Qui s’intéresse et se préoccupe de la recherche ? Certes on parle de temps en temps de l’enseignement supérieur mais souvent pour de mauvaises raisons, souvent compassionnelles ou politiciennes. Quant à la recherche scientifique et ses effets positifs pour notre pays, c’est un trou noir. S’il n’y a pas de majorité stable, il y a donc au moins un sujet sur lequels toutes et tous se rejoignent : l’ESR n’est pas un enjeu. Malgré ses limites, la LPR y survivra-t-elle ? Triste et inquiétant.
Comme chaque année, le budget est pour l’ESR un supplice chinois, obligeant les acteurs, notamment France Universités et les chefs d’établissement, à défendre l’importance de ce secteur et détailler les conséquences de coupes budgétaires. Et chaque année on procède dans le jardin universitaire à des rafistolages permettant au système de tenir, sans s’assécher mais sans pourvoir fournir les meilleurs fruits. De temps en temps, une tempête, surtout étudiante, fait peur à tout le monde et on sort l’arrosoir en espérant qu’il suffise.
Un consensus inquiétant
Il y a bien eu dans les programmes pour les élections législatives quelques mentions de l’importance de la recherche. Mais une fois les élections faites, devinez ? Ce sujet a complètement disparu. C’est même un consensus qui transcende tous les clivages et polémiques. Il y a donc une majorité forte au Parlement, voire une unanimité, pour ignorer cette question. Certes, il y aura des polémiques au moment des discussions sur la Mires, mais avec le même retentissement politique et médiatique qu’un fait divers au fin fond du pays.
A quoi s’intéresse-t-on pour l’avenir du pays ? Aux retraites, à la santé, à l’éducation, à la défense, à l’agriculture, à la culture etc. Et bien sûr aux taxes, impôts et prélèvements obligatoires. Tous les sujets y passent sauf un : la recherche, reléguée au fond du garage, alors que le budget de l’ESR est pourtant le 3ème budget de l’État. La décarbonation ou la réindustrialisation, par exemple, se feront sans la recherche ? Faut-il rappeler le relèvement extraordinaire de la Corée du Sud, pays miséreux au sortir de la guerre des années 50, dont la recherche et l’innovation ont été les moteurs ? Peut-être ferons-nous collectivement le choix de la Corée du Nord ?
Le symbole de cette déliquescence, c’est LFI. Avec pourtant un programme complet (et délirant par ailleurs) élaboré certes par un ‘dissident’, H. Davi, J-L Mélenchon appelle-t-il les étudiants à se mobiliser pour augmenter le budget de l’ESR ? Non, il les somme de mettre des drapeaux palestiniens sur les façades des universités ! Ses (nombreux) supporteurs dans ce secteur, si prompts à dénoncer l’instrumentalisation autour du ‘wokisme’, sont totalement silencieux… Quel courage !
De l’extrême-droite à l’extrême-gauche en passant par la droite, le centre et la gauche, tout le monde ignore donc la recherche scientifique et l’enseignement supérieur, avec le soutien unanime des médias non spécialisés.
Le désert intellectuel de la réflexion sur l’ESR
C’est toujours un casse-tête de chercher ce qui traite de l’ESR dans les réflexions des mouvements politiques. Les universitaires y sont de moins en moins encartés et/ou impliqués. Le désert intellectuel règne sur ces sujets au RN et à LR (P. Hetzel y est un des rares connaisseurs). Dans l’ex-majorité, G. Attal n’éprouve aucun intérêt pour ces questions et A. Kohler pense que l’université est une garderie et les universitaires ingérables.
A gauche, les écologistes sont englués dans un rapport à la science quasi mystique et surfent sur les fake news catastrophistes 1Y compris en accueillant des antivax ou en reprenant les fraudes de Séralini, épaulés en cela par le complotisme qui règne à la rubrique scientifique du Monde. Le NFP et le PS ont en quelque sorte délégué au Collectif ‘NosServicesPublics’ une réflexion sur l’enseignement supérieur 2Par ailleurs truffée d’erreurs et d’approximations dont il faut citer la meilleure : « la Commission européenne a supprimé son commissaire pour la recherche pour un commissaire à l’innovation. » Or, Mariya Gabriel vient de terminer son mandat de Commissaire à l’innovation, à la recherche, la culture, l’éducation et la jeunesse tandis que la Bulgare Ekaterina Zaharieva devrait lui succéder comme commissaire européenne à la Recherche et à l’Innovation… Cela illustre l’ignorance voire le dédain ou le mépris que partagent malheureusement beaucoup de forces sociales et/ou politique pour l’Europe et les questions internationales. dont la faiblesse (quasiment pas de propositions mais des constats, rien sur la recherche) le dispute à une vision passéiste d’enfants gâtés. Malgré, soyons justes, quelques jugements lucides (« L’inflation des objectifs conduit à de plus en plus d’incohérences potentielles.).
On y dénonce le risque d’accroissement des inégalités en raison du développement de l’enseignement supérieur privé, mais on regrette que « l’approche par la performance [réduise] la réussite étudiante à la seule diplomation, et l’insertion dans la société à la seule production économique des individus. » Salauds de pauvres ! Bah oui, puisque « les missions de réussite individuelle et d’insertion professionnelle (…) tendent à reléguer au second plan les autres missions de l’enseignement supérieur, notamment les plus collectives, telles que l’élévation du niveau scientifique et culturel de la nation, contribution à la réduction des inégalités et au développement d’une société inclusive, et plus globalement toute chose qui touche à la formation de citoyens émancipés. » Sûr que cela parlera à tous les foyers modestes… Quel naufrage à gauche …
Des élites méconnaissant la recherche
Quant au monde médiatique, il ne s’agit pas (malheureusement comme sur tant d’autres sujets) d’examiner les faits : le commentaire et le buzz ont pris le dessus. Quelques dizaines d’étudiants à Sciences Po en effacent des centaines de milliers d’autres, 50 M€ supprimés à la Poste font plus de bruit que les dizaines de milliards d’euros du budget de l’ESR et les coupes éventuelles. Même si quelques efforts ont été faits récemment sur le service public, on y accueille sans vergogne de pseudo-expertes qui, par exemple, sur des sujets scientfiques liés au climat comme l’hydrologie, viennent vendre leurs prestations cachées de conseils aux collectivités locales…
Car on le sait, le personnel politique, la haute fonction publique mais aussi les médias sont rarement issus et surtout acculturés à la recherche. Ils/elles ne la connaissent pas ou seulement par ouï-dire. On a pu le voir sur les délires à propos de l’hydrogène vert qu’un rapport de l’académie des sciences a poliment dénoncé 3« en l’état actuel des connaissances […] les perspectives offertes par l’hydrogène naturel restent incertaines », sous la direction de Marc Fontecave, membre de l’Académie des sciences et professeur au Collège de France.. Et dans le pire des cas, les décideurs méprisent ces chercheurs qui ne trouvent pas… ou pas suffisamment vite. On aurait pourtant pu penser que la recherche médicale, étant donné ses effets immédiatement compréhensibles dans le quotidien des Français, échapperait à cette ignorance et ce mépris. Que nenni !
Une opinion publique indifférente
A cette raison réelle, on peut ajouter l’incapacité des communautés académiques à convaincre. Mais il faut en ajouter une, beaucoup plus profonde selon moi car ancrée dans notre histoire, y compris en Europe. Elle privilégie la protection à la prise de risque, le court terme à l’investissement et aux paris sur l’avenir. Il ne s’agit pas d’un jugement mais d’un constat, ce que les USA et l’Asie nous rappellent en permanence.
Non pas que je prône la non-protection. Mais comme pour la santé, qui a un coût, toutes les études montrent que la prévention est un levier majeur. Miser sur la recherche et l’enseignement supérieur, c’est prévenir les difficultés de la société en insufflant un état d’esprit positif, en favorisant l’innovation et la créativité. C’est créer de la prospérité.
Malheureusement, la société française est focalisée, à tous les niveaux, que l’on soit décideurs ou simplement électeur/rice, sur la réparation des « dégâts », qu’ils soient éducatifs, sanitaires, sociaux ou environnementaux. C’est une des raisons d’une dépense publique hors norme, qui va symboliquement jusqu’à subventionner les réparations (vélos, vêtements etc.). Il est vrai qu’il est plus facile de voir les effets immédiats que les conséquences délétères à long terme. Méditons l’histoire du numerus clausus en médecine avec un cocktail d’intérêts corporatistes d’un syndicat de médecin, d’approche politique en réaction à mai 68, et de volonté (déjà !) de maîtriser les dépenses de santé, ce que pointe une étude de Marc-Olivier Déplaude. Malgré sa suppression en 2017 par E. Macron et F. Vidal, notre pays le paiera cash pour longtemps encore, une des racines des peurs françaises capitalisées par le RN.
Il serait cependant injuste de blâmer les seuls décideurs et influenceurs : la recherche et l’innovation sont un inconfort et des inconnues pour une opinion publique en demande permanente de certitudes. C’est ainsi que la défense des acquis et d‘un passé fantasmé est devenu l’alpha et l’oméga de la réflexion collective, du patronat aux syndicats en passant par les corps intermédiaires. Comme pour chacun d’entre nous, les peurs nourrissent le refus de la prise de risque : l’aversion au risque est devenue en quelque sorte une maladie collective. Le capitalisme à la française, peu formé à la recherche, c’est un euphémisme, en est le symbole. La subvention du crédit d’impôt recherche a remplacé la prise de risque et l’innovation. On lira avec profit l’étude comparative sur les dépôts de brevets à l’OEB de l’Observatoire des sciences et techniques du HCERES, qui montre une fois de plus, que les entreprises françaises ne se distinguent pas par leur dimension innovatrice. Ce que constataient à l’échelle européenne 5 économistes, dont Jean Tirole, dans un rapport publié en avril 2024.
Dans ces visions au fond négatives, la formation supérieure et la recherche, et la part de prise de risque inhérente à la recherche, sont évidemment la dernière roue du carrosse : en quoi seraient-elles vues comme une solution ? Ils sont pourtant des outils majeurs de prévention et d’innovation, ce que ne cessent de clamer tous les économistes, études à l’appui.
Qui le comprendra ? Personne, ni à gauche, ni à droite, ni au centre, ne semble aujourd’hui en mesure de porter une stratégie française de long terme. Malgré ses limites, la LPR y survivra-t-elle ?
Références
↑1 | Y compris en accueillant des antivax ou en reprenant les fraudes de Séralini |
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↑2 | Par ailleurs truffée d’erreurs et d’approximations dont il faut citer la meilleure : « la Commission européenne a supprimé son commissaire pour la recherche pour un commissaire à l’innovation. » Or, Mariya Gabriel vient de terminer son mandat de Commissaire à l’innovation, à la recherche, la culture, l’éducation et la jeunesse tandis que la Bulgare Ekaterina Zaharieva devrait lui succéder comme commissaire européenne à la Recherche et à l’Innovation… Cela illustre l’ignorance voire le dédain ou le mépris que partagent malheureusement beaucoup de forces sociales et/ou politique pour l’Europe et les questions internationales. |
↑3 | « en l’état actuel des connaissances […] les perspectives offertes par l’hydrogène naturel restent incertaines », sous la direction de Marc Fontecave, membre de l’Académie des sciences et professeur au Collège de France. |
Merci pour ce texte très intéressant, qui agite bien les neurones.
Un tout petit commentaire factuel cependant : « innovation et jeunesse » s’est bien substituée à « recherche et éducation » dans le titre du commissariat, avant que la Commission européenne se reprenne suite à une pétition.
https://indico.uis.no/event/5/
L’intention était bien là.
Merci. C’est un classique de l’UE sur la recherche, comme c’est un classique sur un ministère de l’ESR de plein exercice ou sur son périmètre (innovation ou pas etc.) : c’est bien la preuve que ce secteur n’est jamais considéré comme stratégique. Mais les faits sont les faits et je tiens à cette rigueur… Il y a un bien un commissaire en charge de la recherche et bien un ministère de plein exercice en France. Rien ne sert d’en rajouter, comme on le fait sur trop de sujets. JM