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Sur les 100 Md€ du plan de relance, le MESRI estime la part de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation à 6,5 Md€, et ce sur 3 ans. On ne peut nier qu’il s’agisse d’un montant important, censé arriver en plus des fonds promis dans le cadre de la LPR. Comme toujours dans l’Etat français, la question reste la conception, la qualité de l’exécution, et son rythme. A force de lire des rapports officiels, notamment de la Cour des comptes, sur son efficience, il y a quelques points de vigilance….

Je ne suis ni compétent en économie, ni en sciences mais avant tout un observateur des politiques publiques dans l’enseignement supérieur, la recherche ET l’innovation. C’est donc à ce titre que j’essaie de chroniquer ce plan de relance. Vous trouverez à la fin de ce billet un ‘best of’ des rapports sur l’innovation qui peut faire réfléchir !

Intitulé « France Relance », ce plan comprend donc 70 mesures réparties selon 3 axes dédiés au verdissement de l’économie, à la compétitivité et à l’innovation, et à la cohésion sociale et territoriale. Coexistent donc des mesures de « réparation » (par exemple le secteur de la culture) et des mesures de « transformation » de l’économie, autour du ‘verdissement’.

Observons déjà que l’ESRI est par nature présent dans ces 3 axes. Au-delà des 6,5Md€ annoncés 1Selon le cabinet du MESRI, ce montant se décompose entre 5,5 Md€ au titre du PIA (renforcement de l’écosystème, aides aux entreprises innovantes et investissement dans les « domaines porteurs ») et 1 Md€ sur 6 actions distinctes (dont 400 M€ pour l’ANR qui « en plus de la LPR », et 300 M€ pour l’emploi en R&D)., il est évident que les universités, écoles et organismes sont en position théorique d’émarger à de nombreux autres parties. Rien que le plan de rénovation énergétique du bâti universitaire laisse augurer de substantiels crédits, même si les 4 Md€ ne lui sont pas exclusivement dédiés ! Et tout ce qui concerne « l’écologie » ou « la compétitivité », il est clair que les établissements de l’ESR ont une carte à jouer.

Un aspect de ce plan ne manque pas d’étonner : non pas le ‘verdissement’ de l’économie mais l’engouement pour ‘l’hydrogène vert’, doté de 2 Md€. L‘hydrogène vert est-il désormais la pommade miracle ? Je n’ai en soi aucune opinion là-dessus mais comme pour le lapin que l’on sort du chapeau, je m’interroge. D’où le sort-on réellement ? J’ai déjà abordé cette maladie de la planification des découvertes et innovations, ce culte du plan, dans laquelle une mode chasse l’autre. Ainsi j’imagine que la mode de la voiture électrique va sans doute être remplacée par celle de la voiture à hydrogène qui elle-même etc.

Qui pilote « l’innovation » ? MIT vs Bercy

Cela soulève une autre question. Le fait est que l’innovation n’a en réalité jamais fait partie du portefeuille de F. Vidal, préemptée par Bruno Lemaire. Pourtant, on le sait, la transformation d’une économie, et sa relance, supposent d’investir dans la recherche. Mais comment ? Jean-Pierre Bourguignon 2Ancien président de l’ERC, il vient d’être nommé président par intérim., démontrait dans un discours-référence en mai 2019 à Stockholm, que c’est d’abord une recherche puissante qui est la condition de l’innovation, et non les aides à l’innovation. Ce qui n’a jamais été le choix français, puisque nous sommes quasiment les champions du monde de ces aides…

Rappelons-nous que l’épopée du Minitel (succès mondial) s’est en effet appuyée sur l’ignorance abyssale par la direction générale des télécoms de ce sur quoi travaillaient déjà des chercheurs du monde entier, dont les Français qui allaient créer l’INRIA.

Leçon tirée ? Euh comment dire… Il faut lire (ou plutôt feuilleter 😒) le rapport publié en 2015 par Bercy sur les technologies-clés de 2020. On hésite entre rire et pleurer : 640 pages dignes d’un Gosplan des meilleures années brejnéviennes. Un inventaire à la Prévert où seule semble compter la peur d’oublier un élément de la batterie de cuisine pour ne pas se faire gronder ! Mais par contre en oubliant globalement la présence des SHS. Je conseille le passage consacré à l’hydrogène, en 7 pages. Ce qui était donc vu comme peu de chose en 2015 pour 2020 est désormais une priorité nationale.

Cela permet de relativiser et on peut comparer, pour rire jaune, avec la MIT Technologie review et sa (célèbre) liste annuelle des avancées technologiques, où il est d’abord précisé : « Nous recherchons plutôt les percées qui changeront réellement notre façon de vivre et de travailler » en évitant surtout l’engouement pour de « nouveaux gadgets »... Je laisse mes lecteurs regarder ce que la revue sélectionnait en 2015 (et aussi ce qu’elle promeut pour 2020) : brèves, percutantes et concrètes, ces ‘prévisions’ montrent à la fois les tâtonnements, le temps long…et la difficulté à définir ce qui va réellement changer !

C’est ce qu’a résumé en accéléré la COVID-19, avec d’un côté une communauté scientifique avec ses incertitudes, ses polémiques, ses confrontations, préalables à de nouvelles découvertes. Et de l’autre, des politiques, des médias qui pensaient (pensent ?) qu’il suffisait de fixer des dates d’obtention (médicaments, vaccins), car les découvertes scientifiques se planifient… C’est une des raisons qui font que la France a raté quelques tournants, malgré son potentiel scientifique.

Des moyens à conquérir

Ce plan pourrait être potentiellement un peu Byzance 😀, vu le niveau de financement des universités. Mais… il y a un triple mais.

  1. pour obtenir les moyens du plan de relance, il va falloir se « battre » face à des logiques « top down » dont la crise sanitaire a été l’illustration.
  2. la capacité et la volonté de l’Etat à laisser la main aux opérateurs ne sont pas acquises. L’enjeu est surtout qu’il garantisse une vision impartiale et une exécution efficace et professionnelle. Personne ne peut croire que l’Etat va donner des millions à des projets immobiliers non aboutis ! Mais personne n’a envie que l’Etat recommence, comme pour la COVID-19, à tout vouloir diriger de Paris ou de ses services déconcentrés.
  3. la capacité et la volonté des communautés de l’ESR à porter rapidement des projets. Et elles sont très diverses ( établissements, disciplines etc.). C’est là où cela se complique face à une lassitude devant les actuels appels à projet. Le verre à moitié vide, c’est donc de souligner les besoins récurrents, dénoncer la bureaucratie et le côté souvent illisible de la multiplication des financements sur projet, le verre à moitié plein, c’est l’occasion de bâtir des projets, de viser des moyens inespérés.

Bien sûr, les habituels et permanents détracteurs de tous les gouvernements diront que ce n’est pas assez, que c’est une ‘arnaque’ etc. Cette maladie infantile d’être contre tout, c’est à mon avis jouer contre son camp. Cela témoigne par ailleurs d’une grande cécité politique. L’opinion publique, déjà peu passionnée par les joutes universitaires, ne comprendrait pas une attitude négative vu les montants substantiels en jeu.

Il est vrai également qu’il faudra pour cela un message politique clair : on ne peut pas dire que les annonces successives sur le nombre de places supplémentaires (quelles imprécisions !), sur les cordées de la réussite (ah cette admiration pour tout ce qui n’est pas l’université) et évidemment sur la place de la recherche publique dans l’innovation soient limpides. Et le président de la CPU Gilles Roussel a bien résumé la situation : il ne suffit pas d’annoncer des milliards, comment et quand cela se traduira-il concrêtement pour les étudiants, les personnels, dans les composantes et les labos ?


2 ans de rapports sur l’innovation

A l’heure du plan de relance, il est toujours utile de se remettre en mémoire quelques 🙂 analyses et rapports.

Mai 2018 : la Cour des comptes et le CIR. Dans son rapport sur « Le budget de l’État en 2017 », elle juge qu’en « l’absence de données pertinentes, l’administration n’est pas en mesure de déterminer, pour l’heure, l’impact du dispositif sur la création d’emplois », et elle estime nécessaire « d’achever les études sur son impact économique sur données postérieures à 2009 ». Le montant global du CIR était de 5,7 Md€ dans le cadre du PLF 2018.

Juillet 2018  un rapport sur les Aides à l’innovation, Cf. mon billet.) Daté de mars 2018, sa lecture montre comment la France est la championne du monde de la subvention aux entreprises et comment et pourquoi ces aides ou le capital risque ne vont pas aux entreprises … issues de la recherche.

Septembre 2018 : annonce du Plan « Deep tech ». Suite au rapport sur les aides à l’innovation, Bpifrance annonce l’investissement de 1,8 Md€ sur 5 ans pour accompagner 2 000 start-up.

Mars 2019 : rapport sur de France Stratégie sur l’impact du CIR. Dans son avis, il est noté que la réforme du CIR a « atteint sa première cible : la croissance des dépenses de recherche et développement de ses bénéficiaires, dans une période pourtant marquée par la crise économique, et la poursuite du mouvement de désindustrialisation de l’économie française.” Mais il concède la nécessité d’autres investigations, ce que l’étude de l’IPP confirme de façon nettement moins optimiste. Les chercheurs évaluent l’effet d’un euro de CIR à 1,3 à 1,5 euros de dépenses R&D supplémentaires, « mais avec un intervalle de confiance qui n’exclut pas que l’effet soit inférieur à 1. L’effet sur l’emploi en R&D est plus faible, de 5 % à 10 %, et parfois non significatif.” Et donc, très prudents, les chercheurs estiment que “faute d’observer une mesure de l’investissement en R&D non dépendante des dispositifs d’aide particuliers”, ils ne peuvent pas “proposer ici d’évaluation de la marge extensive (la décision d’investir en R&D).”

Mai 2019 : la Cour des comptes « descend en flammes » la création du fonds pour l’innovation et l’industrie (10 Md€). Elle « accroît la dispersion des outils publics de financement de l’innovation », et est « une mécanique budgétaire complexe et injustifiée et va conduire à exécuter, en dehors du budget de l’État, les dépenses financées par les revenus de cette dotation ».

Juillet 2019 : rapport de Jean-Lou Chameau pour faire « émerger des campus d’innovation à la française ». Le constat est sévère :« L’enseignement et la recherche restent beaucoup moins intégrés en France que dans les grandes universités internationales. Bien que des efforts aient été faits, ceci reste à mon avis un handicap difficile à surmonter ». Il estime que le « système universitaire et de recherche, complexe, reste contraint par sa centralisation ».

Juillet 2019 Les propositions du rapport de Philippe Tibi pour répondre à la difficulté de financement des start-up technologiques. Il « dresse le constat de la forte dynamique des start-up en France mais également celui de leurs difficultés à se financer à des phases plus avancées de leur développement du fait du manque d’investisseurs spécialisés en France », notamment pour créer des licornes.

Octobre 2019 : rapport du groupe de travail préparatoire à la loi de programmation pluriannuelle de la recherche, consacré à l’innovation.

Octobre 2019 Start-up : le gouvernement lance le programme French Tech 120 pour faire émerger des leaders technologiques. 80 start-up à fort potentiel seront sélectionnées au niveau national et par territoire sur la base de la levée de fonds ou de l’hyper-croissance (montant de chiffre d’affaires et sa croissance).

Octobre 2019 Pacte Productif 2025 : synthèse des contributions concernant le volet innovation. « Certains instruments sont jugés efficaces comme les pôles de compétitivité ou encore le label Carnot, qualifié de vertueux et incitatif ». À l’inverse, « les avis sont plus nuancés sur les IRT du fait de leur jeunesse ». Quant aux Satt, elles sont « louées dans leur rôle de guichet unique pour le transfert » mais « risquent de tenir les chercheurs à l’écart des entreprises ». Enfin, la capacité des pouvoirs publics à susciter l’innovation de rupture fait débat 😀.

Références

Références
1 Selon le cabinet du MESRI, ce montant se décompose entre 5,5 Md€ au titre du PIA (renforcement de l’écosystème, aides aux entreprises innovantes et investissement dans les « domaines porteurs ») et 1 Md€ sur 6 actions distinctes (dont 400 M€ pour l’ANR qui « en plus de la LPR », et 300 M€ pour l’emploi en R&D).
2 Ancien président de l’ERC, il vient d’être nommé président par intérim.

One Response to “Crédits LPR, plan de relance et ESR : ce n’est pas rien, mais quand ?”

  1. Plan de relance ou nouveau PIA? Bon ok c’est 5,5Md€ (le PIA jusqu’à là c’est 57Md€) et oui il ne faut pas cracher dessus.
    Oui séparons la recherche de l’innovation (qui est nourrie par cette recherche) portée par le secteur de l’entreprise. Chacun son métier avec des passerelles bien sûr.
    Relire aussi cet excellent rapport (remis à Macron Ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique et à Mandon secrétaire d’Etat à l’ESR): https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid99081/rapport-de-suzanne-berger-sur-les-dispositifs-de-soutien-a-l-innovation-en-france.html
    Attention aussi à ne pas parler que de startups mais aussi du transfert vers les PME et ETI pour les faire grossir: https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-les-start-up-cest-bien-les-autres-pme-et-eti-cest-bien-aussi-1238541

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