Quel que soit le choix du périmètre de gestion de l’enseignement supérieur et de la recherche, quelle que soit la hiérarchie du poste (secrétariat d’État, ministère de plein exercice, ministère de plein exercice réunissant supérieur et recherche), quel que soit le choix de la personne (important comme l’a montré le mandat de F. Vidal), la priorité devrait être de mettre au centre la formation et les étudiants. Tous les chiffres le montrent : il y a une corrélation forte entre la dépense par étudiant et la performance d’un système de recherche. Ça devrait faire consensus non ?
Si l’on observe un tant soit peu le contexte récent du secteur, il est marqué par la succession de rapports qui soulignent la nécessité de réinvestir dans les universités. C’est nouveau, et n’est plus l’apanage de quelques voix isolées : c’est désormais relayé de façon institutionnelle (Cour des comptes, CAE, et bien sûr France Universités). On peut espérer, que comme les inégalités de genre, ceci infuse dans l’opinion publique, et évidemment chez les politiques.
Ce quinquennat a en effet été marqué par une erreur stratégique (je l’avais écris dès l’origine), celle d’avoir conçu une loi de programmation sur la recherche en la déconnectant de l’enseignement supérieur et des universités. Cette erreur est revenue ainsi comme un boomerang à la figure de l’exécutif, contraint comme l’a montré le discours d’E. Macron lors des 50 ans de la CPU (devenue France Universités) d’amorcer un virage sur l’aile.
Un consensus régressif…
Cette erreur traduit en réalité une vision partagée, à gauche, au centre et à droite, mais aussi dans les communautés académiques, sur le lien entre étudiants et recherche : elle est basée sur la vision selon laquelle les formations élitistes classiques, CPGE et Grandes écoles suffiraient à alimenter le « réservoir » de la recherche, pour ainsi dire ontologiquement autonome.
C’est ce syndrome du « bon élève » qui fait que les chercheurs et enseignants-chercheurs, pour une part significative d’entre eux, parce qu’issus de milieux favorisés et de quelques filières dites « d’élites », ont du mal à gérer les étudiants d’aujourd’hui, voire s’y refusent. Préexistant à la baisse de la dépense par étudiant, ce socle « culturel » partagé explique notamment ces consensus improbables et le Yalta autour des organismes de recherche et des statuts enseignants-chercheurs vs chercheurs.
J’ai pu observer ainsi à gauche, à droite et au centre depuis des années le clivage ‘pro-organismes-pro-universités’. Il s’est combiné au soutien marqué (à l’inverse des discours officiels) à toutes les filières « élitistes » 1A ne pas confondre avec exigeantes et sélectives. La droite assume en général sa préférence pour le financement préférentiel du système CPGE-Grandes écoles. Mais quand vous parlez d’étudiants à la gauche, elle sort aussi la subvention aux filières « élitistes » : d’ailleurs avez-vous lu une seule fois chez tous les tribuns « modérés » ou « révolutionnaires » opposés à la sélection à l’université, sa remise en cause ailleurs, là où sont leurs enfants ? Il suffit également de lire les déclarations teintées de mépris pour l’Université d’une partie des syndicats des organismes de recherche 2Ce que leurs homologues des universités ne font pas pour les organismes..
Ce décalage avec l’état de la société, ses besoins, ceux des entreprises est impressionnant, et traduit aussi une déconnexion des réalités des territoires.
…ou un consensus progressiste, y compris pour la recherche ?
Tout ceci explique que l’écart de financement avec les CPGE non seulement se soit maintenu mais se soit même accru. Le discours subliminal, résumé souvent crûment en « off » est que les étudiants d’universités sont mauvais… Ainsi du point de vue des communautés académiques et d’une partie des « élites », investir plus ou moins dans la recherche suffirait, tandis que pour les politiques et une autre partie de ces « élites », corriger plus ou moins son organisation en assouplissant certaines règles serait la panacée.
Pendant ce temps, les bonnes œuvres du budget du supérieur suppléeront comme elles le pourront aux demandes de ces pauvres (et mauvais) étudiants égarés à l’université. Il s’agit donc d’un choix politique assumé, comme l’attestent le nombre de plans diversité concernant quelques établissements. Curieusement, Bercy a de nombreux alliés contre tout rééquilibrage.
Le pire, c’est que cette ignorance, voire ce dédain pour les étudiants, revient à se tirer une balle dans le pied et à miner l’édifice français de la recherche. Ce qui coule de source dans tous les pays comparables ne l’est pas en France. Or, toutes les études internationales, et surtout les chiffres, le confirment : il y a une corrélation forte entre la dépense par étudiant et la performance d’un système de recherche 3De façon absurde, en témoignent les acrobaties statistiques françaises pour isoler recherche et enseignement supérieur !.
D’ailleurs, pour qui rencontre ou lit des académiques étrangers ou a voyagé un peu, ce qui frappe n’est pas l’existence, ou non, d’organismes de recherche, c’est le désintérêt français pour les étudiants. Cela souligne de façon d’ailleurs dramatique une forme de ‘franchouillardise’ dans laquelle les échanges scientifiques internationaux se réduisent à la vie de labo sans percevoir cette attention portée au cœur du réacteur que sont les étudiants. Et donc des universités. Il faut dire que chez ses dernières, la prise de conscience, si elle est réelle, est récente.
Signal d’alarme sur le doctorat
Les dernières prévisions du MESRI à l’horizon 2030, même s’il faut rester prudent, indiquent que la baisse du nombre de doctorants va se poursuivre, sur fond de très faible croissance des effectifs universitaires. STS et secteur privé récolteront les fruits d’une croissance prévue comme modérée. Or les viviers de master ne peuvent exister sans des viviers de licence. Et les prévisions inquiétantes pour les effectifs de doctorants à l’horizon 2030 devraient conduire la France à un décrochage en règle alors que les académiques eux-mêmes martèlent l’idée (juste) que les entreprises doivent embaucher des docteurs. Et comme le montre la remarquable enquête du réseau national des collèges doctoraux, ce sont ces doctorants qui font « vivre » la recherche.
Attirer les meilleurs, les « aimanter », les fidéliser, construire un sentiment d’appartenance ne peut se résumer à un bon professeur qui fait un bon cours. Ou alors aucun chercheur/euse français n’est allé dans une université suédoise, britannique, suisse sans parler des États-Unis.
Malheureusement, tout ceci n’a pas l’air d’inquiéter outre-mesure, alors que la ‘sortie’ de 8 étudiants d’AgroParisTech fait le buzz. Or, sans sous-estimer le message (très langue de bois militante par ailleurs et plus que discutable) de ces étudiants (2257 inscrits dont moins de 15% de boursiers rappelons-le), la priorité de l’immense majorité des 1600 000 étudiants des universités (près de 40% de boursiers) est de bénéficier des mêmes conditions d’études et d’insertion professionnelle.
Les chercheuses et chercheurs devraient méditer le constat suivant. C’est celui de cette époque bénie où le football français perdait tous les matchs mais s’énorgueillissait de décerner le titre de meilleur jeune footballeur à celui qui savait jongler avec un ballon des dizaines de minutes : pas de diversité, ni dans la formation, ni dans les talents… L’ESR français me fait parfois penser à l’état du football français des années 60 : ce sont les profils normés qui l’ont fait perdre, et les profils atypiques qui l’ont fait gagner !
Heureusement, dans les sports collectifs les plus performants de notre pays (football, rugby, handball etc.) la leçon a été retenue sur la relation entre le vivier et les conditions de l’émergence d’une élite. Si c’est dans 2 secteurs 4Je mets de côté évidemment l’état problématique de notre système éducatif. que se jouent l’avenir de la jeunesse et la réduction des inégalités ( les filières courtes professionnalisantes et les universités) c’est dans ces dernières que se joue l’avenir de la recherche en formant les cadres de demain, dont une partie fera de la recherche, mais toutes et tous formés à et par la recherche.
Une intéressante enquête du Cereq
Intéressons-nous aux étudiants. Outre le fait que le maillage territorial des universités est un enjeu social de toute première importance, décisif pour la cohésion sociale en ces temps troublés, les emplois de demain, issus pour une part de la recherche et de ses applications, supposent de former des techniciens et des cadres en nombre et en qualité suffisants. Il va falloir investir massivement non seulement dans l’encadrement pédagogique (qui ne résume pas à la création de postes de MdC) mais dans l’immobilier et dans ce qu’on appelle désormais « l’expérience étudiante ».
Dans sa nouvelle enquête « génération 2017 », le Cereq souligne que « la génération 2017 est en passe d’atteindre des seuils symboliques » avec près d’une moitié (47 %) des sortants diplômés de l’enseignement supérieur et 78 % a minima bacheliers. Cette hausse du niveau de diplôme est portée « par l’augmentation des bac +3 et plus », 36 % des sortants ayant au moins un bac+3. Elle est aussi marquée par la diminution des non-diplômés (- 4 points). Selon le Cereq, la conséquence de cette hausse générale du niveau de diplôme est que l’âge moyen à la sortie du système éducatif gagne un an par rapport à la « génération 2010 », pour s’établir à 22 ans.
Bonne nouvelle, « les jeunes femmes sont particulièrement concernées par ce mouvement », 25% des sortantes étant diplômées du supérieur long (21 % dans le cas des hommes). Si elles représentent 60 % des diplômés de master, elles restent minoritaires à ce niveau dans les spécialités scientifiques et techniques (45 %), ainsi que dans les écoles d’ingénieurs (38 %) et parmi les docteurs hors santé (42 %) ».
Reste la question des inégalités d’accès et de diplômes qui persistent, selon que l’on est issu d’une famille de cadre ou d’ouvrier. Il faut souligner que les plus nombreux à travailler en parallèle de leurs études sont les diplômés de l’université du niveau bac+3 au doctorat (hors licence professionnelle), à la grande différence des écoles de commerce : « Pourtant issus de CSP plus favorisées, et bénéficiant pour 80 % d’entre eux de l’aide financière familiale, 38 % des diplômés d’écoles de commerce contractent un prêt bancaire (15 % pour les diplômés de bac+5, 7 % pour l’ensemble), signe du coût parfois élevé de la scolarité. »
Références
↑1 | A ne pas confondre avec exigeantes et sélectives |
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↑2 | Ce que leurs homologues des universités ne font pas pour les organismes. |
↑3 | De façon absurde, en témoignent les acrobaties statistiques françaises pour isoler recherche et enseignement supérieur ! |
↑4 | Je mets de côté évidemment l’état problématique de notre système éducatif. |
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