La crise qui vient d’éclater à l’université de Saint-Etienne 1Les 3 vice-présidents centraux (conseil d’administration et moyens, recherche et formation) et 4 VP délégués de l’université (sur onze VP au total) ont démissionné pour exprimer leur désaccord vis-à-vis du projet actuel d’université cible. n’est que le dernier soubresaut de l’échec du projet « Université de Lyon ». Sur le toboggan des politiques de sites, ce projet concentre tous les défauts des politiques publiques de l’ESR mais aussi toutes les faiblesses du monde académique en France. L’Etat saura-t-il assumer ses responsabilités ? Un schéma type Saclay à 2 projets est-il viable à Lyon-Saint-Etienne ?
Il se passe vraiment des choses à Lyon-Saint-Etienne en ce moment : entre la crise rampante de gouvernance chez les ‘Verts’ (le Club de foot ?), les saillies régulières du président de l’OL contre le monde entier, les péripéties de Lyon École de Management, et bien sûr les changements politiques à Lyon, on ne s’ennuie pas. Il faut désormais ajouter à ce festival une Comue Université de Lyon enlisée et une Idex menacée.
La présidente de Saint-Etienne, Michelle Cottier, très bien réélue sur son projet il y a seulement quelques mois, y compris avec le soutien de certains signataires du texte, est désormais sommée par ces derniers de changer. La création en 2021 d’un établissement expérimental issu de la fusion de l’ENS de Lyon et des universités de Saint-Étienne, Lyon-I et Lyon-III, est maintenant très hypothétique, pas seulement d’ailleurs à cause de ce qu’il se passe dans le Forez…
Rappelons qu’en 2007 le PRES Université de Lyon succédait au Pôle universitaire lyonnais (PUL). Puis le PRES laissa la place à la Comue Université de Lyon en 2014/2015. Depuis c’est un long chemin de croix, marqué par les annonces, les échecs, les coups de théâtre, les reculs, pour créer cet objet toujours virtuel d’une université intégrée, sur fond de labellisation Idex en 2017 et de l’ordonnance de 2018.
Un projet ingérable
Loin de moi l’idée de nier ce qui se fait positivement à l’Université de Lyon 2J’ai eu l’occasion depuis plusieurs années d’animer des débats à Lyon qui m’ont permis de discuter et rencontrer de nombreux scientifiques, dont des lauréats ERC, des responsables de Labex et d’Equipex etc. Et dans les domaines de l’accueil des chercheurs étrangers, de l’entrepreneuriat étudiant etc, l’UdL est souvent exemplaire.. D’ailleurs, parmi les signataires de l’appel stéphanois figurent des responsables qui bénéficient des fonds Idex (et qui risquent de les perdre d’ailleurs !), qui collaborent avec Lyon-I, avec l’école Centrale etc. Ces collaborations multiples, ces projets menés à bien dont j’ai pu observer les effet et les qualités depuis des années (notamment Manutech) ont pour toile de fond un potentiel de formation et de recherche exceptionnel.
Dépassons donc les querelles de personnes et/ou politiques pour comprendre. Avec 12 établissements membres, 24 associés, la Comue UdL est « hors normes » : plus de 140 000 étudiants (dont près de 20 000 étudiants étrangers), sur le bassin Lyon Saint-Étienne ! Ces chiffres résument sans doute à eux seuls la mission impossible confiée par l’Etat, via le jury idex, aux communautés académiques. Et rappellent la défunte Université Bretagne Loire qui se revendiquait la plus grande université française… En tout cas sur le papier !
Ce long chemin de croix (et je vais en oublier), c’est la « guerre » avec Lyon-II, le refus de l’Insa, des écoles rétives, une ENS sans cesse rappelée à l’ordre par le jury Idex, des présidents d’université pas sûrs de leur majorité dans leurs CA etc. En « s’épurant », c’est à dire en gardant les établissements censés être les plus « allant », le projet n’a en rien gagné la confiance et la cohérence nécessaires. La chronique des opposants Idexit et l’interminable guérilla juridique menée par Claude Danthony du Snesup (qui gagne presque à tous les coups !) ne sont que l’expression d’un projet certes mal ficelé, mais surtout ingérable.
Les ingrédients de l’échec
Cependant, le meccano institutionnel s’est écrasé contre le mur des réalités, mais aussi, il faut l’avouer, de tous les conservatismes et de toutes les peurs. Le projet UdL est en quelque sorte une expression chimiquement pure des errements du système français et des réformes engagées depuis plus de 20 ans, combinés à un contexte local spécifique.
- Une politique publique du « big is beautiful » et d’incessantes réformes qui percutent les stratégies mises en place, avec une hésitation permanente des établissements sur la définition de l’excellence.
- Un étirement dans le temps qui ruine toute possibilité de réelle action efficace (sans remonter à 2007, cela fait 9 ans que le dossier patine !).
- Une balkanisation des acteurs, que symbolise la composition de la Comue UdL. Outre la dualité persistante écoles-universités, les communautés académiques sont « fracturées » entre celles qui obtiennent des financements PIA (Idex, Labex, Equipex etc.) et les autres, avec des SHS ayant l’impression de décrocher. Jusqu’à la caricature, les écoles entre elles, les universités entre elles sont incapables de formuler un projet partagé.
- Une illisibilité bureaucratique et une faiblesse de la communication : qui peut comprendre chez le commun des mortels les périmètres de la Comue UdL, de l’établissement expérimental projeté et celui de l’Idex ? Une réponse juste vaut 20/20 ?!
- Des organismes de recherche « spectateurs », voire hostiles.
- Une dimension politique locale (mairies, métropoles, région) qui requiert en permanence un fil d’équilibre, avec des identités territoriales fortes. La peur de perdre « son » université a ainsi joué un rôle dans les élections municipales de Saint-Etienne, sans parler de l’intervention des anciens présidents de l’université…
- Une conduite du changement marquée par des injonctions contradictoires, consommant une énergie folle, et accompagnée par des cabinets de consultants dépassés par la mauvaise route choisie au départ, débouchant sur des usines à gaz.
- Des communautés académiques qui peinent à s’élever au-dessus de leurs intérêts propres, à sortir de leur zone de confort pour faire valoir l’intérêt général.
A ces ingrédients de l’échec, il faut ajouter, malgré un dévouement indéniable des responsables successifs, les difficultés dans la gouvernance des établissements qui renvoient aux problèmes structurels de l’ESR français. Enfin, l’existence d’un tissu entrepreneurial exceptionnellement dense et varié (mais qui a du mal à s’y retrouver ?!), un atout exceptionnel qui distingue Lyon-Saint-Etienne, n’a pas pesé réellement.
Des problèmes anciens
Dès mai 2011, dans une évaluation de la défunte Aeres, il était déjà noté que « l’adhésion des différents partenaires reste marquée par une assez grande prudence sur l’évolution future de l’Université de Lyon, terminologie dont le contenu reste assez limité ».
En réponse, le président du PRES de l’époque, Michel Lussault, soulignait la volonté des membres « de faire fonctionner un principe de subsidiarité et d’organiser une complémentarité des structures autour de compétences bien identifiées ». Mais il pointait ce fait incontournable : « l’ampleur du groupement et la diversité des membres rend encore plus complexes les processus de délégation ».
Le jury Idex de l’été 2011, qui recalait le projet, relevait le manque d’« une vision transformatrice portant sur un périmètre restreint qui mette à profit les compétences clés des sites afin de faire reconnaître l’université dans un contexte international ». Et recommandait d’« examiner de nouveau si la Grande Université Fédérale de Lyon, telle qu’elle est présentée, concentre suffisamment les compétences clés de recherche et d’enseignement supérieur dans la région lyonnaise ».
Regrouper tout le monde et en même temps se concentrer sur un périmètre restreint, telle a été la mission impossible des acteurs avec l’éternel débat sur l’excellence vs l’inclusion.
Un Etat pas stratège
Mais si certains sont tentés de « charger » le jury Idex, il faut rappeler que le cahier des charges est le fait d’abord du CGI puis du SGPI avec le MESRI. Ce dernier, qui parle sans cesse de stratégie, a-t-il été capable de penser une stratégie sur le site de Lyon-Saint-Etienne ?
Y a-t-il eu un réel « benchmark » international ? A-t-il été envisagé de créer une université de technologie ? A-t-on réfléchi sur l’hypothèse de regroupements autour de 3/4 universités ? A-t-on, pour les écoles dont les directions sont nommées, adopté une politique directive ?
Car si le projet de regroupement était stratégique et prioritaire, les pouvoirs publics pouvaient décider ce qui l’a été à Saclay : 2 projets actant les divergences et avançant sur leurs propres projets. Dès juin 2011, le président du PRES Michel Lussault expliquait renvoyer à l’État « la question de son volontarisme politique : est-ce qu’il est prêt à aller jusqu’au bout de l’évolution de ses grands sites métropolitains ? » Comme souvent, l’Etat interventionniste n’est pas intervenu sur l’essentiel alors même qu’il en possède les leviers : les financements.
Rebondir sur l’échec
Car aujourd’hui il faut bien l’admettre : il est temps de siffler la fin du match et repartir sur d’autres bases. Ce projet de regroupement était dès l’origine voué à l’échec, car partant d’un a priori, celui d’un seul établissement, l’Université de Lyon.
Les comparaisons internationales, invoquées à tout va, ne plaident pas en effet, à cette échelle d’effectifs étudiants, pour ce modèle 3Il suffit de regarder ce qui se fait à Manchester, à Birmingham, Munich, etc. Il y a également les modèles américains d’universités publiques en « système » mais avec en réalité une hiérarchie d’établissements et de missions. C’est le cas par exemple de l’université du Wisconsin avec Madison et Milwaukee comme universités de recherche, et les autres établissements du « système » globalement orientés bachelors et/ou master.. D’autant que le particularisme français se traduit par une multitude de statuts, de tutelles, et de cultures que les regroupements dans d’autres pays ne connaissent pas.
Laissons la parole à Jean Tirole avec qui j’échangeais en novembre 2014 sur les politiques de site. Et il disait : « selon moi, à Toulouse, Marseille ou Lyon, il faudrait cinq universités vraiment pluridisciplinaires, d’au plus 20 000 étudiants, de niveaux différents et avec des passerelles multiples entre elles afin de permettre aux étudiants talentueux et motivés mais mal préparés, de progresser en niveau. »
Il reste à l’Etat à jouer son rôle, écouter, panser les plaies, mais aussi fixer un cap : tient-il toujours pour des raisons de visibilité scientifique à l’existence d’un seul établissement, quelle que soit la dénomination (fédéral, de recherche, intégré, expérimental) ? Ou osera-t-il initier une démarche innovante, voire disruptive ?
Références
↑1 | Les 3 vice-présidents centraux (conseil d’administration et moyens, recherche et formation) et 4 VP délégués de l’université (sur onze VP au total) ont démissionné pour exprimer leur désaccord vis-à-vis du projet actuel d’université cible. |
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↑2 | J’ai eu l’occasion depuis plusieurs années d’animer des débats à Lyon qui m’ont permis de discuter et rencontrer de nombreux scientifiques, dont des lauréats ERC, des responsables de Labex et d’Equipex etc. Et dans les domaines de l’accueil des chercheurs étrangers, de l’entrepreneuriat étudiant etc, l’UdL est souvent exemplaire. |
↑3 | Il suffit de regarder ce qui se fait à Manchester, à Birmingham, Munich, etc. Il y a également les modèles américains d’universités publiques en « système » mais avec en réalité une hiérarchie d’établissements et de missions. C’est le cas par exemple de l’université du Wisconsin avec Madison et Milwaukee comme universités de recherche, et les autres établissements du « système » globalement orientés bachelors et/ou master. |
C’est aussi un résultat différé du fiasco des Comue.
A quoi à servi « l’État stratege » ? Ou est passée la Stranes ? Que de temps perdu à entretenir des illusions.
Lyon, grande place académique, victime d un volontarisme obtus, d un pseudo modèle, d un Etat sans volonté.
Cher Jean-Michel,
l’hypothèse de la création de plusieurs (3) universités généralistes (avec des écoles d’ingénieurs dans chaque) a été travaillée sérieusement par le Pres UDL, en 2011. Mais il a semblé que le Jury idex n’accepterait pas un tel scénario. Toute cette histoire marque de mon point de vue le fiasco d’une vision appauvrie de l’enseignement supérieur sur un tel site, si complexe. Comme j’avais l’habitude de le dire à l’époque, l’UDL ce n’est pas l’université de Strasbourg en plus gros, c’est l’Ile de France en plus petit et personne ne songerait à imposer une seule université en Idf, ni même à Paris Centre. On retrouve sans doute aussi la méconnaissance par l’Etat central de la richesse et de la variété des situations « provinciales ».
ML
Bien d’accord avec cette analyse . L’IDEX Lyon Saint-Etienne pose le problème de l’absence de prise en considération du développement territorial impulsé par les universités « moyennes » comme Saint-Etienne, dans la politique de regroupements forcés des universités.
Voir sur mon blog :
http://www.maurice-vincent.fr/Idex-Lyon-Saint-Etienne-pourquoi-Big-is-not-beautifull–article-1051.html
http://www.maurice-vincent.fr/Les-fusions-forcees-d-universites-une-politique-a-revoir-article-1040.html
Il ne s’agit pas non plus d’un simple problème d’aménagement et d’équilibre territorial. Pas non plus du seul problème du retrait de l’état et de sa précipitation à demander aux régions la solution des problèmes dont il se dédouane. Il s’agit d’abord de bien comprendre qu’un regroupement viable résulte des actions menées librement en commun, mais qu’il ne peut pas les précèder, et encore moins les contraindre.
Effectivement presque tout sonne « faux » dans cette affaire, qui ressemble furieusement sur le fond à ce qui se passe et s’est passé sur le site toulousain,où les acteurs sont incapables de définir un projet commun cohérent et vis à vis duquel l’Etat dit stratège a fait la preuve de sa nullité (par parenthèse l’Etat dit stratège a failli aussi dans bien d’autres domaines que l’ESRI!)
Laurent a raison de souligner que c’est aussi l’échec de la politique des COMUE.
Bernard Belloc
Cher Jean-Michel CATIN,
Bravo pour ce blog documenté, qui énonce des faits et des analyses convaincantes.
Pas facile de comprendre ce qui se passe, même en le vivant de l’intérieur.
Ce qui est dit à propos de la difficulté de mener à bien une fusion intelligente et constructive en tenant compte des réalités locales est juste.
Néanmoins la réussite (apparente) d’autres projets tout aussi complexe comme celui de Paris Saclay par exemple ne pourra que ternir l’image de l’enseignement supérieur sur Lyon Saint-Etienne, qui pourtant est de très bon niveau. Un sentiment de gachis.