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Un fantôme hantera-t-il la loi recherche en préparation ? C’est celui de la loi de 1989 sur l’école portée par Lionel Jospin. Mêmes ingrédients (revalorisations salariales), des contreparties souhaitées (“travailler autrement” dans l’éducation nationale pour Lionel Jospin, “assouplir” pour F. Vidal et E. Macron) et au bout du compte une interrogation : la LPPR subira-t-elle le sort de la loi sur l’école ? La façon dont est envisagée la réduction (justifiée) du temps de service des enseignants-chercheurs pourrait bien marquer une régression ! Et les revalorisations salariales prévues pourraient bien avoir le même accueil indifférent que celles de V. Pécresse en 2008…

Laissons Le Monde du 11 avril 1989 résumer un pan d’histoire : le projet de réforme de l’école de Lionel Jospin “reste presque muet sur des dossiers dont dépend la réussite de la démocratisation des lycées : les programmes, la formation des enseignants, la réforme des cursus menant au bac, les rythmes scolaires quotidiens et hebdomadaires et le rôle de l’enseignement technique.”

Et Le Monde d’ajouter : “On touche ici la principale limite du projet de loi : à force d’avoir cherché à la rendre acceptable par toutes les corporations à un moment où il avait besoin de leur accord sur son projet de revalorisation des scolaires, M. Jospin a été amené à en gommer les principales aspérités, au risque de le rendre fade au goût de tous.” La légende veut d’ailleurs que le ministre du Budget de l’époque, Michel Charasse, ait ajouté à sa signature du texte de loi “avec regrets”...

Le quotidien estimait qu’en “déconnectant le dossier des rémunérations de la discussion de ses projets de fond pour l’éducation”, L. Jospin s’était privé d’un “levier de transformation essentiel.” La raison ? Le retard mis à répondre à l’exaspération salariale des enseignants a focalisé l’attention sur cette question, compromettant le développement d’un large débat éducatif. Dès lors, on ne peut écarter le risque que la future loi soit perçue par les enseignants comme un simple catalogue de vœux pieux, non étayé par une programmation financière et qui ne les engage guère.”

C’est exactement ce qu’il s’est passé… Car si la FEN, disparue depuis, portait le “travailler autrement” pour favoriser la constitution d’équipes interdisciplinaires, le SNES s’y opposait et obtenait le retrait du projet de flexibilité des emplois du temps nécessaire à cette interdisciplinarité… Constatons que ces clivages demeurent comme le montre la mise en place compliquée de la réforme du bac !

Les pièges de la LPPR

Alors me direz-vous, quel rapport avec la LPPR ? Si comparaison n’est pas raison, E. Macron et F. Vidal ont publiquement acté des revalorisations de carrière et annoncé des contreparties (même si le détail des mesures ne sera annoncé que début 2020). De ce qui transpire du projet de loi, il ne s’agit pas pour l’instant de toucher réellement à l’organisation du système, ni de clarifier les missions des uns et des autres.

Ici, plus que les clivages syndicaux (Cf. mon article sur les tendances électorales) s’opposent des visions institutionnelles tranchées. D’un côté les universités et d’autres opérateurs de recherche sur les territoires (des écoles et aussi quelques organismes), de l’autre les organismes de recherche, le MESRI et autres ministères. En résumé, c’est le clivage historique qui structure notre pays, entre partisans d’une vision et d’une mise en œuvre nationale et partisans de décisions et stratégies au plus près des acteurs. Ajoutons-y un clivage durable entre celles et ceux qui enseignent et font de la recherche, et celles et ceux qui ne font que de la recherche.

On pourrait donc faire une longue liste des impasses potentielles de la LPPR, pour les mêmes raisons que L. Jospin en 1988-1989.  Prenons l’exemple de la réduction du temps de service des enseignants-chercheurs.

L’enseignement “dindon de la farce” ?

La question posée est simple : la nécessaire réduction du service d’enseignement, au lieu d’être un tremplin pour une recherche d’excellence, grâce à de réelles mobilités, va-t-elle se transformer en bérézina pédagogique pour les étudiants ? En effet, elle ne s’accompagnera d’aucun dispositif sérieux pour que les chercheurs s’engagent résolument dans l’enseignement, cette bizarrerie française. Par contre, elle va, à juste titre, valoriser les activités de recherche des (meilleurs) enseignants-chercheurs.

Ainsi, le groupe de travail sur les carrières souligne “le caractère désuet de la référence aux 192h d’équivalent travaux dirigés”, et juge nécessaire “de réfléchir à un système fondé sur la possible succession de périodes intensives en recherche et d’autres qui le sont moins et sur un engagement pluriannuel entre l’employeur qu’est l’université et l’enseignant-chercheur.”

Aucune allusion aux chercheurs ?, si ce n’est la possibilité dans une “logique d’expérimentation”, d’avoir recours, “sur la base du volontariat”  à un “système de régulation collectif au niveau de l’UFR ou du département en intégrant les laboratoires ou l’école d’ingénieurs qui lui sont rattachés. La structure considérée apporterait le volume d’heures nécessaires pour assurer ses enseignements accrédités et ferait son affaire de la répartition des services et des heures complémentaires.”

Les dispositifs de mobilité envisagés sont, comme d’habitude, des “encouragements” qui depuis 30 ans sont restés lettre morte… Et comme toujours, la mobilité envisagée est celle des enseignants-chercheurs ?…

Or qui dit laboratoire, dit UMR donc chercheur des organismes ! Mais la convergence des statuts de chercheurs et d’enseignant-chercheur n’est pas au programme car elle reste un véritable chiffon rouge au CNRS et ailleurs. Pourtant, on voit mal comment, même avec une faible hausse des effectifs étudiants, même en se limitant aux masters, la diminution du service des enseignants-chercheurs pourrait ne pas être compensée par l’apport des chercheurs…

Résumons : on va recruter des “tenure tracks” (pas beaucoup) qui ne feront évidemment pas ou très peu d’enseignement, les “réputés bons” enseignants-chercheurs feront moins d’enseignement, les autres évidemment pas plus d’heures. Quant aux “réputés bons” chercheurs des organismes, ils feront évidemment leurs “courses” en master, mais en libre-service, tandis que les “mauvais” chercheurs continueront d’ignorer l’enseignement.

Les solutions pour assurer l’enseignement sont limitées (et coûteuses pour certaines) dans ces conditions : embauche massive (ou transformation des postes) de “teaching professors”, accompagnés par des étudiants de master et de doctorat ? Des PRAG alors que le nombre de candidats aux concours semble baisser ? Augmentation du volume d’heures complémentaires ? Diminution du présentiel ? etc.

Vous avez compris ? Peu de chances que ce système absurde change ?. La “revalo”, un classique français…


Méditer les mésaventures de Valérie Pécresse

Si le gouvernement entend “faire un geste” en direction des communautés académiques, on ne saurait trop lui conseiller de méditer sur un épisode trop peu connu.

En octobre 2008, V. Pécresse, alors ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche annonçait de “nouvelles conditions de recrutement des maîtres de conférences” et un “effort supplémentaire en faveur des jeunes chercheurs les plus prometteurs”. Ces mesures s’ajoutaient à la mise en place d’un contrat doctoral, présenté juste avant dans le cadre d’un ‘chantier carrières’.

Elle se félicitait que les jeunes enseignants-chercheurs voient “leurs salaires augmenter de 12% à 25%” en 2009. Il s’agissait selon elle de mettre fin à “l’injustice d’un système dans lequel les carrières des jeunes chercheurs sont plus avantageuses que celles des universitaires.”

Comment ? La campagne de recrutement 2009 des maîtres de conférences allait tenir compte “des années de doctorat et des activités contractuelles précédentes”,  avec pour conséquence un recrutement a minima en entrée de carrière au 2ème échelon, soit 2 328,60 euros par mois (contre 2 068,85 euros pour le 1er échelon). De plus, les activités contractuelles antérieures (post-doc, Ater…) étaient prises en compte de façon cumulée, comme c’était déjà le cas dans les organismes de recherche. Mieux, un jeune maître de conférences pouvait donc débuter au 3ème ou au 4ème échelon, plutôt qu’au 2ème, selon le ministère de l’époque.

Résultat ? Des mesures passées complètement…inaperçues ! Je peux témoigner personnellement que la ministre, qui avait bataillé avec Bercy, était dépitée. La raison en est double : quand vous êtes recruté, vous ne vous posez pas la question de la hausse de salaire mais celle du niveau de salaire. Et comme ces derniers (comme devrait l’acter la LPPR) sont très faibles eu égard au degré de qualification, le sentiment de déclassement ne pouvait que perdurer…

A méditer pour l’effet domino des revalorisations envisagées dans le cadre de la LPPR (je ne suis pas dans le secret !), et surtout le coup d’épée dans l’eau que constituerait une revalorisation peu significative.

One Response to “Loi recherche : le syndrome “Jospin” et la revalo de 1988…”

  1. bonjour
    concernant la mésaventure de Valérie Pécresse. Le diable est dans les détails. Partant d’un bonne intention, les nouvelles conditions ont conduit à des “inversions de carrières” entre “vieux MCU” et nouveaux recrutés. Notamment, une augmentation significative des MCU “jeunes” à l’échelon 7 permettant de demander la hors classe venant augmenter l’embouteillage avec les “vieux MCU” pour la promotion…

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