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Notre pays est friand des grandes envolées sur la réduction des inégalités sociales. Médias et responsables politiques ne s’y intéressent le plus souvent qu’au travers du prisme de l’accès aux grandes écoles, soit quelques milliers d’étudiants. Car depuis des années, voire des décennies, tous les gouvernements ont privilégié, selon la terminologie en vigueur, les “classes moyennes” sans que l’on sache ce que cela recouvre vraiment. Véritable Yalta de l’aide sociale, ce saupoudrage non redistributif masque la crainte d’ouvrir un débat serein sur le financement de l’ESR. Au profit des étudiants qui en ont le plus besoin et des universités.

Selon un rituel que je suis depuis près de 20 ans, le ou la ministre annonce à la rentrée des mesures pour les étudiants. De leur côté, selon le même rituel (seul l’ordre des annonces change !), les organisations étudiantes réclament des moyens et dénoncent l’aggravation des inégalités. L’UNEF tire en général la première tandis que la FAGE procède aux mêmes calculs sur le coût de la vie mais évidemment ne trouve pas exactement les mêmes chiffres. La FAGE plaide pour une aide globale d’indépendance (une revendication historique de l’UNEF  ?…) tandis que cette dernière demande comme quasiment chaque année un “plan d’urgence” avec une augmentation de 20% du montant des bourses.

Mais globalement, MESRI et organisations étudiantes évitent le débat qui fâche : faut-il cibler les aides ? Car dans ce jeu de postures bien huilé, un questionnement manque : les sommes actuellement investies sont-elles efficaces ? L’aide sociale aux étudiants représente un budget non négligeable dans notre pays si l’on additionne les aides directes mais aussi indirectes comme les avantages fiscaux, les aides au logement ou encore la gratuité de la sécurité sociale.

Selon les chiffres du MESRI,  hors financement de la sécurité sociale étudiante (impossible à chiffrer !), le montant des aides de l’État aux étudiants est de 5,5 milliards d’euros (Md€) en 2016 dont :

  • les aides directes (bourses) pour 3,7 Md€, soit environ 67% du total,
  • l’allocation de logement social (ALS) pour près de 24 %, avec 1,3 Md€ (+ 49,7 % en 11 ans en € constants),
  • les aides fiscales pour plus d’1,3 Md€.

Loin du misérabilisme qu’affectionnent beaucoup de commentateurs, soulignons que la situation n’est pas catastrophique. Ainsi, depuis des années, les CROUS ont globalement et nettement amélioré leur offre de restauration, augmenté leur parc de logements mais surtout entamé une rénovation-modernisation de celui-ci.

Sur cette question du logement, il faut d’ailleurs rappeler que la tension observée est limitée à certaines villes et ne concerne pas que les étudiants mais est générale, si l’on prend 2 exemples médiatisés, Bordeaux et Paris. Ajoutons que cette tension se polarise sur quelques mois, en raison de la structure des études (stages, abandons etc.).

Cibler les aides, une impératif démocratique

De ce point de vue, l’annonce par F. Vidal de 45 millions d’€ de budget supplémentaire pour les bourses, soit une augmentation de 1,6%, est une goutte d’eau dans ce budget, alors que ces aides sont supposées aller aux étudiants les plus défavorisés. Si l’on fait un petit calcul approximatif, doubler le montant des bourses des 46 000 boursiers de l’échelon 7 (soit 6,% des boursiers) coûterait environ 230 millions d’€.

Or cette question n’agite jamais notre pays : dès que l’on débat d’une hausse des frais d’inscription (dont les boursiers sont exonérés rappelons-le), les tribunes pleuvent, les polémiques enflent : rien ne compte plus que le sort des classes moyennes, y compris chez les guérilleros du Quartier Latin, intellectuels distingués dont beaucoup ne connaissent pas les échelons de bourses, et encore moins le fait que 40% des étudiants sont exonérés.

J’ai déjà rappelé ce point d’histoire méconnu lorsque François Mitterrand et Alain Savary avait décidé d’une augmentation massive du nombre de bourses en contrepartie d’une hausse sensible des frais d’inscription à l’université (de 95 F à 150 F en 1982). Pourquoi considérer normal, logique que les étudiants les plus défavorisés, et leurs familles, bénéficient moins des aides que les autres, ce que toutes les études ont montré ? Il faut donc oser se poser une série de questions :

  • faut-il cibler fortement les aides directes, comme les bourses ?
  • faut-il les différencier selon le niveau d’études ?
  • faut-il revoir le mécanisme des aides au logement pour les étudiants ?
  • faut-il mettre à plat les aides fiscales ?

L’enjeu des études longues et leur financement

Les chiffres le montrent en effet nettement : si la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur s’est réellement améliorée, le M et plus généralement les études longues demeurent pour les publics les plus fragiles socialement un Graal souvent inatteignable. Rappelons également que contrairement à une idée reçue, il existe une différence en M entre Grandes écoles et universités, ces dernières continuant à jouer, de façon certes affaiblie, un rôle d’inclusion sociale.

Bien sûr, la réussite aux études ne dépend pas que des conditions de vie : de nombreux autres facteurs influent sur celle-ci. L’initiative de Sorbonne Université avec Safran de bourses “passeport pour le master” (relatée par Le Monde) permet avec des montants de 10 000 € “d’oser s’engager dans des études longues”, comme le précise à juste titre Jean Chambaz. La condition d’une 2ème  démocratisation est là : des étudiants qui ont réussi un difficile cycle L doivent pouvoir bénéficier d’aides à la hauteur.

Évidemment, ces questions ne sont pas nouvelles et derrière elles se profile celle de leur contribution aux financement de leurs études, ou plutôt la contribution de leurs parents.

Le débat doit être replacé dans son contexte. D’un côté, des centaines de milliers d’étudiants et leurs familles paient déjà aujourd’hui cher ou très cher leur études : ce sont les étudiants des écoles de commerce, mais aussi d’écoles d’ingénieurs ou encore de cette myriade d’écoles privées (mode, design etc.). D’un autre côté, plus nombreux encore (1,5 millions sur 2,6), les étudiants d’universités, quels que soient leurs moyens, ont droit à la quasi gratuité, mais dans des conditions d’études pas à la hauteur des standards internationaux.

J’avais il y a quelques mois montré comment les frais d’inscription avaient décroché de l’inflation et comment leur “valeur” avait diminué par rapport aux années 60. Si je n’ai aucune certitude sur les solutions, il faut constater que brandir l’exemple américain comme repoussoir n’aide pas à faire avancer le débat. Car personne ne peut croire sérieusement qu’en France quelqu’un souhaite mettre en place des droits généralisés de dizaines de milliers d’€ par an à l’université. Surtout lorsque les Business schools françaises ont atteint elles-mêmes un point limite.

Quant à l’exemple britannique, le dernier rapport, à propos du système de prêt mis en place, porte un regard critique sur l’envolée du montant des droits mais souligne également des effets positifs sur l’accès à l’enseignement supérieur de populations défavorisées. Un autre rapport notait d’ailleurs que 3 diplômés sur 4 ne rembourseront pas intégralement leur prêt au cours de leur vie.

En résumé, loin des invectives, le débat sur la démocratisation de l’ESR et celui sur le financement de l’ESR sont intimement liées. Pourquoi ne pas financer en partie de véritables bourses par une hausse des frais d’inscriptions en master, payés directement ou avec un système de prêt ? Une telle hausse, avec des montants raisonnables pour des étudiants et des familles qui en ont les moyens, dégagerait des ressources significatives. Avec 2 gagnants, les universités et leurs étudiants. A condition que l’Etat maintienne et développe ses financements.

One Response to “Aides sociales : promouvoir une nouvelle démocratisation”

  1. En complément des aides de l’Etat, n’oublions pas celles des collectivités territoriales, notamment pour la bonification des tarifs de transports, avec parfois une exonérations totale pour les boursiers d’échelon 7; également les bourses mobilité; et le soutien au logement social étudiant, par l’intermédiaire de leurs offices HLM, que ces derniers confient la gestion des résidences étudiants qu’ils construisent aux Crous ou en assurent eux-mêmes l’exploitation.

    Ce billet relève d’ailleurs le principal problème du logement étudiant : la situation de tension (parfois extrême comme à Paris, et Bordeaux) se manifeste principalement à la rentrée et jusqu’en décembre-janvier : le reste de l’année les résidences se vident avec les stages, les abandons d’étude ou les séjours à l’étranger, et la collectivité publique, ou bien les gestionnaires du logement, doivent compenser indirectement les loyers non encaissés.

    Une réorganisation mineure des rythmes universitaires (par exemple davantage de stages et de mobilité internationale sortante au 1er semestre, rentrées décalées) permettrait d’améliorer significativement l’accès au logement et la qualité de vie étudiante, sans amputer les moyens publics nécessaires pour les aides sociales, en particulier pour les études longues des boursiers d’échelons élevés.

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