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Difficile en ce moment de ne pas évoquer l’invasion de l’Ukraine par la Russie, même sur un blog dédié à l’enseignement supérieur et la recherche. Alors que l’Union des recteurs de Russie se déconsidère définitivement (Cf. le texte intégral ci-après), la complaisance pro-Poutine de certaines forces influentes dans l’ESR aura-t-elle des conséquences à long terme ?

La Russie universitaire, sous le talon de fer de Poutine, n’échappe pas non plus à la guerre. Le climat de peur, la corruption généralisée, en résumé l’absence de démocratie, débouchent sur cette déclaration infamante de l’Union des recteurs de Russie publiée le 4 mars et signalée par le recteur de Gent, Rik Van de Walle. Je vous la livre in extenso dans une traduction DeepL.

« Chers collègues ! Des événements se déroulent sous nos yeux et concernent chaque citoyen russe. Il s’agit de la décision de la Russie de mettre enfin un terme à la confrontation qui dure depuis huit ans entre l’Ukraine et le Donbass, de parvenir à la démilitarisation et à la dénazification de l’Ukraine et de se protéger ainsi des menaces militaires croissantes.

Nous, le corps rectoral de la Fédération de Russie, avons développé et renforcé les liens scientifiques et éducatifs russo-ukrainiens depuis de nombreuses décennies, en nous chérissant mutuellement. Nos recherches conjointes ont apporté une énorme contribution à la science mondiale. C’est pourquoi la tragédie du Donbass, qui dure depuis longtemps, est particulièrement douloureuse et amère dans nos cœurs.

Il est très important en ces jours de soutenir notre pays, notre armée, qui défend notre sécurité, de soutenir notre Président, qui a pris la décision peut-être la plus difficile de sa vie, une décision durement acquise mais nécessaire. Il est également important de ne pas oublier notre devoir fondamental : apprendre aux jeunes à être patriotes et à aider leur patrie.

Les universités ont toujours été un pilier de l’État. Notre objectif prioritaire est de servir la Russie et de développer son potentiel intellectuel. Plus que jamais, nous devons faire preuve de confiance et de résilience face aux attaques économiques et informatiques, en nous ralliant efficacement à notre président, en donnant à notre jeunesse un exemple d’optimisme et de foi dans le pouvoir de la raison, et en insufflant l’espoir que la paix viendra bientôt. Ensemble, nous sommes une grande puissance ! » Fort justement, l’EUA a décidé de les bannir de ses rangs.

Les conséquences en France

Cette déclaration effrayante est fort heureusement contrebalancée par des scientifiques russes qui prennent courageusement position dans une tribune publiée par le Monde.

Cela devrait cependant faire réfléchir sur ce que la communauté universitaire française doit s’attacher à préserver, quelles que soient ses divergences et différences. Car, quand même la France est une démocratie ! Qu’en pensent en effet les pétitionnaires français habituels qui, quasiment chaque semaine, livrent un texte sur les “horreurs” qu’ils/elles subissent, “la remise en cause de la liberté académique en France”, mais également en Europe, aux États-Unis ?

Car ce doux confort « petit-bourgeois » de la pétition, dixit Lénine 🤔, masque en général une fascination plus ou moins prononcée pour les régimes autoritaires, du moment qu’ils sont anti-américains. A l’image de celle bien connue du linguiste Noam Chomsky, pour lequel « les États-Unis ayant rejeté avec mépris les préoccupations des Russes en matière de sécurité, en particulier leurs lignes rouges claires : la Géorgie et surtout l’Ukraine. » Et il propose une « neutralisation » à l’autrichienne de l’Ukraine…

Cette complaisance pour les dictatures, on l’a connue en France de la pire des façons à l’époque des Khmers rouges et du génocide cambodgien, mais elle a été un marqueur permanent d’une partie des milieux intellectuels français vis-à-vis du régime soviétique 1Je conseille ce livre, de Christopher Andrew et Vassili Mitrokhine intitulé ‘Le KGB contre l’Ouest 1917 – 1991‘, et qui montre bien le travail d’influence des services russes et autres. Qui se souvient des manifestations organisées contre l’extradition en 1977 de l’agent de la Stasi Klaus Croissant en Allemagne de l’Ouest, avec l’appui de nombreux intellectuels, Deleuze, Guattari et j’en passe…?. Je l’avoue, je suis Aron plutôt que Sartre…

La persistance dans les milieux académiques français de cette domination ‘culturelle’ de la gauche radicale, au sens de Gramsci, est une réalité, malgré ses piteux résultats électoraux. Vous me direz, quel rapport avec les débats actuels de l’ESR ? Simplement parce que, déni de réalité oblige, tous les débats sont « polarisés » autour de catastrophes annoncées, de grands soirs espérés, de traîtres dénoncés etc. avec un langage digne parfois du “grand dénazificateur”.

S’il n’est pas dans mes habitudes d’entrer dans les débats politiques d’un point de vue partisan, j’observe que la crise actuelle pourrait avoir des conséquences. En effet, dans le milieu universitaire ce ne sont ni Marine Le Pen ni Eric Zemmour qui règnent.

Or, les positions pro-Poutine d’une grande partie de la gauche radicale, LFI et Jean-Luc Mélenchon en tête, semblent créer une nouvelle ligne de fracture si j’en juge par ce qui transpire des réseaux sociaux : certains préfèrent détourner la tête et parler d’autre chose, d’autre rompent carrément, et le carré de fidèles rame…

Ceci pourrait avoir évidemment avoir des conséquences dans les rapports de force syndicaux et chez leurs dirigeants, même si officiellement, tout le monde condamne l’invasion russe. La complaisance pro-Poutine se paiera-t-elle ? Cette domination “culturelle”, basée également sur une forme de lâcheté culpabilisante, sera-t-elle ébranlée ? Il appartient à toutes celles et ceux attachés à la démocratie de se souvenir du courage du peuple ukrainien.

Références

Références
1 Je conseille ce livre, de Christopher Andrew et Vassili Mitrokhine intitulé ‘Le KGB contre l’Ouest 1917 – 1991‘, et qui montre bien le travail d’influence des services russes et autres. Qui se souvient des manifestations organisées contre l’extradition en 1977 de l’agent de la Stasi Klaus Croissant en Allemagne de l’Ouest, avec l’appui de nombreux intellectuels, Deleuze, Guattari et j’en passe…?

4 Responses to “Ukraine : des clivages universitaires qui pourraient changer la donne…”

  1. Excellente chronique comme d’habitude.
    Mais est-on sûr de la persistance dans l’ESR français de la domination “culturelle” de la gauche radicale? Il a fallu Budapest 1956 pour qu’une partie des milieux académiques perdent (un peu) de leur fascination, et depuis (presque 70 ans) une descente continue, n’en déplaise à Sartre. L’ESR qui ne dit rien est en dehors de ces débats. Dans l’ESR, très faible taux de syndiqués, très faible taux de grévistes quand des mouvements débutent. Ce n’est pas la SNCF ni l’enseignement scolaire.

  2. Je notais récemment lors d’une manifestation de soutien aux Ukrainiens, à Grenoble, l’absence des “manifestants d’habitude”, ceux qui sortent à la moindre agression (inacceptable) contre à peu près tout, à la moindre atteinte (intolérable) à la démocratie. Auraient-ils une définition biaisée de la démocratie ? Démocratie populaire ? Soyons optimistes : il restera une trace de cette absence et de leur discours ambivalent, pour “la paix” certes, mais une paix russe imposée aux Ukrainiens.

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