, on pouvait séparer élite et masse des pratiquants. Jusqu’à présent, si je me souviens bien, la recherche est faite non par des machines ou des équipements mais par des êtres humains ?.
Les universités sont-elles le cœur du système ?
J’ai peut-être mal lu ou mal compris les lettres de mission des groupes de travail. Mais ce qui me saute aux yeux c’est la place minuscule des universités, ou tout du moins de la prise en compte (comme pour les affiliations des chercheurs) de leur rôle dans le système.
14 ans plus tard, les universités restent les mal aimées du système. Divisées, font-elles d’ailleurs tout pour être aimées, en tout cas respectées ? Il n’en demeure pas moins, que si en 2004, elles pesaient peu en matière de recherche, la situation n’est absolument plus la même, y compris dans les établissements qui ne sont pas considérés comme « universités de recherche ».
Certes, on peut entendre la volonté du MESRI de ne pas entrer par les structures mais par les objectifs. Mais c’est un peu la tarte à la crème que l’on utilise lorsque l’on veut mettre sous le tapis quelques questions qui fâchent !
Peut-on imaginer en effet que les tensions actuelles que résumait le président d’Aix-Marseille Université, Yvon Berland (pour qui seuls les organismes de recherche ont l’air de compter pour la ministre) sont à prendre comme de simples manifestations de mauvaise humeur ?
Car en privé, les critiques fusent sur le cabinet de la ministre qui serait « marqué » par son appartenance au CNRS et sa méconnaissance des universités. Du côté du cabinet, on ne cache pas son exaspération envers des universités jugées peu fiables, incapables de faire des propositions…
Il faut dire, pour alourdir ce climat, que beaucoup de présidents d’université sont excédés par la façon dont a été gérée la question des frais d’inscription pour les étudiants étrangers extra-communautaires.
Des questions mal posées ?
Le clivage historique universités-organismes, on le retrouve donc dans la préparation de la loi de programmation recherche avec 3 groupes de travail qui n’ont pas vocation, en tout cas c’est que j’en retiens, à aborder frontalement ce sujet.
Pourtant, les péripéties (qui ne font pas rire les chercheurs) du système d’information montrent que la question de la relation universités-organismes est politique avant d’être technique. Prenons quelques exemples concrets :
- Comment parler du financement sur projet, des overheads sans interroger la place des relations universités-organismes ?
- Comment parler du surcroît de tâches administratives des chercheurs sans évoquer les doublons universités-organismes, le déséquilibre de Biatss catégories A/ catégories C entre eux ou encore des systèmes d’information qui ne convergent pas ?
- Comment parler des carrières, des recrutements et de l’évaluation sans évoquer les approches différentes entre universités et organismes ?
- Et surtout, comment faire du doctorat une priorité sans se pencher sur les masters et plus globalement sur l’offre de formation ?
Bref, sur tous les sujets, et encore plus sur la recherche partenariale, les universités sont en première ligne.
Mais comme sur les affiliations des chercheurs dans les signatures scientifiques, le MESRI semble avoir un temps de retard (il a mis des mois à prendre une décision, déjà actée par le CEA et l’INSERM, à l’inverse du CNRS). Son exaspération face à des universités divisées, jugées peu fiables, a-t-elle pris le pas sur un choix des politiques publiques depuis 2007 ?
J’avais évoqué il y a quelques mois la question d’une nouvelle phase dans les relations CNRS-Universités. Les faits sont têtus : ils s’inviteront dans la préparation de la loi. Mais les universités sauront-elles, comme les organismes, les académies, les sociétés scientifiques, occuper la place qui est la leur ?