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La ‘précarité’ des personnels de l’ESR augmente-t-elle, selon une idée largement répandue ? Ce n’est pas ce que disent les chiffres sauf chez les personnels de soutien qui intéressent si peu… Ceci ne remet pas en cause le sous-financement structurel de l’ESR mais permet de mieux cerner les progrès réalisés et les évolutions en cours. Au fond, comme la ‘précarité étudiante’ mise à toutes les sauces,  les polémiques autour de la ‘précarité’ des personnels masquent des questions plus stratégiques et sensibles, comme l’offre de formation ou encore la gestion des heures complémentaires. Sans parler des dérives bureaucratiques liées à la multiplication des statuts.

Bien sûr, tous ces débats touchent à l’humain, avec des situations difficiles qu’il ne s’agit pas de nier. La tension sur les postes, le sentiment de doctorants et ATER d’être souvent des bouche-trous, les délais de paiement anormaux des vacations et plus globalement la cacophonie bureaucratique avec l’empilement des règles et statuts contribuent à un malaise rampant. Mais le « ressenti », aussi justifié soit-il, peut-il se substituer aux données ?

En effet, ou bien je ne sais pas lire ces données, ou bien le MESR les truque 😊  Certes, il est toujours aussi difficile de s’y retrouver entre enseignement supérieur et recherche concernant les contractuels : qui parmi les « non-permanents » est dans le système recherche, qui dans l’enseignement supérieur ? Kafkaïen comme toujours, d’où des contradictions ou des incohérences assez incroyables dans les données.

Malgré tout, en fouillant dans celles de l’État de l’emploi scientifique ou de l’Etat de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation elles n’accréditent pas l’idée d’une aggravation de la situation, voire parfois traduisent une amélioration. Quant aux comparaisons internationales sur ce sujet, elles sont plus que favorables à la France sur le ratio emploi permanent-emploi non permanent. Alors quels sont les termes d’un débat rationnel sur la précarité chez les personnels ? La réalité, c’est que c’est chez les personnels de soutien au sens large que se concentrent les difficultés.

8 chiffres à retenir

1) La part des emplois à durée déterminée en 2020. Selon l’État de l’emploi scientifique, elle est

  • de 14,1 % chez les enseignants-chercheurs des écoles et universités, au même niveau qu’en 2017. Cette part monte à 36,1 % en incluant les attachés temporaires d’enseignement et de recherche (ATER) et les doctorants contractuels (voir infra).
  • de 14 % chez les chercheurs des organismes. Cette part monte à 27 % en incluant les doctorants contractuels. C’est selon le MESR en baisse de 1,7 point « par rapport à son pic de 2013, et celle des personnels de soutien recule encore de 3,5 points depuis 2011. »
  • de 36 % chez les personnels de soutien des écoles et universités, la proportion la plus importante de contractuels dont 24 % sur missions permanentes et 12 % sur missions temporaires.
  • de 18,6 % chez les personnels de soutien dans les organismes, sachant que si leur part n’est que de 4,8% dans les Epic (CEA etc.), elle de 22% dans les EPST.

2) L’évolution dissymétrique des effectifs des personnels organismes-universités

  • + 0,5 % de chercheurs dans les EPST de 2014 à 2020, mais – 4,3% chez les ITA (avec un repyramidage par le haut et une baisse concentrée chez les adjoints et adjoints techniques).
  • – 0,6 % d’enseignants-chercheurs dans les universités (à mettre en regard de la hausse du nombre d’étudiants) mais + 14,8 % chez les ITRF.

Des évolutions différenciées

De 2000 à 2020, si le nombre d’enseignants contractuels a augmenté de 14 % (PR + 9 % et des MCF + 5 %), il faut souligner, pour ceux qui dénoncent la « secondarisation » de l’université, que le nombre de Prag-PRCE a baissé de 3%… Ce qui a un gros impact, vu leurs heures d’enseignement et leur rôle-clé.

L’appel à des personnels ‘non-permanents’ ou ‘précaires’ témoigne de différences énormes entre disciplines, notamment en SHS, et entre établissements, entre types de contrats et aussi entre personnel académique et personnel de soutien.  Même si c’est ‘politiquement incorrect’, même si les chiffres sont difficiles à obtenir, les enseignants en sous-service, cela existe aussi !

Comment alors définir ce qu’est la ‘précarité’ pour celles et ceux qui travaillent dans l’ESR, leur nombre et leur proportion 1Comme je l’avais souligné à propos des plafonds d’emplois dans les universités dans un précédent billet, il faut se méfier des ressentis : malgré les tensions budgétaires, le taux de postes pourvus est resté stable dans les universités. ? A l’image de la précarité étudiante mise à toutes les sauces, son ampleur supposée chez les personnels ne doit-elle pas être mieux cernée, justement pour agir efficacement ?

Qui sont les « non-permanents » ? 

Sur cette question, on peut lire tout et n’importe quoi : j’ai même vu sur Twitter, une universitaire affirmer qu’il y a 170 000 précaires 🤔. Remarquons que les revendications sur le personnel de soutien sont beaucoup plus discrètes, notamment dans les tribunes ou les pétitions enflammées dans les médias : l’aristocratie universitaire, même déclassée, reste une aristocratie…

Pour l’enseignement supérieur, outre les 14% d’enseignants du 2nd degré (13 115 dont 55 % de Prag et 44 % de certifiés), les enseignants contractuels se répartissent comme suit :

  • 28 % de doctorants contractuels effectuant un service d’enseignement ;
  • 20 % d’ATER ;
  • 19 % d’enseignants contractuels des disciplines hospitalo-universitaires ;
  • 11 % d’enseignants associés ;
  • 8 % de contractuels LRU enseignants ;
  • 6 % de professeurs contractuels sur emplois vacants du second degré ;
  • 4 % d’enseignants invités ;
  • 4 %  de lecteurs et les maîtres de langues.

Et les personnels de soutien ?

Malheureusement, les chiffres du MESR sont complexes à décrypter 😀, par exemple en ne comptabilisant pas dans l’Etat de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation « les agents contractuels sur missions temporaires, les agents vacataires, les contractuels étudiants et les apprentis. » Qui le sont dans l’Etat de l’emploi scientifique 🤔… Les parts respectives des personnels titulaires et contractuels seraient ainsi « stables depuis 2017 », même si dans un autre document le SIES-MESR pointe une augmentation de 1,7 point par rapport à 2019…

Dans tous les cas, elles sont à un niveau très élevé. Si la majorité des agents titulaires est de catégorie C (40,2 % de l’ensemble des titulaires !), la majorité des agents contractuels sur missions permanentes est de catégorie A.

Dans les écoles et universités, si l’on essaie de se repérer dans le dédale des chiffres (Etat de l’emploi scientifique d’une part, Etat de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation de l’autre), on arrive à 12 782 contractuels sur missions temporaires et 19 989 sur missions permanentes (et beaucoup moins en ETP).

  • la majorité des contractuels sur missions permanentes est rattachée à la catégorie A, soit 54,8 % de l’ensemble des contractuels
  • Les agents de catégorie B et C représentent respectivement 18 %  et 27,2 % de l’ensemble des contractuels.Loin d’un débat simpliste sur la ‘précarité, les établissements doivent faire face à ‘turn over’, permanent lui 😀. Cela illustre leurs difficultés à recruter et fidéliser plutôt que l’institutionnalisation de la précarité. Pendant ce temps, le ‘gap’ de qualification entre titulaires et contractuels devient l’autre problème majeur de GRH.

    Qu’est-ce qu’un emploi ‘non-permanent’ ?

‘Non-permanent’ est la terminologie utilisée par le MESR, les syndicats utilisant le terme de « précaire ». C’est donc un sujet politique, à l’image des statistiques de Pôle emploi vs Insee-BIT pour le chômage. Les attachés temporaires d’enseignement et de recherche (ATER) et les doctorants contractuels sont-ils « en formation », et donc « pour la quasi-totalité » n’entrent pas dans la catégorie des non-permanents, comme l’affirme le MESR ?

Les mesures de la LPR concernant le financement des thèses avec un contrat doctoral (augmentation de la rémunération et du nombre, visibilité de 3 ans), les règles strictes sur les ATER, crédibilisent cette approche et marquent un net progrès, même si elles ne règlent pas toujours les dérives possibles sur le terrain.

Une éventuelle précarité les concerne surtout lorsque la thèse n’est pas financée (essentiellement en SHS) et dans la perspective d’une candidature acceptée, ou non, à un poste de MdC ou CR. Encore faut-il rappeler qu’environ la moitié des diplômés de doctorat va dans le secteur non-académique.

Peut-on affirmer que les autres emplois ‘non-permanents’ correspondent à des emplois ‘précaires’ ? Ce sont essentiellement des personnels « constituant un apport extérieur d’expertise », à savoir les enseignants associés, invités, les personnels temporaires de médecine ainsi que des « contractuels LRU », les contractuels sur emplois du 2nd degré et des Lecteurs et Maîtres de langues. On est donc loin de personnels « précaires », dans la mesure où une grande partie d’entre eux a

– d’une part un contrat inscrit dans la durée (un CDD n’est pas équivalent à une vacation)

– ou d’autre part tout simplement une activité professionnelle.

Des efforts réels sur les carrières

Tout ceci renvoie d’ailleurs à un problème plus général qui touche aujourd’hui tant le secteur privé que le secteur public, à savoir les postes non-pourvus. Chacun peut constater que de nombreuses disciplines, pas seulement l’informatique, comme je l’avais également relevé, peinent à recruter, tandis que le ‘turn over’ chez les personnels de soutien est devenu un casse-tête.

Émettons une hypothèse : la faible attractivité des métiers de l’ESR dans le public pourrait rendre la centralité des débats sur la ‘précarité’ obsolètes… L’enjeu n’est-il pas désormais différent ? Les personnels, académiques ou non, les plus motivés et les plus pointus vont voir ailleurs. Ceci dans un contexte de stabilité, voire de décrue des effectifs étudiants, et de tarissement du vivier de doctorants.

Je suis le premier à pointer le décrochage de l’attractivité des carrières de l’ESR français. Pourtant, il y a une bonne nouvelle dans les chiffres du MESR : « quelles que soient les filières de titulaires (ITRF, ITA, enseignants-chercheurs et chercheurs), on assiste à un repyramidage interne vers le haut, à savoir que les corps les plus qualifiés gagnent en effectifs. Ainsi, entre 2014 et 2020, soit en l’espace de six ans, la part des directeurs de recherche (DR) dans les corps de chercheurs des six EPST a augmenté de 3,5 points, passant à 45,3 %. Les professeurs représentent quant à eux 36,3 % de la filière des enseignants-chercheurs en 2020. »

On est là au cœur des problèmes : la LPR a acté des efforts importants pour les doctorants et pour les carrières, sachant que l’inflation rogne ces avancées. Le MESR qui a présenté le bilan 2021-2022 des mesures RH de la LPR lors de la 3ème réunion du comité de suivi le 10 mai 2023, se veut « rassurant » malgré « le contexte budgétaire tendu ». Il annonce la mise en place dans les prochaines semaines de 2 groupes de travail sur les Prag-PRCE et sur l’indemnitaire des Biatss.

Preuve que la LPR a des effets sur les carrières, on notera que les syndicats (minoritaires) qui avaient refusé la signature du protocole d’accord, sont inquiets … de son application 😃. Citée par AEF, la SG du Snesup-FSU Anne Roger estime désormais qu’il « est hors de question que les engagements pris sur une loi de programmation pluriannuelle soient dans le périmètre des économies budgétaires ». 😊…

La réalité est que la France part de loin, très loin. C’est dans ce secteur qu’il faudrait un choc de compétitivité !


La boîte noire des heures complémentaires

Cette question des heures complémentaires, que la Cour des comptes analyse à chaque rapport d’établissement, pollue en fait toute vision rationnelle, faute de transparence. Présentées, à tort, comme des heures « supplémentaires », elles sont supposées être des heures de cours assurées par les universitaires au-delà de leur service statutaire.

Dans les faits, elles sont un peu le couteau-suisse du secteur. Elles servent à la fois à abonder, parfois de façon illégale, les rémunérations insuffisantes de personnels statutaires, à entériner l’absence d’activité de recherche, à jouer un rôle d’amortisseur pour des fonctions spécifiques, et bien sûr à combler des trous : ceux des UFR ayant une offre de formations pléthorique, et bien sûr ceux des UFR étant en grave sous-encadrement. Mais n’oublions pas, et c’est politiquement incorrect, que même en tension, les universités sont aussi confrontées à des personnels en sous-service, faute d’étudiants dans certaines formations.

La nuance est donc de mise, sachant que les vacataires dans les IUT (des professionnels) gros consommateurs de vacations, ont peu à voir avec ceux de sociologie. En réalité, le malaise social vient du faible taux horaire de ces vacations 2Depuis le décret du 06/07/2022 : 42,86 € brut pour 1 H équivalent TD., supportable pour un enseignants-chercheur titulaire, mais moins pour un vacataire dont c’est le seul revenu. D’autant qu’à ce faible taux horaire, s’ajoute le côté aléatoire des paiements, dû à 2 problèmes qui peuvent évidemment se cumuler : la certification du service fait qui décale obligatoirement le paiement d’un mois, les dérives bureaucratiques internes aux établissements (UFR, services centraux). Plus que la réalité de la précarité, cela contribue à un malaise réel.

Références

Références
1 Comme je l’avais souligné à propos des plafonds d’emplois dans les universités dans un précédent billet, il faut se méfier des ressentis : malgré les tensions budgétaires, le taux de postes pourvus est resté stable dans les universités.
2 Depuis le décret du 06/07/2022 : 42,86 € brut pour 1 H équivalent TD.

One Response to “Précarité chez les personnels de l’ESR : nuançons !”

  1. Merci pour ce billet, plein de « nuances ».
    C’est vrai qu’il n’est pas facile de s’y retrouver dans les chiffres et que les analyses « à la serpe », dans lesquelles on mélange les vacations de professionnels (ayant donc un revenu par ailleurs et amenant une réalité « professionnelle » dans certaines filières) et le recours aux CDD BIATSS sur des emplois parfois bien pérennes sont 2 faces assez distinctes de la précarisation…
    Attention également, dans mon université on nomme (peut-être abusivement) « non-permanents » les non-fonctionnaires (non-titulaires de la fonction publique) et on mélange donc CDD (doctorants, post-docs, ATER, agents de souten à la formation et à la recherche,…) et CDI qui sont, qu’on le veuille ou non, plutôt des « permanents »…

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