Présidentielles : les universitaires souhaiteraient que l’on parle d’eux et de l’ESR, comme d’ailleurs les artistes, les agriculteurs, les policiers, les personnels de santé, les ouvriers, les employés etc. Le fait distinctif c’est que si le 3ème budget de l’Etat intéresse peu les aspirants candidat(e)s, il n’intéresse surtout personne hors des campagnes électorales ! Alors qui est responsable de cette absence du débat national ? Peut-on imaginer que si l’Université change de posture, l’État changera aussi ? Et peut-on développer un ‘soft power’ universitaire qui ne se réduise pas à celui des individus ?
Ne rêvons pas : il existe quand même peu de pays dans lesquels l’ESR est un enjeu de campagne ! Et d’ailleurs, chez nous de quoi parle-t-on ? Des universités, des écoles, des STS, des organismes de recherche ? Un des lecteurs de ce blog note que « si le grand public avait un tant soit peu conscience de la gravité des maux dont souffre le système, il ne s’offusquerait sans doute pas » des « transgressions » de la Cour des comptes dont il regrette le faible écho de la dernière note prospective dans la presse généraliste.
Pourquoi ? « Il se pourrait qu’à force de réclamer plus de financements et plus d’autonomie (qui sont tous les deux nécessaires) et toujours moins de reddition de comptes, sans jamais prendre la peine d’expliquer comment devrait marcher un enseignement supérieur et une recherche performantes au bénéfice général, plus grand monde dans le pays n’en attende quoi que ce soit… »
De son côté, dans une tribune à AEF (je joins ce texte que l’auteur a eu la gentillesse de m’adresser), Jean-Pierre Korolitski relève cette phrase d’E. Macron lors de la présentation du pan France 2030 qui admet que « ces dernières décennies, nous avons sous-investi en éducation, formation, en enseignement supérieur et en recherche ». S’il faut selon lui « se féliciter d’une déclaration aussi nette », il ajoute que « dans ce contexte, les universités ont, elles aussi, une responsabilité : agir pour faire mieux prendre en compte et respecter le modèle universitaire, par les autorités publiques, et au-delà par l’opinion. » Et il affirme que si l’université change de posture, l’État changera aussi.
Alors, les universités, les communautés scientifiques sont-elles aussi, voire autant que les pouvoirs publics, les médias etc., responsables de ce désintérêt ? Et peuvent-elles inverser cette tendance ?
Une « indifférence » qui s’explique
Que le 3ème budget de l’État (mieux que l’agriculture ou la culture !) passe inaperçu, ce n’est pas nouveau… L’argument selon lequel on ne s’intéresse aux universités (notamment) que lorsque se profile la menace d’un mouvement étudiant, n’est que partiellement vrai : les lycées, et leurs élèves, sont tout aussi « inflammables », et pourtant font l’objet de débats infinis.
On a pris également l’habitude de pointer du doigt le rôle des Grands corps ou encore la méconnaissance de la recherche dans la technostructure et le monde politique. Cette explication, même si elle a sa part de vérité, est à mon sens un peu courte. Pourquoi alors l’opinion publique n’accroche-t-elle pas ? Cela n’exonère t-il pas un peu vite la « corporation » universitaire de toute responsabilité dans ce décrochage ?
En réalité, les raisons de cette indifférence (dont le baromètre est en dernier ressort la dépense par étudiant), sont comme toujours la conjonction de plusieurs facteurs. Quels en sont les ingrédients ? Citons pêle-mêle et donc dans le désordre :
- l’absence (pour le moment) de « grande marque », illustration d’un système fragmenté et faiblement lisible, seulement incarné par des Grandes écoles et des organismes de recherche qui « flattent » dans l’opinion à la fois la fascination-répulsion pour l’élitisme (Sciences Po, l’X etc.) et le vieux fonds centralisateur de notre pays avec les organismes de recherche.
- une grille de lecture complexe de l’ESR, en raison de la diversité d’établissements dont les « programmes » ne sont en réalité pas nationaux, même si les diplômes le sont, et qui ‘heurte’ un pays drogué à la norme nationale avec ses repères et symboles (ah le bac !).
- des craintes dans l’appareil d’Etat, face à des universitaires et des scientifiques jugés imprévisibles (au mieux) et/ou incontrôlables (au pire). Avec une méfiance permanente, sur la base du « on ne sait jamais où l’argent passe » dont le plan Licence ou encore la CVEC seraient les exemples emblématiques.
- une « professionnalisation » des équipes dirigeantes encore récente et fragile, avec un mode d’élection source de beaucoup d’ambiguïtés.
- le syndrome de Stockholm du monde universitaire avec sa propension à mener des débats coupés des préoccupations de l’opinion publique et un « université bashing » qui reste un sport national chez les universitaires et scientifiques. Comme si les chasseurs ne faisaient pas bloc et se mettaient à dénoncer la chasse…
- des établissements peu autonomes, absorbés et hypnotisés par leur relation avec le MESRI et/ou les organismes de recherche, au détriment d’un investissement tous azimuts dans la société pour faire connaître leurs progrès et réussites.
Mais le plus important, c’est que l’opinion perçoit un décalage entre ses aspirations (celles des familles et des jeunes) pour des formations plus professionnalisantes et offrant une meilleure insertion, et une partie du monde académique qui continue à faire de la résistance. Idem pour les relations avec le monde économique. Tout ceci a pour toile de fond un système qui n’est pas évalué de façon pertinente et où les rentes réputationnelles dominent.
Les « platistes » de l’ESR
Pourtant, l’université a beaucoup changé. Mais le fait qu’une partie d’abord dominante (certes aujourd’hui minoritaire) du monde académique a nié puis tenté de freiner dans les années 70/80 l’évolution profonde des attentes des familles et des étudiants (Cf. mon article sur mes années Giscard) a « plombé » dans la durée l’université française, ce dont on ne peut quand même pas rendre les pouvoirs publics intégralement responsables…
A l’archipellisation du monde académique s’ajoute un autodénigrement permanent de nature à dissuader les meilleurs défenseurs des universités au sein des pouvoirs publics et des secteurs d’influence. Enfin, la « franchouillardise » règne à tous les étages, chez une partie des syndicats, dans les communautés académiques comme chez les pouvoirs publics : comment ne pas voir que la France est bonnet d’âne de l’autonomie des universités en Europe ? Comment ne pas voir que le modèle d’avenir partout dans le monde, c’est le lien formation-recherche incarné par les universités ?
Ce « platisme » (la méconnaissance des systèmes étrangers) est partagé par le conseil scientifique du CNRS. Il règne aussi (tiens un consensus inavouable !) au sein de l’appareil d’Etat où l’on ne jure que par les organismes de recherche ou la « planification » de l’innovation 1Que dire du CS du CNRS qui compte 5 membre étrangers sur 6 venant d’une université, mais qui ose affirmer : « le constat est clair : les grandes nations scientifiques s’appuient fortement sur des organismes de recherche avec des chercheurs à temps plein ». . Tirent-ils le bilan de bérézina scientifique française sur le vaccin, ce que l’opinion publique, elle, a vu ? Ont-ils jamais entendu parlé de l’université de Mayence (BioNtech) ou du MIT (Moderna) ? Non. Sur leur planète plate, ils/elles stigmatisent … l’enseignement et donc si on sait lire, les universités et leurs étudiant (e)s.
Mais comme le relevait l’historien Ch. Mercier à propos du regard perçant de René Rémond dans les années 70, le poids de la tradition jacobine guide même les acteurs « presque malgré eux vers des décisions contraires au discours autonomiste qu’ils professent.” En effet, les politiques éventuellement volontaristes des équipes de direction des établissements se heurtent à la fois à des contraintes (financières, juridiques, administratives) maintes fois traitées sur ce blog mais aussi à ces résistances profondément culturelles.
Faut-il un grand soir du ‘soft power’ ?
‘Soft power’ et grand soir, c’est un peu antinomique ! Dans ce contexte, comment déployer un ‘soft power’ universitaire 2Evidemment je n’évoque pas le ‘soft power’ des individus, ils/elles se débrouillent très bien ! avec des universités dénigrées en permanence et tenues en laisse par des processus bureaucratiques inimaginables ailleurs qu’en France ? Avec les différents plans de relance, dont le dernier France 2030, il y a effectivement des milliards en jeu. Alors peut-on imaginer avec JP Korolitski que si l’université change de posture, l’État changera aussi ?
Comment faire de l’enseignement supérieur et la recherche un enjeu majeur de la société française ? Pour cela, il faudrait d’abord que les communautés universitaires et le MESRI soient d’accord 😀: veut-on faire, comme partout dans le monde, des universités le centre de gravité du système ? Car il est quand même difficile de promouvoir un système en bataillant en ordre dispersé et en promouvant une organisation incompréhensible pour l’opinion (Cf. mon billet sur les organismes de recherche).
Ensuite, il faut évidemment répondre de façon percutante aux préoccupations de l’opinion publique et/ou des décideurs : qualité des formations et de l’accueil des étudiants, apprentissage, employabilité, FTLV, lien recherche et innovation. Et dans la société du XXIème siècle, pour être audible il faut être disruptif et porter des propositions qui actent des évolutions en cours (on l’a vu avec Parcoursup et l’acceptation par les familles).
Je retiens ainsi parmi les propositions de JP Korolistki 3Il avance 5 pistes « insuffisamment explorées » à son sens par les universités pour y parvenir. « Ne plus renoncer à attirer les bacheliers les plus solides au plan académique, les mieux préparés aux études longues ; Développer, corrélativement, une politique hardie de professionnalisation des parcours dès la licence ; Ne pas se tromper de « continuum » ; Ne plus accepter une dégradation de la qualité consécutive à l’accueil d’étudiants toujours plus nombreux sans moyens suffisants pour bien les encadrer ; Dégager ainsi des marges de manœuvre et mieux répondre aux attentes de la société. » Pour Jean-Pierre Korolitski, ces 5 axes « procèdent d’une même volonté : inciter la communauté universitaire et ses représentants à adopter un nouveau positionnement plus proactif que réactif pour, finalement, être mieux respectés. » Car selon lui « Il faut que l’Université fasse autrement pour que l’État fasse autrement. » La conséquence en serait « de nouveaux arbitrages pourront redonner à l’université la place qui doit être la sienne parce que c’est – le moindre regard international le prouve – le seul modèle d’avenir. » qui feront débat, une qui pourrait faire consensus : « Ne plus accepter une dégradation de la qualité consécutive à l’accueil d’étudiants toujours plus nombreux sans moyens suffisants pour bien les encadrer » et « n’accueillir par établissement au plus qu’un nombre d’étudiants fixé en référence au ratio moyen « ressources par étudiant » de l’OCDE pour garantir le niveau de qualité nécessaire. »
Et les pouvoirs publics ?
Au fond, sur ce sujet, il a raison : les universités sont potentiellement en position de force. Pas seulement par la menace d’un nouveau mai 68 (ah le traumatisme !) mais par leurs interactions croissantes et positives avec la société, et donc l’opinion. Il y a effectivement « une fenêtre de tir » autour de France 2030 mais plus généralement de la sortie de crise : la science et la formation sont au cœur des solutions, quels que soient les sujets. Imaginons donc que toutes les universités françaises demandent unanimement le financement adequat au nom de l’exigence de qualité, et prennent à témoin l’opinion publique : c’est exactement ce qu’il s’est passé dans les hôpitaux …
A lire le texte de Jean-Pierre Korolitski, j’ai cependant une légère nuance 😀. Car la responsabilité des pouvoirs publics est énorme et pas seulement pour le sous-financement chronique. Il ne suffit pas de dire aux universités, osez. Leurs chaînes sont réelles et un seul exemple suffit à comprendre le désarroi qui y règne.
Prenons l’appel à projets intitulé « Accélération des stratégies de développement des établissements d’enseignement supérieur et de recherche », dans le cadre du PIA 4 avec 200 M€ (certes sur plusieurs années) : il vise à « aider les établissements d’ESR à accroître leurs ressources » et constituer ou professionnaliser leurs équipes d’appui pour le montage de projets, prioritairement sur la FTLV et/ou les projets européens. On fait donc désormais des appels à projet pour professionnaliser les équipes 4 Rappelons que ces 200 M€ se comparent à la carotte de 17 M€ attribuée en « rattrapage » en juillet dernier… mais les universités qui sont en difficulté ne pourront pas évidemment présenter un projet « de qualité » puisque justement elles n’ont pas le personnel pour 😫… Tant mieux pour certaines, qui appliqueront le précepte « prends l’oseille et tire-toi » !
Au nom d’une doxa absurde des financements compétitifs, tout désormais est objet d’un appel à projet, happant l’énergie des équipes, de façon réglementée et top down. Car pour ancrer ce ‘soft power » universitaire, il faut la rencontre d’un ou d’une ministre et des communautés universitaires. Et là on ne peut qu’être circonspects. Wait and see…
Et l’opinion publique ?
Le conservatisme académique (Cf. à titre de symbole quelques articles du livre Beaud-Millet qui semblent venir d’une autre planète), marque durablement l’image des universités comme l’ont montré les résultats de 2 sondages OpinionWay réalisés pour la CPU, l’un en direction de l’opinion publique, l’autre auprès d’élus et chefs d’entreprises.
Malgré cela, l’université bénéficie globalement d’une bonne image parmi les Français comme acteur central de la formation et de la recherche. Pourquoi ? Parce qu’elle permet à une diversité d’étudiants d’avoir accès à des formations variées, et qu’elle est ancrée avec ses laboratoires et formations dans l’ensemble du territoire français. Et on peut méditer 2 choses :
- le fait que les perceptions en régions sont régulièrement et nettement plus positives qu’en région parisienne (là où vivent les décideurs et les journalistes…)
- les très bonnes opinions plus fortes chez celles et ceux qui sont allés à l’université.
N’oublions pas que des millions de français sont passés par l’université, avec évidemment des expériences diverses, parfois franchement mauvaises il faut l’admettre, mais souvent plutôt bonnes si l’on se fie à ces enquêtes.
Mais si l’image des universités est encore meilleure chez les décideurs que dans l’opinion publique (94% des élus ont une bonne opinion de l’université, et 85% des dirigeants d’entreprise !), elle reste toutefois modérée (assez bonne opinion). Et comme dans l’opinion publique en général, elle est exprimée malgré une information jugée imparfaite sur ses évolutions. Ils/elles ignorent par exemple les très bons niveaux d’insertion professionnelle et de rémunération de leurs diplômés, notamment des masters.
Et si, par exemple, les dirigeants d’entreprises perçoivent des spécificités universitaires positives (diversité sociale des diplômés, plus grande variété de points de vue, des compétences et des softs skills adaptés aux évolutions des entreprises), les changements en matière de professionnalisation restent peu ou mal perçues. Ces attentes fortes restent perçues comme un point faible des universités.
Références
↑1 | Que dire du CS du CNRS qui compte 5 membre étrangers sur 6 venant d’une université, mais qui ose affirmer : « le constat est clair : les grandes nations scientifiques s’appuient fortement sur des organismes de recherche avec des chercheurs à temps plein ». |
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↑2 | Evidemment je n’évoque pas le ‘soft power’ des individus, ils/elles se débrouillent très bien ! |
↑3 | Il avance 5 pistes « insuffisamment explorées » à son sens par les universités pour y parvenir. « Ne plus renoncer à attirer les bacheliers les plus solides au plan académique, les mieux préparés aux études longues ; Développer, corrélativement, une politique hardie de professionnalisation des parcours dès la licence ; Ne pas se tromper de « continuum » ; Ne plus accepter une dégradation de la qualité consécutive à l’accueil d’étudiants toujours plus nombreux sans moyens suffisants pour bien les encadrer ; Dégager ainsi des marges de manœuvre et mieux répondre aux attentes de la société. » Pour Jean-Pierre Korolitski, ces 5 axes « procèdent d’une même volonté : inciter la communauté universitaire et ses représentants à adopter un nouveau positionnement plus proactif que réactif pour, finalement, être mieux respectés. » Car selon lui « Il faut que l’Université fasse autrement pour que l’État fasse autrement. » La conséquence en serait « de nouveaux arbitrages pourront redonner à l’université la place qui doit être la sienne parce que c’est – le moindre regard international le prouve – le seul modèle d’avenir. » |
↑4 | Rappelons que ces 200 M€ se comparent à la carotte de 17 M€ attribuée en « rattrapage » en juillet dernier… |
De très bonnes questions de posées méritant un débat contradictoire. Pas sûr que le « tout » université en y mettant formation, recherche et innovation comme cela est avancé par certains (voir dernier club Iena) soit la solution. Quand on voit aujourd’hui ce titre de dépêche AEF « La coopération entre acteurs de l’ESR est entravée par la démarche du CNRS sur le fonctionnement des UMR » (CGE), on n’est pas le c.. sortie des ronces!
Sur le fait que l’opinion publique ne s’intéresse pas à l’ES, ne faut-il pas chercher du côté combien de % de la population passe par là: 20 % de la population dispose d’un diplôme supérieur à bac + 2 et 23 % détient au mieux le certificat d’études primaires. On est loin de la vision d’une société où le diplôme du supérieur serait la norme. Pb des élites? Et si on prenait la formation dans son ensemble y compris les formations techniques avant ou après le bac?