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Alors que les débats et polémiques autour de la LPPR s’exacerbent, une mesure passée relativement inaperçue vise à modifier le fonctionnement du système. Pour la première fois, 7 recteurs « délégués » à l’ESRI vont avoir à traiter de l’enseignement supérieur mais aussi de la recherche et de l’innovation. Doit-on y voir une façon pragmatique de résoudre le dialogue entre l’Etat et ses opérateurs ? Ou au contraire y voir un condensé du refus français de l’autonomie de ses universités ?

Évacuons d’abord une question : il ne s’agit pas d’interroger en soi la qualité des personnes nommées 1 Ce seront Gabriele Fioni en Auvergne-Rhône-Alpes, Fabienne Blaise en Grand Est, Marie-Élisabeth Borredon en Hauts-de-France, Simone Bonnafous en Île-de-France, Claudio Galderisi en Nouvelle-Aquitaine, Philippe Dulbecco en Provence-Alpes-Côte d’Azur, Khaled Bouabdallah en Occitanie. mais d’analyser cette fonction nouvelle de recteurs délégués à l’ESRI. On peut souligner cependant que la difficulté et le retard pris à « bâtir » ce ‘casting’ illustrent aussi la faiblesse de la gestion des ressources humaines des « hauts potentiels » au sein de l’Etat… Ajoutons que certain(e)s nommé(e)s devront composer avec leur méconnaissance du fonctionnement de l’enseignement supérieur ou de la recherche et de l’innovation, mais aussi la taille de leur région, puisque la recherche et l’innovation sont incluses…

L’émergence d’une idée

Comment est née cette idée de créer des recteurs délégués à l’ESRI ? Un retour historique (récent) permet de comprendre les enjeux affichés mais aussi ceux sous-jacents.

Lorsque Valérie Pécresse était ministre, cette interrogation sur le maillon manquant entre l’Etat et ses opérateurs de l’enseignement supérieur a été crescendo. Les conséquences de la LRU, la lente acculturation des établissements à l’autonomie, notamment financière, et bien sûr les craintes et réticences de Bercy (où va l’argent ??) généraient un constat : les recteurs (peu de rectrices à l’époque !) étaient accaparés par l’enseignement primaire et secondaire et n’assumaient pas en réalité leur rôle de « chancelier des universités » 2Rappelons qu’en Île-de-France il existe depuis des années un vice-chancelier en charge notamment de la régulation des inscriptions. Mais pas de la recherche..

De multiples rapports, notamment de la Cour des comptes, ont documenté la faiblesse du contrôle de légalité des rectorats, peu outillés en quantité et en qualité. Mais politiquement, la volonté de laisser les universités tracer leur chemin l’a emporté, d’autant que l’Igaenr a joué un rôle essentiel (et rassurant) dans leur accompagnement après 2007. Et la certification des comptes a semblé une solution raisonnable face à Bercy.

La solution avortée des Comue

La loi Fioraso va traiter le problème d’une autre manière. Une des raisons de la création des Comue, trop souvent ignorée, a été qu’il fallait un interlocuteur par site, voire par académie pour déléguer à ce dernier les budgets. L’administration centrale n’étant pas en capacité de gérer plus de 80 établissements autonomes et 250 écoles, les contrats de site ainsi simplifiés en nombre auraient permis à la Dgesip de piloter le système avec une contractualisation « stratégique », appuyée sur une coordination calendaire avec le Hceres.

Dans ce raisonnement, avec des Comue auxquelles on aurait délégué une enveloppe globale, dans le cadre d’une politique de site, le tour était joué… Malheureusement (ou heureusement), ce scénario n’avait pas prévu, d’une part que les établissements ne voulaient pas de regroupements forcés, surtout à l’échelle d’une académie, et d’autre part que faute d’argent à distribuer réellement (hors fléchage), cela ferait un flop !

Le retour de cette vieille idée

Changement de politique avec F. Vidal avec l’ordonnance de 2018 sur les expérimentations : les établissements ont en théorie la main sur leur stratégie de site. Mais au MESRI, on cherche toujours ce chaînon manquant, dans le contexte de la création de supers régions académiques et de Parcoursup, et de la future LPPR.

La crise autour des frais d’inscription des étudiants étrangers extracommunautaires va en quelque sorte accélérer les choses : les universités et leurs présidents n’apparaissent « pas fiables » 3L’épisode des frais d’inscription différenciés a laissé des traces, le gouvernement estimant avoir été trahi par les présidents d’université..

A partir de cette défiance, le MESRI « légitime » son projet autour d’une confiance à reconstruire avec un « interlocuteur privilégié des universités, des écoles et des organismes de recherche sur le territoire », maîtrisant les sujets, réunissant les compétences de la direction de l’enseignement supérieur mais aussi de la recherche et de l’innovation, les DRRT.

Ainsi, dans cette optique, la Dgesip surtout, un peu la Dgri, seraient soulagées d’une mission impossible : gérer centralement le système.

Des questions nombreuses

Ce schéma « idéal » soulève cependant de nombreuses questions. Mes lecteurs en auront évidemment plein d’autres !

D’abord concrètes sur le court terme :

L’aspect humain. Il est non négligeable, puisque les nommés devront faire preuve de qualités diplomatiques et politiques évidentes : ainsi, les contextes difficiles de Lyon ou de Toulouse ne relèvent pas de la même approche que ceux de Bordeaux ou de PACA.

La confiance qu’ils ou elles inspireront est à double tranchant : trop proches des établissements, soupçons sur leur fiabilité au MESRI, trop durs, conflit larvé avec des communautés jalouses de leur indépendance. Seront-ils des médiateurs, des « agents doubles » ou des préfets déguisés ?

L’aspect technique. La plupart des rectorats ne sont pas « outillés » pour gérer le fameux « dialogue stratégique de gestion ». Et certain recteurs délégués devront apprendre, sans pouvoir s’appuyer sur des équipes ultra professionnelles, à gérer la complexité. Avec face à eux, des présidents d’universités certes nouveaux parfois, mais des service rodés.

Ensuite plus directement politiques :

Un positionnement compliqué. Ils vont d’abord faire face à des présidents élus, dans des établissements très divers. Comment par exemple vont-ils appréhender les politiques scientifiques (pas seulement pour les Idex et Isite) et leurs conséquences ?

Et quelle attitude adopter vis-à-vis des organismes nationaux, alors que leurs représentants en région souffrent d’un manque de légitimité (en particulier pour le CNRS) ? Et que dire de leur rôle avec des collectivités habitués au dialogue direct avec les établissements ? Bref, les recteurs délégués vont devoir trouver leur place. Ou faire des inaugurations ?.

Et si d’aventure, comme dans les pays développés, l’évaluation des établissements devenait relativement prescriptive autour d’indicateurs-clés, quel serait leur rôle ?

Les moins : les résistances. Il y aura à l’évidence celles de certains recteurs, de région académique ou pas. Les échos m’en reviennent déjà, ce qui n’est pas étonnant, connaissant de près la façon dont les recteurs sont pilotés (et nommés…) depuis des années. Mais il y aura surtout celle des acteurs locaux, notamment des universitaires.

Quant aux organismes de recherche, leur fonctionnement est par nature au-delà des frontières d’un rectorat : on les voit mal faire un ménage à 3 avec les universités et le rectorat…

Il va donc être intéressant d’observer la mise en place de ce nouveau système qui n’avait pas suscité l’enthousiasme des présidents d’université, c’est un euphémisme. Et la présence de « chers collègues » n’interdira pas les questionnements 4De ce point de vue, on ne peut que souhaiter que bonne chance en PACA à Philippe Dulbecco, coauteur d’un rapport non-public de l’IGF/IGAENR estimant que « les universités sont à ce jour globalement correctement dotées par le budget de l’État pour couvrir leur masse salariale au regard de la situation des finances publiques »..

Les plus : les soutiens. Évidemment, des acteurs locaux, qui sont persuadés que la politique du guichet perdure 5Pour celles et ceux qui l’ignorent, c’est cette particularité française qui veut que hanter les couloirs d’un ministère, en l’occurrence le MESRI, permet des effets d’aubaine, voire pire ou mieux selon…, vont tenter de faire de ces recteurs des alliés.

Plus positif quand même, sur certains sites, le rôle de « médiateur » pour apaiser les tensions est sans doute une option réaliste, mais de toutes les façons avec une date de péremption si ça marche !

Autonomie ou déconcentration ?

Il faut le rappeler : l’organisation française de l’ESRI est unique par rapport aux pays comparables. La raison profonde est une défiance ancienne et permanente vis-à-vis d’universités censées être mal gérées et paralysées par les luttes d’influence en raison d’une gouvernance faible.

Cette V2 de l’autonomie entend redonner la main à un Etat déficient dans la relation avec ses opérateurs. Même si le discours officiel est bienveillant autour d’un nouveau « facilitateur », l’objectif n’est pas (et on le verra avec la LPPR) de leur donner plus d’autonomie dans le cadre d’une clarification des objectifs fixés par l’Etat et d’une évaluation ex post. Il s’agit plutôt de déconcentrer le processus de décision et de contrôle qui revient à l’Etat.

Le discours de F. Vidal devant les présidents d’université lors de leur colloque annuel 2019 à Vannes avait montré une grande différence d’approche avec celui, 2 heures plus tard, de V. Pécresse. D’un côté l’annonce d’une V2 de l’autonomie, dont la mesure principale était l’instauration de ces recteurs délégués à l’ESRI. De l’autre, la ministre de la LRU qui préconisait de prendre le risque, comme pour les enfants auxquels on enlève les roulettes du vélo, que les universités tombent parfois.

L’histoire montre en tout cas qu’aucun « pouvoir » n’a jamais réussi durablement à imposer ses vues aux universités, autrement que par la pression financière (et encore !). Or, les recteurs délégués à l’ESRI devront piloter un dialogue stratégique de gestion sans moyens significatifs, et sans remise à plat du modèle d’allocation des moyens qui mécontente tout le monde (bien que personne ne s’aventure à y toucher).

Quelle sera donc l’autorité réelle de ces recteurs, qui ne seront pas que les « facilitateurs » qu’étaient supposés être les conseillers d’établissement 6 Ces derniers, en général d’anciens présidents d’université, faisaient le lien entre les direction du ministère et les établissements, mais sans autorité hiérarchique.?

Quel sera leur « pouvoir » réel en matière de recherche et d’innovation, entre les organismes, l’ANR, le PIA et bien sûr les labos et les universités et écoles ?

Cela débouchera-t-il sur une nouvelle couche du millefeuille ? Ou une fluidité améliorée au profit de l’ESRI ?

Références

Références
1 Ce seront Gabriele Fioni en Auvergne-Rhône-Alpes, Fabienne Blaise en Grand Est, Marie-Élisabeth Borredon en Hauts-de-France, Simone Bonnafous en Île-de-France, Claudio Galderisi en Nouvelle-Aquitaine, Philippe Dulbecco en Provence-Alpes-Côte d’Azur, Khaled Bouabdallah en Occitanie.
2 Rappelons qu’en Île-de-France il existe depuis des années un vice-chancelier en charge notamment de la régulation des inscriptions. Mais pas de la recherche.
3 L’épisode des frais d’inscription différenciés a laissé des traces, le gouvernement estimant avoir été trahi par les présidents d’université.
4 De ce point de vue, on ne peut que souhaiter que bonne chance en PACA à Philippe Dulbecco, coauteur d’un rapport non-public de l’IGF/IGAENR estimant que « les universités sont à ce jour globalement correctement dotées par le budget de l’État pour couvrir leur masse salariale au regard de la situation des finances publiques ».
5 Pour celles et ceux qui l’ignorent, c’est cette particularité française qui veut que hanter les couloirs d’un ministère, en l’occurrence le MESRI, permet des effets d’aubaine, voire pire ou mieux selon…
6 Ces derniers, en général d’anciens présidents d’université, faisaient le lien entre les direction du ministère et les établissements, mais sans autorité hiérarchique.

One Response to “Recteurs ESRI : la déconcentration plutôt que l’autonomie ?”

  1. Oui,il sera intéressant de suivre l’évolution de cette institution, dont la nécessité n’est pas évidente, c’est le moins que l’on puisse dire! A mon sens, elle peut évoluer de façon très différente, y compris d’une région à l’autre.N’oublions pas l’Histoire des recteurs: ils sont institués présidents du conseil de l’université lors de leur création en 1896, avec pour objectif d’interdire toute velléïté d’autonomie. Mais peu à peu, ils sont devenus les porte-drapeaux de leur communauté universitaire, jusqu’à la reprise en mains de 1967 où le général de Gaulle et Alain Peyrefitte mettent fin aux « recteurs-inamovibles ». On peut penser que dans tel cas le recteur délégué devienne le fédérateur, le porte-parole de ses troupes, dans tel autre le béni-oui-oui du ministre ou encore devienne un corps inutile, étranger, face à de puissantes universités ou face à un recteur de région un peu jaloux…

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