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Sciences Po par ci, Sciences Po par-là, je dois dire que je sature. Oui, diriger Sciences Po est attractif. Oui la gouvernance dans l’enseignement supérieur est un vrai sujet. Mais si Sciences Po (et certaines écoles) restent le nombril et le creuset de la France des élites, ceci illustre la persistance d’un aveuglement consternant dans un monde en pleine transformation : une vidéo hilarante que je vous propose de découvrir à la fin de mon billet vous l’exprimera bien mieux que moi, à propos du recrutement des « consultants ».

Oui, aujourd’hui je m’énerve 😠. Non pas contre Sciences Po, ses étudiants, ses personnels et ses dirigeant passés, présents et futurs. Et parmi les 23 candidat(e)s puis les 8 finalistes, j’en connais beaucoup qui ont des qualités certaines, voire sont expérimenté (e)s. Tant mieux !

Non il s’agit de beaucoup plus important et significatif que cela. Comment et pourquoi accorde-t-on une telle importance à une école (qui se revendique désormais université), d’une taille somme toute moyenne, et qui surtout est loin de pouvoir rivaliser avec ce qui se fait de mieux à l’international, sauf dans quelques segments limités ?

La première réponse est ce détestable côté franco-français, j’oserais dire franchouillard, qui nous fait toujours prendre des luttes de nains dans un jardin pour des joutes planétaires. C’est valable pour Sciences Po, mais pas seulement, ce qui en dit long sur la vision rabougrie, non pas des « gilets jaunes » et/ou des antivax, mais des « élites » de notre pays.

La seconde est évidemment ce statut de fournisseur quasi officiel de la République en hauts fonctionnaires … qui ensuite, par le jeu des réseaux endogamiques dont la France a le secret 1Pas le temps de revenir sur les raisons historiques de ce constat !, deviennent des acteurs importants du monde économique. Quel que soit votre niveau et vos compétences, étudier ou enseigner à Sciences Po, est un sésame.

La troisième est de l’ordre du mépris et de l’inculture scientifique. Car même si l’on estime (et beaucoup de gens intelligents croient malheureusement à ces balivernes !!!) que seuls les diplômés de Sciences Po ont le niveau et les compétences pour diriger le pays et son économie, il y a un tout petit problème : son spectre disciplinaire est réduit, très réduit. Cela ne vaut d’ailleurs pas que pour Sciences Po mais aussi pour tous ces confettis qui mitent le paysage de l’ESR français, et qui font le bonheur publicitaire des suppléments étudiants des médias.

Sciences Po, nombril de la France des élites

J’ai déjà souligné, à propos de la formation des élites que le problème ne vient pas en soi des Grandes écoles mais de leur très faible diversité disciplinaire combinée à la trop faible proportion de personnes acculturées à la science.

Qu’est-ce qui est le plus, ou au moins aussi important dans ce pays ? Les innovations de rupture appuyées sur la recherche fondamentale ? La formation aux emplois de demain dans tous les secteurs ? Ou seulement la formation de journalistes, managers et financiers ? L’avenir de la biologie, de l’informatique, de la physique etc. ou seulement celui des politologues ?

J’ai souvent discuté avec Richard Descoings de sa politique d' »ouverture sociale » qui a eu le mérite de sacrément secouer le cocotier. Mais elle a aussi contribué à institutionnaliser une forme de « séparatisme » : les bons sauvages peuvent aller à Sciences Po, les autres à l’université. R Descoings en avait semble-t-il un peu conscience dans son projet de faire de Sciences Po une composante d’une université bien plus vaste (avec notamment Paris-Diderot à l’époque). Un dossier toujours sur la table pour la future direction.

Pourquoi diriger Sciences Po est attractif

Loin de moi l’idée de dénigrer l’enseignement et la recherche à Sciences Po : mais les ‘connaisseurs’ … et les évaluateurs en connaissent les limites. Des points forts certes, avec quelques initiatives pédagogiques remarquables (mais avec des étudiants ultra sélectionnés), et aussi de graves points faibles comme la faiblesse de sa taille critique en termes de recherche (comparée à la LSE), ou encore la structure de son corps enseignant qui n’est pas une garantie de qualité (ah la carte de visite ‘chargé de cours à Sciences Po’ 😊), et enfin son modèle économique très fragile.

Ce qui fait en réalité son succès, c’est avant tout son ‘effet réseau’ 2Une sondage pour la Conférence des Grandes écoles a montré que le choix de la plupart des écoles, grandes ou petites, ne portait pas prioritairement sur la qualité des enseignements mais sur les opportunités d’insertion professionnelle données par les réseaux…, au cœur du pouvoir qu’il soit politique ou économique. Il a joué à plein pour obtenir les locaux de l’Artillerie, et ailleurs. J’avais déjà pointé il y a quelques temps cette fascination pour l’élitisme à la Sciences Po, chez tous les politiques.

Enfin, cet entre-soi où s’entremêlent technocratie, monde économique et politique fait le miel des journalistes qui accèdent ainsi au cœur du pouvoir, relançant en permanence cette idée que en dehors de Sciences Po, point de salut ! Et peut-être qu’en ce moment je fais de même malgré moi en écrivant sur Sciences Po 😀. Son directeur/sa directrice sera donc au cœur d’un réseau d’influence, contrairement à un/e président d’université qui sera, au mieux, un notable respecté, écouté, mais qui ne pèsera pas, ou beaucoup moins, dans ce que l’on appelle les élites.

Gouvernance : 3 différences Sciences Po-universités

Soulignons au passage que les universités, en permanence accablées pour leur gouvernance, peuvent sourire de la crise et de la succession interminable de F. Mion. Ceci a toutefois le mérite de mettre en lumière la question de la gouvernance des institutions publiques censées être autonomes 3Dans ce drôle de pays, la nomination des directeurs/rices de théâtres nationaux ou de l’Opéra de Paris passe encore…par l’Élysée !, spécifiquement dans l’enseignement supérieur et la recherche. Or, pendant ce temps, on renouvelle le poste de PDG du CNRS dans l’indifférence presque générale (avec quelques candidatures de témoignages) sans parler des élections de président(e)s d’université qui demeurent invisibles pour tout le monde.

Justement, évoquons cette question : comment expliquer, en dehors de ce que j’ai évoqué plus haut, cette avalanche de candidatures à la direction de Sciences Po comparativement aux universités ? Deux différences majeures l’expliquent à mon sens, sans qu’elles soient limitatives 4Laissons de côté la rémunération : elle est nettement supérieure à celle des présidents d’universités, mais, depuis F. Mion, elle est à un niveau normal, voire bas, surtout si on la compare à celles du privé ou des institutions étrangères..

La première différence, c’est un processus de sélection différent, non électif, qui favorise un jeu plus ouvert sur le nombre de candidatures. La deuxième, c’est le fait que dans une université, même si juridiquement c’est possible, aucune candidature extérieure (et je parle d’académiques) n’a de chance d’aboutir (et d’ailleurs, à ma connaissance il n’y en a jamais !).

De ce point de vue, le processus actuel de renouvellement à Sciences Po, qui se veut proche du modèle anglo-saxon de recrutement des dirigeants, renvoie aux universités plus de questions qu’il n’apporte de réponses toutes faites. Remarquons au passage que dans les universités américaines, y compris publiques, qui font appel à un « search comittee », le Sénat académique continue d’avoir des pouvoirs bien plus réels que le « CAC » français.

Mais la troisième différence est sans doute la plus importante. Il faut le rappeler : dans le monde entier, mais particulièrement en France, diriger une université est nettement plus complexe que de diriger Sciences Po, une Business school ou même le CNRS.

Il y a évidemment les effets de taille, mais surtout une diversité disciplinaire sans égale et une diversité des missions incroyable, sur fond d’injonctions contradictoires : et plus un gouvernement lui assigne de nouvelles missions, moins il la finance… L’Université ne doit pas sélectionner, doit faire réussir, insérer, avoir une recherche de haut niveau, valoriser cette dernière, donner le goût de l’entreprise à ses étudiants, les sensibiliser au développement durable, assumer des responsabilités sociétales, et bien sûr j’en oublie.

Direction d’université et direction de Sciences Po : un faible pouvoir comparativement

Mais pour réaliser ces objectifs assignés par la puissance publique, et contrairement aux idées reçues, le ou la présidente d’une université n’a pas le pouvoir qu’on lui prête. Elle/il peut évidemment avoir un projet, définir une stratégie, mais la réalité c’est que la mise en œuvre est entravée.

C’est vrai par rapport au MESRI (Cf. l’allocation quasi discrétionnaire de moyens supplémentaires à hauteur de 18M€ ou les tensions permanentes avec la DGRH), c’est vrai par rapport à ses communautés (qui peut se targuer de gérer les juristes ou les PU-PH ?), c’est vrai par rapport à ses ‘partenaires’ des organismes de recherche, etc. Résultat, les universités françaises détiennent presque le bonnet d’âne européen en matière d’autonomie. Ajoutons que la rémunération est scandaleusement basse par rapport aux immenses responsabilités (je vais me faire plein d’amis mais j’assume).

Conséquence, on se bat peu pour diriger une université et même pour diriger une composante ! La capacité d’action par rapport à l’énergie déployée reste faible, la chaine bureaucratique écrasante 5Soulignons la différence entre les IEP et Science Po Paris. Si rue Saint-Guillaume, on doit aussi gérer ces fameux « troupeau de chats » que sont les universitaires (mais c‘est vrai aussi dans les business schools), les marges de manœuvre sont tout autres parce que l’on y a en partie la main sur les recrutements, entre autres.. Enfin, le processus électif actuel résulte encore souvent d’un équilibre entre poids des composantes et des représentations syndicales, dont il faut gagner la « confiance » (Cf. mes articles sur la démocratie universitaire). Avec à la clé des « deals » permanents. De plus, comme ce processus électif est « aléatoire », les heureux élus (plus rarement élues) sont rarement préparé et formés, et mettent en réalité deux ans avant d’enfiler réellement les costumes de présidents.

Une vidéo hilarante sur les « facqueux »

Pour vraiment conclure, je vous propose de découvrir une video de Karim Duval sur les « facqueux »… Elle illustre de façon caricaturale et tellement vraie les préjugés qui expliquent les Unes sur Sciences Po et tout ce qui n’est pas université. Moi je vote Karim !

Riez !

Références

Références
1 Pas le temps de revenir sur les raisons historiques de ce constat !
2 Une sondage pour la Conférence des Grandes écoles a montré que le choix de la plupart des écoles, grandes ou petites, ne portait pas prioritairement sur la qualité des enseignements mais sur les opportunités d’insertion professionnelle données par les réseaux…
3 Dans ce drôle de pays, la nomination des directeurs/rices de théâtres nationaux ou de l’Opéra de Paris passe encore…par l’Élysée !
4 Laissons de côté la rémunération : elle est nettement supérieure à celle des présidents d’universités, mais, depuis F. Mion, elle est à un niveau normal, voire bas, surtout si on la compare à celles du privé ou des institutions étrangères.
5 Soulignons la différence entre les IEP et Science Po Paris. Si rue Saint-Guillaume, on doit aussi gérer ces fameux « troupeau de chats » que sont les universitaires (mais c‘est vrai aussi dans les business schools), les marges de manœuvre sont tout autres parce que l’on y a en partie la main sur les recrutements, entre autres.

6 Responses to “Pourquoi Sciences Po j’en peux plus !!!!!!”

  1. Jean-Michel, je me permets d’ajouter une petite différence entre Sciences Po et l’université : les salaires n’ont rien à voir. J’ignore si cette différence est déterminante – il faudrait demander aux candidat.e.s à Sciences Po 😉 -, mais tout de même il se peut que cela joue son rôle.
    Le métier de Président.e d’université, qui est comme tu le dis très difficile et demande un engagement hors du commun, est le seul que je connaisse avec un ratio aussi bas entre le salaire, et la masse et le niveau des responsabilités (budgétaires, juridiques).

  2. Bonjour Jean-Michel,
    Billet d’humeur à discuter, Billet d’humour à savourer. Tout cela est très stimulant, comme souvent!
    A bientôt
    Bénédicte

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