C’est fou comme ce genre de débat, un peu comme le vaccin, part en vrille quel que soit le niveau d’études des polémistes ! Les opinions légitimes prennent trop souvent le pas sur les faits, quand elles ne masquent pas une méconnaissance sidérante des chiffres. Car sur 2 700 000 étudiants, 900 000 sont potentiellement concernés tandis que l’invocation permanente des modèles étrangers, gratuits ou payants, méconnaît le fait que les universités y choisissent leurs étudiants. Et puis, le Conseil constitutionnel a « bordé » la question : donc il y a place pour un débat raisonnable !
Tout d’abord, je ne ferai pas l’exégèse des propos d’E. Macron devant France universités, d’autant que F. Vidal a mis la marche arrière. Devant des lycéens ce 24 janvier, il a précisé sa position. Après le déni, un consensus émerge désormais sur la nécessité de refinancer les universités 1Notons que l’Etat l’a fait sans coup férir pour la SNCF, Air France ou l’ex Areva, entre autres 😀.. Mais comment ? Par l’Etat, par les « usagers », par les collectivités, par les entreprises, par un mélange des 4 ?
Evacuons le fantasme du financement par les collectivités voire les entreprises : leur part actuelle, qu’elles vivent comme importante, est en réalité marginale. Et elles n’ont pas les moyens de se substituer à l’Etat. C’est la même chose pour une éventuelle contribution étudiante. N’oublions pas que même Harvard vit, en plus des dons des alumnis et de son ‘endowment’, en grande partie des subventions publiques au travers des contrats de recherche fédéraux et des overheads (NSF, NIH, Darpa etc.).
De quoi parle-t-on alors autour des droits d’inscription ?
Les partisans d’une augmentation, comme leurs détracteurs, s’écharpent toujours de façon fantasmatique, autour de la gratuité totale, du maintien à 170 € en licence, ou l’augmentation à plusieurs milliers d’€ ! Ces positions interdisent de fait tout échange rationnel.
Le modèle américain sert d’épouvantail, mais qui imagine sérieusement un gouvernement en France fixer des droits d’inscription de 40 000 € par an, surtout après la décision du Conseil constitutionnel (voir infra) 2Même les écoles de management dont les droits ont crû de façon considérable s’interrogent sur les limites à ne pas dépasser ! ? En réalité, quel est le risque le plus important ? Non pas une hausse considérable des droits, ni un effet d’éviction, mais un désengagement de l’État. Il faut relire à ce propos les propositions de Christine Musselin ou encore celles de l’Institut Montaigne autour de la mise en place d’un système de prêts à remboursement contingent 3 J’ai contribué à ce rapport et je conseille à ses détracteurs de dépasser le procès d’intention et de le lire réellement : il a été un des premiers à tirer la sonnette d’alarme sur la nécessité pour l’Etat de refinancer les universités..
Mais au fait, qui est concerné ?
900 000 étudiants sur 2 700 000. En effet, il faut enlever les boursiers, exonérés 4S’il y a 36,8% d’étudiants boursiers dans l’enseignement supérieur, ils sont 39% dans les universités soit 510 223., mais aussi, on l’oublie trop souvent, les étudiants hors universités, par exemple 250 000 élèves de BTS, dont 54% de boursiers (voir mon billet (ancien) sur leurs difficultés financières). Quant aux près de 850 000 restants, ils ont fait le choix (certains contraints, d’autres non, mais c’est un autre débat) de payer des droits élevés dans le privé, voire dans d’autres filières publiques.
On voit donc que le débat se polarise sur une partie minoritaire des étudiants du supérieur : est-ce révélateur de visions plus polémiques que propectives ? On peut s’interroger en tout cas. Ce qui m’interpelle toujours, ce sont ces postures protestataires qui cachent un mépris abyssal pour les 1 800 000 étudiants restants…
Le service public est-il homogène ?
Non. Il y a donc d’un côté les BTS totalement gratuits puis les universités avec les frais d’inscription les plus faibles étagés par cycle. Et de l’autre une ribambelle d’établissements publics avec des frais divers, dont des écoles d’ingénieurs à 2 500 € voire plus. Sans parler des établissements hors tutelle du MESRI ! Y a-t-il par exemple une explication à cette bizarrerie ? Un diplôme d’État de psychomotricien (1316€) coûte plus cher qu’un diplôme d’État de docteur vétérinaire (159€) qui lui-même coûte moins cher qu’une inscription en licence… Ces disparités ont d’ailleurs conduit la Cour des comptes à poser une question : est-il possible qu’un service public continue de proposer une telle diversité de situations ?
C’est sans doute un défi pour les tenants du maintien du montant des droits actuels, voire leur suppression. Si on « gèle » les droits dans universités, faut-il faire payer les BTS ? Si on fait de la gratuité totale la règle dans les universités, quid des autres secteurs publics ? Et quid des ENS ou de l’X qui eux rémunèrent leurs élèves-fonctionnaires ?
Les droits ont-ils augmenté ces dernières années dans les universités ?
Non. Et selon la Cour des comptes, une hausse de 10% ne ferait que remettre “à niveau” ce qui a été gelé depuis des années par les pouvoirs publics (hors suppression de la cotisation de sécurité sociale).
Quels sont les enjeux financiers ?
La Cour des comptes plaide avec une grande constance pour un refinancement de l’ESR et en particulier des universités. Elle plaide d’abord pour un réinvestissement de l’État, comme l’a fait après elle le CAE. Mais dans un rapport de 2018 elle a procédé à des simulations sur la hausse des droits d’inscription sur la base de 1 034 315 étudiants en L (170 €), 565 059 en M (243 €) et 58 596 en doctorat (380 €). Elle note qu’une hausse de 10 % “appliquée à tous les cycles n’apporterait que 34,2 M€ de recettes supplémentaires par rapport à la situation prévisionnelle en 2018-2019.” Elle émet 2 hypothèses
- pour atteindre une recette annuelle supplémentaire de 1 Md€, il faudrait porter “les droits à 730 € en licence générale, à 887 € en master et à 1 380 € en doctorat.”
- les magistrats financiers visent une cible théorique de 432 M€ de recettes supplémentaires qui “pourrait être approchée en portant les droits à 392 € en licence générale, à 573 € en master et à 678 € en doctorat.”
La Cour des comptes aborde donc un effet à 2 niveaux : réinvestissement de l’État et contribution des étudiants non-boursiers. C’est d’ailleurs le risque le plus important : non pas une hausse considérable des droits, mais un désengagement de l’État.
Qu’est-ce qu’une contribution modique ?
La décision du Conseil constitutionnel sur les droits d’inscription borde tout risque d’augmentation « non-contrôlée » en précisant “que l’exigence constitutionnelle de gratuité s’applique à l’enseignement supérieur public” mais que “cette exigence ne fait pas obstacle, pour ce degré d’enseignement, à ce que des droits d’inscription modiques soient perçus en tenant compte, le cas échéant, des capacités financières des étudiants.”
Mais le flou demeure. Sont-ils indexés sur le coût réel d’une année d’étude (l’argument du MESRI pour les extracommunautaires qui évalue ce qu’il propose à 1/3) ? Si c’est le cas, la faiblesse des droits d’inscription à l’université laisse effectivement augurer de la possibilité d’une augmentation ! Ou est-elle aussi définie par le mode de vie des étudiants ? Dans ce cas, si on prend le cas du pouvoir d’achat en places de cinémas, les étudiants d’aujourd’hui (hors effets de la crise sanitaire évidemment) sont mieux lotis que leurs camarades des années 60 !
Comment en effet définir les capacités financières des étudiants ? Ces capacités financières ne sont mesurées actuellement que par l’exonération des boursiers. Faut-il considérer que les plus de 60% d’étudiants non boursiers des universités sont susceptibles de contribuer très fortement désormais ? C’est ce qu’avaient fait F. Mitterrand et A. Savary en 1982 sans que cela n’émeuve les ‘Sages’…
Si l’on met de côté l’hypothèse évoquée par différents candidats d’une allocation pour toutes et tous, comment, et faut-il, prendre en compte les revenus des familles ? Avec l’ensemble des aides perçues (logement, parts fiscales) ?
Que nous disent les modèles étrangers ?
Le modèle britannique apparaît source de polémiques avec son système de prêt aux étudiants et en parallèle des droits d’inscription (très) élevés : il serait l’exemple à ne pas suivre. Mais on oublie 2 choses : 1) ce système n’a pas été un frein pour l’accès des couches sociales défavorisés 2) il coûte surtout très cher … aux finances britanniques. C’est en effet l’État qui prend en charge les non-remboursements de ces prêts (défaillance du débiteur ou lorsque l’étudiant n’atteint pas le niveau de salaire suffisant), soit 53% des montants ! Une dérive qui soulève une question légitime, pointée par des critiques « de gauche » comme Hugo Harari-Kermadec : dans ce cas, ne faudrait-il pas donner cet argent directement aux universités sous forme de subvention ?
Côté scandinave, et particulièrement la Suède, tout est gratuit. La contrepartie est cependant une sélection assumée. Enfin, chez nos voisins allemands, 5 länders seulement ont instauré des droits de 50 à 500€ par semestre. Mais là encore, la sélection est à l’ordre du jour. On s’aperçoit donc que dans tous ces pays, s’il est une chose qui est partagée, c’est la sélection à l’entrée des universités, avec une grande autonomie de ces dernières dans le choix de leurs étudiants.
Le financement par l’impôt est-il plus juste ?
De mauvaises langues diraient qu’en France, il y a le beurre et l’argent du beurre. Ce débat « traverse » le monde de la recherche en économie : à qui profite le système actuel ? Selon Elise Huillery et Gabrielle Fack (Dauphine-PSL), rédactrices du dernier rapport du CAE, 5Qui ne plaident pas en tant que tel pour une augmentation des droits dans leur note., « à rebours du principe de redistribution et de lissage des inégalités par la dépense publique, l’investissement public pour la formation supérieure des jeunes dont les parents sont les plus aisés est beaucoup plus important que pour les jeunes dont les parents sont plus modestes. »
Selon elles, « si les transferts sociaux sont effectivement ciblés sur les familles des jeunes les plus modestes, leur effet redistributif est contrebalancé par les déductions fiscales dont peuvent bénéficier les parents aisés lorsque leurs enfants poursuivent des études supérieures. » Elles relèvent que ces déductions fiscales sont « d’autant plus importantes que le revenu des parents est élevé » et peuvent atteindre « près de 10 000 € euros sur 6 ans pour les ménages les plus aisés ». Leur conclusion ? Les jeunes et les familles les plus aisées reçoivent en moyenne 1,5 fois plus d’aide publique que les jeunes les moins aisés !
En conclusion
De mon point de vue, ce constat du CAE (après celui de beaucoup d’autres) déplace le curseur de la réelle justice sociale. C’est pourquoi, il est possible et même nécessaire d’augmenter de façon modérée les droits d’inscription dans ce contexte français spécifique. Mais c’est aussi responsabiliser à la fois les étudiants et les universités, le caractère « modique » étant la garantie d’éviter toute dérive de type consumériste.
Cette hausse modérée permettrait la mise en place au niveau de l’établissement d’un système redistributif d’aides pour toucher cette population étudiante fragile qui n’a justement pas droit aux bourses. Car si la « manne » évoquée dans ses projections par la Cour des comptes ne pourrait en aucun cas, de par son montant, servir à financer des infrastructures, des recrutements d’enseignants-chercheurs ou des laboratoires, elle pourrait jouer un rôle considérable sur le terrain.
Mes arguments sont évidemment discutables. Je sais parfaitement que pour certains je mériterais un camp de rééducation parce que je trahirais « les masses étudiantes » et que je voudrais « détruire le service public. » Je laisse donc à mes lecteurs et lectrices le soin de méditer ce qui suit. On vient de découvrir (pas moi je précise) que les lycées Louis-le-Grand et Henri IV sont en dérogation du service public sans que cela n’ait généré tribunes et pétitions.
Et pour cause : la représentante du Snes-FSU critique dans Le Monde (abonnés) le retour dans le droit commun des affectations parce qu’elle « s’attaque à l’excellence publique pour la livrer au privé. » C’est cette duplicité que l’on retrouve dans ces débats polémiques sur les droits d’inscription où l’on pointe du doigt les universités pour mieux oublier le reste du système … élitiste. Au nom de la défense des « pauvres » et en agitant le spectre de la « privatisation ». Moi j’assume cette défense du service public : “Faire payer les riches ?” Chiche !
Références
↑1 | Notons que l’Etat l’a fait sans coup férir pour la SNCF, Air France ou l’ex Areva, entre autres 😀. |
---|---|
↑2 | Même les écoles de management dont les droits ont crû de façon considérable s’interrogent sur les limites à ne pas dépasser ! |
↑3 | J’ai contribué à ce rapport et je conseille à ses détracteurs de dépasser le procès d’intention et de le lire réellement : il a été un des premiers à tirer la sonnette d’alarme sur la nécessité pour l’Etat de refinancer les universités. |
↑4 | S’il y a 36,8% d’étudiants boursiers dans l’enseignement supérieur, ils sont 39% dans les universités soit 510 223. |
↑5 | Qui ne plaident pas en tant que tel pour une augmentation des droits dans leur note. |
Merci, Jean Michel, pour ce coup de fraîcheur hebdomadaire qui fait du bien. Puissent les candidates et candidats à l’élection présidentielle faire de votre blog leur lecture de chevet au moins pendant quelques semaines. pensez-y, écrivez pour eux! Envoyez-leur vos papiers. Ce ne doit pas être compliqué de trouver leur adresses.
Il faudrait effectivement atterrir un peu, sur ce sujet des droits d’inscription comme d’autres.
J’adore la dérogation au service public accordée aux Lycées Henri IV et Louis le Grand, ainsi que le diplôme d’État de psychomotricien, dont les droits sont huit fois plus importants que ceux d’un doctorat vétérinaire!
Avec mes enfants j’avais découvert le niveau élevé des droits, en tout cas sans commune mesure avec l’université, des inscriptions dans une école publique d’archi délivrant des diplômes d’État, ou encore des droits d’inscription des écoles publiques d’éducateurs spécialisés, qui forment de facto les cadres de nos service publics sociaux. Je n’ai jamais trouvé quiconque qui se soit ému du niveau de ces droits dans des établissements publics.
Quant aux comparaisons avec l’étranger, que diable, tous les parents des étudiants américains ou britanniques ne sont pas millionnaires et ne payent pas 50000 dollars par an pour les études de leurs chères têtes blondes.
Mais, et vous avez raison de le dire, peu ou prou, partout les universités sélectionnent leurs étudiants, selon des critères qui leur sont propres. Seul obstacle de taille pour une généralisation de la sélection en France, il faudrait aussi développer massivement ces filières professionnalisantes à bac + 3 qui constituent en fait le vrai niveau de demande de formation de beaucoup d’étudiants, au moins en formation initiale, et aussi, plus souvent qu’on ne le croit, le vrai niveau de qualification demandé par beaucoup d’employeurs!
C’est vraiment le bal des faux cul!
Je ne comprends pas pourquoi le ministère, la Cour des Comptes ou autre s’amusent à proposer des droits de scolarité sur les doctorats. Les universités recevraient d’un côté ce qu’elles versent en allocation doctorale de l’autre. Est-ce uniquement une question de comptabilité analytique entre la partie dépenses de personnel de l’université, et les dépenses de formation dans les écoles doctorales?
A moins que l’objectif soit de décourager les thèses en lettres et SHS non financées en les taxant de frais d’inscription élevés. Mais dans ce cas on peut s’interroger sur la capacité contributive d’un certifié du secondaire en début de carrière, éventuellement à mi temps, qui ferait une thèse non financée à côté…
La position de Jean-Michel me parait tout à fait argumentée et raisonnable. De toute façon, le Conseil constitutionnel a fixé la ligne rouge: une augmentation des droits ne peut qu’être modérée et ne peut porter atteinte à l’accès de tous aux universités (notamment les boursiers). Il me semble d’ailleurs qu’il y a d’excellents exemples -dont Jean-Michel ne parle pas: Les IEP (Paris, Lille…) qui modulent les droits d’inscription selon les revenus des parents, exonèrent les boursiers, etc…Est-ce que cette méthode empêche quiconque d’y aller ou suscite des protestations? Non…
Il faudrait aussi parler des BTS, 1/3 au moins sont payants et chers, et ce sont souvent des spécialités très demandées. Les familles riches ne font pas faire de BTS à leurs enfants, donc qui trinque ? toujours les mêmes, notre système aide beaucoup les riches et les informés
Pomerol
Merci Jean Michel pour cette note qui précise bien des choses mais le sujet premier n’est-il pas le financement par l’Etat des universités? Comment expliquer que le budget/étudiant diminue depuis de nombreuses années? Pourquoi faut-il chercher des compléments budgétaires pour cet investissement? Notre PR a déclaré hier que ce n’était pas en augmentant les droits mais en développant la formation continue « payante » (mais avec quel effectif d’EC?). Les fondations et les droits d’inscription ne sont-ils là que pour combler un désinvestissement de l’Etat (nos impôts)?
Le sujet est donc en amont que finance-t-on avec nos impôts?
C’est la même chose qd on finance la recherche médicale avec des quêtes! L’aumône n’est pas la solution. Définissons les priorités.