C’est une banalité d’évoquer le sous-financement des universités. Mais la bureaucratie à la française mine tout autant le fonctionnement d’un système sur lequel le dernier opus de la Cour des comptes sur le HCERES projette, s’il en était besoin, un éclairage cru. Au-delà du HCERES, les coûts de transaction colossaux dans l’ESR débouchent en effet sur la double peine : en plus de la ressource financière, on ampute la principale ressource des acteurs qu’est le temps. Et le temps c’est de l’argent.
Sur ce blog ont été chroniquées maintes fois les dérives d’un système qui marche sur la tête : plus forte subvention à l’innovation des pays comparables sans résultats probants 1France Stratégie et le Cnepi font, dans leur dernière étude, litière des arguments justifiant les mécanismes actuels du Crédit impôt recherche et de sa dérive budgétaire de 6,6 milliards d’euros., avalanches de notes et rapports qui visent à planifier la recherche ou encore des mécanismes d’évaluation chronophages. Ajoutons ce qui fait le sel de la bureaucratie à la française, et son originalité, les injonctions contradictoires auprès d’universités censées être autonomes.
De ce point de vue, le rapport en référé sur le HCERES de la Cour des comptes (précisons : avant la nomination du président actuel) est un « must ». On peut discuter à l’infini de ses coûts de fonctionnement et s’il est nécessaire qu’il facture ses prestations aux établissements 2Le contexte explique aussi que les établissements d’ESR ne veuillent pas faire cadeau à l’Etat de sa politique d’évaluation…. Les milliers de rapports du HCERES (« Pas moins de 5 185 rapports ont été produits entre 2017 et 2019, soit entre 4 et 5 par jour. ») témoignent surtout d’un contrôle velléitaire plutôt que d’une évaluation efficace. La démonstration de la Cour des comptes est implacable et rejoint ce que tout le monde constate dans le milieu et que j’ai souvent traité. En un mot, beaucoup de temps passé pour pas grand-chose !
On le sait, les évaluations du HCERES ne sont en général pas suivies d’effet, surtout si l’on compare par exemple aux Britanniques. Mais il serait facile d’en faire le bouc-émissaire d’une dérive générale : l’inflation de rapports ou des process inefficaces, pour des résultats très faibles sont en réalité réplicables à tous les étages de l’ESR et sur tous les sujets.
Le temps, cette denrée précieuse, est ainsi corseté, réduit à répondre à des injonctions venues d’en haut. Il y a ainsi celui bien connu des administrations avec la culture de la note de service qui commente la circulaire qui elle-même commente le décret qui lui-même corrige ou amende la loi. Et la loi qui, bavarde, se perd dans des méandres qui justifieront une autre loi bien sûr… Ces chefs d’orchestres invisibles renforcent ainsi un sentiment de dépossession.
Quel rapport coût-efficacité ?
Bien sûr, la nature même de ce que sont enseignement supérieur et recherche implique déjà de (se) concerter en permanence. La bureaucratie existe partout, y compris dans les travaux du CNU, et elle est d’ailleurs consubstantielle à une action organisée. Mais si la France n’a pas inventé la bureaucratie, on peut dire qu’elle y a apporté une contribution majeure dans une tension permanente entre les acteurs locaux et territoriaux et nationaux.
Car la question véritable est : quel est le rapport coût/efficacité de l’organisation bureaucratique ? « Peu importe le chat pourvu qu’il attrape la souris » disait Deng Xiao Ping. On peut donc s’étonner que, sauf erreur, les travaux de recherche sur l’ESR négligent cet aspect, y compris économique. La Cour de comptes s’y essaie mais ne raisonne pas (tiens un mauvais point !) en coûts complets : quelles sont les conséquences des pertes de temps ou de la faible réactivité ?
Contrairement aux contempteurs du « modèle néolibéral du new public management », le modèle français se distingue par une bureaucratie étouffante qui n’est liée ni au capitalisme, ni au new public management en soi. Il s’agit d’un modèle qui exacerbe les défauts du centralisme mais en gomme ces effets bénéfiques. Tout le monde, de haut en bas est pris dans une sorte d’essoreuse, qui tord toutes les bonnes volontés. Certes, il y a les contraintes générales de la gestion publique en France, qui a pourtant connu beaucoup d’assouplissements, notamment en termes de marchés publics.
Mais les périmètres ministériels changeants, l’accumulation de structures redondantes ou encore l’inflation de lois et de textes contradictoires (Cf. le rapport du Conseil d’Etat de 2016) créent, entre autres, une forme de climat anxiogène. Dans le secteur de l’ESR, cette tension permanente entre l’Etat central et ses opérateurs génère donc une gestion bureaucratique spécifique. Il n’y a pas bien sûr les méchants des administrations centrales et les gentils opérateurs.
Si l’on ajoute sous financement, diversification des missions des universités, politique d’appels à projet erratique et peu coordonnée ou encore exacerbation de la compétition scientifique, le facteur ‘amputation du temps’, qui ne se réduit pas à la ‘réunionnite’, fournit un cocktail détonant. Il symbolise la perte de confiance et/ou la démoralisation des acteurs du système, et une forme de fatalisme face à une hydre que l’on ne veut plus combattre. D’un côté on affiche la nécessaire autonomie des établissements, de leurs personnels, de l’autre, faute justement d’évaluation sérieuse, se multiplient les contrôles tatillons et chronophages.
Les contraintes spécifiques de l’ESR
Or, le temps, son utilisation et sa gestion sont des enjeux majeurs dans un monde compétitif et numérisé. C’est encore plus vrai dans l’enseignement supérieur et la recherche qui nécessitent à la fois temps long et réactivité.
Il suffit donc d’observer cette fourmilière de l’ESR français : de quelque côté que l’on se tourne, institutions, opérateurs, labos, enseignants-chercheurs/chercheurs, on est au-delà des simples dysfonctionnements statistiquement bien distribués d’une machine administrative, lourde. D’autant que le millefeuille, les réformes incessantes (pas seulement les grandes, comme le montre l’épisode PeopleCert), se heurtent, il faut le reconnaître, à ces milliers d’entreprises individuelles que sont les chercheurs, d’abord entrepreneurs d’eux-mêmes.
Dans ce cadre, les défauts d’exécution, le talon d’Achille de l’Etat français, déteignent en cascade sur ses opérateurs, contraints eux aussi au même fonctionnement. Y aurait-il consensus si un chercheur ou une chercheuse pouvait obtenir en quelques jours 1 million d’euros pour une recherche essentielle ? Dans ce cas, curieusement, tout le monde est pour les formulaires, dans un souci d’égalité…
Un consensus bureaucratique inconscient ?
Car les contradictions sont permanentes : des défenseurs du cadre national veulent de la souplesse, des dénonciateurs du centralisme de l’Etat veulent des consignes, les détracteurs des présidents d’université veulent un chef, les partisans de l’absolue liberté des enseignants veulent des consignes pédagogiques etc. Et on l’a vu avec la crise sanitaire, tout le monde veut tout et son contraire. Le présentiel ? Oui mais non. Le distanciel ? Oui mais non. L’hybride ? Oui mais non. Le niveau national ? Oui mais non. Le niveau local ? Oui mais non… La liste est longue des contradictions de communautés attendant tout de l’Etat mais le rejetant.
Et si le fonctionnement bureaucratique s’imposait paradoxalement comme la norme consensuelle qui rassure ? L’observateur que je suis est frappé par la hantise du risque, les peurs, qui règnent partout : défendre son territoire, son statut, son particularisme etc. Le corollaire est l’obsession juridique avec la crainte du recours d‘un côté, l’inflation des plaintes de l’autre. Ainsi, se régénère une demande permanente et existentielle envers l’Etat, qui doit intervenir partout et sur tout. Et à la clé, une avalanche de textes !
Et donc on revient à ce temps si précieux grignoté en permanence par des procédures toujours complexes, absurdes souvent, efficaces rarement. C’est en quelque sorte une surenchère qui voit, à l’image d’une restauration immobilière mal faite, chaque intervenant rajouter quotidiennement une couche de peinture ou de papier peint sans jamais examiner l’état des fissures du mur.
On le voit : la double peine c’est l’amputation d’une ressource essentielle, le temps, espace qui permet la réflexion et l’action efficace. Redonner du temps, c’est privilégier le fond sur la forme. C’est aussi responsabiliser. Mais prendre le temps c’est surtout faire confiance !
Imagine-t-on l’Etat faire confiance à ses opérateurs ? S’il le faisait, le risque bureaucratique ne serait plus anonyme : il aurait au moins un lieu, le siège de l’établissement, un nom, son ou sa dirigeante.
Références
↑1 | France Stratégie et le Cnepi font, dans leur dernière étude, litière des arguments justifiant les mécanismes actuels du Crédit impôt recherche et de sa dérive budgétaire de 6,6 milliards d’euros. |
---|---|
↑2 | Le contexte explique aussi que les établissements d’ESR ne veuillent pas faire cadeau à l’Etat de sa politique d’évaluation… |
Merci de cet article qui, une fois de plus, montre bien que notre système ne souffre pas uniquement de manque de moyens mais a besoin d’une véritable révolution culturelle.
Il y aurait effectivement beaucoup à dire sur ce rapport de la cour des comptes qui montre une fois de plus les limites de l’exercice avec certaines positions qui révèlent des incompréhensions de la problématique de l’évaluation.
Pour ce qui concerne le nombre excessif de rapports produits par le Hcéres, attention de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Ce nombre excessif est essentiellement du au fait qu’on évalue toutes les unités de recherche et toutes les formations. C’est effectivement une perte de temps considérable pour une résultat limité. La raison en est le principe d’égalité, incontournable de notre système alors que d’autres solutions sont possibles en évaluant des échantillons d’unités et de formations et en faisant porter aux établissements autonomes la responsabilité de l’analyse fine et des mesures correctives.
Le problème de la bureaucratie se double dans le cas de l’évaluation de celui de l’incompétence car le ministère refuse obstinément depuis de nombreuses années de s’intéresser à l’assurance qualité.
Vous avez raison, il faut effectivement responsabiliser et faire confiance. C’est un changement culturel qu’il faut opérer en faisant de la responsabilité et de la reddition de compte des piliers de notre système ce qui constitue en fait une partie des fondements de l’assurance qualité. Ce n’est pas une baguette magique mais c’est un puissant outil pour peu qu’on veuille bien l’utiliser à un niveau politique. C’est ce que je m’attache à montrer dans le blog EsrAq (https://esraq.fr/).
Oui, ce rapport de la Cour des comptes sur l’évaluation et l’institution qui en est chargée – le HCERES – est un « must ». Je me fais d’ordinaire très peu le thuriféraire de ce type de rapports trop souvent enclins à ne faire que dans un « y’a qu’à » qui – quel que soit l’intérêt des analyses – aident peu ceux qui se coltinent la réalité réelle.
Mais là, il touche très juste et je ne voudrais ici que souligner la finesse avec laquelle il rappelle que « l’évaluation ne saurait rester dépourvue de conséquences » et qu’il y a « nécessité de lier évaluation et allocation des moyens ».
Le rapport de la Cour rappelle d’abord que de nombreux pays – de cultures aussi différentes que la Grande Bretagne et l’Italie – y parviennent, puis il poursuit :
« En France, le débat semble tranché depuis décembre 2020, puisque la LPR impose à l’État «de tenir compte des résultats de l’évaluation pour déterminer les engagements financiers qu’il prend, le cas échéant, envers l’établissement dans le cadre du contrat pluriannuel ». Le nouveau dialogue de gestion, mené entre le MESRI et ses opérateurs dans le cadre de la négociation de leur contrat, peut y concourir. Il reste nécessaire d’élaborer un mode opératoire commun et transparent, afin de mesurer les conséquences concrètes que tire l’État de chaque évaluation. Il existe plusieurs scenarios méthodologiques qu’il reviendrait aux pouvoirs publics d’analyser. Ils doivent reposer sur deux principes. En premier lieu, les établissements et les laboratoires doivent être évalués en fonction de leurs objectifs et des résultats obtenus. En second lieu, la part d’allocation des moyens financiers, indexée sur l’évaluation des résultats obtenus, devrait faire partie de la subvention pour charge de service public. Le principe d’autonomie devrait en interdire le fléchage et laisser chaque établissement libre de son affectation. Un tel processus aiderait l’État dans l’élaboration de sa stratégie pour l’enseignement supérieur et la recherche. »
Les deux principes énoncés – et que je souligne – me semblent fondamentaux en ce qu’ils articulent liberté des universités et responsabilité de tous les acteurs : les établissements comme l’Etat, autonomie stratégique et « comptes à rendre » par l’évaluation des résultats obtenus.
Leur application constitue le moyen le plus efficace pour combattre la bureaucratisation que dénonce Jean-Michel Catin tout en rappelant à juste titre qu’elle semble bien arranger tous les acteurs.
L’évaluation des résultats réellement obtenus est déjà le gage d’une sortie de la routine procédurière. Mais faire dépendre cette évaluation des objectifs que se fixe l’établissement oblige d’une part ce dernier à définir stratégie et objectifs et d’autre part le HCERES à exclure toute procédure uniforme. Enfin refuser le fléchage des moyens et ne tirer les conséquences de l’évaluation que pour moduler la dotation globale allouée par l’Etat en laissant les établissements libres de l’utiliser à leur guise est la garantie du respect d’une autonomie renforcée des universités.
En s’appuyant sur ces deux principes, la Cour a raison d’affirmer en conclusion de son analyse qu’« un tel processus aiderait l’État dans l’élaboration de sa stratégie pour l’enseignement supérieur et la recherche ».
Cette stratégie de l’Etat pour le quinquennat à venir devra, à mon sens, passer par un nouvel Acte de l’autonomie. Le quinquennat actuel a à son actif des avancées indéniables : meilleure maîtrise des flux étudiants avec la loi ORE, modes d’organisation et de gouvernance innovants avec l’ordonnance sur les établissements expérimentaux, nouveau rôle de l’évaluation, nouvelles mesures RH et moyens programmés avec la LPR…
Mais il convient désormais de faire de l’autonomie, de la liberté et de leurs corollaires, l’évaluation et la responsabilité le droit fil de la politique nationale et des nouvelles relations entre les établissements et l’Etat.
Tout le reste suivra et on pourra enfin appliquer ce que demandait en 1972 le doyen Vedel pour la réglementation définissant les règles communes des universités nouvellement autonomes : « on ne doit pas perdre de vue, comme on le fait trop souvent, que le silence sur un point ne signifie pas lacune ou obscurité, mais liberté pour les universités ».
C’était il y a 50 ans…
Je suis d’abord frappé d’une coïncidence temporelle :
– la Cour des comptes évalue l’HCERES le 4 juin
– la Cour des comptes évalue l’EHESS le 25 mai, en incluant dans son rapport des aspects qui sont du ressort de l’HCERES.
Est-ce que la multiplication des structures d’évaluation (HCERES, IGESR, Cour des comptes, et occasionnellement Inspection des finances), pour ne pas parler du contrôle plus ou moins exercé par les tutelles n’est pas en elle-même un problème ?
Je préciser en ce qui concerne le rapport de la CC sur l’EHESS :il contient de nombreuses critiques sur les procédures de recrutement, mais en s’appuyant sur ces critères purement juridiques, sans aucune référence à ce qui pourrait être considéré comme des procédures acceptables, par exemple en comparaison internationale.
Je ne connaissais pas la citation de Vedel, mais elle n’a pas pris une seule ride. Il arrive constamment qu’en l’absence d’un élément juridique clair, les universitaires et les universités demandent l’avis du ministère — et qu’ensuite, l’interlocuteur ministériel invente une interprétation des textes, en donnant à cette interprétation une valeur prescriptive. On ferait un immense progrès sur l’autonomie si, dans un tel cas, le ministère refusait de répondre ! Et, pour aller dans le sens de JMC, si les universitaires cessaient de se tourner vers le Ministère à tout bout de champ.
Maintenant, sur le fond de l’article de Jean-Michel Catin, j’ajouterais un élément : certes, il faut que l’évaluation soit suivie d’effet. Mais il faut mesurer la nécessité de l’évaluation à son impact. Pas la peine de dépenser des heures de travail d’un comité pour distribuer des primes ou valider des projets dont les budgets sont faibles !
Imagine-t-on l’Etat faire confiance à ses opérateurs ?
Oui cela est possible: j’ai vécu l’expérience de la construction et de l’exploitation du Synchrotron SOLEIL et je peux témoigner, qu’après la saga pour la décision qui est une autre affaire, sa mise en oeuvre confiée à une équipe autonome dans un cadre spécifique de société civile (mais cela aurait pu être une filiale d’un organisme) créée par le CNRS et le CEA a atteint ses objectifs au service de la communauté scientifique publique et privée.
Le contrôle des objectifs, fixées par le ministère à travers ces organismes auquel il faut ajouter les régions Idf et Centre (à l’époque!) ainsi que le département de l’Essonne, se fait à posteriori à travers un vrai CA avec des personnalités extérieures désignées par les organismes et des représentants de toutes les parties prenantes (yc des représentants du personnel).
De grandes orientations scientifiques comme le choix des lignes de lumière (équipement de l’ordre de plusieurs M€) se sont faites en consultant les différentes communautés scientifiques avec des budgets donnés directement par le ministère via les organismes. Plus récemment des AAP ont été sollicités pour respecter la nouvelle doctrine! Quel bénéfice? Aucun si ce n’est des contraintes par exemple pour consommer le budget avant tel date en inéquation avec le temps nécessaire à la réalisation.
En résumé: oui à une autonomie complète de gestion avec des contrats d’objectifs clairs et surtout un budget cohérent attribué pluriannuellement et pas dépendant d’AAP (à utiliser pour des actions spécifiques).
Bonjour Jean-Michel,
Merci pour votre analyse, qui est comme toujours incisive et éclairante. Pourtant, j’y décèle pour une fois une petite facilité, la dénonciation de « la bureaucratie » (personnellement, je parle plutôt de technocratie, mais c’est un détail). En effet, la bureaucratie n’est pas une entité que l’on pourrait supprimer, créer ou réduire volontairement. Et je n’ai par exemple jamais entendu quelqu’un prétendre vouloir ajouter de la bureaucratie.
Et pourtant, je ne peux qu’abonder dans votre sens, j’ai moi-même écrit une tribune dans laquelle j’indiquais, dans mes précédentes fonctions, que mes équipes passaient leur temps à résoudre des problèmes qui ne se poseraient pas si l’ESRI étaient un tant soit mieux organisé.
La question qu’il faut se poser est donc celle de savoir qui crée cette bureaucratie, et qui il faudrait mettre à la place. Qui a inventé les Excel à plus de 100 onglets (authentique) ? Qui a décidé que le HCERES évaluerait tout dans tous les sens et que l’on en tirerait aucune conséquence ? Qui a décidé qu’une UMR serait un objet quasiment ingérable, dont aucun établissement ne sait réellement ce qu’il s’y passe ? Qui a décidé qu’au nom de la liberté académique, la gouvernance des universités serait totalement baroque, traiterait à peu près tous les sujets, et que personne n’y aurait (presque) le moindre pouvoir ? Qui a décidé qu’un bon projet devait nécessairement avoir une description en x parties soigneusement prescrites une par une, un consortium comportant tel ou tel ratio ? Qui a décidé de l’évaluation de projets sur plus de 30 critères (heureusement simplifiée) ? Etc… Il serait sans doute possible de faire une liste de ces questions presque aussi longue que la compilation des rapports HCERES.
Je pense qu’aucun autre ministère, avec ses établissements, n’a généré un fonctionnement aussi illisible, et c’est donc que l’ensemble est mal dirigé, et cela depuis longtemps. Je travaille dans un milieu dans lequel on a l’habitude de pointer, comme dans beaucoup d’autres organisations, les difficultés de professionnalisation des cadres intermédiaires, mais je me dis qu’il y a un problème de professionnalisation beaucoup plus haut. Personnellement, je n’ai croisé dans ce milieu que très peu de ces commis de l’Etat ou de ces dirigeants portant une vision du service public au bénéfice de la nation, qui soit fédératrice, simplificatrice et lisible, et qui sachent la mettre en oeuvre. Je trouve que ça manque.
Je répondrai dans les formes qui conviennent à l’intéressant référé de la Cour des Comptes. Je voudrais toutefois faire ici une observation de bon sens. Il y a en France environ 300 établissements, 290 écoles doctorales, 3350 unités de recherche, 5600 formations L et M. On peut considérer que c’est une bonne chose d’avoir un paysage aussi riche, on peut dire au contraire qu’il y a trop d’objets et qu’il faudrait regrouper, cela a été fait pour certains établissements mais cela a des limites, et on entend dire aussi que certaines unités sont trop grosses. Quoi qu’il en soit, c’est ainsi, et j’ajoute que la plupart de ces structures tiennent beaucoup à être évaluées. Nous avons même du mal à ne pas toujours nous laisser entraîner jusqu’au grain de l’équipe interne…bref ce nombre est un donné. Il faut le diviser par n vagues et évaluer sur n années. n=4 est probablement trop court, il faut laisser aux établissements et aux collègues le temps de travailler. n=6 est probablement trop long, les évolutions sont rapides aujourd’hui. On revient donc à n=5. Mais il est vrai qu’il y a beaucoup de choses à faire pour alléger et rationaliser : d’abord, c’est le rapport d’établissement qui doit être l’objet englobant de tous les autres. Ensuite, un même comité peut évaluer plusieurs équipes de thématiques proches, surtout si elles sont de petite taille. En formation, le grain le plus approprié de l’évaluation est aussi un sujet où les bons équilibres sont très intéressants à trouver. Bref, nous avons beaucoup de pain sur la planche et ouvrirons bientôt des discussions à ce sujet avec les parties prenantes.