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Vous n’y échapperez pas ! Moi aussi, je reviens sur cette date du 10 mai 1981 avec l’élection de F. Mitterrand. Mais vous noterez que nous ne serons pas nombreux à l’évoquer du point de vue de l’enseignement supérieur et de la recherche. Donc j’espère que cela rafraîchira la mémoire de certains, ou que cela apportera un éclairage peut-être différent ! N’étant pas historien, ce billet ne vaut que par ce que je crois devoir retenir de cette période, comme je l’ai fait pour les années Giscard. Plus que la loi Chevènement ou la loi Savary, la création de 8 universités et de 24 IUT dans le plan U2000 marque selon moi un tournant. Qui ne masque cependant pas des échecs majeurs.

Ce qui symbolise l’approche de la gauche à cette époque, c’est le rattachement de l’enseignement supérieur à l’éducation nationale. Alain Savary, puis Jean-Pierre Chevènement, Lionel Jospin et Jack Lang auront une double tutelle, tandis que si Roger-Gérard Schwartzenberg sera le secrétaire d’Etat chargé des universités de Jean-Pierre Chevènement (de juillet 1984 à mars 1986), il n’y aura pas de titulaire spécifique de mai 1981 à juillet 1984 et de mai 1988 à mars 1993 (hors les 2 périodes interrompues pour la gauche par la cohabitation). Par contre, après Jean-Pierre Chevènement, Hubert Curien assurera lui une grande continuité de 1984 à 1986, puis de 1988 à 1993 comme ministre de la Recherche et de la Technologie.

Il faut dire que la formation des enseignants restait une priorité fixée aux universités, voire leur mission essentielle dans une période où les postes créés dans le primaire et le secondaire sont nombreux. La conséquence logique, c’est que la vision dominante de l’université à gauche, était (est ?) le cloisonnement entre formation et recherche. Comme l’explique très bien Alain Boissinot dans son livre « Regard sur l’école », la domination historique en France du secondaire sur le supérieur, à l’inverse du modèle allemand humboltien, s’imposait à toutes et tous. Avec ses conséquences budgétaires.

Recherche publique et développement technologique

Ce n’est donc pas un hasard si la première loi sur le secteur de l’ESR est la loi dite « Chevènement » de 1982 d’orientation et de programmation pour la recherche et le développement technologique, qui ignorait de fait les universités. En 1982, il s’agissait essentiellement de mettre au centre les organismes de recherche (avec la création des EPST), de titulariser leurs personnels et de soutenir la stratégie française en matière technologique. En résumé, il s’agissait de connecter la recherche publique et le développement technologique, mais au travers des organismes de recherche.

Ceci « collait » d’autant mieux que ces derniers, centralisés et nationaux, correspondaient à une vision idéologique classique pour la gauche : rôle central de l’Etat, cadre national, recherche visible avec de grands équipements etc. Avec un argument juste, la relation faible entre la recherche et le monde industriel et des universités dont la recherche émergeait à peine, malgré les UMR.

Les objectifs financiers étaient ambitieux, et dès le budget 1983, l’Inserm bénéficiait de 230 créations de postes, soit + 6%, 540 au CNRS (soit + 2,3%) et 210 à l’INRA (+ 2,8%). Mais ces substantielles hausses de budget des organismes de recherche, outre la fonctionnarisation massive et inédite, seront freinées ou stoppées par le tournant de la rigueur de 1983.

La loi Savary et la création des EPSCP

Ce n’est donc qu’en 1984 que lui succède, pour les universités, la loi dite Savary. Elle est émaillée d’un double mouvement de contestation, à droite à propos de mesures jugées démagogiques sur la non-sélection et la gouvernance, à gauche surtout en raison de multiples difficultés financières dans les universités (Comme quoi, même avant la LRU … 😀). Si le ‘vernis’ de cette loi est la restauration de la « démocratie universitaire », la réalité est une nouvelle étape vers des universités plus autonomes, après la glaciation Saunier-Seîté.

La loi Savary fixe 4 missions à l’enseignement supérieur : formation initiale ET continue, recherche scientifique (tiens tiens…😃), diffusion de la culture scientifique et de l’information scientifique et technique et coopération internationale), et créé les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel. L’objectif affiché était (comme pour le scolaire) d’unifier le service public de l’enseignement supérieur. En réalité, la dualité grandes écoles-universités ne sera pas remise en cause. Si une réforme des premiers cycles universitaires est menée, le véritable fil conducteur (le même que sous Giscard…) est le développement des filières professionnalisantes et en parallèle l’accent mis sur les diplômes d’ingénieurs, tout ceci étant très sélectif !

Enfin, c’est dans cette loi que la contractualisation des EPSCP avec l’État est créé. Son ‘pendant’ est la création du Comité national d’évaluation des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (CNÉ). Son rôle ? Evaluer l’action pédagogique et scientifique des universités 1Il faut noter que le Comité national d’évaluation de la recherche (CNÉR) sera lui créé en 1989 pour évaluer l’activité des EPST, comme le CNRS. Cela en dit long sur la vision de l’époque.. Lors de l’inauguration du CNÉ, symboliquement le 10 mai 1985 en présence de François Mitterrand, celui-ci soulignait (Le Monde du 13 mai 1985) les 3 principes essentiels qui doivent animer les universités : « autonomie, émulation, qualité. » 

Et Laurent Schwartz, initiateur et premier président du comité, expliquait que « l’examen régulier de l’état de santé des établissements allait favoriser l’autonomie des universités. » Selon lui, les universités, « trop souvent injustement critiquées, doivent saisir la chance que représente une évaluation indépendante » pour regagner les faveurs de l’opinion publique. Mais, déjà, le Snesup rappelait son attachement « à une évaluation démocratique » et s’inquiètait d’une instance qui pourrait « contribuer à un classement hiérarchisé des établissements et à un pilotage de l’attribution des moyens par le ministère. » 🙂🙂

Déjà des clivages à gauche sur la « sélection et l’excellence »

Dans la préparation de cette loi, on l’a oublié, les tensions au sein de la gauche ont été fortes. Elles étaient incarnées d’un côté par Laurent Schwartz et Pierre Merlin, les représentants des « professeurs » comme les nomme Le Monde, qui ont l’oreille de F. Mitterrand, et de l’autre le Sgen et le Snesup appuyés toujours selon Le Monde par Lionel Jospin (alors 1er secrétaire du PS), avec au centre un groupe parlementaire PS divisé qui cherchait un compromis.

Le mathématicien Laurent Schwartz avait été chargé en 1981 de rédiger la partie concernant l’Enseignement supérieur et la Recherche de la Commission du bilan, présidée par François Bloch-Lainé. A partir de ce texte, il publie Pour sauver l’université,  manifeste fondateur de l’association Qualité de la science française fondée en 1982. Il défend l’idée d’une évaluation de la recherche, exclusivement sur la base d’une évaluation contradictoire par les scientifiques eux-mêmes, à l’exclusion de représentants élus, et se prononce pour la sélection. Clairement, Laurent Schwartz perdit la bataille, n’obtenant que la création du CNÉ.

La Gauche essaie donc d’orienter, non pas la massification de l’enseignement supérieur, déjà une réalité, mais sa « démocratisation », tout en développant les filières sélectives 2A titre d’exemple, les universités de technologie, les IUP etc.. D’où, une accélération de la professionnalisation des formations, et dans le même temps une politique d’augmentation du nombre de boursiers (au détriment d’ailleurs de la hausse du montant des bourses, rongées par une forte inflation). Là encore, on a oublié que la plus forte hausse des droits d’inscription fut l’œuvre de la gauche, (de 95 F à 150 F d’un coup en 1982 !) mais avec comme contrepartie cette hausse du nombre de boursiers.

Quant au refus de la sélection, classique à gauche, il restait en réalité très théorique. Mais cette sélection était ‘cantonnée’ au sein des universités dans des filières « parallèles » qui allaient connaître un développement, quantitatif (IUT bien sûr, IAE, IUP, écoles d’ingénieurs internes etc.) ou symbolique (les hyper-sélectifs Magistères). Et la Gauche ne remettait d’ailleurs pas en cause le Numerus clausus en santé, et évidemment encore moins les concours d’accès aux Grandes écoles.

Cela procédait de ce double langage que les Conseils régionaux de gauche allaient symboliser. Ils subventionnaient plus et beaucoup mieux les filières sélectives … au détriment des universités dites « traditionnelles », per capita s’entend. Mais en même temps, ils dénonçaient la main sur le cœur la sélection à l’université. On retrouve cette même duplicité chez ces chercheurs de gauche qui aujourd’hui refusent la sélection … sauf dans leur établissement évidemment.

Le Plan U2000 : le vrai tournant

Ce sont Lionel Jospin et Claude Allègre (son conseiller spécial) qui amorcent un tournant. Plutôt que de subir la vague démographique, ils tentent de prévoir et d’organiser les choses. Ils se donnent les moyens d’accélérer cette ‘démocratisation’ avec l’ambitieux plan U2000 et la volonté affichée de faire pencher, pour une fois, le balancier du côté des universités, pas des grandes écoles et des organismes de recherche 3Claude Allègre a tenté de remettre en cause les classes prépas (par le biais des salaires des enseignants…), a livré une bataille homérique contre le directeur de l’école Centrale de l’époque, Daniel Gourisse, et a mené une guérilla avec les directions du CNRS, mais sans résultats..

Décidé en conseil des ministres le 23 mai 1990, ce plan U2000 a permis de construire 3,5 millions de mètres carrés de locaux neufs destinés à l’enseignement supérieur et la recherche, avec notamment 8 universités nouvelles, 196 départements d’IUT et 24 IUT de plein exercice. Selon un rapport du Sénat de 2003 4L’exception territoriale : un atout pour la France ( rapport d’information ) par Jean François-Poncet au nom de la délégation à l’aménagement du territoire, il « est sans doute l’étape qui a le plus modifié la carte universitaire, après la période de fortes créations entre 1960 et 1975″, a permis « d’absorber une forte croissance de la démographie étudiante » et a abouti à « une amélioration du maillage national des implantations universitaires et notamment des IUT. »

Il a pour la première fois fait émerger un consensus Gauche-Droite, toutes les régions s’engageant résolument dans le plan. Sauf une : le Conseil régional Île de France (de droite) de l’époque fut le seul à refuser le co-financement de ce plan, une décision qui a eu de lourdes conséquences sur le paysage universitaire francilien, et il faut le dire, sur l’image dégradée des universités en général (ah, Tolbiac, Censier et Jussieu !), scrutées par un microcosme ignorant les universités de « province ».

Le bilan souterrain de la gauche

Que retenir alors d’essentiel dans ce double septennat Mitterrand ? Les idéaux de « démocratisation » n’ont pas pesé bien lourds face aux pesanteurs de la technostructure et aux résistances internes au Parti socialiste avec non seulement le maintien d’un financement à 2 vitesses, mais son aggravation. On en revient d’ailleurs à l’analyse de Christophe Charle sur l’incompétence, l’improvisation et la lâcheté. En l’occurrence, j’évoquerais plutôt pour une partie de la gauche la lâcheté.

Officiellement contre la sélection, faisant assaut d’amabilités sur le rôle de l’université dans la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur, sur son importance pour la recherche scientifique, la Gauche a, comme la Droite, maintenu les universités dans l’infériorité symbolique et de financement par rapport aux classes prépas et aux grandes écoles. Et je n’évoque pas la relation privilégiée avec les organismes de recherche, vus comme la garantie que l’Etat ne perd pas le contrôle, à l’inverse d’universités incontrôlables (tiens, ça me rappelle F. Vidal…).

Mais le bilan de la gauche est en réalité inattendu et à effet retard ! Les années Mitterrand ont forgé et soudé une génération de hauts responsables universitaires autour d’une vision partagée. Ils (rarement elles) ont influencé toutes les politiques publiques de l’ESR jusqu’à aujourd’hui. Pour le meilleur ou pour le pire selon son opinion. Car c’est la Droite et particulièrement N. Sarkozy et V. Pécresse 5Voire avant avec la création de la transformation du CNE en l’Aeres sous J. Chirac-JP Raffarin et F. Fillon., s’appuyant très largement sur ces universitaires de gauche, qui allaient mettre en œuvre la nouvelle étape de l’autonomie des universités avec la LRU, l’opération Campus, le lancement du PIA … ébauché d’ailleurs par le duo Juppé-Rocard.

Et je n’ai pas la place pour évoquer la mise en place de primes pour les enseignants-chercheurs, créées par la gauche, et développées par la droite. Bref, sur tous les sujets, les années Mitterrand ont semé les graines que la droite a fini par récolter, mais en l’assumant. Plus qu’une rupture, j’y vois une forme de continuité.

De mon point de vue, dans le domaine de l’ESR le clivage gauche-droite est donc inopérant : quand une partie de la Gauche défend mordicus un système de tripartition Universités-écoles-organismes elle rejoint une partie de la Droite. Idem pour les débats autour du CNU, des droits d’inscription etc. qui ne recoupent plus les clivages habituels.

C’est pourquoi le plan U2000 me paraît stratégiquement et politiquement plus essentiel que la loi Savary : il a été l’expression d’une volonté forte pour la mise en œuvre d’une politique publique. Dans un pays (tout du moins ses décideurs) qui n’aime pas ses universités, cela a été un progrès. Le maillage territorial (à peu près achevé), la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur (irréversible) la prise de conscience du rôle des universités dans le développement économique des territoires (en devenir) a pour la première fois fait émerger un consensus sur l’importance des universités. Et leur a donné un rôle et une visibilité dont elles ont commencé à se saisir.

Et il faut rendre à César/Claude Allègre ce qui lui appartient. Alors que la Gauche au pouvoir de 1981 à 1995 maintenait une vision ‘éducation nationale’ des universités, en découplant enseignement et recherche 6Je n’évoque que les années Mitterrand, pas le gouvernement Jospin avec U3M ou le quinquennat Hollande., il a largement contribué à dynamiter cet édifice. L’Histoire lui rendra l’hommage qu’il mérite, comme conseiller de L. Jospin dans les années Mitterrand puis lorsqu’il fut le ministre de L. Jospin. On n’a retenu que ses foucades et saillies : ayons une pensée pour tous ces jeunes et tous ces territoires qui grâce à sa vision, son anticipation, ont pu faire des études pour les uns, se maintenir ou se développer pour les autres.

Pour finir, j’ai eu l’occasion de cotoyer professionnellement ces acteurs/rices. J’en profite pour rendre un hommage à Armand Frémont, décédé en mars 2019. Directeur des sciences humaines au CNRS, directeur de la programmation et du développement universitaire (DPDU) en administration centrale et recteur des deux académies (Grenoble et Versailles), éminent géographe,  il a été une des chevilles ouvrières du Plan U2000 et de la politique contractuelle. Son humilité combinée à sa vision de l’aménagement des territoires m’avait frappé lors de nos nombreux échanges.

Références

Références
1 Il faut noter que le Comité national d’évaluation de la recherche (CNÉR) sera lui créé en 1989 pour évaluer l’activité des EPST, comme le CNRS. Cela en dit long sur la vision de l’époque.
2 A titre d’exemple, les universités de technologie, les IUP etc.
3 Claude Allègre a tenté de remettre en cause les classes prépas (par le biais des salaires des enseignants…), a livré une bataille homérique contre le directeur de l’école Centrale de l’époque, Daniel Gourisse, et a mené une guérilla avec les directions du CNRS, mais sans résultats.
4 L’exception territoriale : un atout pour la France ( rapport d’information ) par Jean François-Poncet au nom de la délégation à l’aménagement du territoire
5 Voire avant avec la création de la transformation du CNE en l’Aeres sous J. Chirac-JP Raffarin et F. Fillon.
6 Je n’évoque que les années Mitterrand, pas le gouvernement Jospin avec U3M ou le quinquennat Hollande.

3 Responses to “Les années Mitterrand : pourquoi le plan U2000 a été essentiel”

  1. Merci pour l’hommage à Armand Frémont, trop peu connu par les nouvelles générations.
    Il faudrait sans doute ajouter, mais on ne peut pas tout traiter dans un article, le lancement de la politique des études doctorales par C. Allègre et Vincent Courtillot, qui a eu le mérite à la fois de « montrer » qu’il y avait une (jeune) recherche universitaire et de moderniser un peu ce secteur en lui instillant une dimension plus collective. La formation des jeunes docteurs est encore un chantier en cours, mais les Centres d’initiation à l’enseignement supérieur et les allocataires-moniteurs des années 1990 ont semé de premiers jalons.

  2. Etant recteur à Montpellier puis à Toulouse pendant la période de mise en place des schémas U2000, je peux témoigner de son importance: les élus locaux, surtout régionaux, ont une bonne image des universités (ils sont moins issus des Grandes écoles parisiennes) et ont mis beaucoup d’argent dans leur développement (au moins 50% dans mes deux académies); il a fallu négocier avec eux des établissements de proximité, auxquels ils sont aussi très attachés (les motifs électoraux ne sont absents…): d’où de nombreux IUT (et aussi des BTS). Je pourrai raconter l’histoire de l’IUT de Figeac, dont le maire n’était autre que le ministre du budget…Bref, cette période a été capitale pour les universités!

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