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On le sait, la part des dépenses de R&D en France est inférieure aux pays comparables, de même que celles pour l’enseignement supérieur, essentiellement pour les universités. Mais que nous disent exactement les chiffres sur leur part dans les dépenses publiques en France ? Pour remettre à niveau l’ESR, il faudrait des choix budgétaires forts : les 10 milliards d’€ d’aides à l’innovation chaque année sont-ils plus efficaces que 10 milliards d’€ pour la l’ESR ? Regardons aussi du côté des Etats-Unis et de l’Allemagne.

Nous sommes toutes et tous abreuvés de chiffres, surtout dans cette période conflictuelle de la réforme des retraites. Je vais donc essayer d’aller à l’essentiel en m’appuyant sur des données simples et connues retraitées par un ancien magistrat de la Cour des comptes qui a créé une association, Fipeco 1Rien à voir dans son approche avec celle des ayatollahs de la réduction de la dépense publique comme l’Ifrap d’Agnès Verdier-Molinié..

Cette analyse qui a ses faiblesses, notamment en n’isolant pas complètement le 3ème budget de l’État, l’enseignement supérieur et la recherche, ou en étant bien prudente sur le CIR, a le mérite de partir des faits, y compris si l’on en conteste certains arguments. Car la comparaison des dépenses publiques avec les autres pays, sa répartition en France, doivent faire réfléchir : l’enseignement supérieur et la recherche sont budgétairement les derniers de la classe !

3 exemples contre-intuitifs…

D’abord, il n’est pas contestable que les dépenses publiques en France sont supérieures à celles des pays de l’OCDE. En 2021, elles représentent 59,0 % du PIB en 2021 contre une moyenne de 51,5 % du PIB dans l’Union européenne  (51,3 % du PIB en Allemagne). Au-delà de tout jugement politique (est-ce bien ou pas bien), on peut se demander où va l’argent 😂.

Si l’on creuse la répartition de ces dépenses, on peut être surpris. Prenons 3 exemples, contre-intuitifs.

La santé. Les dépenses représentent 12,3 % du PIB en France alors que la moyenne européenne est de 11,0 % du PIB (11,9 % du PIB en Allemagne). Les niveaux de remboursement des frais de santé l’expliquent en partie tandis que la désertification médicale frappe de plein fouet une partie de la population, ce qui justifie son ressenti.

L’éducation. La France dépense plus pour l’enseignement (5,2 % du PIB) que la moyenne européenne (4,8 % du PIB) et que l’Allemagne (4,5 %). Cela est bien connu, et depuis longtemps, de celles et ceux qui s’appuient sur les faits et pas sur l’émotion. Pourtant, notre pays ne cesse de débattre des failles du système éducatif, les moyens supplémentaires étant l’alpha et l’omega.

Les effectifs des fonctions publiques (y compris les contractuels). Ils n’ont cessé de croître avec, entre 1997 et 2021, « une hausse de 22 % alors que l’emploi dans le secteur privé a augmenté de 17 % et la population de 13 % sur cette période. » Mais si les effectifs de la fonction publique d’État « ont augmenté de 6 % de 1997 à 2021 (+ 149 000) », ceux de la fonction publique territoriale ont crû de 45 % (+ 559 000) et ceux de la fonction publique hospitalière de 36 % (+ 318 000).

En résumé, avec les choix budgétaires faits depuis des années et des années, l’ESR doit faire beaucoup avec peu ! Et les autres secteurs publics souvent peu avec beaucoup !

Quantité ne rime pas toujours avec efficacité …

Car entre gains de productivité et numérisation, cette croissance inégalement répartie des effectifs peut et doit interpeller : le ressenti dans la population 2C’est plus inquiétant pour les médias qui devraient partir des faits… est à l’inverse la faiblesse de l’investissement ! L’avalanche de normes, de règlements, de textes aussi confus qu’inefficaces et un pilotage trop souvent défaillant, impuissantent en réalité les services publics.

Chacun d’entre nous, dans tous les secteurs de la vie quotidienne, peut témoigner : millefeuilles, fonctionnement en silo de l’administration, incompétence (ah l’ANTS et les délais pour les passeports !), déresponsabilisation, doublons permanents etc. et disons-le, gaspillage de ressources. Et cela s’applique aussi à un ESR pourtant sous-financé.

Le pyschodrame de l’éducation nationale

Pourquoi dénoncer les dysfonctionnements de l’État et de ses services, au détriment rappelons-le de la population, serait-il une menace pour le service public ? On touche là un tabou dans les débats franco-français, ce qu’illustre parfaitement le psychodrame permanent de l’éducation nationale. On y réclame en permanence plus de moyens en évitant de s’interroger sur l’organisation et le pilotage du système et ses priorités. Si on le fait, on est évidemment taxé d’ultralibéral à la solde des méchants capitalistes.

Les dépenses publiques d’enseignement ? Elles sont plus élevées en France dans le secondaire (2,2 % du PIB contre 1,8 % dans l’Union européenne, 1,6 % en Allemagne ) ainsi que pour les services annexes (services académiques, cantines…). En revanche, les dépenses sont plus faibles en France dans le primaire (1,4 % du PIB contre 1,7 % dans l’Union européenne). C’est ce qu’a rappelé dans cette tribune dans Libération, l’ancien Dgesco de V. Peillon, Jean-Paul Delahaye, engagé à gauche et critique féroce de J-M Blanquer.

J’en veux également pour preuve le dernier psychodrame du système éducatif, dans les lycées, autour des classes prépas ECG. L’association des professeurs (APHEC) et la société des agrégés sont dans le déni face aux chiffres assénés par le MESR et le MENJ : selon les 2 ministères la baisse d’attractivité « crée environ 30 % de places vacantes sur l’ensemble de la filière ECG et même plus de 70 % de places vacantes dans 15 % des classes ouvertes dans Parcoursup. Ces taux sont supérieurs à tout ce que l’on observe dans les autres filières. » Pendant ce temps, l’université souffre, mais là encore pas partout et pas dans toutes les disciplines.

Qu’en est-il de l’enseignement et de la recherche ?

Si l’on regarde les dépenses publiques par fonction en % du PIB en 2021, on est, pour la recherche fondamentale, à 0,3 % pour la France contre 0,6 dans l’Union européenne et 1,1 en Allemagne… Et dans le supérieur, la France consacre 0,6 % du PIB contre 0,8 % dans l’Union européenne et en Allemagne.

Que nous disent les chiffres, bien connus, et remis en perspective par l’analyse de Fipeco ? Ils disent ce que je martèle modestement depuis la création de ce blog en 2018, à partir des chiffres disponibles. Les aides publiques à l’innovation dans les entreprises « ont fortement augmenté en passant de 3 Md€ en 2010 à près de 10 Md€ en 2020 dont les deux tiers liés au crédit d’impôt recherche. » Elles ont « un impact significatif sur les dépenses des entreprises mais leur effet sur l’innovation elle-même est plus difficile à démontrer. » C’est le moins que l’on puisse dire !

Ces constats n’enlèvent rien à des problèmes structurels dans les établissements, comme le temps de travail des Biatss ou encore la propension à s’affranchir des règles de la fonction publique, à l’image de ces universités qui ne comptent pas les grévistes, une illustration du privilège universitaire (demandez à celles et ceux qui font grève dans le privé !).

Mais au fond, alors que les dépenses publiques sont au maximum, seuls l’enseignement supérieur et la recherche doivent faire beaucoup avec peu. Alors regardons ailleurs !

Les États-Unis et la R&D

J’ai déjà évoqué la stratégie américaine avec un discours du conseiller à la sécurité de J. Biden qui illustre le fossé culturel entre élites françaises et américaines. Il est vrai que, par provocation sans doute, j’ai toujours aimé ‘zoomer’ sur la diable capitaliste américain, honni chez nous. Car la critique faite à E. Macron et ses prédécesseurs de la mise au pas ultralibérale de l’université et de la recherche m’a toujours fait sourire.

Les plus beaux exemples d’investissement dans l’enseignement supérieur et la recherche sont tous situés justement, sous des formes évidemment très différentes, dans des pays capitalistes, avec peu de régulation comme les USA, et plus de régulation comme les pays scandinaves ou l’Allemagne. Je ne résiste donc pas à promouvoir le méchant capitaliste Joe Biden qui s’emploie à effacer la dette d’une partie des étudiants américains et en plus qui s’est battu pour une augmentation significative des dépenses de R&D.

Sur cette dernière question, je vous livre à la fois l’analyse de la mission sciences et technologie de l’ambassade de France et celle de l’American Association for the Advancement of Science (AAAS). On est selon l’ambassade sur des dépenses américaines « au plus haut niveau historique ».  L’effort de financement de la R&D y est de 3,4% du PIB contre 2,3% chez nous (et probablement en baisse tendancielle…), la moyenne des pays de l’OCDE étant de 2,7%.

Surtout, ce financement de la R&D est majoritairement apporté par les entreprises (74,2%), l’État fédéral apportant 19,2%. La mission Sciences et Technologies relève « que si la recherche fondamentale reste principalement exécutée dans les universités (44,4%), la part exécutée dans les entreprises n’a cessé d’augmenter au cours de la dernière décennie et atteint 34,6% en 2021. Les entreprises exécutent par ailleurs 61,1% des dépenses de recherche appliquée et 91,3% des dépenses de développement. »

L’Allemagne et l’aide aux étudiants

Le Président de la République et ses ministres, comme ses prédécesseurs et la plupart des médias ont une fascination pour la comparaison avec l’Allemagne. Comme ils lisent évidemment les rapports de l’ambassade de France, j’ai regardé ce que prévoyait le gouvernement fédéral sur l’aide sociale aux étudiants. Pour la recherche, le budget de la DFG parle de lui-même…

  • Le montant maximal de l’aide passe de 861 euros à 934 euros, avec une limite d’âge … relevée à 45 ans.
  • Les abattements sur le revenu des parents des bénéficiaires de bourses sont augmentés de 20,75%.
  • L’allocation de logement passe de 325 euros à 360 euros.
  • Et il faut ajouter les différentes allocations pour faire face aux coûts de l’énergie.

En conclusion

Ce qui saute aux yeux dans les dépenses publiques, c’est que notre pays privilégie clairement (et ce n’est pas un jugement de valeur), les dépenses de continuation et de redistribution et moins les dépenses d’avenir et à risque. Personne n’imagine sérieusement que la part des dépenses publiques puissent augmenter. Mais quels choix faire ? Ce qui saute aux yeux concernant l’ESR c’est le gaspillage de la politique dite d’innovation : non pas qu’il faille s’en passer. Mais 10 milliards d’euros ???

Alors peut-on imaginer que la France continue à faire de l’ESR la 3ème roue du carosse ? Oui on le peut dans la mesure où, à quelques exceptions près, personne à droite, à gauche ou au centre, ne fait de cette question une priorité 😒. Et surtout, les modes de pensée de nos dirigeants quels qu’ils soient sont façonnés par des décennies d’un mélange de méconnaissance et/ou de mépris pour la science, comme le montre le débat autour du nucléaire.

Références

Références
1 Rien à voir dans son approche avec celle des ayatollahs de la réduction de la dépense publique comme l’Ifrap d’Agnès Verdier-Molinié.
2 C’est plus inquiétant pour les médias qui devraient partir des faits…

2 Responses to “Enseignement supérieur et recherche : les dindons de la farce budgétaire”

  1. Réflexion pertinente Jean Michel comme tjrs mais sur ce chiffre de 59% de PIB pr dépenses publiques vs comparaison est à prendre ac des pincettes car par ex il comprend les dépenses de sécu sociale qui ne couvrent pas les mêmes périmètres d’un pays à l’autre. Si on ne les prend pas là on les paye directement par ailleurs! Les frais de cabinet conseil à la McKynsey font partie des dépenses publiques! Il faut donc discuter des périmètres!

  2. Salutaire papier, cher Jean Michel, comme d’habitude!
    La dépense publique en France est souvent plus élevée dans de nombreux secteurs que la moyenne des pays comparables. Et pour la R&D, ce n’est pas la dépense publique qui est défaillante mais l’investissement privé, et j’ajoute, de façon provocatrice, de façon justifiée parfois car les entreprises privées ne trouvent pas toujours dans notre pays les ressources scientifiques dont elles ont besoin.
    Le grand problème français, pour l’ESR comme d’autres secteurs, c’est l’inefficacité de la dépense publique. Et de façon très hypocrite, les acteurs politiques de ce jeu de dupes font semblant de croire qu’il suffit d’augmenter la dépense publique pour résoudre tous les problèmes.
    Mais voilà, améliorer l’efficacité de la dépense publique passe par des choses absolument taboues, comme l’évaluation externe directe, ou par l’introduction d’une dose de compétition entre les acteurs, qui nécessiterait dans l’ES une dose d’autonomie bien supérieure pour les universités, le développement d’un secteur privé qui aiguillonnerait le secteur public et justifierait aussi qu’on donne à ce dernier les marges de liberté qui lui manquent.
    Bref une révolution !
    Tant que les tabous persisteront, notre retard se creusera. Inéluctablement.

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