La plateforme Parcoursup est régulièrement accusée de sélectionner et d’accroître les disparités sociales. Dans notre pays, sélection reste un gros mot, y compris chez beaucoup de ses partisans ! Il existe en tout cas un paradoxe apparent : la hausse considérable des inscrits dans des filières sélectives a accompagné et même stimulé la démocratisation de l’accès aux études supérieures ! Contre-intuitif mais réel.
Cette question de la sélection dans le supérieur demeure ‘sur idéologisée’, à rebours des chiffres mais aussi de la réalité des attentes des familles et des jeunes autour de Parcoursup ou de l’accès en master 1Les recours sont devenus un business visiblement rentable pour un avocat.. Car quelqu’un l’a-t-il remarqué ?
La hausse considérable des inscrits dans des filières sélectives a accompagné, voire stimulé, la démocratisation réelle de l’accès aux études supérieures : en témoignent les STS et les IUT, dont les taux de boursiers sont largement supérieurs aux autres filières. Il est d’ailleurs curieux de voir des universitaires s’indigner à la place des jeunes d’origine modeste et leurs familles qui plébiscitent eux les filières sélectives : d’un côté ils/elles se plaignent du niveau et/ou de la concurrence des écoles diverses et variées, mais de l’autre ils/elles sortent de leur boite dès que ce mot tabou de sélection est prononcé. En réalité, ils raisonnent symétriquement aux élites qu’ils dénoncent et sont dans l’assignation : les « pauvres » (sic) ne doivent pas être sélectionnés … car ils n’ont pas le capital culturel !
Or, signe de leur déconnexion du réel, on peut considérer, comme je l’ai évalué ‘grossièrement’ que plus de 2 millions d’étudiant (e)s sont inscrits dans des filières sélectives de toute nature, dont plus de 55% dans les universités. Les familles modestes choisissent plus facilement les filières courtes professionnalisantes, sélectives et donc perçues comme sécurisantes en termes de débouchés. Et elles sont vues, à l’image des IUT, comme un marchepied pour la poursuite d’études. Les jeunes et familles modestes voient dans les filières sélectives une assurance pour l’avenir. L’accès aux études longues pour les jeunes issus de milieu modeste, et donc la réussite en licence, est le véritable enjeu.
Au-delà de Parcoursup
L’avez-vous remarqué ? Pour la première fois, à l’occasion de cette rentrée, et ce depuis des décennies, on n’entend pas parler (par exemple par l’UNEF, SUD etc.) d’étudiants non-inscrits. Ravel, APB puis Parcoursup ne dérogeaient pas pourtant à cette règle en septembre.
Parcoursup semble, au moins techniquement, en rythme de croisière. Il faudra cependant attendre les chiffres officiels et surtout le rapport du CESP. Un groupe de travail doit fournir des pistes d’amélioration, dont la première évidemment est le calage avec les épreuves de spécialités du bac fixées en mars. Il faut préciser que, à l’image du tirage au sort d’APB, les difficultés d’accès à la « filière de son choix » demeurent localisées en termes de types de formation (Droit, psycho, Staps) et de région, Paris et l’Île-de-France étant en plus des cas spécifiques.
De plus, ces choix ne peuvent se réduire à des questions (réelles) de moyens disponibles : de nombreuses places sont disponibles en BTS et CPGE (une source m’avait évoqué le chiffre de 24 000 !) sans parler des filières universitaires qui ne sont pas en tension… parce que pas demandées. Il y a celles en tension parce que très (trop ?) demandées : peut-on interdire aux jeunes de candidater en masse en Droit Paris 1 et Paris 2 ? Mais peut-on interdire à ces mêmes universités de faire des choix ? Je rappelle à celles et ceux qui ont la mémoire courte qu’il y a des années, on ne choisissait pas son université en Île-de-France avec la sectorisation.
Secouer le cocotier de la carte des formations
Plus généralement, il existe une question de fond : l’État est-il légitime à « orienter » les choix des jeunes en fonction des besoins qu’il évalue ? Par exemple, sur les besoins de la filière nucléaire, à tous les niveaux de diplômes, sont énormes. Et bien sûr autour de l’informatique et des sciences et techniques. Ou encore sur la filière santé etc. Peut-on, dans une filière réglementée, la psychologie, laisser des dizaines de milliers d’étudiants s’inscrire ? Peut-on laisser des bacs pros échouer à 99% à l’université 2Cette question, souvent invoquée comme le symbole de l’absurdité du système, a une portée limitée : leur présence est marginale. ? Des chercheuses 3Fanny Bugeja-Bloch, Marie-Paule Couto et Leïla Frouillou, Les effets de Parcoursup sur les orientations universitaires des femmes de milieux populaires, in ’université pour quoi faire ? La Vie des idées.fr, PUF ont d’ailleurs démontré à l’insu de leur plein gré, que les inscriptions en sociologie en Île-de-France l’étaient par manque d’offre en BTS…
Donc le problème à résoudre, pas simple, est à la fois la concordance de la stratégie des pouvoirs publics, des attentes des jeunes et des familles, de la pertinence et de l’attractivité des formations et enfin de l’offre territoriale. Ajoutons un chaînon essentiel, la politique des établissements et/ou de leurs composantes : à titre d’exemple, les IUT ont déjà un recrutement géographiquement diversifié. Cela confirme que la question n’est pas en soi la plateforme dont certains demandent la suppression.
Avec la baisse tendancielle du nombre d’élèves en CPGE, les taux d’échec important et des sections de BTS qui ne remplissent pas, ne doit-on pas plutôt secouer vigoureusement le cocotier de la carte des formations ? Faut-il avec D. Bloch, le « père » du bac pro s’inquiéter du fait que « les programmes des STS sont essentiellement adaptés au profil des bacheliers technologiques » ? Bref, l’université doit-elle être la seule mise à contribution et jouer le « pompier de service » ?
Que manque-t-il ?
Les choix d’un jeune de cet âge sont, quoique l’on fasse, sources de stress, d’inquiétudes. Cela fait même partie de leur construction, n’en déplaisent aux parents régulièrement médiatisés sur le fait que leur génial enfant n’a pas été pris à H4 ou Louis-le-Grand. S. Retailleau l’a rappelé à juste titre lors de sa conférence de presse de rentrée : il faut cesser de percevoir les tâtonnements inévitables à cet âge comme un échec.
Ces tâtonnements sont souvent vécus comme des échecs en raison d’une offre de formation pléthorique qui spécialise trop tôt en première année, malgré des efforts indéniables dans les universités. Un ouvrage du Céreq montre cependant que le nombre de jeunes qui reprennent des études après leur formation initiale augmente 4« Ainsi, 19 % des jeunes sortants de l’enseignement supérieur de la Génération 2010 reprennent des études contre 11 % des jeunes ayant fini leurs études en 1998. » in »Enseignement supérieur, nouveaux parcours, nouveau public ».
A cette faible reconnaissance du droit à l’erreur, il manque des passerelles plus nombreuses et mieux organisées, des filières professionnelles mieux structurées et coordonnées. Dans la même veine, même si les reprise d’études n’émargent pas stricto sensu à la formation tout au long de la vie, cette dimension a bien du mal à franchir les portes du monde académique qui demeure prisonnier d’une vision linéaire de la progression et de l’acquisition des connaissances : bac précoce avec mention etc.
Enfin, il y a la nécessité de transformer profondément les services de scolarité des universités en service des admissions, avec un suivi plus personnalisé. Face au nombre de dossiers d’admission à traiter, cela demande évidemment des moyens.
La conjonction des forces et des moyens suggérée par la Cour des comptes (Prépa, BTS, licences) est-elle dans ce contexte une utopie ?
Mais quels sont les différents types de sélection ?
Il y a évidemment ce qui relève de la sélection indirecte par l’argent ou en fonction du milieu social : on le sait la France se distingue pour le pire dans toutes les comparaisons internationales 5Relevons cependant que le cumul des aides, comme l’ont documenté toutes les études, bénéficient en réalité plus à celles et ceux qui en ont le moins besoin, grâce à notre système fiscal, voire les APL.. Regardons le millefeuille de la sélection (oui là aussi !) et rappelons quelques vérités.
La sélection par défaut. C’est l’abandon en cours d’études, pour des raisons d’ailleurs diverses. C’est aussi évidemment l’échec en fin de 1ère année à l’université. Atténuée avec l’obtention quasi généralisée du bac, elle s’est déplacée essentiellement dans les universités, par la combinaison abandons – résultats aux examens.
La sélection par le rang. On a ainsi des concours pour lesquels c’est le rang qui détermine le choix, pas le ‘goût’ ou le choix : je fais ainsi de l’électronique ou de l’aéronautique presque par hasard.
La sélection budgétaire ou démographique. On en a eu un aperçu avec les reçus-collés de médecine dès 1971 avec un cocktail d’intérêts corporatistes d’un syndicat de médecin, d’approche politique en réaction à mai 68, et de volonté (déjà !) de maîtriser les dépenses de santé 6A lire cet article.. Avec pour conséquence, au fil des ans, une catastrophe en matière de santé publique, avec des déserts médicaux etc. Et surtout une question sans réponse : le numerus clausus a-t-il amélioré le niveau des médecins formés ?
La sélection sur dossier. C’est le cas de nombreuses filières, des STS aux bi-licences en passant par les IUT, et évidemment au niveau master. Elle prend en compte, tout du moins en théorie, une vision globale du parcours, des qualités et compétences du candidat. On peut y ajouter dans ce cadre l’apprentissage, même si ce dernier est parfois dévoyé comme simple outil de financement par certains établissements, essentiellement privés.
La sélection en trompe-l’œil. C’est celle de nombreuses écoles privées qui font de leur sélectivité factice un argument de séduction des familles et des jeunes. Alors même qu’elles chassent le « client ».
Références
↑1 | Les recours sont devenus un business visiblement rentable pour un avocat. |
---|---|
↑2 | Cette question, souvent invoquée comme le symbole de l’absurdité du système, a une portée limitée : leur présence est marginale. |
↑3 | Fanny Bugeja-Bloch, Marie-Paule Couto et Leïla Frouillou, Les effets de Parcoursup sur les orientations universitaires des femmes de milieux populaires, in ’université pour quoi faire ? La Vie des idées.fr, PUF |
↑4 | « Ainsi, 19 % des jeunes sortants de l’enseignement supérieur de la Génération 2010 reprennent des études contre 11 % des jeunes ayant fini leurs études en 1998. » in »Enseignement supérieur, nouveaux parcours, nouveau public » |
↑5 | Relevons cependant que le cumul des aides, comme l’ont documenté toutes les études, bénéficient en réalité plus à celles et ceux qui en ont le moins besoin, grâce à notre système fiscal, voire les APL. |
↑6 | A lire cet article. |
Un billet de rentrée tonitruant, cher Jean Michel ! Merci !
La sélection à l’université est en effet un des sujets les plus polémiques de nos débats sur le sup et aussi un des sujets où le plus de contrevérités sont étalées et masquent la réalité.
Excellent d’entendre que Parcoursup atteint son rythme de croisière. Effectivement, aucun écho de ce système qui faisait la une des rentrées précédentes. Excellent aussi d’entendre que la majorité des étudiants, y compris dans les universités, sont inscrits dans des filières sélectives. Excellent enfin de disjoindre sélection et démocratisation : l’absence de sélection ne provoque pas la démocratisation ; il n’est que de voir en France que les filières les plus sélectives sont celles où les milieux modestes sont les moins bien représentés, ou encore que dans les pays qui pratiquent une sélection à l’entrée de quasiment toutes leurs filières d’enseignement supérieur les taux de scolarisation et de diplomation de leurs classes d’âge sont souvent plus élevés qu’en France.
En réalité la sélection, si elle n’est pas malthusienne, i.e. si elle ne limite pas globalement le nombre d’étudiants et au contraire les orientent intelligemment en fonction de leurs potentiels, de leurs projets et sans jamais les exclure grâce à des systèmes de passerelles, cette sélection-là engendre en fait bien plus de démocratisation que l’accès au sup de notre système dit ouvert.
Voilà une vraie question en cette rentrée universitaire : comment favoriser la démocratisation du sup et l’accès aux études supérieures, je dirais, grâce à une sélection et une reconnaissance intelligentes des divers talents. Une question corolaire immédiate est bien entendu le financement de l’accès aux études pour les plus modestes. Vaste sujet…
Et je conclus mon commentaire en rappelant que l’enfant malade de nos filières d’enseignement supérieur est toujours la licence universitaire et singulièrement le niveau L1, malgré les efforts faits par de nombreuses universités. Sans craindre le paradoxe et encore moins les critiques, je dirai qu’une des planches de salut du L1 est sans doute une certaine forme de sélection !
Remarque pertinente également sur la question e l »orientation : il est complètement absurde de vouloir absolument augmenter les capacités d’accueil de filières saturées aux débouchés limités. Alors que par ailleurs les filières conduisants à des métiers sous tension peinent à recruter ! Les capacités d’accueil devraient tenir compte de ces contextes …