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Le rapport de la Cour des comptes sur Parcoursup et la loi ORE a suscité un déluge de critiques sur l’opacité supposée du système, une fois de plus à propos des universités. Pourtant, une autre lecture est possible : les « oui si » sont de fait un échec. Pourra-t-on continuer longtemps à maintenir un système à 2 vitesses avec des universités accueillant tout le monde, ayant 40% de boursiers, tout en étant le secteur le moins financé ? « Si oui », c’est clairement le secteur privé qui ramassera la mise de l’hypocrisie générale.

Soulignons d’abord que, comme souvent, la Cour des comptes produit un rapport qui en théorie devrait éviter à ses lecteurs des divagations hasardeuses : il est documenté, précis (116 pages + les annexes !) et apporte une vision complète des problématiques avec 15 recommandations.

Car contrairement à ce que la plupart des médias ont rapporté, il porte d’abord une appréciation claire : l’administration « s’est montrée performante » 1Il faut cependant lire les passages du rapport sur la façon dont Parcoursup a été géré sans réel moyens, sur la base de l’engagement d’une équipe projet : cela fait peur… Décidément, cela montre que l’exécution passe toujours, dans les priorités, après les discours : l’intendance suivra !, l’affectation des candidats à la rentrée universitaire 2018 ayant « été assurée sans heurts notables » : le cataclysme annoncé (des dizaines de milliers de jeunes sans affectation) n’est donc pas arrivé.

La question de la transparence des algorithmes « locaux » de classement des candidatures est abordée, mais n’est pas le cœur du rapport. Par contre, la question qui en est le fil rouge est « Est-ce que les universités peuvent choisir leurs étudiants, et dans quelles conditions ? » Même si en réalité cela concerne une minorité d’établissements et de filières (Staps etc.). Une fois de plus, ce sont donc les universités qui sont montrées du doigt, tout du moins leurs filières officiellement non sélectives. Resituons les débats avec un bon connaisseur, Thomas Piketty.

Le diagnostic (presque juste) de Th. Piketty

Thomas Piketty (et Julien Grenet) a été, au sein de l’Ecole d’économie de Paris, un des précurseurs des travaux sur les procédures d’affectation, avec Affelnet pour les collégiens dans les lycées parisiens. A ce titre, en juillet 2016, il dénonçait le scandale de l’opacité d’APB qui exposait « au grand jour les contradictions du système : les lycéens classent leurs choix dans le logiciel (prépas, universités, IUT, etc.), les filières sélectives classent les lycéens, mais les universités ne peuvent rien classer du tout. »

Et il relevait l’hypocrisie du système et ses « multiples exceptions et rafistolages (…) jamais assumés publiquement par le ministère » avec le tirage au sort, « alors qu’on pourrait prendre en compte des critères objectifs, comme les notes, la distance à l’établissement, ou bien un objectif clair de mixité sociale, ou encore un mélange assumé de tout cela. »

Il persistait en juillet 2018 à propos de Parcoursup sous le titre « peut mieux faire » précisant que « la prise en compte des notes, des séries et du dossier scolaire dans les admissions universitaires (principale nouveauté de Parcoursup) n’est pas forcément une mauvaise chose en soi. » A condition d’investir dans les universités selon lui.

Il concluait en écrivant : « Soyons clairs : il s’agit de questions complexes, qu’aucun pays n’a résolues de façon pleinement satisfaisante. Mais à partir du moment où le gouvernement annonce la transparence, il ne peut se permettre de maintenir une telle opacité (…). » On pourrait ajouter que l’opacité est aussi liée, non seulement à la complexité du système (des milliers et milliers de choix possibles) mais à cette injonction faite aux jeunes de se spécialiser très tôt. 

Les raisons de l’opacité

Là où cependant Thomas Piketty se trompe, c’est que ce sont les établissements qui in fine ont le dernier mot, notamment ses collègues enseignants-chercheurs. Mais quelles sont leurs interrogations ? A moins de croire à un complot, l’opacité ressentie par l’opinion publique a des raisons assez simples : la première, l’hypocrisie qui interdit officiellement de sélectionner en licence et qui conduit à tous les contournements. La seconde c’est le défi de masse que constitue l’examen des dossiers des candidats dans une université. Or ces dernières ne disposent pas de véritables services d’admission, avec des équipes de personnels administratifs et d’enseignants en nombre et spécialement formés.

Ajoutons que la tradition (et le droit) font que les commissions d’admission sont en réalité des jurys universitaires, soumis au secret de leurs délibérations 2Rappelons au passage que les grands révolutionnaires anti Parcoursup ont semble-t-il rangé leurs fusils pour prendre leur stylo sur les dossiers d’admission….

Pisa et les prérequis des élèves

En réalité Parcoursup est un catalyseur des maux du système éducatif français dont l’enseignement supérieur est le dernier maillon. Il a plusieurs caractéristiques que relève l’enquête internationale PISA. L’un des « gros points noirs » est le fait que la France fait partie des pays les plus inégalitaires (avec le Luxembourg, Israël ou la Hongrie), avec des performances en mathématiques et en sciences fortement corrélées au statut socio-économique des élèves.

Pire, parmi les élèves ayant de bons résultats dans Pisa, un sur cinq ne prévoit pas de faire des études supérieures quand il vient d’un milieu défavorisé alors que cette proportion est quasi-nulle quand il vient d’un milieu favorisé ! Notons au passage que les élèves français sont parmi ceux qui expriment le plus de sentiments négatifs sur leurs conditions d’apprentissage, notamment sur le soutien de la part de leurs enseignants ? …

Or, ces dysfonctionnements du système en amont pèsent quasi exclusivement sur les universités, officiellement en « accès libre ».

L’échec des « oui si »

Que l’implication pédagogique des enseignants-chercheurs soit perfectible, c’est plus qu’une évidence : certains attendent que les amphis et TD se vident en 1ère année. Et ne font pas mieux en L2 et L3. Mais on ne peut ignorer ce que ces comportements pas acceptables soulèvent comme question : peut-on continuer à laisser des jeunes aller à l’université sans les prérequis ? Et pourquoi assigner aux universités un rôle de régulation sociale qui n’est pas assigné aux autres filières ?

Le rapport le montre : « parmi les étudiants ayant accepté en 2018 un parcours « oui si », seuls 85 % se sont présentés à l’université à la rentrée. En outre, la plupart des étudiants s’étant inscrits dans ces parcours se sont montrés peu assidus (…). » Et si les parcours aménagés « favorisent la réussite pour les étudiants présents aux examens du premier semestre », ils ne permettent pas d’atteindre « les taux de réussite des étudiants hors remédiation. »

En conclusion, le rapport enfonce une porte ouverte…depuis longtemps : de nombreux bacheliers arrivent dans le supérieur simplement parce que « le baccalauréat demeure le passeport d’entrée dans l’enseignement supérieur » mais n’ont « en réalité aucun projet établi » ou « sont en attente de réorientation. »

Les 867 millions d’€ prévus jusqu’en 2022 ne seraient-ils pas mieux utilisés à réformer et ouvrir des classes de BTS 3Dont les capacités n’ont augmenté en 17 ans que de 7% !!!! ? Et à concentrer les moyens sur là où les marges d’amélioration dans les universités sont réalistes ? On conçoit que dans ce contexte l’imagination de certaines universités a été parfois sans bornes pour capter des crédits…

D’autant que la mesure de la réussite s’avère impossible, faute d’un système d’information adéquat ! Mais on est frappé à la lecture du rapport par cette vision centralisatrice dans laquelle le MESRI devrait être au courant à l’unité près du suivi des remédiations 4Il faut lire absolument les passages dans lesquels la Cour retrace les mécanismes kafkaïens d’allocation des crédits de la loi ORE. Et en général, les universités sont les plus habiles…. Imagine-t-on une telle approche dans un pays équivalent disposant d’universités publiques autonomes ?

Les universités, la « bonne conscience » de l’Etat

Résumons : l’arrivée de publics mal orientés, peu motivés, ou tout simplement sans les bases indispensables, est le quotidien des universités. Avec les BTS, elles sont les seules à accueillir autant de boursiers (40%) : la ségrégation sociale y est largement moindre que dans les autres filières ! Pour les récompenser elles sont moins financées que toutes les autres filières… Logique non 5La Cour des comptes a beau jeu de dénoncer les effets d’aubaine (réels) dans ce contexte… ? ?

Enfin, quand la Cour des comptes relève qu’une « formation de droit parisienne réputée est aujourd’hui largement plus sélective que bien des classes préparatoires », en quoi est-ce plus choquant que la sélection au lycée Henri IV ?

Et c’est bien toute l’ambiguïté du rapport qui pointe le besoin de régulation et le risque d’une concurrence entre universités. Mais la concurrence du privé est là avec désormais 20% des effectifs de l’ESR !

On en revient toujours au même constat : le risque de la concurrence, la nécessité de contrôler a priori, les effets d’aubaine, etc. c’est toujours l’université. Chacun doit trouver une place dans l’enseignement supérieur, mais est-ce obligatoirement à l’université ? Les efforts démesurés sur les « Oui si » sont-ils de bonne politique publique ? En réalité, ce dispositif, mis en place pour compenser l’absence de sélection en licence, est un échec et s’avère une entreprise très coûteuse. L’enjeu pour augmenter la réussite en licence est-il vraiment là ?

Heureusement, les premiers effets de Parcoursup se font sentir dans les universités : les départements commencent à réellement choisir leurs étudiants (le droit dans Paris en est l’exemple extrême), concurrencent dans certains secteurs les prépas et surtout disposent d’étudiants souvent plus motivés. On attend aussi les recteurs délégués à l’ESRI sur ce terrain : jouer leur rôle pour que l’équité soit rétablie.


Un peu d’histoire : c’était mieux avant ?

Comme toujours, le passé est magnifié, jusqu’à oublier la sectorisation rigide des années 70/80 ou encore les files d’attente place du temps de Ravel au Panthéon à partir de 3h du matin. Citons 3 articles du Monde :

Avant Ravel, Le Monde du 18 juillet 1984

« Files d’attente, bousculades, désespoir, les bacheliers de l’Île-de-France découvrent un monde nouveau, loin du calme et de la sécurité de leur lycée. Une situation qui, comme chaque année, provoque l’angoisse des jeunes qui craignent de ne pas pouvoir étudier dans l’établissement et la discipline de leur choix. (…) Ils étaient plus de cinq cents dans les couloirs de la vénérable Sorbonne à tenter d’approcher du bureau des inscriptions de Paris-IV. »

Ravel, Le Monde du 11 juillet 1990

« Ravel a ses exclus, ses déçus, ses révoltés. Si le système de pré-inscription télématique en premier cycle des universités parisiennes a évité le plus gros des traditionnelles files d’attente, il n’est pas exempt d’imperfections. Mardi 10 juillet dans la matinée, au lendemain des résultats définitifs du baccalauréat, des candidats angoissés attendaient aux portes des universités qui ont, pour la plupart, fait le plein de leurs effectifs dans les filières les plus demandées. (…)Ceux-là se sont rendus dans l’établissement sélectionné en deuxième rang qui, bien souvent, avait donné la priorité aux premiers arrivés. »

APB, Le Monde du 10 juin 2016

« Ce qui énerve en fait surtout les candidats déçus, c’est le flou généralisé, selon eux, autour des critères de sélection des filières sélectives. Difficile d’accepter une décision négative lorsqu’on a travaillé toute l’année pour être au top. Et surtout, lorsque parents et enseignants ont promis que ce travail serait récompensé.(…)

Dans les facs de sports (Sciences et techniques des activités physiques et sportives, Staps) le tirage au sort aurait mis sur le carreau près d’un « candidat sur quatre », selon l’Association nationale des étudiants en Staps (Anestaps). »

 

Références

Références
1 Il faut cependant lire les passages du rapport sur la façon dont Parcoursup a été géré sans réel moyens, sur la base de l’engagement d’une équipe projet : cela fait peur… Décidément, cela montre que l’exécution passe toujours, dans les priorités, après les discours : l’intendance suivra !
2 Rappelons au passage que les grands révolutionnaires anti Parcoursup ont semble-t-il rangé leurs fusils pour prendre leur stylo sur les dossiers d’admission…
3 Dont les capacités n’ont augmenté en 17 ans que de 7% !!!!
4 Il faut lire absolument les passages dans lesquels la Cour retrace les mécanismes kafkaïens d’allocation des crédits de la loi ORE. Et en général, les universités sont les plus habiles…
5 La Cour des comptes a beau jeu de dénoncer les effets d’aubaine (réels) dans ce contexte…

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