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Vous voulez du millefeuille ESR ? Reprenez-en ! L’IGESR vient de publier un bilan accablant de la décision de créer la fonction de recteur délégué à l’ESRI. Mais son rapport soulève une question plus essentielle : comment les pouvoirs publics ont-ils pu malgré les alertes, les études de chercheuses et chercheurs, les comparaisons internationales, et même des discours ‘officiels » s’engager dans cette impasse ? Un changement de paradigme s’impose : les responsables publics à tous les niveaux, façonnés par un « habitus » centralisateur en seront-ils capables un jour ? 

Le constat est sévère. Selon le rapport de l’IGESR, « le recteur de région académique peine à prendre sa place entre l’administration centrale et les opérateurs dans le champ de l’enseignement supérieur » et cette situation est « exacerbée dans les régions où un recteur délégué à l’ESRI est présent. » Mais il est aussi radical ! Elle souligne que « la fonction de recteur délégué apparaît surdimensionnée et ne justifie pas ce titre. »  Bref inutile !

Que s’est-il passé ? Si je traduis les prudences sémantiques de l’Inspection générale, dans le cadre d’universités (réellement) autonomes les recteurs ne servent à rien, ou pas grand chose (Et pour l’éducation nationale, on se demande…). C’est d’ailleurs pour cela qu’aucun pays ne nous les envie ! Plus globalement, elle pointe la persistance d’une vision centralisatrice et verticale. Elle décrit très bien les interactions directes des opérateurs avec les collectivités, les organismes de recherche, et bien sûr le MESR et le SGPI etc.

Mais tutelle hiérarchique oblige, l’Inspection ne va pas cependant jusqu’à remettre en cause le modèle même à l’origine des blocages récurrents du système français. Elle reste dans le domaine du contrôle, l’évaluation du HCERES étant à peine mentionnée. Enfermé dans des logiques de structures et d’organisation, le rapport substitue aux recteurs une énième idée, celles de directions renforcées ou de délégués à l’enseignement sur le modèle des Drari… Et envisage un renforcement (sûrement populaire 🤭) des moyens des rectorats…

Les constats du rapport laissent évidemment un sentiment d’accablement, tellement rien ne semble changer. On me rétorquera, à juste titre, que beaucoup d’universités, pas seulement les Idex/Isite, n’ont jamais considéré les recteurs, ESRI ou pas, comme leurs véritables interlocuteurs, excepté et dans des conditions très différentes et limitées en Île-de-France 1L’IGESR distingue à juste titre la fonction (ancienne) de vice-chancelier des universités en Île-de-France de celle des recteurs délégués.. Mais en l’occurrence, la question posée n’est pas de savoir si les personnes en fonction sont compétentes (bien que 😊) ni si leur travail est utile : toute organisation secrète ses justifications. La question posée est simple : est-il possible de faire plus efficace ? Et éventuellement moins cher 😉 ! Or derrière la création des recteurs délégués, il y a le MESR et une vision qui ne change décidément pas 2Il faut lire sur le sujet de l’administration centrale les observations du rapport !.

Alors redéroulons le fil de l’histoire.

Une situation évidente … dès 2018

Mes lectrices et lecteurs auront peut-être lu depuis 2018 mes analyses autour de cette question de la tutelle sur les universités. J’aurais préféré avoir tort…

En septembre 2018, je soulevais une première question à propos de l’évolution de leur recrutement : a-t-on encore besoin de recteurs/rices au-dessus des universités ?

J’y notais : « Le classement de l’EUA sur le degré d’autonomie des universités en Europe décerne un bonnet d’âne à la France. L’exception française du recteur censé contrôler les universités y est pour beaucoup, et symbolise la place de la tutelle. » J’ajoutais : « on parle de recteurs qui seraient des facilitateurs. Mais il y a déjà, en théorie, les conseillers d’établissement. » Et j’interrogeais : « peut-il y avoir deux autorités sur le territoire, dont l’une n’en est pas vraiment une tout en l’étant ! » L’IGESR répond clairement non…

En mars 2019, je faisais le constat d’un malaise général révélateur à propos des recteurs/rices délégués ESRI. Je relevais l’incroyable contradiction du discours de F. Vidal 3Au passage, notons que les liens sur le site web du MESR ne semblent plus valides sur toute une série d’archives ‘politiques’, dont les discours de F. Vidal. annonçant devant les présidents d’université un acte II de l’autonomie et en même temps l’instauration de recteurs/rices délégués. Je pouvais alors prédire une chose : « Que va pouvoir faire ce vice-recteur dans cette galère, véritable coupe-gorge, dans lequel il va être attendu avec un fusil par tous les acteurs ?  » Et je faisais le pari que cette mesure allait ajouter une couche bureaucratique qui ne sera jamais opérationnelle : « les universités vont dresser un cordon sanitaire, avec l’aide sans doute des collectivités, qui n’ont que faire de recteurs délégués. »

Un mois plus tard, en avril 2019, j’y revenais avec un diagnostic plus précis sur la mission impossible des recteurs délégués à l’ESRI. « Le fond du problème n’est-il pas que l’on traite les universités comme des services déconcentrés et non comme des entités autonomes, ce que sont leurs homologues européennes ? »

Changera-t-on de paradigme ?

Et lors de la nomination des 7 personnes dédiées à cette fonction début 2020 (en plein débat sur la LPPR, future LPR) j’analysais cette question du choix de la déconcentration plutôt que l’autonomie.  Quel était le présupposé ? Non pas permettre aux opérateurs de mieux développer leur stratégie et leurs actions mais surtout permettre à l’administration centrale de gérer « ses » nombreux opérateurs.

Je dois dire avec le recul que j’aurais dû préciser : il s’agissait d’un ersatz de déconcentration tant tout se joue entre opérateurs et le « centre », c’est-à-dire le MESR … et le SGPI ! Le résultat en effet, c’est qu’il n’y a eu ni déconcentration ni pas en avant vers plus d’autonomie 4Passons, puisque cela est détaillé dans le rapport de l’IGESR, sur le fonctionnement soviétique de l’éducation nationale, avec un verticalisme permanent qui, quels que soient les ministres, ne change pas. Et qui à mes yeux explique en partie l’état du système..

On est donc en droit de se poser la question. Comment l’échec annoncé de la fonction de recteur délégué, et plus généralement du rôle assigné aux recteurs, a-t-il pu ne pas être perçu ? Tout simplement parce que le centralisme à la française reste le modèle dominant, véritable compromis historique entre toutes les force syndicales et politiques, compromis qui imprègne également tous les opérateurs.

On pourrait se dire que ce fiasco pourrait stimuler une mise à plat et un bilan constructif en repensant les choses. Malheureusement, il n’est pas sûr qu’à tous les niveaux des leçons soient tirées. Pour l’instant, sauf message politique fort, c’est reprenez du millefeuille jusqu’à l’indigestion.


Une bataille de cours de récréation : morceaux choisis

J’aurais pu multiplier les anecdotes « croustillantes » sur ce que le microcosme constate : bataille d’ego (ah la photo !), de préséance (ah le discours d’inauguration !), incompétence etc. Car l‘interview chez AEF ou Newstank (personne d’autre ne s’intéresse à elles et eux…) fait trop souvent figure de campagne électorale. Cela interpelle plus globalement sur l’évaluation inexistante des recteurs/rice comparée à celle des préfets.

Mais citons l’IGESR :

« Certains recteurs consacrent une grande énergie à veiller à ce que le recteur de région académique n’empiète pas sur leurs attributions et intervienne le moins possible dans leur académie », écrit l’IGESR. Ils estiment devoir « demeurer l’unique représentant de l’État dans leur domaine ».

L’inspection note que cette situation est même « exacerbée dans les sept régions où un recteur délégué à l’ESRI est présent ». « L’installation politique de ces recteurs délégués est limitée du fait de leur positionnement juridique, sous la responsabilité des recteurs de région académique, ce qui explique les tensions qui peuvent s’exprimer sur les responsabilités de chacun », ces derniers définissant les activités que les premiers prennent en charge ajoute-t-elle.

D’autant que les recteurs délégués, qui « ne se conçoivent pas comme des conseillers des présidents d’université mais plutôt comme des ‘ambassadeurs bi-relationnels’ vis-à-vis des universités mais aussi vis-à-vis du MESRI », et qui souhaitent être « en mesure de faire remonter des remarques et réflexions, y compris politiques, venant des acteurs locaux » ont un positionnement qui recouvre « pour partie » les attributions des conseillers d’établissement ou de site au sein de la Dgesip.

Fermez le ban 😒 …

Références

Références
1 L’IGESR distingue à juste titre la fonction (ancienne) de vice-chancelier des universités en Île-de-France de celle des recteurs délégués.
2 Il faut lire sur le sujet de l’administration centrale les observations du rapport !
3 Au passage, notons que les liens sur le site web du MESR ne semblent plus valides sur toute une série d’archives ‘politiques’, dont les discours de F. Vidal.
4 Passons, puisque cela est détaillé dans le rapport de l’IGESR, sur le fonctionnement soviétique de l’éducation nationale, avec un verticalisme permanent qui, quels que soient les ministres, ne change pas. Et qui à mes yeux explique en partie l’état du système.

3 Responses to “Que nous apprend le fiasco annoncé des recteurs/rices dans l’ESR ?”

  1. J’hésite à avouer que, lorsque j’ai dirigé l’école nationale supérieure des Arts et Métiers, présente dans 8 régions, je n’ai jamais rencontré aucun recteur. Après plus de 6 ans, il y a peut-être prescription 😉
    Même absence de contact avec les conseillers d’établissements que je voyais au moment où ils entamaient leur mission auprès de l’établissement, et au moment où celle-ci s’achevait.
    Ce n’était ni une bouderie, ni un complexe de supériorité, ni une volonté de fanfaronner. Plus simplement je n’en ai jamais éprouvé le besoin.
    J’ai eu par contre des rencontres suivies, sérieuses, quelquefois difficiles, mais toujours importantes, avec les autres établissements, les collectivités, les entreprises…
    J’ai eu également des contacts récurrents avec DGESIP/DGRI/cabinet en fonction des questions traitées.
    Peut-être est-ce dû au fait que l’ENSAM est un établissement ESR particulier ?
    En tout cas, je résumerais bien le billet de JMC par l’opposition tutelle légère et forte vs tutelle pesante et faible…

  2. Lorsque le MEN était venu à Matignon présenter son projet de « région académique », superposant une nouvelle structure aux structures existantes, le Premier Ministre (Valls) avait parlé de « glaciation brejnevienne »! Lorsque j’étais recteur, l’enseignement supérieur occupait au plus 5% de mon temps (la réunion régulière et amicale avec le « club « des Présidents). Le seul moment où les recteurs ont été utiles, c’est lors de l’élaboration des schémas U 2000 et U3M car il fallait un interlocuteur assurant la synthèse face à la Région et aux collectivités locales et assurer les arrières avec le MEN. Pour le reste, les Présidents sont assez grands et n’ont pas besoin du recteur et, encore moins, du recteur délégué…

  3. C’est en effet un aspect « croustillant » du rapport de la Cour, par ailleurs très documenté et intéressant. Mais au fond, que le recteur délégué serve ou pas à quelque chose, quelle importance ?
    En revanche, le rapport confirme une orientation de la Cour plus dérangeante.
    1) D’abord, il y a un angle mort : la recherche. Au motif que le sujet retenu concerne les liens avec les territoires, le rapport se focalise sur la formation et la répartition des moyens par étudiant, par exemple. Or, la répartition des moyens attribués tient aussi compte des équipes de recherche, mais c’est écran noir. Accessoirement, l’inscription de la recherche dans les territoires est aussi un sujet, mais pas dans ce rapport. Et ce sont les mêmes auteurs qui font l’impasse sur une fonction centrale des universités, qui s’inquiètent de « l’éclatement du concept unifié de l’université »….
    2) Ensuite, la Cour confirme qu’elle n’aime vraiment pas la différenciation des établissements publics : le PIA est la source du mal, et les différents statuts de grand établissement et d’EPE sont une source de confusion. Une seule tête statutaire, et en avant marche. Quand elle le veut, le Cour est capable de comprendre la dynamique des transformations statutaires, mais quand elle n’aime pas la tendance, alors elle ne comprend plus, la « confusion » la submerge… Au passage, le rapport se « paye » les cathos qui usurpent le titre d’université et il associe dans une même phrase la différenciation des établissements publics et la poussée du secteur privé. Quand on veut se faire plaisir…
    3) Enfin, la Cour veut bien de la déconcentration mais pas de la décentralisation. L’Etat et les CROUS (c’est plus petit:) sont ainsi protégés de la tentation de la différence, forcément synonyme d’inégalité.
    Derrière un rapport très travaillé et très riche, il y a bien une ligne de politique publique, aussi datée que la loi Fioraso de 2013. Nostalgie, quand tu les tiens.

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