Découverte soudaine des résultats Pisa, déploration permanente, changements incessants : plus que jamais, les débats éducatifs français, à l’image des polémiques autour d’A.Oudéa-Castera, sont englués dans les postures. Les débats argumentés, la nuance, l’analyse des données et la prise de recul historique disparaissent au profit du ‘buzz’ dont le fonds de commerce est l’indignation. Car depuis Pisa 2006 (et avant), y a-t-il eu un/une ministre, de gauche, du centre ou de droite, qui a réussi à corriger les lacunes pointées ? Toutes et tous ont échoué, ce qui devrait inciter à une certaine humilité des politiques et commentateurs.
C’est un fait, les premiers pas d’A. Oudéa-Castera sont désastreux, entre déclarations au mieux malencontreuses au pire inexactes, ineptes et blessantes 1Même interrogée lors de la finale du championnat d’Europe de Hand-ball, la ministre est catastrophique !. Mais cela prouve surtout que la ‘baisse du niveau’ peut concerner aussi Stanislas, Sciences Po et Ena, ces formations dites d’élite 🤭 ! Mais faut-il la juger pour ce qu’elle est (issue des « beaux quartiers » comme l’on dit) ou pour ce qu’elle fait ? De ce point de vue, beaucoup de ses détracteurs pourraient faire profil bas…
Le député socialiste J. Guedj (Sciences Po et Ena aussi) symbolise cette hypocrisie collective en concédant tête basse, après s’en être pris à la ministre, qu’un de ses enfants était, lui aussi, en école privée. Et lorsque l’on connaît l’entre-soi des « élites parisiennes », et j’y inclus les journalistes, on sourit de les voir dénoncer la ministre et le privé en oubliant Louis-le-Grand, Henri-IV etc. symboles bien connus de l’ouverture sociale du service public… Sans parler de tous leurs efforts pour contourner la carte scolaire à Paris 😒.
17 ans de Pisa, une surprise pour qui ?
Mais au fond, cela soulève une question de fond : depuis Pisa 2006, les alertes se multiplient sur les mauvaises performances de notre système éducatif, dont je ne suis pas convaincu qu’Amélie Oudéa-Castéra soit responsable 😊 ! En effet, si désormais tout le monde découvre et « déplore » les résultats Pisa, ils ne sont pas quand même pas nouveaux et soulignent depuis des années la place spécifique de la France concernant les inégalités scolaires liées au milieu d’origine (Cf. le résumé de Claude Lelièvre même si en maths, désormais même les « meilleurs » baissent…)). Doit-on rappeler que Pisa pointe aussi régulièrement le climat des classes françaises et une relation enseignant-élève peu marquée par la bienveillance ?
Il y a eu des bons et mauvais ministres, des mesures qui ont marqué des progrès, d’autres régressives. Mais les ministres successifs, de gauche, du centre ou de droite, ont-ils inversé la tendance relevée par Pisa ? Non ! Quelle que soient leur politique, ils/elles n’ont fait qu’accompagner une massification/démocratisation dont les ressorts les dépassent.
Immobilisme et repli sur soi
Face à ces constats comparatifs, quelles furent les premières réactions ? Le SNES expliquait en décembre 2007 que « Pisa ne peut être un élément de pilotage du système éducatif dont l’objectif ne peut se réduire à améliorer les scores à un classement international ». Pourquoi donc ? Car Pisa donnerait la priorité « à des savoirs et savoir-faire pragmatiques qui n’englobent pas l’ensemble des programmes scolaires français », notre système éducatif « poursuivant des objectifs plus variés et ne préparant pas spécifiquement les élèves à ce type d’évaluation comme peuvent le faire d’autres systèmes éducatifs ».
Ah le diable étranger, cette musique nauséabonde que l’on retrouve sur les classements internationaux des universités ! Voilà qui résume bien les débats éducatifs à la française, dont le SNES n’est qu’un des représentants emblématiques : toujours mettre en avant l’exception française et contester l’apport des connaissances et comparaisons internationales… pour justifier l’immobilisme.
Bien entendu, les causes de ce séparatisme social à l’école sont multifactorielles. Les moyens ? Hypothèse trop facile lorsque l’on connait le déséquilibre français entre le lycée et le primaire et le collège. Curieusement le débat public escamote depuis des décennies l’obstacle à toute évolution significative du système français, son centralisme.
Un jeu de rôle bien rodé
Dès que l’on touche à un étage du système, les programmes par exemple, le monde académique et enseignant monte au créneau. Il peut ainsi tranquillement critiquer les déclarations d’E. Macron sur l’ajout de théâtre etc. à l’enseignement en dénonçant l’alourdissement et l’infaisabilité. Mais chacun plaide en même temps pour le renforcement horaire de sa discipline. Il faut toujours plus d’heures de cours, plus de maths, de français, d’histoire, d’économie, d’informatique, de biologie, de physique et j’en passe, mais jamais mieux. La stratégie de l’entonnoir s’applique aux élèves français. Relisons Marc Bloch avec profit !
Cette centralisation étouffante s’incarne dans le jeu de rôle qui consiste à faire de la parole du ou de la ministre l’alpha et l’oméga d’une politique éducative. L’écume des choses (petites phrases et annonces) remplace et parasite l’action de fond, durable et impulsée sur le terrain, dans un consensus étonnant allant du ministre aux syndicats en passant par les médias.
Un grand « théâtre » au détriment des élèves et des personnels
C’est un jeu gagnant-gagnant : quels que soient les articles ou reportages, le ministre a besoin des médias pour exister. J’ai déjà décrit ce grand théâtre : dans quel pays assiste-t-on en effet en permanence à un tel ‘cirque’ autour du ou de la ministre de l’Éducation ? Dans quel pays, le moindre battement de ses cils est guetté par les médias comme si sa parole avait le pouvoir de changer les choses dans une classe ? Un problème quelque part ? Le ministre doit intervenir ! Y compris pour le chauffage d’une école primaire dépendant d’une commune…
Ce consensus centralisateur est encouragé par les médias, un véritable fonds de commerce. Les questions lors des conférences de presse de rentrée des ministres de l’éducation (et j’en ai fait), les commentaires sur la fameuse « circulaire de rentrée’ sont les marronniers utiles de l’immobilisme et de la superficialité. L’essentiel est de parler du ministre, peu importe si c’est en bien ou en mal.
En option, les médias mettent en scène régulièrement des « gourous » de l’éducation, censés incarnés ce qu’il faudrait faire. Qui se souvient encore de la proviseure de lycée mise à toutes les sauces dans les années 90 dans le Monde, l’Express, Libération etc., Marie-Danielle Pierrelée, et désormais remplacée par les figures ‘éducatives’ des réseaux sociaux ? Bien sûr, loin de moi l’idée de contester l’apport des médias : mais ils tendent à faire pour l’éducation ce que fait le journal l’Equipe pour le foot, le rugby etc. : dire le bien et le mal, faire les équipes, encenser puis lâcher et lyncher … en se trompant régulièrement.
Ainsi, le débat éducatif se réduit à un psychodrame politico-médiatique, avec des variantes mais qui entérinent toutes l’immobilisme (ah le poids du cartable !).
Car il y a une chose qui fait consensus et explique en partie l’impuissance publique, d’E. Macron à J-L Mélenchon en passant par la plupart des syndicats : le maintien d’un système gouverné par les circulaires et rythmé par les annonces de la ou du ministre, et selon l’époque de la femme du président et du président lui-même, et bien sûr la réaction des syndicats et les Unes des médias.
S’il faut dénoncer la nouvelle lubie de l’uniforme, cache-sexe de la démagogie politique, que dire du feuilleton de la formation des enseignants qu’aucun gouvernement, de gauche, du centre ou de droite n’a su résoudre depuis des décennies ? Qui cela intéresse-t-il ?
A part la Cour des comptes, qui dénoncera les déséquilibres en termes d’élèves par classe entre les écoles rurales en défaveur de la Seine Saint-Denis (au hasard) ? Combien de fois, les enseignants, les chefs d’établissements, découvrent-ils des mesures nouvelles, à mettre en œuvre pour la veille ? Depuis des décennies sans que rien ne change.
Verre à moitié plein, verre à moitié vide
Alors, tout va mal ? Suggérer qu’une génération d’idiots arrive dans l’enseignement supérieur et sur le marché du travail, c’est une vieille antienne dont on se passera. Tout va bien ? Évidemment non, et on ne se passera pas évidemment d’agir pour corriger des lacunes handicapantes, qui ne concernent pas seulement les élèves de milieu défavorisé.
Face à la déploration permanente, je conseille cette contribution si juste de Jean-Yves Mas, professeur de sciences économiques et sociales en Seine-Saint-Denis, dans Le Monde de novembre 2023. « A force de toujours considérer le verre à moitié vide en matière de démocratisation scolaire, on accrédite l’idée qu’elle est un échec. (…) Voilà pourquoi, si la gauche doit continuer à défendre la démocratisation scolaire, elle doit sortir du discours de la déploration. Elle doit, à l’inverse, reconnaître les progrès accomplis dans ce domaine, et montrer que c’est justement parce que la démocratisation scolaire progresse qu’il faut continuer à la soutenir et à l’approfondir. »
Car au fond, ce qui bouge et fait bouger, ce sont les évolutions sociales et l’action positive sur les territoires, avec des enseignants trop souvent désorientés par les réformes et en mal de formation. Ils/elles font face à un système archaïque fait de verticalisme, d’inspecteurs (au 21ème siècle !!!), de circulaires hors-sol qui pèsent plus que le supposé manque de moyens, à nuancer au niveau global. Accumuler les heures d’enseignement coûte cher, très cher, mais est-ce efficace si l’on compare à d’autres pays ?
Une avalanche de rapports
Alain Boissinot, ancien directeur de l’enseignement scolaire et ancien recteur, rappelait en mars 2022 pour AEF la large consultation sur l’avenir de l’école menée par la commission dirigée par Claude Thélot, dont le rapport fut publié en 2004. Les chantiers proposés ? Revoir le pilotage de l’Éducation nationale, les missions des enseignants et la voie professionnelle… et un constat : « le monolithisme scolaire, si tant est qu’il ait jamais réellement existé, n’est plus envisageable au sein d’une société aussi complexe et diversifiée que la nôtre. L’École de la Nation, sans rien céder aux intérêts particuliers, exercerait mieux ses responsabilités, serait plus efficace et plus juste dans le cadre d’une ‘diversification maîtrisée’ dont la clef de voûte serait l’établissement scolaire. »
On pourrait également citer le rapport Legrand de 1983 et bien d’autres. Le « carburant » de toutes ces propositions, c’est donner plus d’autonomie aux acteurs et faire de l’établissement la clé de mise en œuvre. Or, à l’inverse, c’est le consensus de toutes les forces syndicales et politiques pour maintenir un système ultra centralisé. De ce point de vue, face au centralisateur E. Macron, les syndicats y trouvent leur compte, avec ce face à face national permanent.
Avons-nous en effet des exemples significatifs de soutien des syndicats à des mesures même quand elles ont fait avancer les choses ? Les ZEP (ah le honni Claude Allègre 😉), les REP et REP + ont été combattus. Najat Vallaud-Belkacem, victime d’une campagne sur ses origines, a surtout été confrontée aux oppositions des syndicats de la FSU et de SUD ! Même V. Peillon avec ses 60 000 postes n’a pas obtenu de consensus… A tel point que l’opinion publique est désormais incapable de savoir pourquoi les syndicats appellent à la grève, si rituelle.
Franchement, quand je lis ou j’écoute Najat Vallaud-Belkacem, Luc Ferry, Philippe Meirieu ou encore Vincent Peillon s’exprimer aujourd’hui sur l’éducation nationale, j’ai envie de leur dire : un peu d’humilité, version polie, et fermez-là, version énervée.
Au fond, l’avenir de notre système éducatif ne sera-t-il pas radieux lorsque les ministres s’occuperont d’abord de leur ministère et de son prurit bureaucratique, le réformeront réellement en donnant aux académies et aux établissements une autonomie réelle ? Et lorsque plus personne ne parlera tous les jours du ou de la ministre ?
Des décennies d’impuissance
Je me suis amusé à consulter mes archives sur l’éducation nationale depuis les années 90 du tandem Claude Allègre-Ph Meirieu 2Oui on l’a oublié, mais le gourou de toutes les causes pédagogiques a été lui aussi aux manettes…. J’ai vu défiler Jean-Luc Mélenchon (ministre délégué chargé de l’Enseignement professionnel), Jack Lang évidemment, Luc Ferry, Xavier Darcos, Gilles de Robien, François Fillon, une nouvelle fois Xavier Darcos, Luc Chatel (qui était en même temps porte-parole du Gouvernement), puis Vincent Peillon, fugitivement Benoît Hamon, ensuite Najat Vallaud-Belkacem, puis Jean-Michel Blanquer, Pap Ndiaye, Gabriel Attal et enfin AOC.
Le blog de l’historien Claude Lelièvre illustre bien la permanence de ces débats et polémiques, comme son billet en 2008 sur la préférence du système (et des syndicats) pour le financement des lycées… Consulter les archives, c’est donc vivre un marathon des postures des uns et des autres : dans l’opposition, on dénonce ce que font les gouvernants, au gouvernement on reprend parfois les mêmes recettes mais dans tous les cas on empile des réformes et des réformettes à coup de circulaires et de JT de 20h.
Je pourrais dresser un inventaire de leurs déclarations sur les questions à régler, les mêmes que celles d’aujourd’hui. Déjà en 2001, J. Lang alertait par exemple sur les difficultés de recrutement des enseignants, tandis que la position de J-L Mélenchon sur le collège unique était intéressante 😉 : « Pour avoir déclaré qu’au collège il n’y avait que ‘le bâtiment d’unique’, j’ai été rangé dans la catégorie des ennemis de cette merveilleuse institution. Donc ennemi de l’égalité républicaine, s’il vous plaît. Le débat [sur le collège unique] avait rebondi il y a un an quand des idéologues fanatiques, sans enfants au collège, ont décidé de supprimer les classes de 4ème et 3ème dites ‘technologiques’ qui fonctionnaient non seulement dans les collèges mais surtout dans les lycées professionnels (…) Des milliers de gosses furent donc séance tenante condamnés à échouer dans l’indépassable soi-disant filière d’élite qu’est l’enseignement dit ‘général’ où la sélection sociale fonctionne à plein régime.. » (J-L Mélenchon Revue A gauche du 4 décembre 2002, citée par AEF).
Vous me direz qu’à l’époque, le dirigeant de LFI dénonçait aussi la montée des violences antisémites liées au conflit israélo-palestinien… V. Peillon, à l’ego boursouflé et s’écoutant parler avec gourmandise, avec une partie de médias à ses pieds, n’a pas vu venir la fronde sur les rythmes scolaires : son bilan, avec 60 000 postes créés interpelle ! Quant à J-M Blanquer, pour avoir échangé souvent avec lui avant qu’il soit ministre, j’ai pu mesurer l’écart entre sa vision nuancée et la réalité de son costume de ministre donnant la ligne du Parti au 20h d’un JT, incapable d’écouter et avocat d’un verticalisme dépassé.
Ainsi, toutes et tous les ministres ont été avalés par le système, les mauvais comme les bons, dans une machine à broyer tout changement.
Références
Jean-Michel Catin en pleine forme ! Bravo pour ce post mordant, impitoyable. Ce qui est décrit ici se retrouve presque terme à terme dans l’ESR. Ne rien apprendre de ce qui marche ailleurs, c’est à dire pour l’essentiel donner de la véritable autonomie aux établissements en prenant en compte la diversification du paysage, la différenciation des acteurs.
Ce qui se fait à l’international est indigne du génie français !
« C’est proprement le mal français, la sotte vanité nous est particulière », La Fontaine, « Le Rat et l’’Elephant ».
ET si …. on introduisait dans l’obtention ou la validation/confirmation du CAPES et de l’agrègation le fait d’avoir réalisé sous une forme ou une autre un semestre (trimestre ?) dans le système d’enseignement (public ou privé) d’au moins un autre pays que la France ? Ou juste même quelques points de plus dans la carrière ? Avec remise d’un rapport sur ce séjour ?