Attaquée de toute part, y compris dans les médias qui ne soupçonnaient pas son existence, F. Vidal fait face à des interrogations ouvertes et nombreuses sur son rôle de ministre. Elle semble impuissante, non seulement dans ses choix, mais pour son poids politique dérisoire et sa communication calamiteuse. Si le retour en présentiel des étudiants de 1ère année est une fragile bonne nouvelle, on peut s’interroger sur les conséquences de cette incarnation politique évanescente pour la vision qu’ont eu les pouvoirs publics des étudiants et des universités. Frédérique Vidal aurait dû et pu convaincre plus et mieux au sein du gouvernement : encore aurait-il fallu qu’elle soit … convaincante.
Par les temps qui courent, un poste à responsabilité, quel qu’il soit et quel que soit le secteur, n’est pas simple. Le niveau d’anxiété et de pessimisme, traditionnellement élevé dans notre pays, est renforcé par un mélange détonnant d’incertitudes et de décisions contestées.
Or, cette crise sanitaire insaisissable (ah ces variants !) oblige à des changements de pied permanents ou des adaptations (selon son point de vue). Au passage, la critique des pouvoirs publics ne doit pas occulter la vanité de ces PU-PH qui occupent les plateaux de télévision pour promouvoir leurs livres, sans doute pour illustrer la puissance de la recherche médicale française au moment où les vaccins sont étrangers…
Dans les universités, la situation est plus contrastée qu’il n’y paraît (un bienfait de l’autonomie ?) mais les ingrédients d’une « déprime » sont réunis, entre l’immense maladresse de l’amendement en catimini sur le CNU ou encore les difficultés d’encore trop nombreux enseignants-chercheurs à apprivoiser le distanciel. Et bien sûr, la situation difficile d’une partie des étudiants.
Quoique l’on pense d’un gouvernement, quel doit être le rôle d’une ministre dans ce contexte ? Gérer les contradictions pour trouver des solutions, rassurer et faire preuve d’empathie et tenter de tracer des perspectives.
Gérer les contradictions pour trouver des solutions ?
Confinement, déconfinement , présentiel, distanciel : il ne s’agit pas évidemment d’un problème franco-français 1Il est toujours inquiétant de voir des universitaires ignorer ce qu’il se passe ailleurs., et partout dans le monde, les universités y sont confrontées. Enfin, toutes les catégories de français s’estiment oubliées dans cette crise : restaurateurs, musiciens, etc.
Les étudiants et les personnels ne font pas exception et, à l’image du pays, ils sont partagés. Ainsi, chez les étudiants une partie (savoir combien, c’est un autre débat) souhaite revenir en présentiel, une autre non, soit pour des raisons sanitaires soit tout simplement parce que ces étudiants ont rendu leur logement.
Chez les personnels, en particuliers les enseignants-chercheurs, existent les mêmes contradictions : il y a celles et ceux qui hurlaient contre le distanciel et prônait le présentiel, puis, parfois les mêmes, qui s’inquiétaient du présentiel et prônaient le distanciel… Etc. etc. Et qui peut croire sérieusement, même si les crédits étaient débloqués, que l’on va créer des milliers de postes de psychologues, de profs en quelques jours ?
Bref, pas simple de tenir une ligne de conduite sur des mesures en grande partie inspirée par un conseil scientifique…composé d’universitaires ! Encore ce jour, l’épidémiologue Arnaud Fontanet soulignait que ce conseil scientifique était pour des mesures encore plus sévères… Pourtant, lueur d’espoir, son président Jean-François Delfraissy, incitait sur France Info le 13 janvier le gouvernement à « tout faire pour reprendre en présentiel une partie de l’activité des étudiants des universités à partir de la fin des vacances de février » car « c’est un problème de santé publique majeur », en référence aux enjeux de santé mentale.
La ministre a misé dès le début de la crise sur les Crous pour s’apercevoir ensuite que la clé était dans la relation enseignant-enseigné, y compris sur les aspects sociaux. Dans ce contexte, depuis des mois, les présidents d’universités plaident pour que l’on fasse confiance à des établissements qui ont montré leurs capacités et leur responsabilité. Ils essaient de desserrer l’étau centralisateur, non sur les mesures de précaution, mais sur leur application.
Rassurer et faire preuve d’empathie ?
Face à cette situation incertaine, le sentiment a été celui, un peu injuste il faut le dire, d’un pilotage par des circulaires, soit trop détaillées, soit pas assez, soit trop tôt, soit trop tard. Alors qu’il aurait fallu un discours cohérent, rassurant et surtout empathique. Contrairement à ce qu’affirme N. Domenach dans Challenges, la ministre n’est pas « fantôme »: elle est mal à l’aise dès qu’elle est, non plus en petit comité, mais dans une atmosphère inconnue (assemblée, y compris nationale, médias etc.). Ce qui j’en conviens est un problème !
Sommée d’occuper le terrain, ce qui n’est pas sa nature, elle va dans les médias mais sans l’enthousiasme et la conviction indispensables. Le 2 janvier, sur France Culture, elle ne délivre aucun message, semble sans énergie, bafouille sur la décision du Conseil constitutionnel sur le délit d’entrave, confond les millions et les milliards, et fait une réponse surréaliste à propos des vaccins.
Pour chacune de ses interventions, on peine à distinguer un message fort, comme le 12 janvier sur RTL, où elle répond à Thomas Sotto, qui l’interpelle sur l’ouverture des églises et des synagogues et le fermeture des universités. Et le 14 janvier sur Telematin, elle est complètement déstabilisée par Caroline Roux à propos de l’affaire « Duhamel » et répond « probablement je vais saisir l’inspection », oublie au passage qu’il y a une instruction judiciaire, pour annoncer le lendemain la saisie de l’IGESR. Enfin, il y a toujours ce décalage entre annonces et réalité, la maladresse d’une circulaire le 20 décembre pour la rentrée le 4 janvier 2Cependant, que pouvait faire d’autre la Dgesip à partir du moment où les arbitrages gouvernementaux tardent ? etc. Annoncer les 30 000 tuteurs du 2ème semestre 2020 et les 20 000 du 1er semestre 2021 suppose qu’il y ait un début de réalité…
Le summum est atteint sur BFM le 15 janvier lorsqu’elle affirme, face à une enseignante-chercheuse de CY Paris Université interloquée, que les étudiants sont moins disciplinés que des 6ème… Et le journaliste ne manque pas d’ailleurs de lui faire remarquer sa discrétion, indiquant la découvrir grâce à sa présence à côté de Jean Castex. Ambiance…
Pour résumer, toutes et tous décrivent une ministre qui, après avoir manifesté de nombreux signes de découragement depuis sa prise de fonction, semble se retrouver avec un nouveau fardeau, avec sur les bras la LPR et la crise sanitaire. Cette dernière avait déjà mal commencé pour elle en mars avec l’absence malencontreuse d’un mot manifestant de l’empathie pour les personnels de l’ESR. De plus, elle a fait part à de nombreuses reprises de son incompréhension sur l’accueil peu enthousiaste des milliards promis dans la loi sur la recherche. Mais ses ternes discours au Parlement donnaient plutôt à penser l’inverse : toujours ce manque d’allant pour faire valoir l’investissement programmé !
Vous y ajoutez cette méfiance pour ses propres collègues présidents d’universités et chefs d’établissements (leur « trahison » lors de l’instauration de frais d’inscription pour les étudiants étrangers extra-communautaires, selon elle), et vous avez ce cocktail délétère. Coincée entre JM Blanquer, O. Véran et B. Le Maire, n’ayant aucune maîtrise des politiques d’innovation, plombée par des problèmes récurrents de cabinet et d’administration (la démission fracassante de B. Larrouturou), Frédérique Vidal ne trouve pas son espace, et n’a pas vraiment d’alliés (je ne pense pas à ses opposants ‘classiques’). Il a fallu un bombardement médiatique…des présidents, doyens, enseignants-chercheurs pour que la donne commence à changer.
Et plus F. Vidal intervient dans les médias, plus elle apparaît non préparée, au sens des fameux « éléments de langage », avec trop souvent une mauvaise connaissance de ses dossiers, et toujours une fébrilité patente, surtout au début des interviews. En un mot, elle inquiète et n’imprime pas dans les médias.
Tracer des perspectives ?
Pour tracer des perspectives, une ministre de l’ESR doit pourtant créer de la confiance, peser politiquement, aller éventuellement à contre-courant afin de défendre ses communautés. En effet, les élites françaises voient le monde à leur image : elles sont rarement, pour ne pas dire jamais, au contact de l’étudiant d’université.
Car leur vision, parisienne, c’est la prépa, la grande école, ingénieur ou commerce, avec des familles CSP +++, et des jeunes bénéficiant de conditions d’étude plutôt favorables (logement, connexion, finances, encadrement etc.). Et là, pour eux, ils ne pouvait pas y avoir de problèmes : les prépas restent « ouvertes » tandis que pour les étudiants des « grandes écoles » fermées (la future élite et de très bons élèves), le risque est limité. A tort à mon avis d’ailleurs. Quant aux membres du conseil scientifique, ce qui n’enlève rien à leurs compétences, ce sont des universitaires qui eux-mêmes connaissent peu les étudiants, hors médecine.
Et puis comme pour le doctorat 3Les élites françaises ignorent la valeur du doctorat pour la haute administration et les entreprises et le jugent réservé à l’enseignement et la recherche. Et symétriquement, non seulement il y a un verrou interne chez les universitaires avec la qualification mais en plus, la vision qui prédomine est celle d’un doctorat servant presque uniquement de passeport aux carrières académiques…, il y a cet habituel mariage de la carpe et du lapin : les images d’amphis bondés postés sur les réseaux sociaux ont eu pour effet de conforter ces élites et leaders d’opinion : les universités, c’est toujours les années 70-80, c’est la preuve que l’on ne pouvait pas faire confiance.
Cette « alliance objective » converge donc sur la méconnaissance des réalités des universités en 2021 4Même si Jean Castex a deux filles qui y étudient.. On pourrait résumer ainsi :
ah bon, il y a 1,6 Millions d’étudiants ?
ah bon, il y a des TD, des TP et plus vraiment la multiplication des amphis de 500 ?
ah bon, il faut un encadrement pédagogique plus dense et personnalisé ?
ah bon, il y a un psychologue pour 30 000 contre 1 pour 5 000 aux USA ?
ah bon, il ont perdu leurs jobs étudiants ?
ah bon, l’université française est le parent pauvre ??
ah bon ?
Et, puisque je critique vertement l’action de la ministre, l’équité m’oblige à citer la duplicité de la députée socialiste Valérie Rabaud, rapporteure générale du Budget de 2014-2017 qui dans les Échos déplore que le gouvernement « prône un retour en présentiel par groupe de dix pour les étudiants les plus en difficulté, sans avoir débloqué les ressources que cela exige. Dès lors, cela ne fonctionne pas et quasiment aucun groupe de dix n’a été réuni. Au motif de l’autonomie des universités, le gouvernement laisse les facs trop livrées à elles-mêmes. » Pas un mot sur la différence de traitement avec les CPGE dont elle est issue évidemment 5Après une classe préparatoire scientifique au Lycée Louis-le-Grand à Paris, Valérie Rabault est diplômée de l’École nationale des Ponts et Chaussées., mais une mise en cause de l’autonomie des universités. Faut-il lui rappeler que pour la loi de finances 2017, les crédits de la Mires avaient été diminués de 68,6 M€ dont la moitié portait sur le programme 231 (vie étudiante), qui perdait 34 M€ ? Et qu’elle a pris sa part à l’état financier actuel des universités ?
Comme quoi, en réalité le consensus sur la non-priorité aux universités est malheureusement toujours largement partagé ! Mais revenons à la question : quel est le rôle d’une ministre ? Frédérique Vidal aurait dû et pu convaincre plus et mieux au sein du gouvernement : encore aurait-il fallu qu’elle soit … convaincante.
Références
↑1 | Il est toujours inquiétant de voir des universitaires ignorer ce qu’il se passe ailleurs. |
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↑2 | Cependant, que pouvait faire d’autre la Dgesip à partir du moment où les arbitrages gouvernementaux tardent ? |
↑3 | Les élites françaises ignorent la valeur du doctorat pour la haute administration et les entreprises et le jugent réservé à l’enseignement et la recherche. Et symétriquement, non seulement il y a un verrou interne chez les universitaires avec la qualification mais en plus, la vision qui prédomine est celle d’un doctorat servant presque uniquement de passeport aux carrières académiques… |
↑4 | Même si Jean Castex a deux filles qui y étudient. |
↑5 | Après une classe préparatoire scientifique au Lycée Louis-le-Grand à Paris, Valérie Rabault est diplômée de l’École nationale des Ponts et Chaussées. |
Une fois ne sera pas coutume, mais je ne suis pas tout à fait d’accord avec le billet rédigé par Jean Michel au sujet de la Ministre de l’ESRI. Il ne s’agit pour moi ni de la défendre ni de l’attaquer. Frédérique Vidal manque peut-être de charisme, je n’en sais rien, mais elle est universitaire, connait le milieu. Elle n’est pas une femme politique professionnelle et n’est peut-être effectivement pas rompue aux ronds de jambes et faux-semblants perpétuels du monde politique.
Mais je crois que sa personnalité n’est absolument pour rien dans l’attitude du gouvernement vis-à-vis de la communauté universitaire et notamment des étudiants dans cette crise.
Ce que nous observons, c’est, poussée jusqu’à la caricature, l’indifférence au mieux, l’hostilité souvent, du monde politique et de la haute administration à l’égard des universités. Je pense avoir une certaine expérience dans ce domaine et les collègues qui ont occupé les mêmes fonctions que moi à l’Élysée pourront me contredire s’ils ont vécu une expérience différente. Disant cela je ne vise pas les présidents de la République qui se sont succédés à l’Élysée, mais plutôt la majorité des membres des gouvernements, des cabinets ministériels, essentiellement composés d’énarques, et surtout de la haute administration qui « prépare », pour ne pas dire plus, les décisions.
Depuis des lustres nous savons que ce monde-là ne sait en général pas qu’existent des universités, qui accueillent près de 60% des étudiant dans notre pays. Quand ils savent qu’elles existent, c’est en général parce que par hasard un neveu, une nièce, un fils ou une fille s’y est égaré. Mais eux-mêmes n’ont aucune expérience directe du monde universitaire. Ils ne découvrent le nombre de jeunes concernés que lorsque ceux-ci descendent dans la rue ou bloquent des établissements. Frédérique Vidal, qui n’a aucun parti politique derrière elle et ne représente aux yeux des politiciens professionnels aucune voix pour une élection, ne pèse effectivement rien pour « l’élite politique » du pays et par conséquent la haute administration, qui bien entendu est surtout attentive aux éventuels futurs détenteurs du pouvoir. Elle n’est pas responsable de cela.
La ministre est victime également de cette contradiction que nous vivons depuis des lustres : tous les gouvernants se cachent derrière l’autonomie des universités dès qu’il s’agit de fuir leurs responsabilités, mais les administrations centrales étant puissantes et devant justifier leur taille, elles prennent des décisions dans un furieux torrent de décisions descendantes, top-down en bon français, qui sont, bien entendu très souvent inadaptées à la réalité des établissements.
C’est aux universités, aux établissements, et à leurs conférences que l’on pourrait reprocher de laisser perdurer cette situation délétère d’une autonomie qui est finalement toujours au milieu du gué (contrairement aux promesses de campagne de l’actuel Président de la République). Je pense que si l’on regardait attentivement les choses, établissement par établissement, c’est là où les présidents d’universités n’ont pas attendu les instructions et circulaires de l’administration centrale que les choses se sont sans doute le moins mal passées, même si au total la situation des étudiants dans cette crise est une réelle catastrophe que nous risquons de payer collectivement longtemps.
Je ne vais pas non plus intervenir pour sauver ou blâmer le soldat Vidal, mais seulement reprendre le dernier argument.
Car, justement, cette administration centrale toujours pléthorique – alors qu’elle aurait du fondre notablement avec l’autonomie, la nomination des recteurs délégués, etc. – est largement à la main de la ministre.
Et bien que les énarques pullulent dans les différentes directions centrales, ce n’est le cas ni à la DGESIP ni à la DGRI, pour les nommer explicitement.
Je trouve donc que le terme de victime est largement inadéquat.
Ceci n’enlève en rien au fait, indéniable et essentiel, que la ministre n’a pas de poids politique, ce que l’on peut difficilement lui reprocher.
Quand au charisme, je préfère m’abstenir.