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Un des objets de crispation les plus visibles dans la communauté universitaire est que le dispositif du CIR siphonnerait les budgets au détriment de ceux dédiés à la recherche. Et l’embauche faible de docteurs dans la R&D privé, leur statut et leurs rémunérations illustreraient “un marché de dupes”. France Stratégie vient de publier plusieurs études sur l’impact du Crédit d’Impôt Recherche. Une fois de plus la même question est posée : une politique fiscale peut-elle faire évoluer le poids des représentations ? Ces regards rigoureux permettent (enfin) d’y voir plus clair.

Il y a quelques mois, j’avais analysé le faible % de PhD dans la R&D privée, qui montrait la grande appétence des entreprises pour les ingénieurs, plutôt que pour les docteurs ou docteurs-ingénieurs. Or, la Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (CNEPI) a publié début mars un avis, mais surtout 4 études (réalisées fin 2018 par des chercheurs qui éclairent ainsi le débat public ?) sur le Crédit Impôt Recherche (CIR).

La réforme du CIR en 2008 avait pour objectif de combler le retard des entreprises françaises en matière de R&D et d’innovation et de favoriser le rapprochement avec les laboratoires de recherche. Le but est-il atteint ? Clairement non, surtout si on le rapporte aux efforts financiers de l’État.

Loin des visions manichéennes et à vrai dire tellement simplistes (anti CIR “les entreprises profitent du CIR” ou  pro CIR “cela a permis de relocaliser la R&D de grands groupes”), ces travaux de recherche dressent un constat nuancé. Comme le rapport sur les aides à l’innovation, ils interrogent les effets d’une politique fiscale sur quelque chose qui relève plus des représentations et du culturel.

Embauche de jeunes docteurs : une amélioration très limitée

L’étude conduite par des chercheurs des universités de Bourgogne et Poitiers (direction, Jean-François Giret, IREDU) sur les effets du Dispositif Jeunes Docteurs (DJD) dans les entreprises est passionnante. En préambule, les auteurs soulignent que “dans la majorité des disciplines, la préférence pour le secteur académique est largement majoritaire” chez les jeunes docteurs, même si cela progresse. Et parallèlement, il semblerait que, dans le maquis des aides, ce dispositif soit parfois mal connu des petites entreprises. On serait donc loin des effets d’aubaine !

Selon eux, si la mesure semble avoir “permis d’accélérer sensiblement le recrutement des docteurs dans la R&D par rapport aux jeunes ingénieurs”,  l’analyse par spécialités, montre que les chances d’accès à la R&D sont“très faibles pour les autres” tandis qu’aucun effet significatif “n’apparaît pour les docteurs ingénieurs.” Ils relèvent cependant “un réel intérêt des employeurs” pour le DJD (“bien qu’ils aient peu ou pas utilisé le dispositif”), sachant que les jeunes docteurs s’en saisissent “comme argument lors du recrutement”.

Mais pour les auteurs, la véritable question est celle-ci : ce dispositif est-il susceptible à moyen terme de changer les représentations sur le doctorat ?

Pourquoi ? Des freins et des biais de perception

Ils ont procédé, en plus de l’analyse des données disponibles, à des entretiens qualitatifs (9 docteurs, 9 chefs d’entreprise) pour mieux cerner les freins et opportunités à l’embauche de docteurs dans des petites entreprises (oui il n’y a pas que le CAC 40 !). Je conseille à mes lecteurs de les regarder de plus près (à partir de la page 28) car ils livrent un tas d’enseignements sur les améliorations potentielles des formations doctorales mais aussi sur les représentations des chefs d’entreprises. Une vision équilibrée, qui montre le chemin à parcourir des 2 côtés.

L’importance des représentations est essentielle dans des univers qui paraissent à la majorité d’entre eux, “encore très cloisonnés.” Les employeurs mettent souvent en avant les exigences du profil recherché “plus en lien avec le parcours des diplômés d’écoles d’ingénieurs (‘recherche de polyvalence’, ‘connaissance du monde de l’entreprise’, ‘nécessité de faire du concret’…)” même si les docteurs disposent de certains atouts ”rigueur’ ou ‘autonomie’ par exemple.”

Surtout, face aux réseaux structurés des diplômés des écoles d’ingénieurs, “l’absence de connaissance du milieu universitaire, des conditions d’exercice de la thèse et des compétences des jeunes docteurs génère chez certains employeurs une aversion envers des profils jugés ‘trop académiques'”.

Pourtant, les auteurs rappellent les études qui démontrent l’absence de différence significative de productivité dans les fonctions de chercheur en entreprise entre docteurs et diplômés d’écoles d’ingénieur, mesurée par les inventions brevetables.”

Les conclusions de cette étude sont évidentes : c’est aussi aux laboratoires et aux universités de faire mieux connaître leurs atouts, de corriger leurs propres dysfonctionnements, et de se rapprocher des entreprises pour faire tomber ces représentations qui “plombent” l’embauche de docteurs.

On retrouve là l’exception française sur le PhD : dans ce contexte, les conventions CIFRE semblent un levier exceptionnel de changement. Car on recrute à son image et on a besoin de repères.

Réformer le CIR ou y renoncer ?

Quid donc des effets du CIR pour l’embauche de docteurs ? Les auteurs de l’étude estiment qu’“il n’est en rien suffisant selon les enquêtés” : pas connu de tous, “il se confronte aussi à la nature des activités des entreprises et à la pérennité de certains stéréotypes qui semblent pour partie le fruit des faibles interactions entre le secteur privé et le milieu universitaire.”

Dans un article de The Conversation, Pierre Courtioux, économiste à EDHEC Business School dresse un constat radical, qui ressemble à celui du rapport sur les aides à l’innovation : la tendance à arroser le sable. Pour lui, le rapport de la CNEPI “ne permet pas d’accorder un blanc-seing au dispositif”.

Car les principaux résultats de la CNEPI, confirmant en cela “un certain nombre d’études réalisées sur le sujet ces dernières années, sont que, grosso modo, 1 euro de rentrée fiscale en moins ne correspond qu’à 1 euro de dépense de R&D en plus.” Et il pose une question somme toute légitime : dans un contexte de forte tension budgétaire, on peut interroger “les choix d’orientation des politiques publiques.”

S’il n’y a pas “d’effet multiplicateur” puissant du dispositif, “est-ce que l’État n’a pas intérêt à renoncer au CIR et à récolter directement l’impôt pour financer ensuite la recherche publique et/ou privée par des subventions ?”

Sans aller jusqu’à la suppression du CIR, une redéfinition de ses modalités et de ses objectifs ne s’impose-t-elle pas ? Bonne question au moment où se prépare la loi de programmation !


Des constats plus que nuancés sur les effets sur l’effort de R&D privé

Dans son avis, la CNEPI, note que les résultats des études sont “convergents : les entreprises qui bénéficiaient déjà du CIR avant la réforme de 2008 ont augmenté leurs dépenses de recherche et développement d’un montant égal ou légèrement supérieur à celui de l’aide fiscale reçue, une seule étude identifiant une augmentation légèrement inférieure à long terme aux montants reçus. La réforme du CIR a donc atteint sa première cible : la croissance des dépenses de recherche et développement de ses bénéficiaires, dans une période pourtant marquée par la crise économique, et la poursuite du mouvement de désindustrialisation de l’économie française.”

Mais la CNEPI concède la nécessité d’autres investigations, ce que l’étude de l’IPP (Antoine Bozio, Sophie Cottet, Loriane Py) confirme de façon nettement moins optimiste. Que nous dit-elle ?

  1. Une faible interaction du CIR et des aides directes à l’innovation
  2. Une évaluation d’impact du CIR rendue difficile par “l’absence de variation exogène totalement convaincante”.
  3. 3 effets potentiels :  une hausse du taux de recours au CIR, une hausse de l’intensité d’investissement en R&D pour les entreprises qui avaient déjà entamé une telle démarche ; et un effet déclencheur sur la décision d’investir en R&D.

Les chercheurs évaluent les effets positifs de la réforme sur les dépenses de R&D de l’ordre de 15 % à 18 % impliquant un multiplicateur du crédit d’impôt de 1,3 à 1,5 – c’est-à-dire un effet d’un euro de CIR entraînant de 1,3 à 1,5 euros de dépenses R&D supplémentaires – mais avec un intervalle de confiance qui n’exclut pas que l’effet soit inférieur à 1. L’effet sur l’emploi en R&D est plus faible, de 5 % à 10 %, et parfois non significatif.”

Et donc, très prudents, les chercheurs estiment que “faute d’observer une mesure de l’investissement en R&D non dépendante des dispositifs d’aide particuliers”, ils ne peuvent pas “proposer ici d’évaluation de la marge extensive (la décision d’investir en R&D).”

La CNEPI doit entamer la seconde étape d’évaluation du CIR qui visera notamment à répondre aux questions suivantes :

  • quel a été l’impact du CIR sur les entreprises entrées dans le dispositif postérieurement à la réforme de 2008, qui représentent aux alentours de 40 % de la dépense fiscale liée au CIR ?
  • quels sont les impacts micro et macroéconomiques du CIR, notamment sur la croissance économique, la création d’emploi, les exportations ? Comment se comparent-ils avec ceux d’autres dispositifs de promotion de l’innovation ou de soutien aux entreprises ?
  • quel a été l’impact du CIR sur l’attractivité de la France comme pays d’implantation d’activités de recherche et développement ?

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