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En mars, la CPU organise son colloque annuel sur le thème (une fois de plus) de l’autonomie. Preuve que cette question reste non résolue pour les présidents d’université, souvent plus en désaccord entre eux qu’avec l’État. Alors que l’autonomie des universitaires est un fait et leur indépendance consacrée depuis longtemps, celle de leurs établissements peine à s’installer. Loin du copié-collé des modèles étrangers, peut-on faire émerger un modèle français ?

Il est évident que le fonctionnement des universités française n’a plus rien à voir avec celui qui existait dans les années 70 (après la loi E. Faure) ou les années 80 (la Loi Savary). L’idée d’autonomie, consacrée par la LRU, a fait son chemin, analysée par de nombreux chercheurs et objet de multiples colloques. Mais on semble plus près d’une déconcentration améliorée que d’une véritable autonomie, avec toujours une poire coupée en 2, dont les recteurs-rices sont les gardiens plus ou moins zélés.

Ce qui me frappe en consultant les archives (livres, journaux mais aussi témoignages) et en faisant appel à ma mémoire, c’est la permanence des sujets de fond non réglés à propos de l’autonomie de universités. Ils traduisent autant sinon plus des clivages au sein des communautés universitaires et des dirigeants d’établissement, qu’au sein des gouvernements qui se sont succédé depuis 50 ans.

La fascination de l’État central

Rien de mieux d’ailleurs pour définir ce contexte du débat français de l’autonomie que de citer 2 anecdotes.

La première est l’amusement que m’a toujours procuré, comme journaliste, l’importance du rituel déplacement ministériel dans l’ESR, un cas unique au monde pour les pays comparables (excepté la Chine ou la Russie). Je ne critique pas les dirigeants d’établissements pour lesquels, dans l’état actuel du système, c’est une reconnaissance, y compris vis-à-vis des acteurs locaux (médias, collectivités, partenaires) et en interne (à double tranchant parfois !).

Les universités françaises sont donc tournées vers le moindre battement de cils du cabinet, de l’administration, de ou du ministre, et quand ce ne sont pas ces derniers, du SGPI et bien sûr les organismes de recherche, ce qui ne témoigne pas d’un haut degré d’autonomie !

La deuxième anecdote est la signature des contrats d’établissement avec l’État. Que se passerait-il en cas de non signature ? Rien, car on voit mal les pouvoirs publics sanctionner une université ! Et pourtant, toutes les universités les ont signés en en connaissant le côté chronophage, bureaucratique et surtout inutile, sans moyens supplémentaires ni programmation.

Ces 2 anecdotes en disent long sur le caractère inachevé de l’autonomie à la française : dans ces 2 cas, l’État reste la puissance qui accorde, ou non, son “imprimatur” et sa légitimité à l’établissement. Le “top down” règne dans les esprits.

Des marges de manœuvres non utilisées

Quoi de plus normal qu’un ministère et son administration aient du mal à abandonner leurs habits centralisateurs ? On peut le déplorer mais cela reste logique. Plus curieuse est la difficulté qu’ont les dirigeants d’établissements à endosser les habits de l’autonomie.

L’annonce par le gouvernement de la hausse des frais d’inscription pour les étudiants étrangers extracommunautaires est révélatrice. La levée de bouclier d’une majorité d’universités n’est pas en soi un événement nouveau : en 1976, la CPU s’était coupée en 2 sur la réforme du 2nd cycle. Rappelons tout de même que plusieurs fois la CPU a, par le passé, souhaité que soit mise à plat la question des frais d’inscription pour les étudiants français aussi.

Et tout connaisseur du milieu (j’en fais un peu partie) sait qu’une partie des présidents d’universités qui protestent contre cette mesure n’y voyait pas, en privé, d’inconvénients il y a quelques mois, voire quelques semaines…

Ainsi, les dirigeants d’établissements avaient obtenu dès 2002 un texte qui leur permettait, dans un cadre certes un peu contraignant, de procéder à des hausses pour les extra-communautaires… Ce décret signé de Lionel Jospin, Laurent Fabius et Florence Parly n’a évidemment quasiment pas été appliqué ! Loin de moi l’idée de nier les pesanteurs centralisatrices. Mais comment expliquer que les marges de manœuvre possibles (je parle des présidents qui les réclament évidemment) soient la plupart du temps restées lettre morte ?

De la même manière, les universités qui dénoncent les entraves pour leur GRH des enseignants-chercheurs peuvent déjà, avec les CDI de droit public, modifier les choses. De nombreux rapports de l’IGAENR ont mis en évidence cette aptitude variable des établissements à utiliser toutes les souplesses, parfois les failles, permises par les textes.

Moins polémique, la mise en place du LMD avait montré la demande contradictoire de plus de liberté pédagogique…avec plus de cadrage !

On peut comprendre que, face à des CA et surtout des communautés rétives (mais qui jugent les instances très démocratiques lorsqu’elles prennent des positions “contre” ?), les présidents d’université soient prudents. Cet éternel jeu de cache-cache qui consiste à pointer les fautes, défaillances, erreurs etc. du ministère et de l’administration centrale ne masque-t-il pas une inconsciente peur de l’autonomie réelle et de ses conséquences ?

Le poids de l’histoire

De fait les universités et les universitaires, farouchement attachés à leur indépendance, le sont beaucoup moins à leur autonomie. Citons (à nouveau) René Rémond : “il n’est pas si facile de passer d’un siècle de pratique purement réglementaire où l’on attendait que toutes les décisions soient prises d’en haut, quitte à les critiquer et à s’établir dans une attitude permanente d’irresponsabilité critique, à une attitude où il faut prendre des initiatives” (op cit Charles Mercier dans son livre Autonomie, autonomies).

Il serait donc vain de chercher des explications uniquement techniques ou politiciennes aux tensions actuelles (GVT, frais d’inscription entre autres). La réalité, la dure réalité, c’est que notre pays n’a pas su penser et encore moins faire émerger un modèle d’autonomie universitaire adapté à l’histoire française : y a-t-il un espace possible entre centralisation et autonomie complète, qui visiblement n’est culturellement pas envisageable en France ?

Les questions-clés de l’autonomie

Tous les présidents sont pris entre le marteau de l’autonomie et l’enclume de l’attachement à l’égalité. A celles et ceux qui dénoncent la dangereuse pente de l’autonomie des universités qui mettrait à mal notre modèle national, basé sur l’égalité et l’égale valeur de tous les établissements et de leurs diplômes, rappelons 3 évidences :

La première, c’est celle du constat de régulier des indicateurs de l’EUA, qui a décerné un bonnet d’âne de l’autonomie des universités en Europe à notre pays. Quand on regarde ce “baromètre” on voit bien que d’autres questions entrent en jeu mais ne sont pas forcément décisives, comme la propriété de son patrimoine. La liberté pédagogique, la gestion des personnels et la gouvernance apparaissent comme des questions-clés.

La deuxième, c’est qu’il est évident que le degré d’autonomie en Europe est intrinsèquement lié à des financements suffisants.

La troisième, c’est que les universités sont déjà inégales/différentes et qu’une partie du secteur public de l’ESR dispose déjà de droits d’inscription ou d’accès déjà différenciés (avec en plus le privé payant qui occupe désormais une place de choix).

Quelles que soient leurs prises de position, individuellement ou collectivement, les présidents d’université sont pris en tenailles. Accès sélectif ou non, quasi gratuité ou pas, gestion du patrimoine, des carrières, des aides sociales, des logements, offre de formation etc, l’autonomie réelle ou complète (selon l’opinion de chacun), tout ceci les conduirait à des choix pas forcément partagés. Le centralisme a cet avantage de ne pas avoir à assumer…

Même un changement radical de gouvernance ne réglerait pas la question de savoir comment faire évoluer ces paquebots. Au-delà de changements d’ordre culturel, on se heurte au grand débat français sur l’égalité : des diplômes, de l’offre de formation, des coûts etc.  2 conceptions continuent de s’affronter comme lors des débuts du Cneser autour de 4 questions majeures :

  1. Sélection ou accès libre
  2. Quasi gratuité ou non
  3. Caractère national des diplômes ou liberté des établissements
  4. Recrutement national des personnels ou au choix des établissements.

La difficile définition d’un modèle français d’autonomie

Bien d’autres sujets sont évidemment en jeu (patrimoine, modèle d’allocation des moyens, gouvernance, évaluation etc.) mais ces 4 conditionnent le reste.

Mais posons les questions autrement : si les universités ne fixent pas, au moins en partie, le montant de leurs ressources, ne font pas des choix en matière de dépenses, ne recrutent pas leurs étudiants, leurs personnels ou encore n’ont pas une liberté pédagogique en matière de diplomation, que leur reste-t-il ?

Sur chacun de ces items, le curseur en Europe va plus ou moins loin dans des systèmes qui n’ont rien de “dérégulés” : choisissez votre pays pour ce comparatif de l’EUA. Quels leviers les présidents veulent-ils utiliser ? Dans quelles proportions ? C’est à ces questions qu’ils devront probablement répondre lors de leur colloque annuel.

Quelle que soit l’opinion de chacun, on voit bien que l’autonomie réelle n’est pas la simple déconcentration des décisions : elle suppose des choix. L’autonomie communale est là pour le rappeler tous les jours aux citoyens que nous sommes, y compris lorsque les maires se plaignent de la diminution de leurs marges de manœuvre financières.


Retour vers le futur !

La LRU semble désormais parée de toutes les vertus (rarement) ou de tous les maux (souvent). Elle n’est pourtant qu’une parenthèse, importante certes, mais une parenthèse. Chez les détracteurs de l’autonomie, il y a à la fois la crainte de la mise en concurrence, de la dérégulation, mais aussi celle d’une perte de qualité, que seul l’État peut garantir. En diabolisant la LRU, ils ignorent que bien avant elle, il se passait aussi des choses !

C’est à ce conflit de valeurs que toutes les générations de présidents d’université ont été confrontées. Après la lecture du livre consacré par Charles Mercier à René Rémond, et ses références historiques précieuses, je me suis plongé dans les archives de l’ESR, avec les miennes, mais aussi celles que tenait partiellement Le Monde. Il est frappant de voir combien les débats d’hier sont encore ceux d’aujourd’hui, que ce soit du côté des syndicats ou des présidents d’université !

Financement ? Si l’on s’en tient aux faits, de 1972 à 2006 des crises financières localisées ont été régulières sous fond d’absence d’anticipation de l’évolution des effectifs. Elles n’ont jamais concerné tous les établissements. Comme en 2018, certains établissements étaient incapables de prévisions budgétaires, d’autres devaient faire face à de réelles difficultés liées à la démographie, d’autres encore avaient un “matelas” confortable et se faisaient tout petit. Enfin, beaucoup de ces crises étaient localisées dans certaines UFR. Donc la LRU n’a absolument rien changé : et d’ailleurs, qui chez les universitaires est au courant que les opérateurs de recherche autonomes comme le CNRS gèrent leur GVT en silence depuis des années ?

Meccanos institutionnels ? Combien de fois les pouvoirs publics ont-ils modifié ou tenté de modifier la gouvernance ou le périmètre des universités ? Ils l’ont fait directement plusieurs fois (diminution de la représentation des étudiants dans les années 75), indirectement en créant l’UTC avec l’objectif d’en faire un laboratoire, ou encore en scissionnant les universités dans les années 70/80. Et je n’évoque ni la LRU, ni la loi Fioraso, encore moins l’ordonnance à venir.

Concertation, dialogue social, fantasmes et réalité. Dès sa création dans les années 70, le Cneser a été en lieu de batailles à coup de motions, de débats clivants et interminables, par exemple sur les 2 réformes des Deug, la réforme du 2nd cycle, la formation des maîtres, le LMD etc. Mais la CPU n’a pas échappé non plus à ces clivages comme lors de la réforme du 2nd cycle de 1976 : pourtant cette dernière visait à mettre en place ce qui fait consensus désormais, avec les licences pros, les masters, à savoir des formations diversifiées et un contenu professionnalisant !

Les arguments contre l’autonomie des universités ont de fait peu changé : risque de privatisation des universités, dénonciation de la sélection, aggravation de la montée des inégalités ou encore remise en cause des diplômes nationaux, crainte du localisme etc.

A la lecture des archives, ce qui frappe le plus, c’est que toutes les mesures rejetées…sont désormais défendues au nom des acquis.

Il est parfois drôle de lire les tribunes enflammées qui annonçaient dès 1970 l’inéluctable privatisation des universités. René Rémond, plus lucide, alertait lui sur la conséquence potentielle de la dégradation de l’université française : l’essor de l’enseignement supérieur privé. L’histoire lui a donné raison.

One Response to “Universités : quel modèle d’autonomie à la française ?”

  1. Bonjour,
    Je lis régulièrement votre blog que je trouve remarquable par la qualité de la documentation et la pertinence des analyses.
    Merci.
    Joseph Cerrato

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