Écrire un billet sur ce blog sans aborder le 2ème tour de l’élection présidentielle serait baroque. Si j’espère avoir peu de lecteurs/rices partisans de M. Le Pen, je sais que certains sont tentés par l’abstention ou le vote blanc. Il est toujours utile de procéder à quelques rappels historiques. Cela va mieux en le disant : il n’y a pour moi ni peste ni choléra, mais le choix entre la démocratie ou l’aventure autoritaire et xénophobe, dans l’ombre de Poutine. Je ne mets pas un signe égal entre le sous-investissement dans l’ESR et la préférence nationale dont seraient victimes les étudiants étrangers avec Marine Le Pen.
Alors que France Universités a appelé à voter E. Macron pour faire barrage à l’extrême droite, après le 1er tour, sont apparus 2 appels avec des signataires d’universitaires intuitu personae : l’un à l’initiative de Louis Vogel dans le JDD, le second réunissant dans Le Monde la plupart des dirigeants d’organismes de recherche et d’universités et écoles. Avec quelques noms manquants, dont l’un fera parler : celui du président de Paris-II Panthéon-Assas Stéphane Braconnier, au moment où les médias multiplient les articles sur les réseaux d’extrême-droite issus de cette université, notamment pour le meurtre du rugbyman argentin F. Aramburu.
Lors du premier tour, la seule manifestation publique et collective d’universitaires (sauf erreur de ma part) a été l’appel dans l’Obs de 800 d’entre eux à voter pour Jean-Luc Mélenchon, pour lesquels « notre société a besoin d’une université libre et ouverte à toutes et tous, où sont produites, discutées et mises en circulation les connaissances dont nous avons besoin pour relever les défis contemporains et faire vivre notre démocratie. » A ce jour, ces 800 universitaires n’appellent pas collectivement à faire barrage à l’extrême droite et à voter E. Macron, ce qui signifie évidemment qu’une partie d’entre eux s’abstiendra ou votera blanc.
Un peu d’histoire
On retrouve ainsi un débat qui a traversé l’histoire de ce pays, et plus particulièrement les milieux universitaires, traditionnellement de gauche 1Il faut cependant se souvenir des étudiants et professeurs xénophobes et antisémites dans les années 30, en particulier dans les facultés de Médecine. Et lire cet article d’A. Monchablon dans lequel il rappelle que dans ces années là l’extrême-droite faisait plus de 60% des voix chez les étudiants… De même, elle était puissante dans certaines associations étudiantes liées à l’UNEF (Cf. Jean-Marie Le Pen) avant de scissionner cette dernière durant la guerre d’Algérie. Et elle était toujours vivace en mai 68 et dans les années 70.. Ce « Macron-Le Pen, c’est la même chose » s’inscrit en réalité dans une longue filiation, celle qui avait conduit le PCF en 1978 à faire voter contre le PS et faire gagner le RPR de l’époque 2On lira le détail dans le livre de Philippe Robrieux, L’Histoire intérieure du parti communiste .. L’ombre de Moscou planait déjà (en 1981 aussi mais sans succès)…
Les « Ni Macron-Ni Le Pen » recyclent en réalité deux vieilles idées « révolutionnaires » staliniennes, dont Poutine fait son miel.
La première est celle de l’avant-garde guidant les « masses » ignorantes, afin de les confronter au chaos pour les radicaliser. Le pire des maux c’est le diable capitaliste (surtout s’il est américain) et pas l’absence de démocratie. En résumé on préfère opposer les libertés dites « réelles » aux libertés démocratiques, dans la droite ligne des bolchéviques de 1917 et de leur coup d’Etat.
La seconde qui en découle est que le véritable ennemi serait celui (E. Macron en l’occurrence) qui appliquerait une politique fasciste et préparerait ainsi le terrain à l’extrême-droite. C’est muni de ce bréviaire que les médias français ont, sans retenue aucune, « oublié » Marine Le Pen et son programme, sans parler de ses casseroles judiciaires. Cette vieille idée, Staline l’avait ‘industrialisée’ en Europe avec des conséquences dramatiques…En 1931, sur son ordre, l’ennemi principal était le SPD. Le dirigeant du PC allemand (KPD) E. Thaëlmann affirmait que « les arbres nazis cachent la forêt social-démocrate »: arrêté en 1933, exécuté en 1944 à Buchenwald. Pas par le SPD… 3Et je n’évoque pas les crimes de la Guépuéou stalinienne durant la guerre d’Espagne contre une partie des Républicains.
Mais quel rapport avec 2022 ?
S’il ne s’agit plus de défendre les « acquis » de la révolution russe, il s’agit de se « défendre » contre une menace permanente : les gouvernements successifs sont grosso modo accusés d’importer en France le modèle universitaire américain, ce qui n’empêche pas certains des signataires d’en apprécier le confort 🙂, en menaçant « notre modèle français ». Tiens, tiens, le repli identitaire ne se cacherait-il pas parfois dans les meilleures intentions 🤔 ? Tout ce qui est contre les USA serait donc bon à prendre, y compris en jouant le rôle d’idiot utile de Poutine et de Le Pen : la menace, ce serait les pays démocratiques (l’OTAN et les réformes de l’ESR etc.), avec une description cataclysmique de leurs défauts.
Ainsi, une poignée d’étudiants (et non pas les étudiants) a occupé et saccagé des locaux à la Sorbonne au nom du ni-ni et du refus des élections. Quelques universitaires comme Sandrine Rousseau (dans le silence assourdissant des 800 signataires cités plus haut, sauf erreur) ont éprouvé le grand frisson du énième grand soir, et surtout expié le fait d’être issus de milieux favorisés. Quelles que soient les exactions, voire les crimes, il faut être du côté de celles et ceux que l’on croit opprimés. C’est ce qui mené à la tragique défense de Pol Pot par une partie des universitaires, des journalistes et de la gauche ou encore du soutien à l’agent de la Stasi Klaus Croissant contre le gouvernement démocratiquement élu de la République Fédérale d’Allemagne 4On rappellera les manifestations organisées contre l’extradition en 1977 en Allemagne de l’Ouest de l’agent de la Stasi Klaus Croissant, avec l’appui de nombreux intellectuels, Deleuze, Guattari etc..
Evidemment, il ne faut pas être grand clerc pour analyser la sociologie ultra-dominante des « occupants » de la Sorbonne, à l’image de mouvements sporadiques observés régulièrement dans certains lycées parisiens : des enfants de foyers financièrement et culturellement privilégiés, ce que j’ai déjà analysé. Encore que le culturellement privilégié soit sans doute abusif : on peut s’inquiéter, au pire, de la qualité de leurs enseignements, au mieux, de celle de la pédagogie. Mais pas d’inquiétude : ils vont bientôt retourner dans la maison de papa-maman dans le Perche, le Lubéron ou l’Île de Ré et au coin du feu raconteront leurs exploits face à la dictature. On remarquera, par contraste, que l’immense majorité des « hordes sauvages des étudiants des universités » et leurs 40% de boursiers (je plaisante évidemment) n’ont pas eu à cœur de détruire leur outil de travail…
Mais revenons au vote du second tour. Les idiots utiles de l’abstention et du vote blanc chez les universitaires déroulent un tapis rouge par exemple à l’expulsion des étudiants et chercheurs étrangers (voir infra) ou encore à l’isolement de la France dans l’Europe de recherche. Comment cela peut-il être vu comme moins important, ou mis sur le même plan, que l’avenir du CNU ou les différentes réformes en cours ? Je conseille à tous ces intellectuels la lecture de Le KGB contre l’Ouest. 1917-1991, Les archives Mitrokhine (Vassili Mitrokhine, Christopher Andrew) : on peut malgré soi être un rouage d’une stratégie d’influence, en l’occurrence de Poutine.
Je laisse la conclusion de ce billet à Stefan Zweig dans Le monde d’hier : « J’appris à observer le type éternel du révolutionnaire professionnel qui, par son attitude de pure opposition, se sent grandi dans son insignifiance et se cramponne aux dogmes, parce qu’il ne trouve aucun point d’appui en lui-même. »
Le programme de Marine Le Pen : la préférence nationale et rien d’autre
Pour ce qui concerne l’ESR, le programme du Rassemblement National se signale par sa volonté « d’instituer une priorité nationale d’accès au logement social et étudiant », ou bien encore indique qu’un « étudiant étranger admis sur le territoire pour y suivre des études scolaires ou universitaires doit le quitter à la fin de celles-ci », « sauf si sa présence sur le territoire répond à un impératif d’intérêt national ».
En dehors de ces saillies xénophobes, antagoniques avec la nature même de l’Université, son programme sur l’enseignement supérieur, la recherche et l’innovation est quasi inexistant. Quelques mesures « sociales » sont annoncées pour les français : verser une prime d’État aux étudiants qui travaillent à hauteur de 20 % du revenu de l’étudiant par mois, jusqu’à un maximum de 200 €, et pour les boursiers, 30 %, jusqu’à 300 €, augmenter de 25% les APL pour les étudiants et enfin construire 100 000 logements étudiants.
En matière de recherche et d’innovation, la seule recommandation consiste à « créer un fonds souverain pour augmenter la rémunération de l’épargne des Français et l’orienter vers des secteurs stratégiques », afin de « replacer la France dans le peloton de tête des grandes nations technologiques ».
Références
↑1 | Il faut cependant se souvenir des étudiants et professeurs xénophobes et antisémites dans les années 30, en particulier dans les facultés de Médecine. Et lire cet article d’A. Monchablon dans lequel il rappelle que dans ces années là l’extrême-droite faisait plus de 60% des voix chez les étudiants… De même, elle était puissante dans certaines associations étudiantes liées à l’UNEF (Cf. Jean-Marie Le Pen) avant de scissionner cette dernière durant la guerre d’Algérie. Et elle était toujours vivace en mai 68 et dans les années 70. |
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↑2 | On lira le détail dans le livre de Philippe Robrieux, L’Histoire intérieure du parti communiste . |
↑3 | Et je n’évoque pas les crimes de la Guépuéou stalinienne durant la guerre d’Espagne contre une partie des Républicains. |
↑4 | On rappellera les manifestations organisées contre l’extradition en 1977 en Allemagne de l’Ouest de l’agent de la Stasi Klaus Croissant, avec l’appui de nombreux intellectuels, Deleuze, Guattari etc. |
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