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La gouvernance des universités semble, à nouveau, être au cœur de nombreuses réflexions, comme le montre le discours d’E. Macron devant France Universités. Elle suscite des critiques multiformes, contradictoires. Lenteur, inefficacité et paralysie d’un côté, déni de démocratie, pouvoir technocratique de l’autre, résument les arguments. Pourtant, là encore et comme souvent, il faut prendre garde aux visions mythifiées et/ou polémiques, qui prennent le pas sur la réalité. Essayons modestement de balayer quelques unes des questions posées.

Plaidant pour l’autonomie des universités, E. Macron, indiquait qu’elle devait être “le synonyme d’une gouvernance renforcée de nos universités dans laquelle les équipes présidentielles pourront définir et incarner pleinement leurs projets”, Pourquoi ? Parce qu’elles doivent avoir “la possibilité de mettre en œuvre leur projet une fois qu’elles sont élues et qu’elles sont aux manettes. Et ça ne peut par aller avec des systèmes de gouvernance, qui par tradition ont eu pour conséquence, trop souvent, d’impuissanter les équipes face aux défis qui leur étaient posés”.

Côté Jean-Luc Mélenchon, on plaide dans son livret ESR pour plus de “démocratie universitaire ” avec un mandat unique pour les présidents, désignés par les seuls membres élus du CA et du Cac, et révocables par eux, le rééquilibrage, voire la refonte  des collèges pour une meilleure représentation de tous les étudiants et personnels et enfin la suppression de la prime majoritaire.

Si ce débat ne risque pas de faire vibrer les foules, y compris universitaires, il touche cependant à 2 affirmations qui méritent que l’on s’y arrête : inefficacité de la gouvernance universitaire vs déni de démocratie. On remarquera qu’aucune organisation humaine un tant soit peu complexe n’échappe à ce débat sur la gouvernance. Examinons donc quelques unes des questions que l’on peut se poser avant d’avoir un avis éclairé.

1) La composition des CA est-elle homogène dans l’ESR ?

Clairement non. Les modalités de représentation y sont déjà, et depuis longtemps, très diverses. Entre la loi Savary de 1984 et 2013, la part des membres élus dans les CA d’universités est restée dominante, diminuant lors de la LRU puis remontant lors de la loi Fioraso. Ce qui est plutôt constant, c’est la place des enseignants-chercheurs, mais avec les effets contestés ou approuvés (selon les points de vue) de la prime majoritaire. J’ai abordé cette question à plusieurs reprises autour des résultats électoraux.

Mais sait-on qu’une grande partie de l’ESR public échappe depuis bien longtemps (y compris avant l’ordonnance de 2018 sur les EPE) aux schémas classiques du niveau de représentation des personnels, sans que personne ne s’en offusque ? Une fois de plus, tout se concentre sur les universités.

2) Dirigeant(e)s : élections ou nominations ?

En effet, à l’image de l’ESR français, la diversité est la règle autour de la représentation dans les CA et des processus de désignation des dirigeant(e)s. Si les universités représentent le “gros” de la troupe (budget, poids), elles ne sont que quelques dizaines. Ainsi, pour les procédures de désignation, on peut souligner que les nominations dans l’ESR sont beaucoup plus nombreuses que les élections : une vingtaine d’organismes de recherche et des dizaines d’écoles d’ingénieurs relèvent de ce régime de nomination par le ministère de tutelle.

Dans les écoles en général ou grands établissements (je n’entrerai pas dans ces débats sur les statuts!), la ‘démocratie universitaire’, c’est celle d’une direction nommée, certes sur proposition du CA, mais avec une représentation très variable des élus (personnels et étudiants). A CentraleSupélec, sur 32 membres, il y a 18 “extérieurs” et 14 élus, des élus minoritaires. Dans les INSA, à Lyon, 33 membres, 14 personnalités extérieures, et 19 élus, et à Rouen 36 membres, 16 personnalités extérieures et 20 élus. A l’UT Compiègne, c’est la parité avec sur 28 membres, 14 personnalités extérieures et 14 élus.

Quant aux organismes de recherche (dont les dirigeants sont nommés en Conseil des ministres), le CA du CNRS comprend 23 membres dont 6 élus avec la présence de 3 représentants de l’État tandis qu’à l’INSERM c’est 21 membres dont 6 élus et 6 représentants de l’État. Sous statut EPST (sans parler du statut EPIC comme au CEA ou au CIRAD), la gouvernance n’a donc rien à voir avec celle des universités.  Ajoutons les CHU, où les conseils de surveillance comprennent 15 membres, avec 5 représentants du personnel médical et non médical.

En résumé, dans le service public de l’ESR, il n’y a pas de règle nationale et uniforme sur la représentation majoritaire des personnels et la désignation des dirigeant(e)s. Et l’évolution actuelle avec les EPE accentue cette tendance.

3) Que disent les résultats des élections aux CA dans l’ESR ?

Gobalement, depuis des années, le taux de participation aux élections baisse partout (CNU, CS du CNRS, CoNRS etc.) sauf pour les CA des universités 1La faible participation des étudiants est d’un autre ordre.. Ces élections rassemblent en effet (hors collèges étudiants) des pourcentages importants, souvent avec 70 à 85% de participation et couronnent en général celles et ceux qui veulent peser plutôt que s’opposer. On peut en déduire surtout un fort attachement dans les universités françaises à l’élection du ou de la présidente.

4) Quels profils ?

Si la norme internationale est qu’un académique dirige un établissement d’enseignement supérieur et de recherche, quelques établissements français sont dirigés par des “non-académiques” ( l’X, l’INRAE ou encore l’UBO). AEF a montré que les bureaux de la CDEFI (écoles d’ingénieurs) depuis 2001 comportaient 20 % de non-docteurs : cependant, le processus de nomination favorise des profils de direction non diplômés de l’établissement qu’ils dirigent. C’est ce qui les distingue surtout des universités, dont les dirigeant(e)s continuent d’être toujours issus de l’université elle-même, alors que la loi permet l’ouverture sur des profils d’établissements autres, y compris étrangers.

Si la proportion de femmes progresse encore trop lentement, il faut souligner la capacité de la haute fonction publique qu’incarnent les universitaires à faire émerger la “diversité” au sens des origines ethniques. C’est le cas chez les présidents d’universités mais aussi dans les écoles d’ingénieurs, les vice-présidents, directeurs de composantes etc.. 2J’aurais pu faire une liste nominative mais mon éthique personnelle me commande de demander l’accord des personnes sur un sujet malheureusement sensisble dans notre pays. C’est évidemment passé sous les écrans radars des médias, mais cela est à mettre au crédit du gouvernement par les pairs.

5) Les équipes “présidentielles” des universités sont-elles préparées ?

Clairement non ! C’est sans dout un problème majeur, tant pour les présidents que pour leurs équipes, même si France Universités a mis en place des formations et essaie de les accompagner. Car diriger une école ou un organisme de recherche est une chose, diriger une université est d’une autre nature : diversité des missions, taille, responsabilités etc.

Cette complexité de la gestion de l’ESR se heurte à l’inflation de vice-présidences aux intitulés parfois baroques, souvent en conflit avec l’administration (voir infra). Car selon un recensement réalisé par AEF début mai 2021, il y a 855 vice-présidents d’université, dont les 3/4 sont des enseignants-chercheurs (parmi eux, 46 % de professeurs, et 30 % maîtres de conférences). 43 % des vice-présidents sont des femmes.

Enfin, la taille des équipes présidentielles est de 12 VP en moyenne, allant de 30 VP à Aix-Marseille Université à 5 (Le Mans, PSL par exemple). Il faut y ajouter les “chargé(e)s de mission”. Notons qu’en plus, dans de nombreuses universités, c’est le CA qui ratifie les vice-présidents proposés par le ou la présidente.

6) Quel rôle pour les composantes formation et recherche ?

Un rapport de l’Igesr note qu’alors même que “les DGS participent généralement au choix des responsables administratifs de composantes, les réunions avec ces derniers sont peu fréquentes et ils ne se perçoivent le plus souvent pas – et ne sont pas perçus – comme leur supérieur hiérarchique. La situation est identique à l’endroit des responsables administratifs des unités de recherche.” De fait, doyens (non nommés) et directeurs de labos (nommés conjointement avec l’organisme de recherche) sont une autorité hiérarchique pour les services et jouent un rôle considérable dans la gouvernance quotidienne.

7) Quelle place pour l’administration dans la gouvernance ?

Rien de mieux pour objectiver les choses que ce même rapport de l’IGESR 3La mission d’inspection s’est appuyée sur un questionnaire d’enquête auprès de 67 DGS, complété par des visites dans 12 universités.. Résultat : seulement 5 DGS disposent d’une lettre de mission, tandis que l’on assiste à un “renouvellement important” (un turn over autrement dit…) et une association faible à la gouvernance des établissements. L’IGÉSR note ainsi quelques traits spécifiques de la situation française : “Une nomination par l’autorité ministérielle, la relative précarité de leur statut et un malaise ressenti sur la question politique/administratif qui s’exprime notamment dans les relations avec les vice-présidents, problème qui ne se pose dans aucun autre pays”.

8) Et l’Etat dans tout ça ?

Les universités se distinguent par l’absence totale de représentant de l’Etat dans leur CA mais par un contrôle de légalité a posteriori du recteur ou recteur délégué. C’est à l’occasion, de plus en plus rare d’ailleurs, de la mise sous tutelle financière, que s’exprime leur rôle décisionnaire. Si au quotidien, les universités et les universitaires jouissent d’une liberté unique comme le notait dans un livre Olivier Beaud, elles sont tenues en laisse par le gouvernement des circulaires et l’inflation des règles. Un “soft power” pas anodin…

9) Comment ça se passe dans le secteur public hors ESR ?

Le monde culturel (opéras, théâtres, musées) est à cet égard intéressant à observer 4A titre d’exemple, le CA du Théâtre national de Chaillot est présidé par le directeur, avec 3 représentants de l’Etat, 3 personnalités qualifiées et 3 représentants des personnels permanents. A l’Opéra national de Paris, il y a 5 représentants de l’Etat (dont 4  du ministère chargé de la culture et un représentant de la direction du budget), 4 représentants des salariés et 3 personnalités qualifiées nommées par décret.. Le récent feuilleton de la nomination du directeur de l’Opéra de Paris, de même d’ailleurs que le renouvellement des directions de théâtre nationaux, montre au moins une chose : notre pays n’a donc pas un modèle unique de gouvernance des établissements publics 5Les musées nationaux font exception, chasse gardée, sauf erreur de ma part, de la corporation des conservateurs/rices.. La présence de l’Etat, à défaut d’être toujours efficace 🙂, est forte.

Au-delà du fait du “fait du Prince” (une nomination est toujours visée à l’Élysée), un progrès a été réalisé avec des comités chargés d’examiner les candidatures. Mais dans le monde culturel s’opposent 2 visions autour de la gouvernance (opéras, orchestres, théâtres). D’une part, une vision qui consiste à mettre un gestionnaire accompagné d’un directeur au profil artistique, de l’autre celle misant sur une femme (rarement) ou un homme du sérail, musicien, acteur ou metteur en scène…accompagné d’un gestionnaire.

En réalité, dans le monde entier, on trouve à la tête des institutions culturelles des profils plus mixtes. Bref, personne ne conteste le mécanisme mais tout le monde polémique sur le choix des personnes. Même à la Comédie Française, gérée par ses sociétaires, l’administrateur général est nommé par le Président de la République…

10) Peut-on parler de démocratie universitaire ?

En réalité, il existe une confusion entre démocratie universitaire et collégialité et libertés académiques. Car l’université, c’est d’abord l’existence d’un suffrage de type censitaire puisque qu’une voix n’égale pas une voix selon la catégorie à la laquelle on appartient. Il implique évidemment la fragmentation des intérêts (les maîtres de conférence contre les professeurs, les disciplines entre elles selon leur poids, les Biatss et/ou les étudiants en arbitres etc.). Il faut donc plutôt parler de cogestion (entre personnels et usagers), voire d’autogestion (des enseignants-chercheurs), la représentation de l’État dans les CA étant inexistante.

En conclusion

Alors , la gouvernance des universités est-elle “inefficace” ou anti-démocratique ? Ces 2 affirmations débouchent en réalité sur bien d’autres questions et notamment :

– l’absence de l’Etat des CA d’université n’est-elle pas un marché de dupes qui piège les établissements avec en réalité une tutelle tâtillonne et permanente ?

– la politique du MESRI, celle des organismes nationaux, celle des dizaines de structures satellites ne “percutent”  elles pas quotidiennement la politique d’une université en affaiblissant sa gouvernance ?

– la fonction et les missions du CA ne doivent-elles pas être revues ?

– les universités n’ont-elles justement pas adopté trop souvent … le fonctionnement du MESRI, notamment vis-à-vis de leurs composantes ?

– le “pouvoir” académique peut-il s’accommoder d’une administration forte ?

– peut-on se satisfaire de la rémunération actuelle de la fonction de président(e) si l’on veut attirer dans la durée les meilleurs ?

– le défi démocratique n’est-il pas surtout de convaincre mais sans avoir la main qui tremble ?

Etc, etc.

Références

Références
1 La faible participation des étudiants est d’un autre ordre.
2 J’aurais pu faire une liste nominative mais mon éthique personnelle me commande de demander l’accord des personnes sur un sujet malheureusement sensisble dans notre pays.
3 La mission d’inspection s’est appuyée sur un questionnaire d’enquête auprès de 67 DGS, complété par des visites dans 12 universités.
4 A titre d’exemple, le CA du Théâtre national de Chaillot est présidé par le directeur, avec 3 représentants de l’Etat, 3 personnalités qualifiées et 3 représentants des personnels permanents. A l’Opéra national de Paris, il y a 5 représentants de l’Etat (dont 4  du ministère chargé de la culture et un représentant de la direction du budget), 4 représentants des salariés et 3 personnalités qualifiées nommées par décret.
5 Les musées nationaux font exception, chasse gardée, sauf erreur de ma part, de la corporation des conservateurs/rices.

3 Responses to “La gouvernance des universités en 10 questions”

  1. Comment parler d’autonomie des universités qd on voit ce qui vient de se passer à Toulouse où TSE, par décision du prince, va avoir un statut de Grand Etablissement et donc sa PMJ (personnalité morale et juridique)! Les composantes GE ds univ ont en général leur PMJ ou aussi des demandes comme ici “IUP MIAGE d’Orsay, 180 étudiants, 4 EC et 2 administratifs, vient de faire la demande de devenir Grand Etablissement auprès du MESRI”! Pourquoi alors ne pas donner la PMJ à toutes les composantes et donc l’université n’est plus qu’un assemblage d’établissements autonomes!!! Il faudra m’expliquer cette cohérence!

  2. Cher Jean-Michel, la question du mode de désignation des “doyens” se pose toujours. Plus personne ne conteste aujourd’hui le choix par les présidents de leurs VPs (j’ai connu une époque où les VP CS ou CEVU pouvaient être dans l’opposition au Pdt en raison du mode de désignation). Pourquoi les Pdts ne pourraient-ils pas “choisir” les doyens (élection sur proposition du Pdt) ? Cela réglerait également en partie le sujet DGS vs responsable administratif des UFR.
    On aurait ainsi un bloc “présidentiel” qui dépasserait la simple frontière du siège de l’université.
    L’ordonnance EPE le permet désormais mais de mémoire peu d’établissements ont fait ce choix.
    Ce mode de désignation existe déjà à l’étranger.

    Pour reprendre l’analyse que Bernard Belloc avait faite dans son excellent ouvrage “l’académie au pays du capital”, l’université doit gérer des élections à tous les étages quand les organismes et les grandes écoles sont dirigés par des “nommés”…

    Excellent billet comme d’habitude.

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