Je n’y avais pas prêté attention mais un nouveau sigle a réveillé mon intérêt pour cette propension à créer des sigles ou des noms absurdes dans l’ESR français. Ce n’est d’ailleurs pas réservé à ce secteur mais là je laisse les spécialistes en analyser les raisons ! Il y a eu l’ESEN, puis l’ESENESR, nous avons désormaisl’IH2EF. Bienvenue en absurdie. Et sourions un peu !
Donc, il faut désormais appeler l’ESENESR, non pas Institut des hautes études de l’éducation et de la formation mais “IH2EF” : répétez avec moi 3/4 fois pour estimer si c’est trop compliqué à mémoriser ?. Il faut dire que l’Éducation nationale continue d’avoir des inspecteurs partout (même la police a abandonné le terme) et des “principaux” de collège…
Remarquez, on est passé des IUFM aux Espé pour aller maintenant aux Inspé. Pour Jean-Michel Blanquer ce changement est “significatif car le ‘IN’ dit une évolution importante : ‘institut’ est relié à un enjeu professionnel et ‘national’ renvoie à un enjeu national”. Ah, évidemment ?.
Il s’agit d’un exemple parmi d’autres de ces sigles pour lesquels l’Administration française et les dirigeants n’ont aucune réflexion sur leur perception pour l’opinion publique, y compris celle des milieux professionnels concernés : un prochain changement chassera sans doute ce sigle !
La liste est donc longue des sigles aberrants, abscons éphémères ou tout simplement pédants. Je ne vais pas faire un palmarès d’autant que mes lecteurs ont sans doute des exemples encore meilleurs. Mais promenons-nous !
La fascination pour le supposé “pouvoir” des mots
Ce qui est symptomatique, c’est la fascination de l’administration et de certains politiques pour débattre du sexe des anges. Prenons un exemple qui, je crois, a été oublié : celui de la Dgesip.
Qui se souvient du débat fondamental sur la déclinaison du sigle dans les années 2007/2009 : Direction générale POUR l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle, Direction générale de l’enseignement supérieur POUR l’insertion professionnelle, pour finir en Direction générale DE l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle; Ouf, l’avenir de l’ESR a été préservé.
Autre exemple de la magie des mots que partagent tous les acteurs : il fallait dépasser une conception “étriquée et facultaire” des universités, et on est donc passé de UER (Unité d’enseignement et de recherche) à UFR (unité de formation et de recherche). Résultat, la formation continue et la recherche se passent en dehors des UFR. On a effacé le mot Doyen au profit de directeur. Et en 2019, tout le monde ou presque parle du doyen de l’UFR…
Bonne nouvelle quand même, on a échappé avec les communautés d’universités et d’établissements, non pas à Comue, mais à Cue…
Petite promenade
Il existe évidemment quantité de petites perles, anachronismes, curiosités…
Œuvres universitaires. S’il était un exemple du conservatisme (au sens littéral) qui règne souvent dans l’ESR, on peut évoquer la persistance d’un mot qui évoque la charité : œuvres universitaires. A l’époque de Geneviève Fioraso, il avait été envisagé de changer le mot mais l’Unef s’y étant opposée, rien ne se fit…
Imagine-t-on en 2019 la Caisse d’Allocations familiales s’appeler la Caisse des œuvres sociales ? D’un côté un droit, variable selon les politiques suivies, de l’autre, au mieux une forme de solidarité (les œuvres sociales d’un comité d’entreprise), au pire une version laïcisée de la charité.
Mastaire, master et mastère. En 1999, le Cneser adoptait un texte sur le…mastaire (oui vous avez bien lu), MASTAIRE. Un terme abandonné en avril 2002 pour utiliser celui de master. Mais les Grandes écoles utilisent elles la marque mastère mais revendique quand même le master…
Organismes de recherche. L’Irstea, c’est pas mal mais que dire de l’Iffstar ? Et je n’évoquerai pas les alliances de recherche !
La Tech. On avait ParisTech, objet d’une bataille que je ne qualifierai pas de chiffonniers pour pas grand chose car illisible et inaudible. On a la French Tech, mais désormais la French Tech seed appuyée of course sur la deep tech. Dans le domaine de l’innovation et du transfert, c’est le seul secteur où l’on fait la course en tête devant le MIT, le Technion etc.
Idex, Isite etc.
Je croise de temps en temps, à Paris ou en région, quelques instruments du PIA :
Dans les Grandes écoles aussi, on rame…mais en anglais
L’anglicisme, c’est pour certaines écoles, le fait d’être “in” dans la compétition internationale. Pourtant, plus portée vers leur marque, il faut saluer le fait que des écoles ont créé des noms qui désormais ont atteint une relative notoriété : Skema, Neoma, Audencia etc.
Mais d’autres utilisent anglicisent leur nom sans doute pour essayer de dépasser leur notoriété très limitée : le groupe ESC Troyes devient Y Schools, l’école de commerce de Dijon est la “Burgundy school of business” et Sup de co La Rochelle est désormais “Excelia Group”.
Quant à l’École polytechnique, connue en France mais peu à l’étranger, elle a dû renoncer à la marque Paristech et il lui faut désormais trouver un nom au projet NewUni. Elle plancherait sur son adresse IP, comme IP Paris.
Nous avions, à l’université de Strasbourg, fait des constats similaires :
• identité brouillée,
• abondance de logos souvent très moches et non reliés pour les 350 structures qui composent l ’université
• plus de 820 acronymes utilisés par les divers métiers de l’université
C’est pourquoi nous avions lancé le projet « Identités complexes ». Mais il ne s’agissait pas d’appliquer quelques recettes toutes faites issues du commerce ou de l’industrie, en lançant un appel d’offres pour qu’on nous dessine pour une fortune un nouveau logo ! Parce que c’était un projet né à l’université pour l’université, il s’est d’abord basé un projet de recherche pluridisciplinaire. Il a abouti à des résultats concrets, et permis de créer un vrai langage visuel à la fois global et respectueux des diversités. Une description détaillée de la démarche est disponible dans un dossier du magazine de l’Unistra Savoirs ( http://savoirs.unistra.fr/recherche/un-nouveau-langage-visuel-pour-luniversite-de-strasbourg/ ) et dans une interview d’Armelle Tanvez, directrice de la communication ( https://www.youtube.com/watch?v=A7VZ_VaOLCs&list=PLSX8msmkkY1GBaETa0beFtv6l2AbAwBxu&index=43&fbclid=IwAR0MraVp8zFv5ym9xroW37b9o94L4lerVZyePjl31GWClWLq74V8Y-YX29U )
Ce travail a reçu le Grand Prix Cap’Com en 2017 ( http://www.communication-publique.fr/grand-prix-2017-de-la-communication-pour-luniversite-de-strasbourg/ ) et e 1er prix de la communication corporate lors des prix de l’Association des responsables de communication de l’enseignement supérieur – Arces- ( http://www.communication-publique.fr/encore-un-prix-pour-lunistra/ )
Le travail que vous évoquez est intéressant mais :
– il ne semble pas avoir fait disparaître les acronymes (dont il est question ici) au sein de l’université de Strasbourg : exemple sur le site web “unistra.fr” , exemple : “l’Université de Strasbourg compte 73 unités de recherche (UPR, UMR, EA, 1 USR (MISHA)) et 6 structures fédératives.”
– La question n’est pas d’être “respectueux des identités” mais d’organiser l’environnement de marque de l’université de façon à le rendre intelligible pour vos communautés et vos cibles. Il s’agit donc moins de lancer des “projets de recherche pluridisciplinaire” que de prendre des décisions politiques.
Une petite remarque sur ESPE/INSPE: dans ESPE, on pouvait entendre “espérance, espoir”, alors qu’INSPE ramène phonétiquement à l’inspection… Et je ne suis pas certaine sur ce ne soit que coïncidence.
Et au fait c’est IFSTTAR et pas IFFSTAR (on sait tous qu’il y a une lettre en double mais on ne sait jamais laquelle) :))
Démonstration convaincante !!!
« Attention à l’obsolescence programmée des mots, quand les mots glissent il y a de l’angoisse » d’après Yves Clot , professeur en psychologie du travail, titulaire de la chaire psychologie du travail du CNAM lors d’une conférence au cours d’un séminaire des DGS de l’ESR sur la QVT…
Alors quand les sigles glissent, on va vers quoi?
L’absurdie, oui sans doute !
« Mal nommer les choses, c’est ajouter du malheur au monde » d’un certain Albert Camus
Excellent billet, et un constat partagé sur la passion très française pour les sigles abscons.
La dénomination des “composantes” en UFR notamment est symptomatique d’une communication centrée sur l’intérieur. Personne, absolument personne, n’utilise ce sigle infâme en dehors de l’Université. Ce terme ne recouvre aucune “réalité”, si bien que le terme Faculté continue à prospérer (le bon sens perdure…), y compris au sein de nos institutions par ceux qui refusent de se voir ramené à un NUMEN (sic).
Pire, à Paris 1, on prend même l’habitude de mentionner parfois “UFR 06” ; “UFR 02″… en guise de dénomination (comme si tout le monde comprenait spontanément qu’UFR06 = UFR de management…).
Cela en dit long en réalité sur le désintérêt total de l’administration universitaire pour le monde extérieur. Ses sigles, son langage ne veulent strictement rien dire pour le quidam… tout en s’étonnant que ledit quidam ne vienne pas soutenir nos complaintes sur le manque de moyens.
Allez, une dernière pour la route : la passion universitaire pour les statuts.
A l’université, on ne désigne pas les gens par leur fonction mais par leur statut juridique que l’on va souvent abrévier. Ainsi, vous êtes un “PR” “MCF” “PRAG” “ATER”, et parfois même “Vacataire”.
Cette dernière dénomination est d’autant plus grotesque que vacataire n’est qu’un type de contrat dans la fonction publique pour une fonction de “chargé de cours” ou de “chargé de travaux dirigés”. En transposant cela dans le privé, on désignerait un serveur par “le CDD”.
Il y a du travail pour changer les mentalités et pour que l’université soit aussi ouverte qu’elle le prétend.
Bonjour, votre remarque sur les statuts est si pertinente… C’est un univers professionnel à la fois centré sur la compréhension du monde et trop souvent imperméable au monde “extérieur”, c’est à dire le monde réel !