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Les opposants à la LPPR, quand ils ne dénoncent pas les travers d’une loi pas encore connue, réclament des postes de chercheurs et la “déprécarisation” pour les docteurs notamment. C’est “politiquement correct” mais malheureusement ces bons sentiments et ces indignations font curieusement l’impasse sur 2 situations bien plus choquantes : celle du personnel de soutien et les débouchés dans le secteur non-académique pour les PhD. Cette vision endogame pourrait tuer à petits feux le monde académique français.

Passons sur les dérives que l’on peut observer sur les réseaux sociaux, laissant la supposée rationalité des académiques au rang de vieillerie. Passons aussi sur l’ignorance parfois incroyable des chiffres ou des règles en vigueur à propos des polémiques sur la LPPR. Je l’ai déjà écrit mais le misérabilisme ambiant chez certains chercheurs dessert la cause qu’ils prétendent servir : conseillons leur de lire l’étude de l’université Paris Saclay sur le devenir de ses docteurs. (voir infra).

Que l’ESR soit sous financé, c’est une évidence, bien documentée et qui fait consensus ! Il manque pour la recherche publique 0,2% de point de PIB pour être au niveau de l’Allemagne. Mais justement, que l’ESR ait besoin de postes de chercheurs, ça se discute. Pourquoi ? Parce que la priorité (et c’est à mon sens l’erreur originelle du projet gouvernemental) ce sont les universités, indissociables de la recherche 1Avec 1,5 % du PIB consacré en 2014 à l’enseignement supérieur, la France est dans la moyenne des pays de l’OCDE (1,5 %), devant l’Espagne (1,3%), ou l’Allemagne (1,2 %) mais distancée par le Royaume-Uni (1,8 %), la Finlande (1,8 %) et les Pays-Bas (1,7 %). Mais alors que pour l’ensemble des pays de l’OCDE, la dépense moyenne par étudiant progresse de 11 % entre 2010 et 2015, en France, sur la même période, elle baisse de 3%..

La question du nombre de postes

Les faiblesses françaises sont en effet essentiellement ce que l’on appelle “l’environnement de la recherche” : son organisation complexe, des matériels et des locaux parfois peu adaptés, des personnels de soutien et d’administration en qualité et en nombre insuffisant, des procédures chronophages. Or l’essentiel de cette recherche se fait dans les universités.

Prenons un exemple, celui de la séparation entre celles et ceux qui enseignent et font de la recherche, et celles et ceux qui sont censés ne faire que de la recherche : c’est non seulement une perte colossale en termes budgétaires (unique au monde, vu les chiffres en cause) mais surtout une perte énorme en termes d’efficience.

Pourtant, les grands pourfendeurs des inégalités, les “défenseurs” des étudiants ne réclament absolument pas la fin de cette grande injustice (si l’on suit leurs raisonnements). Car en quoi cette inégalité statutaire est-elle plus progressiste ou acceptable que celle qu’ils dénoncent à propose de la « tenure track » ? Moins d’heures de cours mais réparties sur l’ensemble des chercheurs, voilà une mesure qui nous éloignerait des canons du “diabolique libéralisme” ? ! Au plus grand bénéfice de la recherche.

Les pétitionnaires divers et variés proposent-ils d’ailleurs de s’attaquer réellement à la question de la qualité de l’enseignement en transférant aux universités le soin de recruter AUSSI sur ce critère ? Non il s’agit avant tout de réclamer des postes et la “déprécarisation”. Comment le processus actuel de qualification peut-il sérieusement prendre en compte l’aptitude à l’enseignement ?

Tout connaisseur un tant soit peu honnête du système le sait : il y a des filières croulant sous les effectifs, d’autres avec des enseignants-chercheurs en sous service, tandis que les heures complémentaires sont aussi une demande d’une partie de la communauté académique. Quant aux chercheurs, seulement (selon le CNRS) l’équivalent de 1 000 ETP assure des enseignements. Pour ce qui concerne l’allocation des moyens entre établissements et filières elle n’est ni liée aux charges réelles, ni à une quelconque performance 2« Les coûts moyens par étudiant varient en 2017, de 10 330 euros par an pour un étudiant d’université à 14 210 euros pour un étudiant de STS et 15 760 euros pour un élève de CPGE. La dépense par étudiant en université reste inférieure à celles des autres formations bien qu’elle ait connu la croissance la plus forte depuis 1992 (+ 37,7 %, contre + 19,3 % pour les STS et + 8,7 % pour les CPGE). Source : État de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en France 2019, « la dépense d’éducation pour l’enseignement supérieur ».

Ces questions méritent donc un regard beaucoup plus nuancé que des slogans binaires : geler des postes d’enseignants-chercheurs passe évidemment moins inaperçu que le gel des postes Biatss…

Recruter des Biatss est-ce dégradant ?

C’est pourquoi je voudrais m’arrêter sur ce tabou qui décrédibilise beaucoup de discours « pseudo-radicaux ». Leur grande impasse reste la question de ces personnels Biatss 3Remarquons d’ailleurs que personne n’ose réclamer la fin des inégalités dans l’ESR entre ceux qui sont à 1607 heures annuelles et les autres… Par ailleurs, le respect des 1607 heures ne comblera pas le différentiel de moyens avec les universités du monde entier. et ITA. Comparés aux systèmes étrangers la faiblesse française est là. Elle explique aussi, en plus des faibles taux de sélection de l’ANR, le rejet de procédures considérées comme chronophages, voire bureaucratiques 4Le ratio personnel de soutien par chercheur est dans les universités de 0,48, très loin des standards français et internationaux. Dans les organismes de recherche il est de 0,85. Source : Etat de l’emploi scientifique 2018.

Il faut le clamer haut et fort : c’est ce manque de personnels qualifiés, indispensables pour une recherche (et un enseignement) de qualité, qui est le sujet majeur. Surtout dans les universités. Mais quand a -t-on vu une manifestation, une pétition de chercheurs, surtout de gauche, demandant que cela soit la priorité ? Non le conservatisme, c’est de demander des postes de chercheurs, sans doute plus nobles ?. Et ne pas s’interroger sur le temps qui pourrait être dégagé pour l’enseignement et la recherche.

C’est pourquoi j’ai souri (jaune) lorsque j’ai lu dans un article du Monde qu’un maître de conférences en cinéma à Sorbonne-Nouvelle prônait une “rétention des notes ” des étudiants. Comme si les services administratifs des établissements ne passaient pas déjà trop souvent leur temps à courir après les enseignants-chercheurs pour les récupérer ?… La duplicité n’a pas de limite !

Précarité des docteurs : un débat biaisé

Autre exemple, la “précarité” des docteurs. Comment peut-on réclamer sans cesse la fin de cette précarité sans s’interroger sur leur place dans la société ? Qui peut croire sérieusement que le secteur académique peut embaucher l’ensemble des docteurs ? D’ailleurs le CNU lui-même est malthusien !

Il y a en réalité une alliance objective entre un capitalisme français globalement rétif à l’innovation, formé dans la rente des grands corps, et des corporations académiques élevées dans l’ignorance du monde réel. Car il y a une curieuse convergence des arguments : voilà que les contempteurs de la LPPR réclament comme seul débouché des PhD le secteur académique, tandis que les dirigeants des grandes entreprises françaises (mais aussi de l’Etat) les ‘snobent’ !

L’ignorance est telle qu’elle “plombe” le sujet légitime de la précarité en y mélangeant les contrats des doctorants ou encore les vacations des “extérieurs” indispensables en particulier dans certaines filières (IUT notamment).

Or, l’autre enjeu du doctorat c’est le secteur privé ou non académique. Si le secteur académique est le premier employeur des docteurs (49 % y exercent leur métier, encore que Cf. Saclay), la R&D en entreprise emploie 16 % d’entre eux tandis que 35 % trouvent un emploi en dehors du secteur académique et de la recherche.

Une formidable duplicité

Les signataires des pétitions qui se multiplient interpellent-ils, par exemple, les responsables des collectivités territoriales ? Demandent-ils que l’on embauche des PhD au sein des établissements d’ESR pour des fonctions pointues de soutien (gestion des appels à projet par exemple) ? Plaident-ils pour que l’on admette, comme dans les autres pays, qu’un PhD en littérature ou en histoire puisse occuper dans une entreprise des fonctions de management (quelle horreur !), de conseil, de communication etc. ? Non bien sûr.

Cela suppose évidemment de s’interroger sur le contenu des thèses, le localisme, le rôle des directeurs de thèse pour qui le doctorant est parfois, voire souvent, un outil de valorisation de sa propre carrière. Les écoles doctorales sont de ce point de vue un immense progrès. Plutôt que les diatribes, il faut lire le message positif de l’enquête de l’université Paris Saclay sur le devenir de ses PhD (voir infra).

Ne pas être dupe … de la duplicité !

Dans ces débats sur la LPPR à venir, ce qui me choque donc le plus, c’est ce double discours permanent : on met en avant l’intérêt général mais on fait tout pour protéger des intérêts particuliers. Les tenants de la dénonciation de “l’ultralibéralisme” le pratiquent à merveille quand il s’agit des leurs.

On s’oppose à toute hausse des frais d’inscription mais on oublie “malencontreusement” les 40% de boursiers…On est contre la sélection, mais pas dans sa filière évidemment. On défend “courageusement” l’université mais on recommande à ses enfants les CPGE, écoles etc. Ou encore on dénonce les appels à projet mais on veille à être les premiers à soumettre.

Quant à la défense du statut, elle est à géométrie variable : a-t-on entendu quelqu’un demander la remise en cause du statut privé des chercheurs des EPIC comme ceux du CEA ou du Cirad ? Valérie Masson-Delmotte du CEA fait-elle d’ailleurs une moins bonne recherche ?

Les chercheurs/euses doivent donc balayer devant leur porte. Une partie d’entre eux a une forme de haine de soi, et, il faut le dire, vit parfois dans un autre monde.

Je voudrais pour terminer, citer Michel Lussault, ancien président d’université, géographe à l’ENS Lyon et directeur de l’École urbaine de Lyon. Il n’est pas suspect de “macronisme” et jugeait récemment sur twitter que “de longue date ni l’Etat ni la société n’ont apprécié et soutenu l’université. Les ‘élites’ préfèrent les écoles, les pouvoirs publics les organismes de recherche.” Mais lucide, il ajoutait : “les universitaires eux-mêmes sont prompts à dévaloriser leur établissement.”

A force de s’épuiser et de ses dénigrer dans des polémiques internes, on peut craindre que le monde académique n’accentue le décrochage français.


La passionnante enquête de l’université Paris Saclay

En voici quelques extraits :

Méthodologie. L’enquête a été réalisée entre Janvier et Mai 2019 auprès des 1524 docteurs qui ont soutenu leurs thèses en 2015 et en 2017, interrogés sur leur situation professionnelle au 1er décembre 2018 et sur leurs parcours depuis et avant la soutenance.

Un taux de réponse exceptionnel. 74% en 2019 contre 72% en 2018.

Des tendances fortes.

  • 2/3 des docteurs (66%) ont une activité́ de recherche (33% dans l’enseignement supérieur et de la recherche, 33% dans la R&D).
  • Près de 50% travaillent pour le secteur public, 40% en entreprise.
  • Une bonne insertion mais variable selon les disciplines: dans le secteur des sciences de la vie et de la santé, 58% ont été en situation de chômage moins de 3 mois et 12% pendant plus de 12 mois. Ces taux sont respectivement de 64% (<3 mois) et 7,5% (>12 mois) dans le secteur sciences et ingénierie, et de 60% (<3 mois) et 15,2% (>12 mois) dans le secteur sciences de la société et humanités.

L’importance de l’effet réseau. Un résultat “très instructif” de cette enquête est la voie par laquelle les docteurs ont trouvé leur emploi. Plus d’un quart des docteurs ont trouvé leur emploi par l’intermédiaire des réseaux professionnels.

Références

Références
1 Avec 1,5 % du PIB consacré en 2014 à l’enseignement supérieur, la France est dans la moyenne des pays de l’OCDE (1,5 %), devant l’Espagne (1,3%), ou l’Allemagne (1,2 %) mais distancée par le Royaume-Uni (1,8 %), la Finlande (1,8 %) et les Pays-Bas (1,7 %). Mais alors que pour l’ensemble des pays de l’OCDE, la dépense moyenne par étudiant progresse de 11 % entre 2010 et 2015, en France, sur la même période, elle baisse de 3%.
2 « Les coûts moyens par étudiant varient en 2017, de 10 330 euros par an pour un étudiant d’université à 14 210 euros pour un étudiant de STS et 15 760 euros pour un élève de CPGE. La dépense par étudiant en université reste inférieure à celles des autres formations bien qu’elle ait connu la croissance la plus forte depuis 1992 (+ 37,7 %, contre + 19,3 % pour les STS et + 8,7 % pour les CPGE). Source : État de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en France 2019, « la dépense d’éducation pour l’enseignement supérieur »
3 Remarquons d’ailleurs que personne n’ose réclamer la fin des inégalités dans l’ESR entre ceux qui sont à 1607 heures annuelles et les autres… Par ailleurs, le respect des 1607 heures ne comblera pas le différentiel de moyens avec les universités du monde entier.
4 Le ratio personnel de soutien par chercheur est dans les universités de 0,48, très loin des standards français et internationaux. Dans les organismes de recherche il est de 0,85. Source : Etat de l’emploi scientifique 2018.

One Response to “LPPR : la vision endogame de la précarité et des postes”

  1. Merci, Jean-Michel, pour ce texte.
    Dans la même genre, on refuse l’évaluation par les pairs dans le cadre du Hcéres (répartition des moyens), mais on l’accepte dans le cadre du CNU. Pourquoi ?
    De même, la revendication sur les 192 heures peut sembler étonnante au sein d’une corporation qui 1/ ne compte pas ses heures et dépasse allègrement les 35 h de référence car sa manière d’être ne correspond pas à un décompte de type usinier ; 2/ représente un chiffre trop lourd qui demande a être baissé. Pensez un service dans sa globalité, sur la base de missions qui ne se limitent pas à la formation et à la recherche, serait plus conforme à la réalité d’aujourd’hui.
    Sur le CNU, nul n’ose s’exprimer. On est dans le sacré.
    A quand une discussion autour de la gouvernance des universités ?

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