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Sitôt nommée, on a vu fleurir à propos de Sylvie Retailleau des procès d’intention ou à l’inverse l’espoir qu’elle change un système à bout de souffle. Son plaidoyer avant sa nomination pour « mettre en place une loi de programmation de l’enseignement supérieur » est en soi un objectif plus qu’ambitieux … et une grosse pression ! Cela impliquerait aussi des évolutions profondes dans les universités. Cependant, son plus grand défi sera de parler autrement à une société française éloignée de ces enjeux. Pour peser.

Désormais ministre, l’ex-présidente de l’université Paris-Saclay 1On notera pour elle et pour Pap N’Diaye, que les médias continuent de mettre en avant le fait qu’ils sont agrégés, pas docteurs…Par ailleurs, le 12ème rang protocolaire ou l’absence formelle de l’innovation dans son portefeuille sont secondaires, tant ce secteur avait disparu du MESRI depuis 5 ans. va devoir rapidement rétablir une confiance érodée dans la politique publique de l’ESRI, en interne et dans la société. Elle dispose pour cela de la force de conviction, de l’énergie et de l’enthousiasme, d’un leadership qui lui seront bien utiles par rapport à sa prédécesseure. Si l’on y ajoute son côté chaleureux et naturel qui inspire le respect, même à ses opposants, elle a indéniablement le potentiel pour réussir. Laissons-lui le temps, d’abord d’entrer véritablement dans le rôle de ministre et de présenter ses grandes orientations. La période de réserve va de plus lui permettre de mieux préparer ces premières sorties publiques. 

Sylvie Retailleau a régulièrement développé sa vision, de concert avec France Universités, et l’a mise en œuvre autour du projet Paris-Saclay. Peu l’ont souligné : avec son attention portée aux étudiants, de la L1 au PhD (voir infra), elle échappe en effet visions réductrices sur les ‘universités de recherche intensives’ qui ne s’intéresseraient qu’à la recherche, singeant les organismes nationaux 2Voire ignorerait les SHS, les petites universités et j’en passe !.

Si elle a plaidé pour une clarification des missions des uns et des autres en recherche et pour une autonomie accrue des universités en RH notamment, si elle estime que la loi de programmation de la recherche est « un bon début » mais que « le rythme et la durée sont certainement à revoir » , si elle plaide inlassablement pour préserver le temps long de la recherche, dans son audition récente au Sénat elle jugeait, avec France Universités, que « la décision politique essentielle et urgente est de mettre en place une loi de programmation de l’enseignement supérieur »

Des signaux tangibles de changement

Avant cela, il lui faudra rétablir rapidement le courant avec des communautés épuisées et/ou sceptiques devant une parole ministérielle largement démonétisée. C’est ce qui paraît le plus facile pour la nouvelle ministre, connaissant son empathie à la fois pour les étudiants et pour les personnels, tout en n’ayant pas peur de la contradiction. Elle a pu mesurer à Saclay combien, plus que le meccano de la gouvernance, la question décisive était celle de l’acceptabilité et qu’il fallait convaincre.

Elle devra donner des signes rapides et tangibles de changement. En termes de financements, il y a des défis immédiats comme le budget 2023, ou encore le renchérissement du coût de l’énergie pour les opérateurs, voire l’accélération de la mise en place de la LPR. Plus significatives à mon sens, seront les premières mesures, même symboliques, pour desserrer l’étau centralisateur et bureaucratique qui pèse sur les chercheurs/euses et les établissements. Elle qui goûtait assez peu la recentralisation rampante à l’œuvre depuis 5 ans va devoir, sur ce sujet brûlant, donner des signaux forts.

Son plus grand défi : parler autrement à la société

Cependant, sur la durée, l’essentiel est ailleurs. Son plus grand défi, de longue haleine, sera de faire entendre la voix de l’ESR dans un pays où tout est prioritaire. La Défense ? Prioritaire. La Santé ? Prioritaire. L’économie ? Prioritaire. Le pouvoir d’achat ? Prioritaire. La Justice ? Prioritaire. L’agriculture durable ? Prioritaire etc. etc. Car tout est prioritaire dans le pays le plus pessimiste d’Europe. Il va donc lui falloir d’être audible dans cette cacophonie des priorités. Être écoutée et entendue du Président de la République, de la Première ministre, des autres ministres, des parlementaires etc. 3On peut évidemment imaginer que l’exécutif est au courant de sa demande d’une loi de programmation de l’enseignement supérieur… après la feuille de route tracée par E. Macron devant France Universités autour de la réforme du système des bourses, du constat d’un effort financier qui n’est pas suffisant et la nécessité de faire des universités le centre de gravité du système. est une chose pas évidente.

Comment changer la perception qu’a ce pays de l’apport de l’ESR à la prospérité de la France, dans sa mutation vers un monde plus durable ? C’est pourtant la condition préalable pour qu’un refinancement soit vu par l’opinion publique comme une priorité. La ministre mais aussi les opérateurs devront pour cela prendre des engagements forts tant en formation qu’en recherche. Comment en effet convaincre les familles 4A l’origine de l’explosion de l’enseignement supérieur privé., les jeunes, les leaders d’opinion, les médias, que l’ESR, et en particulier les universités, sont un secteur essentiel, véritable « pont » entre toutes les préoccupations des Françaises et français, de l’agriculture à l’industrie en passant par la réduction des inégalités et bien sûr la transition énergétique ?

Ce n’est évidemment pas en parlant d’EPE, de CNU ou encore de CPJ mais de Parcoursup, du niveau d’exigence, de la qualité de l’enseignement, des relations recherche et entreprises, de l’insertion professionnelle etc. L’opinion publique veut du concret, y compris sur l’organisation souvent kafkaïenne du système ! Bref Sylvie Retailleau devra parler à la société française telle qu’elle est, avec ses idées reçues sur ce qu’est la recherche, ce qu’est l’université. Cela suppose de porter une parole forte, partout, sans langue de bois. 

L’enjeu pour la ministre sera de convaincre l’opinion publique que l’ESR, et en particulier les universités, sont un secteur clé, à défaut de priorité, le terme étant tellement galvaudé désormais… Mais pour cela il faudra montrer évidemment ce qui marche, ce qui pourrait marcher mieux…et ce qui ne marche pas bien. En toute transparence. Il faudra donc mettre aussi sur la table les sujets qui fâchent. Elle va donc très vite être confrontée à cette Arlésienne qu’est le chantier inabouti de l’évaluation. Le consensus apparent sur les contrats d’objectifs, de performance et de moyens débouchera-t-il sur quelque chose de concret ?

L’apprentissage et les pièges de la fonction

Ministre, c’est évidemment autre chose que présidente d’université. La première étape, c’est toujours la constitution d’un cabinet : la nomination d’Olivier Ginez 5Ancien conseiller recherche au sein des cabinets de F. Vidal puis de D. Guillaume à l’Agriculture, en octobre 2021, il revient au MESRI comme directeur adjoint du cabinet de F. Vidal mais n’y reste que trois mois car rappelé à Matignon comme chef de cabinet de Jean Castex. lui assure une continuité importante dans les relations avec la sphère étatique (Bercy, Matignon). Le choix des conseillers en dira plus. De même d’ailleurs que les choix en matière de nomination et/ou de remplacement des postes de haut niveau. Enfin, Sylvie Retailleau pourrait-elle être la ministre des universités comme F. Vidal fut la ministre des organismes de recherche ? Ce serait une erreur, quelles que soient ses relations notoirement dégradées avec le PDG du CNRS Antoine Petit 6Concernant les Grandes écoles, ses bonnes relations avec IPP et Eric Labaye mais surtout la construction de l’université Paris Saclay avec Centrale supélec, Agroparistech ou encore l’ENS Paris Saclay montrent une vision dépassant les clivages d’antan..

Partisane de l’autonomie comme présidente d’université, elle va évidemment y être confrontée … mais de l’autre côté. Les écueils, elle les a connus ! Comment impulser une stratégie sans être tentée d’en définir les modalités détaillées à la place de celles et ceux chargés de la mettre en œuvre ? Comment résister à la tentation du micro management ? Comment résister aux sollicitations permanentes pour en quelque sorte « donner la ligne du Parti » ? Et d’un autre côté, comment s’assurer que cette stratégie est mise en œuvre si les principaux acteurs institutionnels ne la reprennent pas, la freinent voire s’y opposent ? Facile avec celles et ceux qui sont nommés mais très complexe avec les universités, leurs CA et leurs présidents élus.

Enfin et c’est le sujet le plus sensible après le mandat catastrophique de F. Vidal sur ce sujet, la communication et les relations publiques de S.Retailleau seront scrutées. On peut le regretter, mais l’image reste décisive pour une personnalité publique. En interne bien sûr, mais surtout dans l’opinion publique, en premier lieu avec ces ‘passeurs’ que sont les journalistes. Je ne parle pas seulement des journalistes spécialisés, mais des autres ! On sait que Sylvie Retailleau n’est jamais avare de son temps pour convaincre mais elle a toujours été réservée sur la « personnalisation » dans les médias : c’était le cas pour ces portraits qui ont fleuri après le classement de son université à Shanghai, acceptés avec réticence. Elle est d’ailleurs à l’image de ces responsables universitaires qu’il faut souvent convaincre que la communication ‘incarnée’ est un élément essentiel de la politique qu’ils/elles souhaitent mener.

Sa vision, Sylvie Retailleau va donc la confronter au réel de la fonction ministérielle, des contradictions des communautés académiques, des pesanteurs de l’administration et des compromis inévitables. Dans des communautés académiques trop souvent tournées vers elles-mêmes, qui aurait intérêt à la voir échouer à convaincre le gouvernement et la société de réinvestir dans l’ESR ?


Le tropisme ‘étudiant’ de Sylvie Retailleau

Sans étudiants bien formés, pas de recherche performante est son leitmotiv. Elle a ainsi frappé les esprits lors d’une intervention remarquée le 28 mai 2021 à l’occasion d’un colloque de la CPU autour du thème « Comment rêvez-vous l’université dans dix ans ? » Sylvie Retailleau avait parlé des étudiants, de leurs attentes, de leur rôle transformant. Elle estimait qu’il faut « proposer aux jeunes de se saisir du savoir, de le développer et le contester », en offrant un « exercice d’esprit critique peut-être un peu perdu de vue au profit de programmes trop remplis ». Comment ?

  • En différenciant les parcours. Le temps serait ainsi venu « d’alléger les maquettes en contenus, et en horaires, afin de proposer aux jeunes, selon leurs besoins, du soutien, du temps de travail personnel, l’ouverture à d’autres volets (travail par projet, entreprenariat, initiation à la recherche, ouverture à l’international, à la culture, au sport, etc.) ».
  • En acceptant qu’ils prennent « un chemin de traverse sans que ce soit considéré comme un échec » car il faut leur laisser « le temps de se poser et de nous poser des questions. »
  • En ciblant les moyens pour mieux encadrer les étudiants. De même, dans un entretien aux Echos le 11 mai dernier, elle indiquait qu’il « faudrait surtout qu’on adapte le taux d’encadrement à l’étudiant, alors qu’aujourd’hui on fait le contraire. On accorde un gros taux d’encadrement à des étudiants qui ont souvent de bons prérequis, dans les classes préparatoires ou à l’université, et qui n’ont pas besoin d’être maternés. Il ne faut pas accorder plus d’heures, par principe, aux formations les plus sélectives, mais repenser les moyens par rapport à l’étudiant, qui n’a pas les mêmes besoins à 18 ans, à 20 ou à 22 ans. »

En définitive, Sylvie Retailleau incarne un courant du monde académique qui place les étudiants au cœur et ne les voit pas comme des empêcheurs de faire de la recherche. C’est en soi disruptif non ?

Références

Références
1 On notera pour elle et pour Pap N’Diaye, que les médias continuent de mettre en avant le fait qu’ils sont agrégés, pas docteurs…Par ailleurs, le 12ème rang protocolaire ou l’absence formelle de l’innovation dans son portefeuille sont secondaires, tant ce secteur avait disparu du MESRI depuis 5 ans.
2 Voire ignorerait les SHS, les petites universités et j’en passe !
3 On peut évidemment imaginer que l’exécutif est au courant de sa demande d’une loi de programmation de l’enseignement supérieur… après la feuille de route tracée par E. Macron devant France Universités autour de la réforme du système des bourses, du constat d’un effort financier qui n’est pas suffisant et la nécessité de faire des universités le centre de gravité du système.
4 A l’origine de l’explosion de l’enseignement supérieur privé.
5 Ancien conseiller recherche au sein des cabinets de F. Vidal puis de D. Guillaume à l’Agriculture, en octobre 2021, il revient au MESRI comme directeur adjoint du cabinet de F. Vidal mais n’y reste que trois mois car rappelé à Matignon comme chef de cabinet de Jean Castex.
6 Concernant les Grandes écoles, ses bonnes relations avec IPP et Eric Labaye mais surtout la construction de l’université Paris Saclay avec Centrale supélec, Agroparistech ou encore l’ENS Paris Saclay montrent une vision dépassant les clivages d’antan.

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