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Le rapport de la Cour des comptes sur l’l’échec en licence’ rappelle le sous-investissement en licence mais, ce qui est moins relevé, la dispersion incroyable et peu efficace des financements publics avec la multiplication des appels à projets … pour seulement 200M€ par an. Contre 130 M€ de charges nouvelles cette année pour les universités (mesures Guérini et CAS Pensions). Il souligne également les limites de la définition de l’échec. Cependant, le rapport occulte 2 questions majeures : la réticence à l’évaluation des enseignements et les effets de l’entrée conditionnelle mise en œuvre dans certaines licences.

Depuis maintenant des décennies (oui, oui !), l’échec en licence à l’université suscite débats et polémiques. D’un côté, il y a celles et ceux qui dénoncent une Université peuplée d’étudiants incultes et pas à leur place, de l’autre, celles et ceux qui plaident pour un accès totalement ouvert, estimant qu’il ne s’agit que d’une question de moyens. Pendant ce temps, pour une grande part des 26% d’étudiants qui vont dans le privé, la sélection est quasi nulle : vous payez, vous entrez, vous avez votre diplôme.

Critiquée de toute part, l’université est très sélective, voire hyper sélective, mais mal. C’est d’ailleurs une lecture complémentaire, mais indispensable, de l’échec en licence : l’exigence des universités n’a pas baissé ! Soulignons deux éléments de contexte : les résultats Pisa et Timms pointent un système éducatif français pré-bac mal en point, tandis que l’on demande à des universités sous-financées de faire réussir des étudiants non choisis, aux niveaux et aux attentes hétérogènes. Un peu plus compliqué que pour les autres secteurs du supérieur non ?

Une politique publique peu efficace

Le rapport de la Cour des comptes s’appuie en partie sur celui du CAE de fin 2021 qui appelait à repenser l’investissement dans le supérieur en augmentant les moyens en L et M. Le CAE montrait le rapport étroit entre réussite et investissement. Il sort au même moment que le 7ème rapport du Comité éthique et scientifique de Parcoursup. La Cour chiffre à 534 M€ le coût des redoublements et des sorties sans diplôme sur les trois années du premier cycle. Pas sûr d’ailleurs que cette estimation soit juste, sachant que la notion de coût complet demeure un OVNI dans le monde de l’ESR.

Pire, même la Cour des comptes peine à s’y retrouver dans la jungle des appels à projets au cadencement rendant les comparaisons difficiles (Cf. le tableau infra). Le rapport estime que le MESR « a consenti des efforts importants en mobilisant des financements supplémentaires », soit entre 2018 et 2022, 582 M€ auxquels il faut ajouter depuis 2017, des fonds du PIA et du plan France 2030, pour environ 794 M€.

Si l’on prend ces années (2018 et 2022), selon mes calculs, on a affecté à la ‘lutte contre l’échec’ environ 200M€/an aux universités en partie sur appels à projet (et donc pas à toutes) : faut-il rappeler que le CAS Pension est compensé à hauteur de 100M€ sur 180 nécessaires ou encore que les « mesures Guérini » laissent 50M€ à la charge des universités cette année ? Et que leur subvention pour charges de service public (SCSP) est de 15,28 Mds€ en 2024 ? Ah la question des ordres de grandeur !!!

Pourtant, le MESR estime les coûts de l’échec à 265M€ en 2022 rien que sur la première année 1Le MESR chiffre à « 160 M€ le coût pour 2022 des redoublements de néo-bacheliers inscrits en L1 (50 000 redoublants) et à 105 M€ le coût pour la même année des sorties sans diplômes d’étudiants néo-bacheliers inscrits en L1 (33 000 étudiants sortis de l’enseignement supérieur), soit un total de 265 M€ pour la seule première année de licence. » ! S’il est évident que les appels à projets ont stimulé une prise de conscience sur la pédagogie et la réussite, leur multiplication a conduit à faire de la question de la réussite étudiante une variable dépendant du succès ou non à un appel à projet.

Et le rapport tire la sonnette d’alarme : ces fonds ne sont pas pérennes. De plus, en dehors des NCU, l’évaluation de l’efficacité des dispositifs mis en place est soit limitée, soit inexistante. S’occuper des étudiants doit-il relever d’une procédure exceptionnelle et sélective ? Ou s’agit-il d’une mission de base du service public ? Rationnel non ?

Des facteurs d’échec multiples

Les chiffres de l’échec sont incontestables, même si le rapport souligne des progrès : 36 % seulement des étudiants parviennent à obtenir leur licence en trois ans, contre 39 % en moyenne dans les pays de l’OCDE et 69 % au Royaume-Uni. Mais que veut dire l’échec ? Et d’ailleurs peut-on parler d’échec des jeunes ou plutôt d’échec du système français ? Car selon la Cour, pour 11 % des étudiants, la L1 constitue davantage « une plateforme d’orientation » qu’une véritable première année de formation.

La Cour des comptes admet donc que « les causes de la réussite et de l’échec sont plurielles » et regrette le flou de l’analyse des établissements qui citent la précarité ou les conditions de prise en charge des problèmes de santé mentale. Mais sans fournir « de données objectivables ou consolidées. »

En réalité, si l’origine sociale et le type de bac influent sur la réussite 2La réussite des bacheliers généraux est beaucoup plus importante (52,2 %) que celle des bacheliers technologiques (17,6 %) ou professionnels (7,7 %)., comment expliquer les fortes variations entre disciplines, entre établissements, entre filles et garçons 3L’économie, l’administration économique et sociale (AES) ou les sciences pour la santé (LAS) présentent des taux de réussite inférieurs à la moyenne, avec respectivement 34,4 % et 31,5 % de diplômés. Et 50,5 % des femmes inscrites en L1 en 2019 ont obtenu leur licence en trois ou quatre, ans contre 38,4 % seulement des étudiants masculins. ? Et l’assiduité ? Et les boursiers ? Et les étudiants étrangers ? Et bien sûr, les méthodes pédagogiques. Le plus étonnant, c’est la quasi inexistence d’études corrélant ces facteurs, notamment par tous ces sociologues plus occupé(e)s à dénoncer Parcoursup.

Peut-on faire l’impasse sur les dimensions historique, culturelle et comportementale ? A titre d’exemple, les taux de réussite en IUT peuvent évidemment s’expliquer par un financement supérieur. Mais ils peuvent aussi (et autant ?) être dus à la sélection à l’entrée, à la pédagogie mise en œuvre et au travail en équipe des enseignants.

Des trajectoires étudiantes de plus en plus diversifiées

L’analyse des trajectoires des néo-bacheliers inscrits dans le supérieur (pas seulement l’université) en 2019 est très intéressante. Si un quart d’entre eux sont sortis du système sans diplôme en 2022, il faut relever que les inscrits en licence ont des parcours moins linéaires que les autres filières (BTS, DUT, CPGE, etc.), mais aussi que la licence accueille beaucoup de profils différents issus de la réorientation 4Remarquons au passage que personne ne semble s’interroger sur la situation des STS : en 2022, près de 76 % ont obtenu leur diplôme en deux ou trois ans, alors que c’est une filière officiellement sélective et pour une large part en apprentissage. On parle de 141 691 étudiants sur 186 362 inscrits..

Avec un schéma très parlant, le SIES-MESR souligne la « grande diversité des trajectoires durant les trois premières années dans l’enseignement supérieur »Il existe bien une itinérance des étudiants, à laquelle on peut ajouter les reprises d’études, documentées par le Cereq. On peut rapprocher ce phénomène de celui pointé par le Cereq dans une autre étude « réorientations précoces : un jeune sur quatre souhaite changer de métier ».

Le « marronnier » de l’orientation

C’est donc bien à une évolution des comportements des jeunes que l’on assiste, évolution qui interroge les modèles classiques et tubulaires : on le voit avec les parcours divers après un BTS, un DUT/BUT, une licence, une CPGE ou une école de commerce. Et le MEN et le MESR annoncent (je ne compte plus les annonces sur ce sujet) une nouvelle concertation sur ce sujet, les médias recyclent leurs sujets, un éternel recommencement …

Même si Parcoursup est un immense progrès sur le descriptif des formations, il faudrait peut-être se poser 3 questions !

La première : le fait qu’un jeune de 18/20 ans, ne sache pas ce qu’il veut faire est-il anormal ? En quoi est-ce choquant ? L’offre ne doit-elle pas s’adapter à cette réalité avec une spécialisation réellement progressive ?

La seconde en découle : peut-on raisonnablement à cet âge devoir choisir rationnellement entre des milliers de formation et des centaines d’établissement ? Comment favoriser encore plus les passerelles et réorientations ?

La troisième enfin : que se passe-t-il avant, au lycée, voire au collège ? Celles et ceux qui font de Parcoursup le linky du supérieur liront avec profit, s’ils ont honnêtes, le 7ème rapport du CESP et notamment son analyse des bacheliers STMG. Elle est édifiante autour du « manque d’accompagnement des élèves de STMG vers le post-bac » et « la méconnaissance des enseignements et des débouchés de la filière STMG à la fois chez les professeurs principaux de collèges et de classe de seconde ainsi que chez les parents d’élèves. »

De véritables efforts des universités

Pourtant, malgré les obstacles, les efforts pour accentuer l’accompagnement des étudiants « sont indéniables » reconnait la Cour. Il est clair que les passerelles se sont multipliées, les dispositifs aussi, de façon très variables. En cause, toujours le même problème, à savoir la place de l’enseignement dans les préoccupations et la carrière des enseignant-chercheurs. Les taux d’encadrement pèsent évidemment, notamment pour certaines disciplines et certains établissements. Mais l’existence d’un CNU favorise-t-elle réellement la prise en compte de la pédagogie 😉 ?

Le problème est donc bien plus complexe. Interrogeons-nous : les disciplines non sélectives aux taux d’encadrement corrects, arrivent-elles à faire progresser leurs taux de réussite ? A ma connaissance, aucune étude n’existe. En revanche, toutes les études montrent que la non assiduité est un des facteurs de décrochage. Or le suivi de ces étudiants demeure problématique, pas seulement pour des questions de moyens, mais également en raison de réticences des enseignants à jouer un rôle qu’ils vivent comme « répressif ».

Ajoutons le fléau récurrent, et déjà dénoncé par l’IGESR, des relations avec les rectorats. Alors que 15 % d’étudiants inscrits en L1 en 2022 (soit 28 483 étudiants) ont quitté l’université à la rentrée suivante, les données manquent toujours pour retracer leur parcours. Faute, comme l’avaient pointé IGESR et CESP de coordination efficace avec les rectorats ! Mais heureusement, on a créé les recteurs délégués à l’ESRI 😉 !

Rappelons que l’insertion professionnelle des étudiants d’université est plus que correcte (Cf. notes du SIES-MESR sur la licence générale et les master et licence professionnelle).

Le tabou de l’évaluation des enseignements par les étudiants

Une autre question mérite d’être abordée, qui est l’Arlésienne des universités. Pour n’importe quel observateur extérieur, a fortiori étranger, le tabou qui entoure l’évaluation des enseignements dans notre pays interpelle. La multiplication des échanges étudiants met cruellement en lumière cette lacune et l’image de l’université pâtit largement de cette impasse typiquement française.

Prévue dès 1997 dans l’article 23 de l’arrêté dit Bayrou elle est formulée de façon telle qu’elle n’est pas applicable, ce qui était peut-être le but … La Cour des comptes l’oublie, l’Igesr l’évoque régulièrement mais de façon anecdotique tandis que les rapports HCERES n’en font jamais un item majeur dans l’évaluation des formations. Ils sont très détaillés…sauf sur cette question, constatant seulement que seules quelques composantes la mettent en place. Et d’ailleurs la récente polémique sur les dernières évaluations HCERES des formations porte sur tout, sauf sur cette question qui fait consensus : ne surtout pas en faire un objectif, encore moins une priorité…

Aucune inspection, aucun rapport, aucune institution universitaire, aucun(e) ministre évidemment, n’ose donc aborder de façon résolue la question de l’évaluation des enseignements par les étudiants. Non pas d’ailleurs que ceci n’existe pas dans de nombreuses composantes, ni que les équipes de direction ne s’en préoccupent pas.

Marc Bloch l’avait pointé en son temps, et il s’agit à n’en pas douter, d’une longue histoire franco-française de la transmission du savoir. Du primaire au supérieur, le faible intérêt porté aux attentes des élèves et des étudiants surprend toujours les étrangers. Les réactions épidermiques à l’institutionnalisation de l’enseignement pour les chercheurs en sont un symbole.

Dans les secteurs dans lesquels le travail en équipe est limité, cette évaluation est vécue comme « porteuse » de risques, perçue très souvent comme un casus belli par les enseignants-chercheurs, encouragé/découragé par l’existence du CNU. Est-ce à dire que l’évaluation systématique des enseignements modifierait les taux de réussite ? Elle délivrerait en tout cas un message fort et pourrait être un levier de changement important :

– pour les étudiants, sur le fait que leur établissement s’intéresse à leurs attentes et leurs difficultés. Cela conforterait leur sentiment d’appartenance, tout en en faisant des « agents positifs » d’influence de leur établissement, s’ils sont écoutés 😉.

– pour les équipes pédagogiques, pour des pistes d’amélioration, sachant que l’enseignement est une compétence qui doit s’adapter en permanence. Cela aurait un effet formateur collectif, dans un milieu où le sens pédagogique n’est pas « natif ».

– pour les équipes de direction, d’abord au niveau des composantes, avec une visibilité nouvelle pour mieux concevoir enseignements et formations.

Car quel est l’objectif partagé dans les universités du monde entier qui la pratique systématiquement ? Non pas sanctionner les enseignants, mais faire réussir leurs étudiants en comprenant mieux leurs attentes et leurs difficultés.

Sélection ou malthusianisme ?

Alors, faut-il sélectionner à l’entrée de l’université ? Là aussi, il faut de la nuance. Curieusement 😒, cette question éminemment politique ne concerne évidemment pas les lycées et leurs BTS et CPGE, les écoles publiques diverses et variées qui sélectionnent sans problème. Aucune manifestation, aucun communiqué syndical contre la sélection dans ce cas… Rappelons d’ailleurs que les universitaires et le Snesup s’étaient opposés en son temps à la création des IUT, sélectifs et professionnalisants. Est-ce que la sélection y a empêché la massification et la démocratisation ? La réponse est connue.

Car dans un étonnant consensus, l’université, mal considérée, a tous les devoirs mais pas tous les droits… Pourtant, elle inclut de plus en plus de formations sélectives. Est-à dire que l’entrée à l’université doit être systématiquement conditionnelle ? Parcoursup et l’examen théorique des candidatures ont fait évoluer les choses, même si les rectorats continuent d’imposer des capacités d’accueil aux universités … autonomes. Et cette entrée conditionnelle l’est déjà dans des filières saturées, par exemple en STAPS avec des attendus précis.

Cela ne mérite-t-il pas un débat apaisé ?


Des dispositifs d’accompagnement nombreux mais peu efficaces

Les pouvoirs publics ont mis en place de nombreux dispositifs depuis des années, dont la plupart selon la Cour des comptes, à l’exception des NCU, ne sont pas ou peu évalués. Le constat est sévère : « l’efficacité n‘est pas démontré », par exemple pour les dispositifs de remédiation prévus à l’échelon national pour aider les étudiants. Le tableau suivant est édifiant !

Cerise sur le gâteau, l’opacité, ou plutôt un bazar général, règne : le MESR et les opérateurs du PIA « doivent effectuer un travail complémentaire afin d’identifier plus précisément les crédits budgétaires et extrabudgétaires mobilisés pour déterminer les orientations en faveur de la réussite étudiante. » Et on ne parle même pas de ce que subissent les universités pour gérer tout ceci : montage et gestion des projets, suivi et évaluation.

Références

Références
1 Le MESR chiffre à « 160 M€ le coût pour 2022 des redoublements de néo-bacheliers inscrits en L1 (50 000 redoublants) et à 105 M€ le coût pour la même année des sorties sans diplômes d’étudiants néo-bacheliers inscrits en L1 (33 000 étudiants sortis de l’enseignement supérieur), soit un total de 265 M€ pour la seule première année de licence. »
2 La réussite des bacheliers généraux est beaucoup plus importante (52,2 %) que celle des bacheliers technologiques (17,6 %) ou professionnels (7,7 %).
3 L’économie, l’administration économique et sociale (AES) ou les sciences pour la santé (LAS) présentent des taux de réussite inférieurs à la moyenne, avec respectivement 34,4 % et 31,5 % de diplômés. Et 50,5 % des femmes inscrites en L1 en 2019 ont obtenu leur licence en trois ou quatre, ans contre 38,4 % seulement des étudiants masculins.
4 Remarquons au passage que personne ne semble s’interroger sur la situation des STS : en 2022, près de 76 % ont obtenu leur diplôme en deux ou trois ans, alors que c’est une filière officiellement sélective et pour une large part en apprentissage. On parle de 141 691 étudiants sur 186 362 inscrits.

One Response to “« Échec » en licence : les mauvais comptes font aussi les mauvaises réponses”

  1. Merci pour ce bon résumé. Je reste toujours persuadé qu’une sélection à l’entrée en licence ne coûterait rien (un bouton à rajouter sur Parcoursup pour dire non) et aurait un effet transformant très positif sur tous les acteurs de l’enseignement supérieur et du lycée. Je dis « ne coûterait rien » financièrement, mais peut-être cher politiquement.

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