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Rassurez-vous, je ne suis pas le énième virologue de circonstance ayant un avis à donner ! Mais mon incompétence scientifique ne m’interdit pas d’observer et questionner quelques phénomènes à propos des évolutions possibles de l’enseignement supérieur et de la recherche. Ni futurologue, ni Monsieur JeSaisTout, je me pose 10 (peut-être mauvaises) questions. En faisant appel à des contributions intéressantes.

Commençons par rappeler que, selon un sondage, 25% des français penseraient que le COVID 19 a été fabriqué en laboratoire. Et que selon un autre du Parisien , ils estimeraient à 59% que le traitement à la chloroquine est efficace …? Bientôt un référendum sur la pénicilline ? Bref, la science fait irruption de façon parfois inattendue dans le débat public…grâce aussi à ses controverses.

Elles ne sont pas nouvelles : simplement, elles se réglaient habituellement en cercles restreints aux « sachants ». Ni pronostics, ni prévisions de mon côté alors que même les scientifiques n’ont rien vu venir (sauf peut-être ceux de la CIA ?) . J’admire celles et ceux qui, en ce moment, théorisent notre futur, y compris dans l’enseignement supérieur et la recherche. Mieux vaut poser des questions !

Sur la science et la recherche

  1. Quels sont les contours des controverses scientifiques actuelles ? Dominique Linhardt (EHESS/CNRS) nous livre comme sociologue, dans les Carnets de l’EHESS, une analyse sur la controverse scientifique autour de Didier Raoult. Il pointe « l’originalité de la controverse » qui réside dans le fait « qu’il en est trop tard pour attendre que la découverte soit justifiée. »  Dominique Linhardt estime ainsi que « les tensions entre la protocolisation d’une ‘médecine fondée sur les faits’ (evidence-based medicine) et l’optimalisation clinique du soin apporté à chaque malade individuellement – ce que D. Raoult appelle « la méthode de Tom » – peuvent et doivent être examinées et éventuellement tranchées au sein de la communauté et de l’institution médicales. Une fois le temps de l’urgence passé. » On pourra compléter cette lecture avec un article de 2014 de Pascal Ragouet (Université de Bordeaux), intitulé « Les controverses scientifiques révélatrices de la nature différenciée des sciences ? Les enseignements de l’affaire Benveniste« . Tout ceci révèle une tension forte entre deux composantes de la démarche scientifique : la transgression et la nécessité de réelles frontières.
  2. L’exacerbation de la compétition scientifique peut-elle être niée ? Alors que les communautés académiques françaises s’écharpent sur la notion de compétition, celle-ci est partout pour trouver un traitement, obtenir un vaccin ou encore élaborer la meilleure politique de prévention. Elle est mondiale et combine travail à long terme…et appels à projets car il y a des échéances sanitaires. Ne faudrait-il pas plutôt la voir comme une stimulation nécessaire qui nécessite bien sûr des moyens et un cadre éthique ?
  3. Y aura-t-il une accélération du travail interdisciplinaire ? C’est une leçon visible de la crise actuelle, à savoir la mobilisation sur le COVID-19 de communautés de chercheurs pas seulement en santé. La question des données objectives, des datas (et des chiffres en général) a par exemple pris une place décisive, croisant des savoirs d’horizons très différents. Les défis d’aujourd’hui et de demain concernent bien sûr la santé, mais mobiliseront aussi les connaissances sur la société, ses mutations, qu’elles soient anthropologiques, psychologiques, urbanistiques, numériques ou énergétiques.
  4. La crise changera-t-elle la loi recherche ? Elle est pour le moment repoussée au début 2021 même si 400 M€ sont prévus dès cette même année 2021. Mais après cette crise, pourra-t-on prendre le risque de cibler les efforts probables uniquement sur les hôpitaux et la recherche en santé ? Indépendamment du fait que la recherche ne se découpe pas en tranches, le défi économique que devra relever la France nécessitera plus encore de mobiliser les forces de l’innovation issues des laboratoires. Décidera-ton enfin d’en faire une réelle priorité ? Il n’y a pas que sur les tests que la Corée du sud nous donne des leçons !

Sur l’enseignement supérieur

  1. Le bac napoléonien survivra-t-il ? Plus généralement, les épreuves couperets de type concours survivront-elles aussi ? On le sait, la réforme initiale du bac prévoyait, sorte de compromis baroque, un mélange de contrôle continu et d’épreuves terminales. Charles Hadji, professeur honoraire (Sciences de l’éducation)  à l’Université Grenoble Alpes, livre une analyse intéressante dans The Conversation : « La valeur certificative d’un contrôle continu (…) est, de fait, reconnue par la pratique des universités et grandes écoles » parce qu’avec Parcoursup elles « choisissent leurs futurs étudiants avant qu’aient été passées les épreuves terminales du bac. » Il en déduit  que « le temps est peut-être venu de faire de ce choix, aujourd’hui contraint par les circonstances, un choix réfléchi, et volontaire ».
  2. Les modèles pédagogiques évolueront-ils significativement ? C’est sans doute la fin de deux grandes illusions. La querelle homérique entre partisans du distanciel et partisans du présentiel semble tranchée par le bon sens. Non le présentiel n’est pas le seul vecteur d’enseignement efficace, non le distanciel ne résout pas tout : la relation humaine est essentielle. L’expérimentation géante en cours souligne ainsi le besoin d’individualisation des parcours autour d’une relation enseignant-étudiant rénovée. Avec une question ouverte sur les outils disponibles, leur appropriation par les étudiants et peut-être surtout par les enseignants. On lira avec intérêt « Rachel fait des cours en ligne » ou encore les réflexions de Pierre Boulet, vice-président transformation numérique de l’Université de Lille sur son blog. Et puis on pourra discuter le regard critique de Pierre Merckle de l’université Grenoble Alpes sur les conditions de la « continuité pédagogique. »
  3. Des modèles économiques en équilibre instable ? Sur les sujets pédagogiques et le distanciel, les Business schools travaillent la question depuis longtemps. Mais ce qui les préoccupe le plus, c’est cette course à la taille critique qui va se heurter à un risque potentiel non prévu : le tarissement du vivier des étudiants étrangers, particulièrement chinois mais aussi la crise économique qui pourrait frapper la classe moyenne. Or les USA étant souvent des précurseurs, la situation des établissements en matière de frais d’inscription y sera scrutée attentivement. On lira, comme souvent avec beaucoup d’intérêt le blog de Jean-François Fiorina (encore un grenoblois !).
  4. Assouplira-t-on les lourdeurs procédurales en matière de recrutement ? Le débat est vif sur l’utilisation des visioconférences pour les comités de sélection. J’ai relevé sur twitter cette polémique naissante à propos de la différence d’acceptabilité sciences sociales/sciences sur ce sujet :« Ou moins de possibilités pour des apartés et des coalitions entre membres du jury ? Mais ça, je ne veux pas le croire… » Je suis troublée par le fait qu’une partie de l’ESR – en gros les sciences humaines – soit vent debout contre les auditions MCF en visio, alors qu’en sciences (et personnellement en économie), c’est un peu moins agréable mais tout à fait acceptable et assez standard ailleurs ». Possible ? ?
  5. Le management va-t-il changer dans les établissements sous l’effet du télétravail ? Dans l’enseignement supérieur, comme pour le reste de la fonction publique, le travail à distance fait exploser toute les normes. Mais le problème est-il celui-ci ou plutôt un management « à l’ancienne » crispé sur les hiérarchies, vertical et en silo ? Et donc la relation humaine avant tout.
  6. Les inégalités vont-elles exploser ? La crise économique est là, sans que l’on connaisse évidemment sa durée. Mais il est certain que les familles touchées de plein fouet par la crise (chômage, pertes de revenus des artisans, commerçants, et même professions libérales) vont devoir réajuster leurs plans pour les études de leurs enfants. Les écoles « payantes » ne seront pas les seules concernées car étudier à l’université a aussi un coût.

Pour sourire un peu en conclusion. Les universités françaises en avaient déjà donné la preuve : elles peuvent faire face à un blocage grâce au numérique. L’expérience actuelle « grandeur nature » signifie-t-elle la fin des bloqueurs de Tolbiac que l’on a fugitivement aperçu à la télé, perdus devant ce changement de paradigme et criant au complot ? ?

One Response to “10 questionnements sur les conséquences de la crise”

  1. Comme je disais ds un tweet Tb démarche: questions pertinentes plutôt que vérité assenée.?
    Questions sur la question « L’exacerbation de la compétition scientifique peut-elle être niée ? ». Pourquoi tjrs favorisé les appels à projets (il en faut sur certains sujets de société mais à dose limitée) qui exacerbe la concurrence par exemple pour répondre au sujet du Covid-19? Ne serait-il pas plus « productif » de faire travailler ensemble des équipes ds un réseau thématique (genre GDR à l’ancienne ?) au niveau français voir européen? Redonner du poids aux tutelles (universités et organismes) qui connaissent bien leurs équipes? Cela n’aurait-il pas aussi comme effet de mieux répartir les moyens (notamment en gros équipement) et donc de les minimiser pour faire plaisir à Bercy?

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