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Le monde de la recherche a une curieuse tendance à se noyer dans des débats internes certes importants, mais qui perdent de vue l’essentiel : sans financements à la hauteur, la discussion sur les statuts reste virtuelle. C’est ce que vient rappeler une note du SIES-MESRI qui pointe une tendance inquiétante montrant que l’objectif de 3% du PIB s’éloigne : le décalage entre la croissance du PIB et celle des dépenses de recherche s’accroît. Et la faiblesse globale de la R&D des entreprises françaises reste un handicap majeur.

Drôle de débat parfois que celui du financement de la recherche autour de la future loi : les tribunes se succèdent sur le CNU, l’évaluation, les statuts etc. Mais l’objectif réaffirmé d’aller (un jour…) vers les 3% de PIB est peu questionné, sinon autour de la part des financements sur projets.

Une note d’information pas rassurante du SIES-MESRI souligne que l’effort de recherche de la nation, mesuré en rapportant la DIRD au produit intérieur brut (PIB), s’élève à 2,21 % en 2017 et pourrait légèrement diminuer en 2018 pour atteindre 2,20 %. Car la DIRD augmente moins rapidement que le PIB…même si en volume elle progresse.

La note estime avec optimisme que « depuis 2010, ce sont les entreprises qui portent la progression des dépenses de R&D en France ». Mais avec 65% de la DIRD, les entreprises françaises sont à la traîne, derrière les USA, le Japon, l’Allemagne, la Corée du Sud et le Royaume-Uni !

Car, et on l’oublie trop souvent, l’essentiel de la DIRD, ce sont les entreprises ! Cette dépense intérieure de recherche-développement (DIRD) est, rappelons-le, globalement composée de 2 parts : celle de la recherche publique et celle des entreprises.

Or sur l’objectif de 3%, la part devrait être de 0,76% pour les administrations (en 2018) et de 1,44% pour les entreprises. Or, imaginons que la France rejoigne l’Allemagne pour la recherche publique avec 1% (mais je rêve peut-être ?) : cela supposerait que la DIRD des entreprises passe à 2% ?…

Ce passage nécessiterait donc une interaction avec la recherche publique d’une autre ampleur qu’aujourd’hui : si les entreprises confient 3,6% de leurs travaux de sous- traitance à des administrations françaises, cela ne représente que 206 M€ pour les labos des universités et écoles ?. Sans parler de la place marginale des docteurs dans la R&D.

La priorité accordée d’abord à la recherche fondamentale est essentielle, comme l’a brillamment montré Jean-Pierre Bourguignon. Mais justement, comme dans tous les pays développés, l’interaction recherche publique-recherche privée fait la différence.

Continuer de subventionner la R&D privée ?

La question de la conditionnalité du CIR (6,1 milliards d’€) ne pourra pas dans ces conditions être longtemps encore tenue pour une élucubration gauchiste.

Le constat de Bruno Le Maire en octobre dernier (La France n’est pas « une économie de la rupture technologique. Nous suivons les innovations américaines ou chinoises plutôt que de montrer la voie ») est l’occasion de mesurer l’écart entre le bruit médiatique autour de l’innovation et la réalité : le bilan est très décevant malgré les coups de clairon sur les start-up. Vu les moyens publics alloués à l’innovation, on peut même parler d’un grave échec.

C’est d’ailleurs ce qu’ont pointé en moins de 2 ans un ensemble de rapports officiels dont la lecture apporte un diagnostic convergent. Le dernier en date, celui du groupe de travail préparatoire à la loi de programmation pluriannuelle de recherche faisait 2 constats très sévères :

  • Rapporté aux moyens publics engagés, le système d’innovation français est peu efficace.
  • Notre pays ne dispose pas d’une stratégie d’innovation pour faire face aux grands défis sociétaux.

La France est l’un des pays de l’OCDE où le financement public de la R&D privée est le plus élevé (0,42 point de PIB en 2015)… mais où le financement public de la recherche publique est le plus faible (0,76% contre 1% en Allemagne).

Les 5 raisons majeures de cet échec

Comment alors expliquer cette mauvaise performance du système d’innovation français ?

  • Une vision erronée de l’innovation. Le soutien à l’innovation a le plus souvent cherché à accompagner la montée en gamme des produits ou des services en visant d’abord l’amélioration d’une offre existante. Or les défis sont à chercher du côté de l’intelligence artificielle bien sûr, mais aussi et surtout du côté de l’énergie, des mobilités, de l’agriculture, de la medtech et la biotech, des nanotechnologies,  de la robotique etc., ce qui suppose de s’appuyer sur les universités et la recherche.
  • Ces stratégies d’innovation sont coupées de la recherche avec comme conséquence des financements mal ciblés. Les difficultés de financement des deep tech sont récurrentes, même si la BPI essaie bien tardivement de corriger le tir avec son plan Deeptech.
  • L’aversion au risque liée à la culture de la technostructure française, publique et privée, génère des systèmes trop directifs alors que par nature, l’innovation est imprévisible.
  • Les compétences à la fois financières, scientifiques et technologiques nécessaires pour évaluer la qualité des projets sont peu développées en France, l’élite technocratique étant issue des écoles d’administration, de commerce ou d’ingénieurs, mais pas formée à la recherche avec un doctorat.
  • Enfin, l’organisation de l’innovation est kafkaïenne avec une inflation des dispositifs (19 incitations fiscales coexistent et depuis 2006, on est passés de 17 dispositifs d’innovation engageant des crédits à 74 en 2017, soit une croissance de 335 %).
  • Une inflation des structures.

En résumé, la faible acculturation des élites publiques et privées à la recherche a conduit notre pays dans une forme d’impasse, malgré les milliards déversés. C’est ce que montre ce quasi lapsus à propos du « quantique » avec cette négation dans le titre du rapport « Quantique : le virage technologique que la France ne ratera pas ». Un énième plan, qui bien sûr ne sera pas évalué et surtout comme d’habitude qui échappera au MESRI pour être de facto piloté à Bercy.

Partout dans le monde, plus que les dispositifs et incitations, c’est l’existence d’une recherche et d’universités puissantes et autonomes qui permet l’innovation : le capital humain est essentiel.

One Response to “PIB et financement de la recherche : une tendance inquiétante”

  1. Comme très souvent, je ne peux que marquer mon très large accord avec l’analyse de Jean Michel Catin.
    Je me permets de rappeler qu’en janvier 2007 était rendu public un rapport conjoint de l’IGF et de l’IGAENR, dit « rapport Cytermann-Guillaume », dans lequel nombre des faiblesses de l’innovation en France étaient parfaitement analysées, et avec les propositions duquel on ne pouvait qu’être d’accord, propositions naturellement jamais appliquées. Rappelons qu’Emmanuel Macron figurait parmi les inspecteurs des finances rédacteurs du rapport. Notre président connait bien le sujet ! Pour une version plus light de ce rapport on peut également aller voir un papier signé par Henri Guillaume et Emmanuel Macron et paru en décembre 2007 dans Esprit. Cette version est particulièrement intéressante. Je cite l’intitulé d’un paragraphe de cet article : « L’augmentation des crédits publics, pour la recherche, est une facilité », ce qui est une conclusion logique du constat que font les auteurs de la faiblesse du financement de la recherche privée en France. Un point commun à ces rapports et papiers, aucune ou quasiment aucune réforme de structure d’envergure n’y est envisagée en ce qui concerne l’organisation générale du paysage ESRI français. Reconnaître que « Partout dans le monde, plus que les dispositifs et incitations, c’est l’existence d’une recherche et d’universités puissantes et autonomes qui permet l’innovation… » n’est toujours pas d’actualité dans notre beau pays…

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