14 président(e)s d’université ont fait l’actualité (et c’est une bonne chose) en lançant un appel dans Le Monde pour une allocation universelle pour les étudiant(e)s. Et si cette idée noble et généreuse était contre-productive ? Une allocation d’études universelle en CPGE ou à HEC a-t-elle le même sens qu’à l’université ou en STS 🙂 ? Comment des président(e)s d’universités peuvent-ils promouvoir une mesure qui aidera les couches sociales les plus favorisées et par ricochet les établissements les mieux financés ? Alors que Parcoursup fait de la discrimination positive sur les quotas de boursiers, pourquoi ne pas aller vers une « affirmative action » budgétaire selon la composition sociale des effectifs de chaque établissement ? Cela bousculerait le statu quo actuel.
Qui peut être contre combattre les inégalités et réduire la précarité ? Mais de quoi parle-t-on ? Un sondage Ifop/Cop1 1L’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 812 personnes, censé être représentatif de la population étudiante française. Ceci interroge sur la représentativité de l’échantillon en raison de la stratification du secteur (régions, niveaux et types d’études, types d’établissements) ! affirme que les 46% des étudiants sautent un repas chaque jour. Pourtant, cette affirmation reprise en chœur par les médias, n’a pas de base sérieuse mais entretient une vision misérabiliste et surtout homogène du milieu étudiant. De son côté, lors de son audition devant l’Assemblée nationale, le président de France Universités Guillaume Gellé a indiqué que « plus d’un tiers sautent régulièrement un repas selon des enquêtes concordantes », ce qui ne signifie pas que la raison soit exclusivement financière !
La précarité étudiante est une chose trop sérieuse pour être livrée aux approximations. Derrière la petite musique qui voudrait que tous les étudiants soient en difficulté se profile en réalité la défense du statu quo. En envoyant le message d’un signe égal entre les enfants d’un professeur d’université de classe exceptionnelle et ceux d’un chômeur, d’un ouvrier ou d’un employé, on conforte ce qui mine le système éducatif français, basé sur le délit d’initié 2 Rappelons l’exemple du SNES-FSU qui défendait le statut dérogatoire du service public du lycée Henri-IV….
La conséquence de cette vision misérabiliste, c’est justement d’uniformiser alors même qu’il faut cibler. L’allocation d’études universelle, c’est comme si on traitait de la même manière un rhume et une pneumonie… Si chacun sait, vu son coût, que c’est une chimère, cela permet de masquer les 3 véritables défis :
– aider mieux les plus modestes bien sûr
– aider plus celles et ceux qui sont en limite des aides ou en rupture (familiale, psychologique etc.) grâce à une vision de proximité que seuls les établissements peuvent avoir.
– et surtout leur donner des conditions d’études favorables, en particulier dans des universités dont l’organisation est certes perfectible mais qui manquent de moyens d’encadrement pour assurer la réussite.
Or, si les conditions d’études sont insatisfaisantes, celles et ceux qui en souffriront le plus ne seront pas les étudiants issus de CSP + !
Le mauvais exemple du Danemark
La France se distingue en effet de tous les pays comparables par un accroissement des inégalités tout au long du processus éducatif. Comment ne pas prendre en compte ce « particularisme »français souligné par l’OCDE ? Les étudiants, y compris à l’université mais avec des différences marquées entre filières et établissements, restent encore majoritairement issus de milieux favorisés (qui bénéficient en plus d’un bonus grâce à la fiscalité).
Le poids des 3èmes cycles et le faible nombre de boursiers à Paris, ne font que souligner la « cassure » sociale qui règne sur la poursuite d’études longues. Le SIES-MESR note ainsi que « depuis 2012-2013, les deux filières qui ont connu la plus forte diminution de la part de boursiers sont celles d’ingénieurs, qu’elles soient universitaires (-5,6 points) ou non (-4,2 points). Viennent ensuite les écoles de commerce (-3,1 points) et les CPGE (-1,1 point). » Certes , le développement de l’apprentissage a atténué le choc mais en réalité, là aussi, il révèle des dysfonctionnements majeurs.
De fait, si l’accès aux études supérieures s’est considérablement démocratisé, l’enjeu essentiel s’est déplacé sur la réussite et la capacité poursuivre des études longues pour les étudiants d’origine modeste. Or notre système est une machine non pas à reproduire les inégalités mais à les aggraver. Les universités plaideraient donc désormais pour une double prime pour les CPGE (dépense par étudiant et salaire des profs) ? Peut-on raisonnablement croire qu’aider tous les étudiants, y compris donc celles et ceux de CSP+, inverserait cette tendance ?
Sur les ondes j’ai entendu la présidente de Paris-I (et d’autres) évoquer à juste titre la question des ruptures familiales : mais alors pourquoi ne pas réclamer, comme dans toutes les grandes universités internationales, une gestion (revalorisée) des bourses qui seraient attribuées par les universités elles-mêmes, au moins partiellement pour prendre en compte les cas spécifiques ? L’autonomie réclamée ne serait-elle qu’un slogan creux ?
On objecte souvent le cas du Danemark : mais comme le rappelait en juin 2022 dans The Conversation, Léonard Moulin, l’allocation y rime avec sélection à l’entrée (moins de 50% des étudiants vont à l’université), et des conditions exigeantes de réussite. Et c’est en plus imposable. les 14 présidents signataires sont-ils prêts à l’assumer ?
Manque de sens politique
Je connais bien la plupart des 14 président(e)s signataires et je ne mets pas en doute leurs convictions tout à fait honorables. Je ne connais pas d’ailleurs les tenants et les aboutissants de cet appel … mais il est vrai que les réélections de présidents approchent, qu’une réforme est en préparation, et qu’il faut peut-être ménager les organisations étudiantes 😉. Il m’a semblé d’ailleurs que certains des signataires étaient en général pour « faire payer les riches » 🤣…
Est-ce habile politiquement au moment où la ministre a réussi à obtenir des premiers arbitrages non négligeables sur les bourses (500 M€), mais pas sur le fonctionnement des universités pour le budget 2024 ? Et est-ce la meilleure manière de mobiliser l’opinion publique et les parlementaires sur un nécessaire changement de cap sur l’Université et la recherche ? Ce manque de sens politique collectif des présidents d’université m’étonnera toujours : mauvais ‘timing’, effet boomerang, tout ceci participe paradoxalement à invisibiliser le 3ème budget de l’État !
On rétorquera qu’être sur les deux fronts (budget des universités et allocation d’études) n’est pas antagonique. Certes, mais dans une société et des médias dans lesquels les universités (surtout) et la recherche sont inaudibles, il faut choisir ses combats. Alors que pour les médias, universités = vie étudiante, recherche = organismes, l’écho (l’ego aussi peut-être) a été fugitivement très bon. Mais depuis, le rideau est évidemment tombé et les problèmes des universités n’intéressent plus personne !
Une nouvelle fois (et je ne doute pas de la préoccupation des signataires), les bons sentiments ne font pas une politique, sachant que Fage, Unef etc. savent bien mieux occuper ce terrain (c’est leur rôle !). L’histoire des universités regorge de batailles perdues : à chaque fois que des mesures « vie étudiante » sont prises, par un étrange phénomène de vase communicant, on prend d’une main ce que l’on redonne de l’autre. Et le fonctionnement des universités et de la recherche trinque…exactement ce qui est en train de se passer !
Agir sur les inégalités globales
Lors de son audition à l’Assemblée nationale, le président de France Universités, Guillaume Gellé, sans ignorer la question des conditions de vie des étudiants, a à mon sens, courageusement fixé les contraintes et les besoins. En pointant, à propos de l’alternance, « les effets d’aubaine des formations privées lucratives source de nombreuses désillusions chez les étudiants et leur famille », en n’occultant pas un débat de fond sur la poursuite d’études en master, en rappelant qu’il ne sera pas possible d’atteindre les objectifs fixé par l’État (46% de gain en performance énergétique d’ici 2030) « sans investir fortement dans la rénovation du parc universitaire. » Et que la compensation partielle des mesures « Guerini » devrait leur coûter 150 millions d’€, après 200 M€ de 2022 et 130 M€ de 2023…
Mais gardons le meilleur argument, si je peux dire, pour la fin : « que dirait-on si, pour des raisons budgétaires, demain, les universités étaient contraintes de former moins de médecins, alors qu’on en manque déjà cruellement ? » Un peu de fraîcheur, moins de langue de bois, ça fait du bien ! On le voit bien, la priorité des priorités, ce n’est pas une allocation d’études universelle qui bénéficiera aussi aux plus favorisés. La première des inégalités, c’est celle entre établissements d’enseignement supérieur selon que l’on soit CPGE, STS ou universités 3Faut-il rappeler que le coût de formation est très différent selon les filières et varie de 10 270 € pour un étudiant à l’université à 14 760 € en STS et 16 370 € en CPGE ?.
Mais il y en une autre, celles entre universités françaises. Non pas entre « universités de proximité » et « universités de recherche » : parmi ces dernières, nombre d’entre elles jouent aussi le rôle d’université de proximité. Dans sa position, à la tête d’une communauté disparate, aux intérêts à court terme antagoniques, G. Gellé ne peut dire que la priorité concomitante à la réforme des bourses, c’est aussi de combler les différences entre universités et de leurs des moyens de base.
Oui, ce sont souvent les universités ayant la plus forte proportion de boursiers (à quelques exceptions près) qui sont les plus défavorisées en SCSP (subvention de charges pour service public), ce ‘malus’ se combinant souvent à une évolution forte de leurs effectifs.
Ne faudrait-il pas une « affirmative action » budgétaire selon la composition sociale des effectifs de chaque établissement (ce que fait en quelque sorte Parcoursup avec les quotas de boursiers) ? Voilà qui serait vraiment une action pour réduire les inégalités. Un appel de président(e)s d’université en ce sens aurait vraiment … du sens : mais ça c’est le « dilemne du prisonnier » 🙂 !
Références
↑1 | L’enquête a été menée auprès d’un échantillon de 812 personnes, censé être représentatif de la population étudiante française. Ceci interroge sur la représentativité de l’échantillon en raison de la stratification du secteur (régions, niveaux et types d’études, types d’établissements) ! |
---|---|
↑2 | Rappelons l’exemple du SNES-FSU qui défendait le statut dérogatoire du service public du lycée Henri-IV… |
↑3 | Faut-il rappeler que le coût de formation est très différent selon les filières et varie de 10 270 € pour un étudiant à l’université à 14 760 € en STS et 16 370 € en CPGE ? |
Je ne peux que partager cette analyse.
Un complément sur la référence au Danemark qui est devenue à la mode en oubliant que les étudiants danois ont en moyenne 4 ans de plus que les étudiants français et que 60% d’entre eux ont une activité durant leurs études malgré l’allocation « universelle ». Et sommes nous prêt à assumer un taux d’imposition minimal de 40% en France ? Autant de différences (et il y en a d’autres) que les défenseurs du modèle danois oublient de mentionner.
Il nous faut garder ce principe d’aider mieux et plus largement celles et ceux qui en ont besoin plutôt que de se perdre à attendre une aide universelle qui ne résoudra rien (sans une réforme fiscale d’ampleur qui mettrait des années à arriver).
Merci pour cette analyse pertinente, mais qui passe un peu à côté du principal public exposé à la grande précarité : les étudiants internationaux en mobilité individuelle originaires des PVD. On sait qu’ils constituent la grande majorité des bénéficiaires d’aides d’urgence, pour l’alimentation, le logement, l’hygiène, etc…
C’est donc leur souffrance, aggravée lors de la cirse sanitaire, qui a alerté les médias, l’opinion publique, et à présent nombre de présidents d’université en recherche légitime de solutions pour l’apaiser.
Mais ces étudiants seraient-ils éligibles à l’allocation d’étude universelle?
Puisqu’ils ne sont pas boursiers dans le système actuel, cette universalité serait un corolaire logique au Plan « Bienvenue en France ». Car passer de 300.000 à 500.000 étudiants internationaux entre 2018 et 2027, sans prévoir 200.000 places supplémentaires dans les cités universitaires, suppose qu’ils soient accompagnés autrement. Jusqu’à présent ce n’est pas le cas, et on serait pourtant déjà à 400.000 … d’où ce nouvel accroissement visible de la précarité sur nos campus et dans nos viles universitaires.
On sait pourtant que le sujet ne pourra pas être abordé comme cela, car il ne manquerait pas d’alimenter un débat nauséabond par les partisans de la préférence nationale; totalement contradictoire avec les enjeux d’attractivité scientifique internationale du pays, de développement de la francophonie, et de coopérations Nord-Sud.
L’occulter totalement permettra t’il de prévenir significativement les situations de grande précarité?
j’ai trop aimé ce blog, bon sujet