Un signal d’alarme dans ce billet sur la question des étudiants étrangers qui risque d’être instrumentalisée, à l’image d’autres pays. Un peu d’actualité dans un mois de juin polarisé par le bac, Parcoursup, Mon Master, et 2 rapports parlementaires sur la loi ORE. A chaque fois, le même constat : les compromis boiteux, l’absence de position claire et le manque de courage politique conduisent à de la défiance et des dysfonctionnements. On espère ainsi que le rapport Gillet ne débouchera pas sur une énième simplification avortée. Et puis, autour de la polémique « Canto-Sperber » je ne peux m’empêcher d’égratigner la ‘gauche’ qui dénonce la sélection d’un côté et de l’autre la promeut …
Impossible de commencer ce billet dans évoquer les émeutes de ces derniers jours. N’étant pas un adepte du Café du commerce sur ce sujet, j’invite mes lecteurs/rices à lire 2 analyses de sociologues (oui il y en a qui savent prendre de la hauteur !), celle d’Olivier Galland sur le site de Telos, et celle de François Dubet dans Le Monde. Rappelons juste que dans certains établissements universitaires, pendant les mouvements contre la réforme des retraites, on a déjà assisté à des pillages et dégradations, sans que cela n’émeuve, pas plus qu’aujourd’hui, les universitaires spécialistes des tribunes enflammées.
Limitation du nombre d’étudiants étrangers : la tentation
De mon côté, je retiens qu’inéluctablement, avec la montée du RN et sa malheureusement probable arrivée au pouvoir, la question des étudiants étrangers risque bien d’être instrumentalisée politiquement, comme ce que l’on le voit en Europe actuellement.
Ainsi au Royaume-Uni, le gouvernement met en place des restrictions sur les visas étudiants « afin de réduire le solde migratoire ». Il a annoncé une série de mesures sur les visas étudiants pour y parvenir. Sauf pour les jeunes chercheurs, il met fin à la possibilité pour les étudiants internationaux d’être rejoints par des proches. Il veut s’assurer que les visas d’études ne sont pas utilisés comme « un moyen détourné pour travailler au Royaume-Uni » et veut réévaluer le montant du fonds fixé pour prouver la capacité des étudiants à subvenir à leurs besoins. Au grand dam des universités, pour lesquelles les étudiants étrangers sont une manne de compétences mais aussi une manne financière.
Pas de danger réel sur ce dernier aspect en France vu le modèle économique des universités, mais les sénateurs LR réactivent cette liaison dangereuse entre immigration incontrôlée et étudiants étrangers. Dans une proposition de loi « Reprendre le contrôle de la politique d’immigration d’intégration et d’asile », ils veulent conditionner l’obtention d’un titre de séjour au versement d’une « caution retour », restituée lors du départ de France de l’étudiant. Sous peine de le perdre, les détenteurs d’un titre pluriannuel devraient justifier chaque année le « caractère réel et sérieux » de leurs études.
Quant aux Pays-Bas, comme le relate Anthony Bellanger sur France Inter, une loi qui vient d’être votée « impose aux universités néerlandaises un plafond d’étudiants étrangers mais en plus, elle exige que les trois-quarts des cours soient délivrés en néerlandais jusqu’à la licence. » Certes les motivations néerlandaises sont un peu plus complexes, mais la vigilance ne s’impose-t-elle pas ?
Rapport Gillet, suites !
Je reviens sur les réactions diverses à mes 2 billets, qui ont visiblement suscité beaucoup d’échanges, interrogations et commentaires. Sourions d’abord un peu avec la position du Snesup-FSU : pour la 28 567ème fois, il annonce qu’il s’agit « d’une attaque sans précédent » 😆. J’ai aussi beaucoup aimé sa dénonciation du fait que le rapport prônerait un « fléchage d’une partie du CIR à des collaborations avec des entreprises » … Incroyable non ?
Faut-il rappeler que ce rapport est un rapport et ne préjuge pas des décisions de la ministre, notamment sur la nouvelle approche budgétaire ? Je maintiens qu’il faut le lire réellement, ce que peu ont fait comme j’ai pu le vérifier. Or, on le sait, ces rapports peuvent être l’occasion d’une prise de conscience. Celui-ci jette une pierre dans le jardin d’acteurs qui se regardent depuis des années en chien de faïence : seront-ils capables de dépasser leurs guerres de territoire ?
Opérateur et agence de programme. C’est évidemment le ‘point dur’ de ce rapport et le défi de la Ministre. « L’Inserm doit-il organiser tout le pilotage de la recherche en santé en France ? » Interrogée par les animateurs de l’émission, Les Contrepoints de la Santé, S. Retailleau a répondu sans détour : « Oui, c’est clair ». Elle ajoutait que « la particularité de la France n’est pas de disposer d’organismes de recherche nationaux – il en existe ailleurs – mais réside dans le fait qu’ils ont un double rôle : être un opérateur de recherche et maintenant, une agence de programmes ». Son objectif : « Nous voulons renforcer ce rôle et, sur le secteur de la santé, légitimer l’Inserm dans cette fonction. » Clair mais pour les organismes multi-thématiques comme le CNRS ?
Crédits de base et recherche non fléchée. Sur un autre aspect, j’ai relevé la ‘réhabilitation’ de la notion de crédits de base pour la recherche, essentiels à la prise de risque (une attaque sans précédent pour le Snesup sans doute !). Je constate que le rapport d’évaluation de France 2030, de façon plus mesuré, l’évoque également en proposant d’expérimenter, « pour chacun des projets portés par des établissements ou organismes publics, une réserve de 10 % de crédits additionnels non fléchés pour gagner en agilité d’exécution. »
Chat GPT. Grâce à un de mes fidèles lecteurs, je vous livre l’exercice auquel s’est livrée Claire Mathieu, en interrogeant Chat GPT pour lui demander « un rapport au sujet de l’évolution de l’écosystème de la recherche en France. » C’est assez bluffant, mais une lecture attentive montre justement ses manques et illustre le rôle du politique pour changer les choses : Chat GPT s’appuie sur ce qui est connu…
Bac, Parcoursup et Master : les mêmes ambiguïtés
Au fond, comme sur tous les sujets, ces sujets et ces plateformes concentrent les mêmes questionnements. Faute d’avoir clairement tranché la question de la sélection à l’université (ce qui n’interdit pas le libre accès à l’enseignement supérieur), et leur autonomie de décision ou pas, on assiste à des problèmes récurrents, alors même que les familles et les jeunes ont désormais intégré le fait que l’université est sélective !
C’est cette ambiguïté paradoxale, et ce décalage, qui expliquent la difficulté de la transparence. Ceci provoque en réaction l’incompréhension des jeunes et des familles, même si cela concerne quelques filières : les aspects positifs sont « plombés » par les ambiguïtés des réformes.
Master. Quant à Mon Master, ces enseignants qui s’arrachent les cheveux devant des tableaux excel sont bien une réalité, comme l’est celle des désistements, ce que connaissent tous les établissements sélectifs du monde entier… et en France. Alors que, sur un total de 209 000 candidats, 173 000 sont considérés comme éligibles par le ministère, pour un total 185 000 places disponibles.
Et on ne peut que constater, à l’inverse de ce qui se fait dans les pays comparables, l’absence de services d’admission dignes de ce nom dans les universités, et ce pour des raisons pas seulement financières.
S’y ajoute un ‘classique’, l’incapacité du MESR à monter rapidement un projet fiable. Si Parcoursup est désormais en vitesse de croisière (qui se souvient des débuts chaotiques ?), visiblement la plateforme Mon Master a connu et connaît des bugs impensables comme ce mail envoyé avec une date erronée de clôture … La conséquence est d’entretenir la défiance.
Concernant le bac, on a la synthèse d’une réforme séduisante dans sa philosophie mais qui s’est heurtée à la fois à des compromis boiteux (le contrôle continu), à des contraintes de calendrier (épreuves de spécialités et inscriptions dans le supérieur) et de lobbying des disciplines : bien entendu, personne n’a songé à s’interroger véritablement sur ce qui se faisait ailleurs…
Les pilotes du comité de suivi de la réforme du bac suggèrent dans une interview à AEF info à propos de ces épreuves de spécialité (EDS) : soit les conserver les EDS en mars en modifiant les coefficients des épreuves et en ne communiquant les notes d’EDS aux élèves qu’en juin ; ou « positionner les EDS en juin ». Bon courage !
Loi ORE : le grain de sel de députés et sénateurs
Les députés Thomas Cazenave (Renaissance) et Hendrik Davi (LFI – Nupes) dans un rapport portant sur l’évaluation de l’accès à l’enseignement supérieur, enfoncent une grande porte ouverte : ils considèrent l’écosystème de l’orientation comme un « maquis » et proposent de créer un « délégué interministériel à l’orientation ». Révolutionnaire non ?
Plus sérieux et intéressant, leurs collègues du Sénat et la rapporteure spéciale des crédits de la MIRES, Vanina Paoli-Gagin, soulignent que « l’amélioration qualitative voulue par la loi ORE est restée pour l’essentiel secondaire par rapport à la vision quantitative » tandis que le bilan est très compliqué à tirer, tant « l’analyse des financements liés à la loi ORE se révèle d’une grande complexité ».
Elle regrette, par exemple, « la faible pertinence du financement des universités par le biais de crédits extrabudgétaires » et dénonce la « stupéfiante l’absence de traçabilité des crédits », le manque de remontées de données, les lacunes sur le pilotage… Mais le rapport bute lui aussi sur l’ambiguïté de l’autonomie des universités avec un pouvoir central qui ne sait rien (parfois les universités non plus !) mais qui fonctionne comme si il savait.
Monique Canto-Sperber, la ‘gauche’ et la duplicité
L’ancienne directrice de Normale Sup, ‘créatrice’ de PSL a fait polémique en annonçant le lancement à la rentrée d’un cursus d’arts libéraux, pluridisciplinaire et bilingue, au prix de 10 000 euros l’année (sauf éventuel financement par des mécènes).
Elle s’est prise une volée de bois vert, sur les réseaux sociaux et ailleurs, et en particulier par toute la gauche sur l’aspect privé et payant. Je remarque que le contenu de ce projet, inspiré des universités anglo-saxonnes fait moins polémique ! Comme si elle disait tout haut ce que beaucoup pensent.
Mais curieux de nature 🤭, j’ai tout de suite regardé la composition du conseil scientifique, au-delà de Ph. Aghion, catalogué ‘macroniste’. Et là surprise : certains noms se sont évaporés après la polémique ! Donc je ne les citerai pas, notamment entre autres une universitaire médiatique … qui dénonce en permanence E. Macron sur son « ultra-libéralisme ».
Heureusement il reste une représentante de la ‘gauche’ : il s’agit d’Agathe Cagé, ancienne directrice adjointe du cabinet de la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, directrice de campagne du candidat à la présidentielle Benoit Hamon en 2017. Seules les imbéciles ne changent pas d’avis. Pourtant encore en février 2023 elle dénonçait dans Le Monde, et dans le verbiage inimitable des technos, le fait que « la grande faiblesse de l’idéologie des ‘premiers de cordée’ portée par Emmanuel Macron ne réside pas seulement dans son inefficience économique ; elle repose également sur le fait qu’elle ignore que les classes figées ne sont pas dans l’attente d’un ruissellement mais dans celle de l’occasion de retrouver leur liberté de décision et de mouvement. »
Augmenter un peu les frais d’inscription minimes dans les universités ? Accepter la sélection ah non ! C’est bon pour nous les ‘insiders » et nos familles, nous qui allons ailleurs qu’à l’Université. Le projet à 10 000 euros l’année, des ‘premiers de cordée de gauche’ sans doute ?
Au fond, au-delà du cas Agathe Cagé, et je le signale régulièrement sur ce blog, je suis atterré par le double discours de la gauche, en tout cas d’une partie d’entre elle : cela me rappelle trop les puritains anglo-saxons pris en permanence la main dans le sac de leurs propres turpidudes …
Voilà une vigoureuse analyse de l’actualité de l’ESR, cher Jean Michel, après les deux posts consacrés au rapport Gillet, dont je partage largement (pas tout!) le contenu mais qui, il faut bien le reconnaître, est vraiment destiné aux spécialistes. Je doute fort que beaucoup de politiques aient compris ce dont il s’agissait, compte tenu de leur inculture quasi absolue sur le sujet. La ministre au contraire connaît à fond le sujet, et a sans aucune doute bien compris le message, On verra ce qu’elle pourra en faire face aux politiques professionnels.
Concernant les étudiants étrangers, il y a un vrai risque d’instrumentalisation, qui serait dramatique pour notre pays dont l’influence serait encore réduite sur la scène universitaire internationale et donc à terme sur la scène internationale tout court. Mais force est de constater aussi que certaines universités et certaines écoles se préoccupent d’accueillir des étrangers surtout pour maintenir à flot des effectifs fléchissant ou, simplement pour générer des ressources propres à bon compte. Cela ne donne pas des arguments très forts pour disjoindre les questions d’immigration et celles de l’ouverture aux étudiants internationaux. Bref on en revient au vieux problème de la sélection des étudiants à l’entrée du supérieur.
Quant au Bachelor Canto Sperber, je laisse de côté l’hypocrisie d’une certaine gauche (mais aussi d’une certaine droite…) qui, pour sa progéniture est en faveur de tout ce qu’elle dénonce publiquement, sélection et droits d’inscription notamment, et contribue ainsi à accélérer l’accroissement des effectifs dans le privé, dont elle s’offusque hypocritement. En fait je prends toute cette agitation autour des bachelors comme une nième manifestation éclatante de la faillite du service public au niveau des premiers cycles universitaires. L’affaire n’est pas nouvelle, et à force de ne rien faire les étudiants et leurs familles, et maintenant les collègues, finissent par voter avec leurs pieds, et désertent lorsqu’ils le peuvent les premiers cycles universitaires publics. A noter tout de même les excellentes tentatives de sauver le navire premier cycle que sont les doubles licences ou encore les collèges de droit comme celui d’Assas.
Pour ma part je ne critique absolument pas l’initiative de Monique Canto Sperber : à force de ne rien faire pour vraiment réformer le service public, L’État voit fleurir autour de ce service public des initiatives qui tentent parfois d’innover et de sauver les meubles. On ne peut en faire le reproche qu’à L’État lui-même.